- V -
u ne peux pas savoir à quel point Mercure, plus encore que quiconque, fut bouleversé lorsqu'il apprit (de la bouche de Vénus qui savait toujours toute chose avant le reste de l'UNIVERS), la mort de Séléné.
Je peux même te confier qu'il faillit en mourir de désespoir...A vrai dire, la bruyante & joyeuse humeur de tous ses voisins & amis en fut aussi terriblement affectée...
Mars lui-même, souffrait d'un tel ressentiment de honte coupable, qu'il s'était effondré en larmes; mais ses larmes brûlantes ne vinrent jamais se fixer, parmis les autres étoiles,  pour orner le ciel. Non; zébrant parfois la nuit, tu verras peut-être leurs longs filaments lumineux poursuivre leur course infinie à travers l'UNIVERS, car elles portent en elles la mortification éternelle de Mars...

        & toujours, elles cisailleront tous les cieux de tous les mondes afin que partout l'on sache qu'il se morfond encore.

Mais je te faisais remarquer plus particulièrement tout-à l'heure la peine immense de Mercure plus que tout autre, & je vais t'expliquer pourquoi sa douleur était si grande: de temps en temps, la céleste pénombre s'illuminait de bien curieuse manière, &, bien souvent, on se questionnait fort parmis nos célestes amis, sur l'origine de ces étranges fuseaux de lumière qui pouvaient passer sans préambule au-dessus de votre tête, comme de furtives caresses. Mais bien sûr, nul n'avait jamais pu expliquer ce mystère...
        En fait, Séléné & Mercure, eux, savaient très bien de quoi il s'agissait; je t'explique:si l'on avait pu observer de près ces rapides fuseaux éclatants, la solution de l'énigme serait d'un seul coup devenue évidente, car, malgré leur aspect lointainement blanc & uniforme, ils se divisaient en sept rayons de couleurs différentes: rouge barbare de morsure, jaune stellaire en coulée de vieil or, vert alangui de l'heure du thé, bleu paternel & enlaçant, bleu creusé des pluies tièdes du soir, & violet hésitant d'aurores fatiguées.
     OR, seul Mercure possédait le secret des couleurs.

        Par exemple, c'est lui, tu sais, qui avait offert à chacune des planètes, selon son propre caractère, une couleur pour sa peau; mais avec le temps, leurs vives couleurs se sont beaucoup ternies. Exceptées le jaune de la Lune, le rouge de Mars, & le bleu de la Terre.

Les rayons dont je te parlais tout-à l'heure, étaient en fait envoyés par Mercure... à Séléné! Car, vois-tu, il en était secrètement amoureux, & ces couleurs lumineuses étaient un peu, si tu veux, sa manière de lui offrir des messages amoureux;


& Séléné, bien qu'elle ne fut pas éprise de Mercure, était si touchée par la sincère beauté de ces présents, qu'elle ne se sentait pas le coeur de les refuser.

        Elle les acceptait donc en son sein, les dissimulant précautionneusement dans l'immense fente dont je t'ai déjà parlé & qui s'est désormais effacée.

        & c'est de cette incroyable union lumineuse que naquit la Terre. & c'est aussi, sache-le, de cette union magique que la petite planète reçut le pouvoir de faire apparaître pour toi, lorsque la pluie & le soleil se rencontrent, l'Arc-en-ciel.

        Tu comprendras mieux je pense, maintenant que l'étonnant secret qui entourait l'intimité de Mercure & de Séléné t'a été dévoilée, le profond malheur dont la mort de la Lune accablait l'inconsolable Mercure.

        Tout ceci pourrait dès lors te sembler tragique, irrémédiablement tragique, mais cependant, voici ce que Mercure entreprit de faire:


Pour effacer à jamais l'horrible ouvrage de Mars de la mémoire de l'UNIVERS, il décida d'user pour la dernière fois du pouvoir de ses couleurs, & d'en faire don à l'enfant de Séléné:

        & l'on vit ce jour-là traverser les cieux, la plus incroyable, la plus gigantesque des explosions colorées, se dirigeant droit vers la petite planète. On eût dit que l'UNIVERS tout entier s'embrasait: & ça vrillait rouge, ça fusait bleu, ça éclatait orange, vert, & tout ceci était si impressionnant, que pour la première fois, oui, pour la première fois dans l'UNIVERS, tout le monde se tut.

        On vit cette multitude rayonnante & chamarrée faire disparaître la Terre sous un cocon  de panachures éclatantes. Puis, très doucement, les volutes aux couleurs changeantes se dissipèrent, laissant de nouveau percevoir sous le taffetas bigarré le doux bleu des larmes...

        Mais les nappes de terre rouge, elles, avaient bien disparu. Ou plutôt, elle s'étaient tiquetées, apparaissant désormais parsemées de franges chatoyantes. Comme en une lente renaissance, la Terre avait pris peu à peu toutes les couleurs imaginables.

        & C'est ainsi que l'enfant de la Lune abrita les premières fleurs de tout l'UNIVERS.