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sont les larmes de Séléné qui mordent la peau céleste
jusqu'à la déchirer; ainsi, ces trouées, vois-tu,
marquent notre ciel & dévoilent le feu qui pulse derrière
lui, en champs jetés d'étoiles.
Mais si Séléné pleure, sache-le,
ce n'est ni de douleur, ni de désespoir, non.
Non;
Séléné, comme toutes les lunes, ne peut pleurer
qu'une fois au cours de sa longue vie, seulement pour illuminer le ciel
qui doit accueillir son enfant. Car, comme toutes les lunes, Séléné
ne peut avoir, au cours de sa longue vie, qu'un unique enfant...
Mais j'aurais pu te dire en vérité
Séléné pleurait, ou Séléné
ne pouvait avoir, car tout ceci se passait il y a si longtemps, qu'il
n'était pas même question encore de compter des minutes,
des siècles, ni même, car cela n'avait aucune importance
à vrai dire, d'essayer de découper le temps en quelques
morceaux égaux dans le sens de la longueur, car personne jusqu'alors
n'avait jugé utile d'accorder au temps une longueur, ni même
une direction.
Il
ne semblait à personne important non plus de savoir ce que la
lune pouvait bien cacher derrière son dos...
&
pourtant, ce qu'elle pouvait bien y cacher t'aurait certainement intéressé,
toi, ou du moins, beaucoup surpris: car elle n'était pas d'un
rond-ballon, ou d'un rond-perle, comme tu pourrais le croire; elle était
fendue de haut en bas, tout comme un abricot, avec des bords pareillement
bombés.
&
surtout, à l'époque dont je te parle, Séléné
était beaucoup plus grosse, disons dix fois plus grosse si tu
veux des précisions, qu'elle ne l'est aujourd'hui, car, tu l'avais
sans doute déjà compris, elle attendait un enfant.
&
cet enfant était sur le point de naître.
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lors
même qu'il se dégageait péniblement du corps de sa
mère, on pouvait percevoir ses premiers silences s'insinuer en
nappes jusqu'à l'autre bout de l'UNIVERS.
Je sais
bien que tu penses qu'on ne peux pas entendre des silences, mais il faut
que je te dise qu'à cette époque, l'UNIVERS était
constamment agité d'un vacarme épouvantable! Le silence
y était si rare, car seuls les bébés de lunes étaient
muets, qu'on les percevait de très loin, tant ils étaient
remarquables.
À
peine la Lune eut-elle, dans un dernier effort, projeté brusquement
son enfant hors de son gigantesque ventre, car c'est ainsi que font les
lunes, que l'on vit l'immense ouverture qui barrait jusque là son
ventre se mettre à diminuer, diminuer jusqu'à disparaître.
&
Séléné elle-même se mit à diminuer,
diminuer jusqu'à devenir plus petite encore que son enfant.Celui-ci
était d'un rond-ballon, ou d'un rond-perle, comme tu voudras, &
surtout, il était entièrement bleu.
Du plus
beau bleu dont tu puisses rêver. |