Pornographie
La
photographie pornographique est exceptionnelle, la seule photographie
qui réalise le "ça été" mythique.
Il y a eu un sexe bandé, il y a eu un sexe pénétré,
cela n'a pas été joué. Il n'y a pas de distance
entre une photographie pornographique et son référent.
En ce sens la pornographie relève plus de la technique que
de son sujet. Le pornographique c'est l'exposition brute brutale
avec l'illusion que cette exposition nous dirait quelque chose,
alors que cette brutalité même empêche toute
autre réaction épidermique.
Un des buts que je m'étais donné avant même
de commencer des séries était de réaliser des
photographie à la fois artistiques et pornographiques. C'est
un échec. S'il est possible de faire des photographies artistiques
d'une grande crudité il n'est pas possible de les rendre
pornographique, car l'art ne peut exister sans la distance, sans
un espace métaphorique. On peut prendre des photo pornographiques,
les exposer comme uvre d'art, elles ne garderont de pornographique
que leur origine, mais elles seront désigné comme
autres.
Entre l'art et la pornographie il existe une autre barrière,
celle de la provocation. La pornographie ne provoque rien, à
part des érections. La pornographie se nourrit des fantasmes
les plus standards, aucune originalité ne la peuple . Puisqu'elle
colle au plus près, elle ne décolle pas. Il ne faut
pas confondre ici la pornographie avec la sexualité. Si la
sexualité peut-être subversive, la pornographie n'en
n'offre qu'une vision conforme.
Distance
Quand
on regarde une photo de nu, tout est fait pour que le spectateur
se retrouve seul face à le femme représentée.
Si le modèle sourit c'est au spectateur qu'elle sourit, le
photographe est presque voire totalement absent. En rentrant dans
la photo, je me rapproche du modèle, mais je l'éloigne
du spectateur, ce n'est plus lui qui possède mais le photographe.
La position que j'occupe est trouble, je n'entre pas incidemment
dans la photo par un jeu de miroir ou par une ombre, je suis directement
sur la photo, et pas par le truchement d'un boîtier télécommandé
ou d'un assistant ce qui me positionnerait plus comme un acteur.
Il y a dans la même proximité le modèle, le
photographe, l'appareil photo.
Il y a une autre manifestation de la proximité. Le nombre
de photos que je prend permet de décrire au plus près
ce qu'il s'est passé. Une sorte de photographie "vérité"
sans mise en scène. Il y a dans cette approche une tentation
pornographique, montrer cruement les choses sans distanciation.
Mais celle-ci est mise en défaut par la présentation
même de toutes ces images, le nombre trop important et la
présentation en masse rend la lecture une à une des
photos impossible.
Toute tentative de se rapprocher, d'annuler la distance ne fait
que déplacer la distance.
Toucher
Il
est probable que ce soit l'art et non la pornographie, qui puisse
se rapprocher le plus. Parce que finalement ce vrai n'est pas montrable,
parce que ne se souciant pas de véracité, mais de
vérité, dégagé de l'obligation de frontalité,
l'art peut avancer par des voies détournées parce
que si la distance artistique est inéluctable, sa place n'est
pas immuable. Alors l'art peut toucher.
Si je touche mes "modèles", c'est peut-être
pour convoquer ce toucher. Une opération magique où
le contact physique me sert de poupée de cire. L'espoir que
l'annulation de la distance physique entre le photographe et le
modèle fera naître un peu de vrai. L'espoir toujours
déçu et toujours renouvelé d'être avec
le modèle.
Série
Je
fais trop de photos. Chaque rencontre donne lieu à une overdose
d'images. D'images prises, d'images montrées.
Il y a d'abord la spécificité de la photo, de la photo
numérique. Déjà alors qu'il travaillait péniblement
à la chambre Weston notait cet appel du nombre, regrettait
de ne pouvoir en faire plus. Le numérique a fait exploser
la barrière matérielle du nombre d'images, rien ne
vient limiter pratiquement le nombre de photos réalisables.
Et cela s'impose naturellement, je n'ai pas choisi sciemment de
profiter de cet avantage. Et ce n'est pas toujours vrai, quand je
photographie des objets, je ne fais pas plus de photo qu'avec un
appareil argentique, il y a d'autres choses.
Il y a ensuite l'autodestruction. Trop d'image tue l'image. Je noie
chacune de mes images dans la proximité des autres images.
Ou peut-être aussi une tentative naïve de noyer le poisson,
d'absoudre les photos de ce qu'elles représentent, puisque
aucune image n'a d'importance, ce que je fais n'en a pas non plus.
Non une dilution de la responsabilité, dans le nombre, mais
une disparition, puisqu'il est impossible de désigner une
photo. De l'autodestruction et de la mortification.
Il y a le refus de l'idole. Le refus de cette oeuvre unique censé
par un acte de génie tout dire en une seule image. Une image
qui deviendrait sacrée, que l'on encadrerait, un objet de
culte. Ceci va bien à la peinture, au croquis.
Il y a une tentative absurde d'honnêteté. Montrer des
photos moins fortes, car elle participent autant que les faibles
de ce qu'il s'est passé. Coller à la "réalité".
Établir un récit exhaustif. Cerner son sujet littéralement,
ne pas le condenser en une image résumé mais en délimiter
les contours. Ne pas le désigner, mais le faire naître
par lui même du chaos des images.
Il y a les failles. L'enchaînement discontinu des images fait
naître autant d'espaces, autant de ruptures où du sens
peut se faire. L'entre deux images, espace vierge, invitation à
se glisser, à s'immiscer, à pénétrer.
Un moucharabieh dont les interstices invitent au croisement des
regards, une membrane poreuse pour une diffusion osmotique.
Il y a l'inefficacité, le gaspillage, la gratuité.
Un terrain vague, une histoire qui divague, qui se perd, qui s'égare.
Flagrant délit de vagabondage.
Jeu
Le
paradoxe de la photographie ou de la vidéo pornographique
tient au fait que si l'acte sexuel physique est bien réalisé,
tout le reste est simulé, en premier lieu, la jouissance
de la femme, et pour contrebalancer ce simulacre, l'homme se doit
d'éjaculer hors du vagin de sa partenaire, pour bien matérialiser
sa jouissance. La situation est alors totalement paradoxale, où
pour prouver la réalité de l'acte, les acteurs jouent
une situation bien éloignée de la réalité
de nos étreintes.
La pornographie amateur est censée cependant repousser plus
loin la limite du vrai. Les acteurs amateurs, se livrent à
l'objectif par ce qu'il aiment ça, par plaisir. Le jeu n'est
plus un jeu d'acteur, mais un jeu sexuel destiné à
pimenter leurs ébats.
Dans mes photos, il y a jeu, forcément. Le jeu est d'abord
dans le dispositif même : la rencontre programmée autour
du désir de deux personnes sans affinité, amoureuse.
Dispositif artificiel auquel le jeu permet de donner corps. Il y
a jeu et enjeu, le jeu du désir est l'enjeu de cette rencontre,
et pour qu'elle réussisse il faut mettre le désir
en jeu.
Le jeu aussi comme révélateur, la façon de
jouer selon son désir. Je ne demande jamais à mes
modèle d'endosser un rôle déterminé.
Elles jouent celui de leur choix, ou leur propre rôle, ou
peut-être ne jouent-elles pas, je ne le sais pas, cela leur
appartient.
Désir
Dans une photographie de nu, le jeu du désir est orienté
: le photographe, et à travers lui le spectateur désire,
la femme est désirée. La situation est bloquée
dans une double passivité. Le désir du photographe
est limité par l'objectif, la femme est soumise à
l'image que l'on souhaite d'elle. À travers son modèle,
le photographe ne met en scène que son propre désir
et pour mieux se protéger il rend le spectateur complice
de par leur position voyeuse commune.
Je veux une femme désirante plutôt qu'une femme désirée.
De passive elle doit devenir active. Ce passage s'effectue en rompant
la barrière dressée entre le photographe et le modèle
: pour que le désir s'exprime il lui faut un objet, le modèle
ne peut désirer sans personne en face de lui. Pour que le
désir vive, il faut un échange, il ne faut pas qu'il
reste dans une situation figée. De mis en scène, le
désir est mis en jeu.
Prises de l'intérieur, les photos participent aussi du jeu.
L'appareil est acteur autant que témoin. Et sa position de
témoin est mise à mal par sa participation active.
Cette disposition entraîne une mise en danger de chacun :
le modèle doit à la fois affronter directement le
désir qu'elle provoque et y répondre ; le photographe
doit assumer son désir seul et au grand jour ; le spectateur
se retrouve seul voyeur de l'histoire sans photographe alibi.
Provocation
Il y a eu au début la provocation. Toucher son modèle
est un tabou majeur en photographie de nu. L'appareil photo délimite
une frontière infranchissable. L'histoire se déroule
entre deux camps : d'un côté le photographe avec son
désir qu'il tente vainement de camoufler, amoureux transi
qui maquille son érection en propos esthétiques ;
de l'autre le modèle en position d'allumeuse, elle donnera
son image sans risque, ou plutôt l'image que l'on attend d'elle.
Franchir cette frontière c'est passer de l'autre côté
du miroir ; accepter la réalité de mon désir,
l'afficher, la proclamer provoquer le modèle, le faire passer
à l'acte. Une mise à nu du nu, le modèle ne
peut plus jouer son rôle de manière mécanique,
prendre les poses en pensant à autre chose. Elle est nue
au contact avec un homme.
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