Quelques textes de FiLH autour des questions centrales
de son travail photographiques
Un texte de L.L. de Mars sur FiLH

Pornographie
La photographie pornographique est exceptionnelle, la seule photographie qui réalise le "ça été" mythique. Il y a eu un sexe bandé, il y a eu un sexe pénétré, cela n'a pas été joué. Il n'y a pas de distance entre une photographie pornographique et son référent.
En ce sens la pornographie relève plus de la technique que de son sujet. Le pornographique c'est l'exposition brute brutale avec l'illusion que cette exposition nous dirait quelque chose, alors que cette brutalité même empêche toute autre réaction épidermique.
Un des buts que je m'étais donné avant même de commencer des séries était de réaliser des photographie à la fois artistiques et pornographiques. C'est un échec. S'il est possible de faire des photographies artistiques d'une grande crudité il n'est pas possible de les rendre pornographique, car l'art ne peut exister sans la distance, sans un espace métaphorique. On peut prendre des photo pornographiques, les exposer comme œuvre d'art, elles ne garderont de pornographique que leur origine, mais elles seront désigné comme autres.
Entre l'art et la pornographie il existe une autre barrière, celle de la provocation. La pornographie ne provoque rien, à part des érections. La pornographie se nourrit des fantasmes les plus standards, aucune originalité ne la peuple . Puisqu'elle colle au plus près, elle ne décolle pas. Il ne faut pas confondre ici la pornographie avec la sexualité. Si la sexualité peut-être subversive, la pornographie n'en n'offre qu'une vision conforme.

Distance

Quand on regarde une photo de nu, tout est fait pour que le spectateur se retrouve seul face à le femme représentée. Si le modèle sourit c'est au spectateur qu'elle sourit, le photographe est presque voire totalement absent. En rentrant dans la photo, je me rapproche du modèle, mais je l'éloigne du spectateur, ce n'est plus lui qui possède mais le photographe. La position que j'occupe est trouble, je n'entre pas incidemment dans la photo par un jeu de miroir ou par une ombre, je suis directement sur la photo, et pas par le truchement d'un boîtier télécommandé ou d'un assistant ce qui me positionnerait plus comme un acteur. Il y a dans la même proximité le modèle, le photographe, l'appareil photo.
Il y a une autre manifestation de la proximité. Le nombre de photos que je prend permet de décrire au plus près ce qu'il s'est passé. Une sorte de photographie "vérité" sans mise en scène. Il y a dans cette approche une tentation pornographique, montrer cruement les choses sans distanciation. Mais celle-ci est mise en défaut par la présentation même de toutes ces images, le nombre trop important et la présentation en masse rend la lecture une à une des photos impossible.
Toute tentative de se rapprocher, d'annuler la distance ne fait que déplacer la distance.

Toucher

Il est probable que ce soit l'art et non la pornographie, qui puisse se rapprocher le plus. Parce que finalement ce vrai n'est pas montrable, parce que ne se souciant pas de véracité, mais de vérité, dégagé de l'obligation de frontalité, l'art peut avancer par des voies détournées parce que si la distance artistique est inéluctable, sa place n'est pas immuable. Alors l'art peut toucher.
Si je touche mes "modèles", c'est peut-être pour convoquer ce toucher. Une opération magique où le contact physique me sert de poupée de cire. L'espoir que l'annulation de la distance physique entre le photographe et le modèle fera naître un peu de vrai. L'espoir toujours déçu et toujours renouvelé d'être avec le modèle.

Série

Je fais trop de photos. Chaque rencontre donne lieu à une overdose d'images. D'images prises, d'images montrées.
Il y a d'abord la spécificité de la photo, de la photo numérique. Déjà alors qu'il travaillait péniblement à la chambre Weston notait cet appel du nombre, regrettait de ne pouvoir en faire plus. Le numérique a fait exploser la barrière matérielle du nombre d'images, rien ne vient limiter pratiquement le nombre de photos réalisables. Et cela s'impose naturellement, je n'ai pas choisi sciemment de profiter de cet avantage. Et ce n'est pas toujours vrai, quand je photographie des objets, je ne fais pas plus de photo qu'avec un appareil argentique, il y a d'autres choses.
Il y a ensuite l'autodestruction. Trop d'image tue l'image. Je noie chacune de mes images dans la proximité des autres images. Ou peut-être aussi une tentative naïve de noyer le poisson, d'absoudre les photos de ce qu'elles représentent, puisque aucune image n'a d'importance, ce que je fais n'en a pas non plus. Non une dilution de la responsabilité, dans le nombre, mais une disparition, puisqu'il est impossible de désigner une photo. De l'autodestruction et de la mortification.
Il y a le refus de l'idole. Le refus de cette oeuvre unique censé par un acte de génie tout dire en une seule image. Une image qui deviendrait sacrée, que l'on encadrerait, un objet de culte. Ceci va bien à la peinture, au croquis.
Il y a une tentative absurde d'honnêteté. Montrer des photos moins fortes, car elle participent autant que les faibles de ce qu'il s'est passé. Coller à la "réalité". Établir un récit exhaustif. Cerner son sujet littéralement, ne pas le condenser en une image résumé mais en délimiter les contours. Ne pas le désigner, mais le faire naître par lui même du chaos des images.
Il y a les failles. L'enchaînement discontinu des images fait naître autant d'espaces, autant de ruptures où du sens peut se faire. L'entre deux images, espace vierge, invitation à se glisser, à s'immiscer, à pénétrer. Un moucharabieh dont les interstices invitent au croisement des regards, une membrane poreuse pour une diffusion osmotique.
Il y a l'inefficacité, le gaspillage, la gratuité. Un terrain vague, une histoire qui divague, qui se perd, qui s'égare. Flagrant délit de vagabondage.


Jeu

Le paradoxe de la photographie ou de la vidéo pornographique tient au fait que si l'acte sexuel physique est bien réalisé, tout le reste est simulé, en premier lieu, la jouissance de la femme, et pour contrebalancer ce simulacre, l'homme se doit d'éjaculer hors du vagin de sa partenaire, pour bien matérialiser sa jouissance. La situation est alors totalement paradoxale, où pour prouver la réalité de l'acte, les acteurs jouent une situation bien éloignée de la réalité de nos étreintes.
La pornographie amateur est censée cependant repousser plus loin la limite du vrai. Les acteurs amateurs, se livrent à l'objectif par ce qu'il aiment ça, par plaisir. Le jeu n'est plus un jeu d'acteur, mais un jeu sexuel destiné à pimenter leurs ébats.
Dans mes photos, il y a jeu, forcément. Le jeu est d'abord dans le dispositif même : la rencontre programmée autour du désir de deux personnes sans affinité, amoureuse. Dispositif artificiel auquel le jeu permet de donner corps. Il y a jeu et enjeu, le jeu du désir est l'enjeu de cette rencontre, et pour qu'elle réussisse il faut mettre le désir en jeu.
Le jeu aussi comme révélateur, la façon de jouer selon son désir. Je ne demande jamais à mes modèle d'endosser un rôle déterminé. Elles jouent celui de leur choix, ou leur propre rôle, ou peut-être ne jouent-elles pas, je ne le sais pas, cela leur appartient.


Désir
Dans une photographie de nu, le jeu du désir est orienté : le photographe, et à travers lui le spectateur désire, la femme est désirée. La situation est bloquée dans une double passivité. Le désir du photographe est limité par l'objectif, la femme est soumise à l'image que l'on souhaite d'elle. À travers son modèle, le photographe ne met en scène que son propre désir et pour mieux se protéger il rend le spectateur complice de par leur position voyeuse commune.
Je veux une femme désirante plutôt qu'une femme désirée. De passive elle doit devenir active. Ce passage s'effectue en rompant la barrière dressée entre le photographe et le modèle : pour que le désir s'exprime il lui faut un objet, le modèle ne peut désirer sans personne en face de lui. Pour que le désir vive, il faut un échange, il ne faut pas qu'il reste dans une situation figée. De mis en scène, le désir est mis en jeu.
Prises de l'intérieur, les photos participent aussi du jeu. L'appareil est acteur autant que témoin. Et sa position de témoin est mise à mal par sa participation active. Cette disposition entraîne une mise en danger de chacun : le modèle doit à la fois affronter directement le désir qu'elle provoque et y répondre ; le photographe doit assumer son désir seul et au grand jour ; le spectateur se retrouve seul voyeur de l'histoire sans photographe alibi.


Provocation
Il y a eu au début la provocation. Toucher son modèle est un tabou majeur en photographie de nu. L'appareil photo délimite une frontière infranchissable. L'histoire se déroule entre deux camps : d'un côté le photographe avec son désir qu'il tente vainement de camoufler, amoureux transi qui maquille son érection en propos esthétiques ; de l'autre le modèle en position d'allumeuse, elle donnera son image sans risque, ou plutôt l'image que l'on attend d'elle. Franchir cette frontière c'est passer de l'autre côté du miroir ; accepter la réalité de mon désir, l'afficher, la proclamer provoquer le modèle, le faire passer à l'acte. Une mise à nu du nu, le modèle ne peut plus jouer son rôle de manière mécanique, prendre les poses en pensant à autre chose. Elle est nue au contact avec un homme.