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'impertinence
comique est la violation d'une règle, un faux-pas, un détraquement
de l'ordre attendu des choses. L'effet de surprise recommencé et inusable,
l'hapax comique, trahit la structure la plus habituelle qui soit connue. L'événement
comique constitue un fait individuel vivant. Il porte la marque de l'imprévisible,
d'une rupture avec la règle qu'il ponctue par du vivant. C'est l'autre
qui s'est avancé vers moi masqué, qui s'approche de moi sous mes
propres traits, m'emprunte mes mots, épouse mes humeurs et mes pensées
et les conduit vers lui, et qui nous aliénant à l'objectivité
nous mène au terrain propice à la surprise, à la farce.
Un lieu où le sens foisonne, où il persiste et se renouvelle,
où l'insensé devient visible et dénouable. Dans la farce
comme dans la devinette, l'inattendu est introduit et reconnu comme une impertinence,
une inconvenance ou une absurdité, un faux-problème opposé
à nos attentes. Celui qui introduit un effet comique exerce une influence
dérégulante pour se faire connaître. Au lieu d'en rester
au bon sens d'une activité anonyme, il oppose sa fantaisie au sens commun,
comme Don Quichotte, inébranlable devant l'inaltérabilité
de l'évidence, même si l'on partage avec plaisir autour de lui
son délire. Le désir d'être une personne reconnue et influente
explique-t-il son obstination ? Pourquoi alors, en voulant attirer l'attention
sur un point de vue qui diffère de la généralité,
Don Quichotte a t-il prêté à rire ?
Des lieux différents, des milieux identifiables par leur cohérence,
sont le théâtre d'événements plus ou moins normaux.
L'imprévisibilité y a sa part mais à condition d'être
suffisamment intégrée à la mise en scène pour ne
pas nuire au déroulement normal de la représentation. L'improvisation,
même libre, doit se détacher d'un fond d'où l'on puisse
juger de l'improvisation suivant les modèles qu'elle emprunte. Elle est
créative. Le comique relève de procédures répertoriées,
respecte des figures dont il conserve et actualise les propriétés
amusantes. Il perpétue les plaisanteries réussies, les renouvelle
jusqu'à parfois renouveler le genre et prêter son nom à
de nouvelles formes d'humour. Or cette trajectoire est jalonnée d'embûches,
l'originalité ne va pas sans une certaine arrogance et sème plus
souvent le scandale qu'elle ne récolte l'éloge. Le comique, originairement,
se détache de la norme, de la nécessité des choses ou des
conventions linguistiques et comportementales, sans pour autant quitter leur
perspective. De la même façon, l'individu se distingue par son
originalité et reste identifiable par son intelligibilité, il
n'acquiert son autonomie qu'à partir d'une hétéronomie
fondamentale, son appartenance à une espèce et à une ou
plusieurs familles. Il s'affirme contre la loi, en vertu de la loi, sous peine
autrement de pas être entendu. Quel est donc ce système auquel
l'individu ne saurait se soustraire sans se nier ?
n reconnaît
un système à la constance des relations qui lie ses éléments.
En outre un système exerce une force coercitive sur les parties qu'elle
totalise, comme le fait social de Durkheim, par l'action de l'éloge et
du blâme, où selon l'expression de la sympathie ou de l'antipathie
entre les membres d'une famille pour L.Strauss. De même, la nature exerce
une contrainte physique, selon une certaine nécessité. En revanche,
ce même système offre le moyen d'articuler des significations et
d'informer la matière, d'engendrer la nouveauté à partir
de l'acquis, comme l'on forme des métaphores. Parce que les systèmes
préexistants de la nature et de la culture fondent l'objectivité
de façon cohérente et fournissent les conditions de la communication
intersubjective. A partir d'elles, nos mouvements deviennent comportements et
actes, faits et gestes deviennent communément intelligibles. Des motivations
sont lisibles, articulées dans nos attitudes, selon des lois irréductibles
à celles qui régissent notre organisme. Ces lois tendent à
diminuer les écarts de conduite par rapport à la norme, parfois
artificiellement, jusqu'à stigmatiser des pathologies sociales. La société
est exigeante, la nature inéluctable. Mais l'obéissance à
la règle reste une condition nécessaire de la communication. Non
pas une règle parfaitement formulée, mais des évidences
liées entre elles, sans lesquelles il n'y aurait ni thème ni version.
Les particularismes restent traduisibles d'une communauté à l'autre.
On trouve des modèles communs, on élabore des schèmes comparatifs,
à la manière des anthropologues. Il n'y a pas de relativité
absolue au sens où les systèmes de la logique et du biologique
sont invariants. Systèmes difficilement définissables mais néanmoins
existants. Des éléments en sont réactualisés, régénérés,
dans nos productions. La nouveauté suppose que quelque chose se répète
pour fournir le critère d'une modification : un état antérieur
transfigurable. La liberté est ce que l'on ajoute aux matériaux
nécessaires à sa manifestation. L'individu est ce qui déborde
la somme de ses actes. Il attire l'attention au-delà de son comportement.
Son existence excède toutes les autres au moment de sa reconnaissance.
L'acte artistique le démontre. L'uvre supplante toutes les autres
au moment où l'agencement des mots, des couleurs... gagne en intensité.
Intensité telle que l'activité commune, celle du travail qu'il
faut à chacun fournir pour produire, devient négligeable. L'intensité
procède de l'individu vers l'uvre et, en sens contraire, elle réalise
celui-ci. Le trajet parcouru par cette identité projective prend un caractère
divin plutôt qu'utilitaire. Car la force de l'individu lui vient, à
ce niveau, du tout auquel il s'affronte plutôt que de s'y unir - de sorte
qu'apparaît sa vitalité propre. Néanmoins, l'affirmation
de soi dans l'acte créateur ne peut, sans passer pour folie, quitter
le domaine de l'intelligible. Souvent, le scandale de l'impertinence apparaît
rétrospectivement novateur parce qu'il a gagné au fil du temps
en pertinence.
'individu
ne se limite pas à être un accident du tout, ni son uvre
une simple coïncidence. Il se connaît comme personne, il est conscient
de son exception, se l'approprie, s'y identifie même, sans n'y voir qu'un
produit d'expérience. Le sentiment de soi dans le temps appelle une égologie,
incite à la réflexion (source d'une expérience autonome).
Le modèle est celui d'une subjectivité parvenue à majorité,
à la conscience rationnelle d'elle-même, réfléchie,
extirpée du règne animal, émancipée des instincts
et de l'inconscience. L'équilibre entre la libre auto-détermination
et l'aliénation aux déterminations est le projet de cette réflexion.
L'épanouissement de la personne nécessite cette stabilité,
la fiabilité des actes quelles que soient les circonstances. Il est plus
malaisé de décrire des procédures internes au sujet que
d'en constater les effets pratiques. Ce que l'on isole en considérant
l'individu ne saurait être qu'abstraitement retranché de sa réalisation.
L'art et les artifices relevant du comique offrent une voie d'accès objective
au sujet individué.
L'individu, hylomorphisme connaissable, reconnaissable, se conduit rationnellement.
Il anime la matière dont il relève en y formant des symboles.
Cette activité le soustrait au silence et au bruit en introduisant la
distinction. Elle renvoie en même temps à elle-même, à
son point d'énonciation à la fois public et individué,
à l'esprit qui se donne de façon continue sous de multiples aspects.
Elle renvoie au savoir et à la connaissance, à la capacité
de transformation de chacun, à sa perfectibilité. Elle se détache
de la nécessité matérielle pour affirmer les principes
propres qui lui permettent de s'affirmer et qui autorisent à ce qu'on
reconnaisse en elle une conscience autonome. L'étude du comportement
doit valoriser cette activité humaine, telle qu'elle, adjointe à
ce qui la détermine : le désir, dans la différence, le
rapport à l'autre, et la volonté, dans l'indifférence et
l'indétermination. La causalité libre du moi se trouve, du strict
point de vue de la volonté, plongée dans la solitude de l'indétermination,
dans une délibération indéfinie sur les possibles. Tandis
qu'avec la sollicitation d'autrui apparaît le désir, avec l'invitation
expresse à décliner son identité, à s'engager, à
se prononcer pour ou contre, à se montrer responsable, à devenir
individu et personne. Le désir est une invitation à être
soi, invitation à laquelle la volonté ne peut toujours répondre.
Son échec conduit à l'esclavage.
a propre mise
en valeur avec ce que l'on signifie excède l'information dans la communication.
La marque d'une ipséité survient dans l'échange, et son
empreinte, son ouvrage dans le monde avant que l'on puisse caractériser
ce qui survient. La personne apparaît. Il faut pouvoir pointer la personne
et l'activité consciente au-delà du modèle émission-réception.
Un homme qui ne communique pas n'est pas personne mais un homme. Son hermétisme
laisse toujours présager une conscience propre, une volonté qui
laisse prévoir une foule d'actes possibles. Nous lui supposons entre
autres un désir fondamental, comparable au nôtre, de sortir de
soi, de s'objectiver pour et par l'autre ; à moins d'un isolement accidentel
ou pathologique. Le Dasein ordinaire désir être entendu. Si jamais
de l'inavouable, de l'incommunicable, s'interpose, il n'en est pas moins présent.
S'ajoute au réel inépuisable, entre les personnes, l'irréductibilité
des états de conscience (de leur expérience qualitative) les uns
autres. A ce titre, toute tentative pour repousser la frontière entre
le dicible et l'indicible relève du désir.
La présence propre à chacun se décèle dans l'expérience
et dans la façon qu'il a de s'affirmer. Elle suffit à indiquer
l'humanité réfractaire à son instrumentalisation par les
autres. Qu'une conscience singulière se manifeste nous amène à
distinguer entre éducation et manipulation. On parvient à maturité
par un dressage destiné à réguler sans la censurer la personnalité,
à lui donner les moyens de son autonomie. Condition à la fois
rébarbative et roborative sans laquelle ne pourrait se réaliser
la liberté. Le conditionnement au comportement social importe dans la
mise en pratique de la volonté, dans la régularité de son
passage du possible au nécessaire. La liberté s'inscrit dans l'histoire,
l'espace et le temps, l'art, indéfiniment, ou bien elle n'est qu'imaginaire.
Elle détermine le renouvellement ininterrompu de son expression dans
la multiplicité sans fin des uvres. C'est à ce niveau là
qu'elle est inexpugnable. L'existence du monde matériel barre et libère
le cheminement de la liberté. C'est le critère objectif et la
référence concrète des objets abstraits et imaginaires,
le substrat des habitus. L'art résulte de notre action transformatrice
sur le monde, d'un effort de domestication ; la culture, de la production d'un
monde humain distinct. Elle opère la transmutation de la matière
en traces symboliques composables. Peu à peu, l'avènement d'un
univers mental nous éloigne des objets des sens, l'objet mental oubli
l'expérience des qualités. Puis la réalisation de nos intentions
corrompt les faits donnés en vue de bâtir l'occurrence du modèle
que nous nous fixons. L'humanité survit à la mort en opposant
la culture à la corruption. C'est ainsi qu'est repoussée la limite
de sa finitude, en créant le complément imaginaire et désincarné
de l'expérience immédiate et consistante du monde. Connaître
les choses telles qu'elles sont suppose que nous modifions les choses telles
qu'elles se donnent. De la pierre taillée à la métaphysique,
les outils repoussent l'homme de la matière ; il peut l'évoquer
et l'informer d'autant plus qu'il s'en distingue par ce biais. Les deux visages
de l'homme apparaissent dans son activité symbolique avec l'objectivité
: la détermination réciproque du sens et de la référence.
Sont reconnus comme objets de conscience les phénomènes sensés,
ceux qui nous intéressent. Les autres échappent à notre
attention. La compréhension est pour une grande part conforme à
la formation de notre esprit par l'usage. Nous ne valorisons pas tous les mêmes
aspects de la réalité, nous n'avons pas tous les mêmes centres
d'intérêt. Nous sélectionnons et nous distinguons ce qui
est plus conséquent, plus existant, pour nous. Cette sélection
assimilatrice ajoute l'esprit à la matière et, de même que
nos organes nutritifs sont détournés de leur fonction originaire
pour devenir des organes phonatoires, la pervertit. Au point que la réalité
abuse souvent du réel, que nos modèles se confondent avec ce qu'ils
expliquent. Alors qu'en vérité la différence entre les
deux nous laisse dans la vraisemblance, une infinité de phénomènes
restent sans pertinence, et chaque thème peut être éternellement
renouvelé, étirable dans la trame infinie du temps. La réalité
est une, les objets équivalents pour tous. Mais les points de vue, l'expérience
de chacun, ne coïncident pas. Au problème de la relation entre la
matière et l'esprit s'ajoute celui du rapport de la conscience individuelle
à la conscience commune pour former le savoir objectif. Le point de vue
monadique de chacun s'appuie sur un consensus, une définition commune
des choses, une norme, pour expliquer et comprendre. Une activité artistique
communicable réinvestit la synthèse de l'expérience personnelle
et du savoir commun. Mais encore l'uvre d'art réintroduit la conscience
subjective d'objet dans le domaine de son savoir partagé. L'art récupère
du réel plus que n'en évoque l'objet et lui confère un
sens autre qu'objectif. Il jette une lumière nouvelle sur l'objet et
ajoute à sa conception ordinaire de la complexité. L'art n'éclaircit
pas son objet comme la logique clarifie la pensée mais donne de la clairvoyance.
L'exposition du point de vue individuel repose sur un certain travail d'objectivation
; dans l'acte créateur, la conscience propre se réalise dans sa
cohérence. En postulant la motivation du désir d'affirmer sa liberté
propre en terme d'exception -de présenter la forme d'une identité
extérieure au tout dont elle est partie-, l'uvre d'art prend le
caractère de la sublimation, du passage de l'inconscient au conscient.
La question est de savoir si à la fonction gnoséologique de l'art
correspond une valeur éthique, si la création artistique n'intègre
pas l'individualité dans l'éthique, son instituabilité
dans le plan de la morale. Précisément le comique, relevant de
la question générale de l'art, est-il à même de conserver
un juste équilibre entre la liberté d'expression et le consensus
?
l faut, pour
parler du comique, considérer l'impertinence qu'il suppose et restituer
cette impertinence à l'individualité qu'elle manifeste. Cette
dernière apparaît comme un corps de chair et une causalité
libre, un principe moteur agissant dans l'univers déterminé des
corps mus. Avec cette approche objective, observable, du comportement, la contiguïté
des phénomènes s'énonce sur le mode de la nécessité.
L'exactitude des abductions, de l'évidence, n'est cependant que vraisemblable
en ce qui concerne l'observation de l'homme, la psychologie, la sociologie.
La diversité des faits n'est que dissoute par les lois. La recherche
de la simplicité s'affronte à la multiplicité des occurrences.
A partir de la cohérence postulée des clichés d'aspects
objectifs du comportement on ne peut établir un modèle d'anthropologie
qu'approché. Inaliénable au fonctionnement de l'autre, l'identité
du sujet libre et de l'individu déterminé adopte un style qui
lui est propre. D'autres, la somme des individus qui reconnaissent en lui leur
liberté, lui attribuent en retour la sphère inaliénable
qui le distingue. On accorde sens à ses actes, on suppose une source
qui déborde le moment de l'acte, on l'évalue. Les visées
morales empruntent à la vie intersubjective et ne se limitent pas à
la délibération formelle du sujet. L'explication doit se référer
au contenu partagé du "on". Je ne dis rien qui n'ait de sens
que pour moi. On ne découvre d'une personne que sa façon propre
d'employer un langage commun et non les mots qu'elle seule connaît. Une
signification, même inédite, requiert une base. Et l'exception
qu'une personne représente doit pouvoir être identifiée.
Un homme s'adresse à un autre : voilà une situation aux issues
innombrables. La rencontre perpétue la personne et renouvelle les acquis.
Chacun se taille un domaine, chacun trouve où placer sa dignité
et comment obtenir le respect. J'ai le droit d'être normal et exceptionnel,
sans avoir besoin pour cela d'être endoctriné et marginalisé
; je dois pouvoir bénéficier du soutiens et de l'attention des
autres. Et je suis libre de livrer ma version propre du monde, de juger celle
qu'on me propose, de me donner la vie autant que de la gagner.
L'anachorète ne vit pas seul mais avec l'ensemble du monde sur ses épaules.
La personnalité relève de la conscience de soi par rapport à
l'autre. Elle participe d'une dialectique interpersonnelle. Lorsque la liberté
ne s'arrête plus qu'à la seule conscience de sa propre liberté
elle devient angoisse et perte de la générosité. L'acte
libre est sensé, il s'illustre aux yeux de quiconque y reconnaît
l'aspect de la liberté. Et, de même que les inventions progressent
en s'incluant les unes les autres -et fusionnent pour former de nouvelles inventions-
la particularité de chacun emprunte aux autres pour mieux les servir.
Ce principe est nécessaire au renouvellement interne de toute communauté.
Une société n'est pas une machine dont les pièces exécuteraient
un mouvement répété, mais une somme animée. Toute
information, même sénile ou juvénile, est sans cesse réactualisée.
L'activité de chacun initie ce mouvement. Le sens commun va et vient
entre chacun. Le sens est détenu par tous plutôt que personne ;
chacun contribue, à plus ou moins long terme, à faire évoluer
les conventions. La communauté, produit des divers individus, offre l'infini
variété d'une unité vivante. La spontanéité
de chacun l'anime. La spécificité de chacun, rompue à la
communication par l'éducation et l'usage, devient créatrice -
avec la possibilité de s'auto-déterminer parmi les autres, de
s'en démarquer, de parvenir à majorité, à l'humanité.
Une telle progression traduit le caractère projectif, sagittal, vectoriel,
de l'intentionalité dont l'accomplissement s'apparente à une procédure
de production-capitalisation de signifiés et de signifiants. La complémentarité
des savoirs, une connaissance accueillant une autre, réduit l'ignorance.
Mais c'est une évolution partielle, un perfectionnement relatif qui renvoie
au modèle préétabli de l'adulte. Le développement
de la culture ne se limite pas à une entreprise d'acquisition. L'humanité
ne résume pas l'affairement quotidien des hommes pour réaliser
leurs intentions. L'homme incarne le sens avant d'en décider l'usage.
Le mutisme, la démission, sont encore des signes interprétables.
L'absence signale parfois un refus, l'incompétence une résistance.
Le désir, la volonté, sont souvent à l'origine de l'impertinence
lorsqu'elle n'est pas accidentelle. Les cas limite du comportement s'opposent
à l'obéissance aveugle, ils ironisent sur la naïveté.
Une attitude extrême témoigne du refus de l'aliénation volontaire.
Contrastant avec l'usage ordinaire, l'impertinence laisse entrevoir une présence
agissante derrière le désistement.
l y a également
une phénoménalité de la passivité dans le rapport
à l'autre dont on peut tenter de rendre compte avec l'hypothèse
d'un monologue intérieur, d'un semblant de dialogue internalisé.
Dans ce cas, le corps propre est l'antidote de la schizophrénie et le
cerveau le substrat de l'unité des réminiscences entre elles.
Dans la liberté créatrice ce semblant de dialogue à lieu
sans dissociation. Dans la réflexion pratique qui l'accompagne le sujet
dialogue avec sa propre archéologie mnésique. D'autres diront
que le sujet se croit libre parce qu'il ignore comment il est déterminé.
Mais de telles déterminations ne suffisent pas à rendre compte
ne serait-ce que du fait d'une telle affirmation. La conquête scientifique,
la maîtrise de l'univers, sont optionnels. En plus de surmonter son ignorance,
chacun veut témoigner de son individualité, de ses sentiments
propres, et se faire comprendre. En cas de réussite, il se connaît
mieux lui-même, il acquiert la conscience diffuse de l'identité
reconnue par les autres. Son autonomie est relative à ce savoir de soi.
L'animal politique attire l'attention sur lui, renouvelle ses apparitions publiques,
informe les autres de ce qui le distingue.
Les signes matériels de son propre message s'inscrivent dans la culture,
une fois celui-ci parvenu au rang de personnage public. Bientôt l'image
de soi qui lui est renvoyée falsifie des régions de son comportement.
La composition de son propre rôle contredit certains traits de sa spontanéité.
Tout le monde est d'ailleurs une petite célébrité. L'archétype
du caractère de chacun circule entre tous et chacun s'y rapporte à
un moment ou un autre. L'identification de soi au modèle qui nous est
propre reste, malheureusement ou non, toujours en défaut. Car la liberté
précède la réalité, elle anticipe la connaissance,
part à la découverte de ce qui la nie et se l'approprie en le
recréant pour elle. La liberté se donne alors comme uvre,
recomposition d'existants, et communique son originalité. Mais cela uniquement
si elle est déchiffrable selon des règles, si sa composition est
intelligible, reconnaissable. Une anomalie radicale n'atteindrait même
pas l'absurde. Il faut une dérégulation explicite, une exécution
clairement déviante de la règle pour que la liberté soit
reconnue. Elle invoque la raison -toutes les raisons- pour être partagée.
L'échange est le terrain réel de la raison, son universalité
s'y applique à fédérer l'infinité des cas. La cohérence
des interventions publiques nécessite un engagement, une participation,
une soumission. Ou bien cela passe pour un suicide social, une profanation égoïste.
Indifférence et hermétisme portent outrage, sont bannis. Au contraire,
la personnalité reste populaire en s'intéressant à chacun,
le candidat s'intéresse aux humeurs de ses électeurs potentiels.
Mais à moins de posséder génie et chance, l'amour de tous
s'obtient par ruse et manipulation. La pérennisation de la popularité
dépend en fait d'un reniement de la personne, du Je en synergie avec
le Tu, pour devenir Il. La personnalité est le fruit d'un travestissement
de la personne. L'insincérité s'y reconnaît parce qu'elle
est d'emblée toujours supposée, adamique. Toutefois, même
brouillés, des indices nous reconduisent à la personne, aux actes
constitutifs de son ouvrage. Une éducation identique pour tous n'implique
pas un discours commun à tous. Auquel cas l'enseignement serait le même
depuis toujours, il n'y en aurait pas. Le savoir procède de la recherche
et de la participation de membres distincts. La traversée du temps par
les civilisations a bénéficié du relais des meneurs et
des suiveurs. Elle combine les inégalités, les nivelle dans le
savoir, sans jamais se figer dans l'homogénéité...
Le phénomène individuant est décrit en termes d'anomalie.
Il s'agit d'une rupture, d'un dérèglement, tant dans l'ordre des
faits que des raisons, par rapport à un modèle normatif (théorique
ou pratique). L' anomalie a pour effet sur l'observateur de lui faire reconnaître
l'individu comme surgissant sur l'arrière-fond d'un monde pré-défini
et monotone. L'impertinence est cette anomalie agissante initiée par
l'individu lui-même (dont on reconnaît la libre causalité).
L'anomalie est à l'impertinence ce que l'uvre est à l'acte
qui l'a produit. Ils convergent vers une source commune, l'individu, et constituent
les stades de l'effectuation de sa liberté. La liberté n'est pas
seulement limitée par une totalité (structure coercitive conventionnelle
ou naturelle) mais conditionnée par la valeur insubstituable de chaque
individu.
a liberté
individuelle est à son tour décrite en termes de transformations,
modifications des déterminations données par une cause librement
déterminée, l'acte créateur. Au contraire, l'adhérence
aux déterminations données est signe d'une adhésion aveugle
de l'individu à la totalité dont il est partie. En réfléchissant
sur le sesn des attributs comiques, il faut considérer la réalisation
de l'individu selon les différents moments de la libération de
son individualité. Il est possible de remonter à lui à
partir d''ne lecture rationnelle du produit de ses actes et de son empreinte
sur le modèle logique. L'absurde, le non-sens, l'abus d'usage, l'impertinence
ou l'inconvenance, expriment le comique. Une rupture de modèle systématique
ouvre une fenêtre dans la norme sur l'acte qui la pose sans cesse. La
constatation de cette rupture, de cet obstacle, engendre à son tour une
nouvelle norme (comme les figures de rhétorique par rapport à
la grammaire). La norme ultime serait la norme pratique qui permettrait d'évaluer
l'art, c'est à dire de décider de sa valeur éthique. C'est
la réponse que réclame une question telle que : peut-on rire de
tout ? En expliquant ce qu'est le comique, il faudrait pouvoir thématiser
le rapport de la pratique spontanée des individus à la norme,
au consensus et aux institutions. Il apparaît que toute communication
dépend nécessairement de systèmes préexistants qu'elle
recrée et transforme. La totalité n'est pas un frein à
la créativité mais sa forme. Une telle ambivalence indique le
caractère de la lutte des contre-pouvoirs (individuels avec l'art, le
comique, collectifs avec les médias).
Toute critique, toute impertinence dressée contre la norme découvre
sa dimension normative. L'ignorer peut engendrer de nouvelles formes totalisantes
et totalitaires, comme celle que revêt l'Idiotie moderne.
(Ce court texte inachevé et provisoire constitue le préambule d'une étude sur le comique et son rapport à la liberté d'expression).
R. E. (21/01/00)