Rozenn EON
L'intelligence infirme
Une forme délibérée
d'opacité semble recouvrir parfois notre rapport le plus élémentaire
à l'altérité: a fortiori envers l'inenvisageable le plus
fragile, mon prochain, dépourvu de la moindre défense intellectuelle
et idéologique.
Le désintérêt,
ou l'habitude, y ont cette propension à nous détourner d'agissements
courants rendus inaperçus. Evacués, nous laisseront-ils penser
que la protection institutionelle (avant de parler d'aliénation)
vaut tout de même mieux, malgré ses torts, que de laisser un homme
déficient croupir dans son corps? ... sous couvert que les choses aillent
de soi si l'on veut bien se désemcombrer de l'intention politique qui
précède la prise en charge ... On s'entendra alors à ce
que le fantôme de la collectivité satisfasse à lui donner
un modèle (à lui aussi, surtout à lui) détenteur
de sa seule survie!
Modus vivendi : un tout autre lieu, où je pénètre par forfait, dans et à côté du monde. Une citadelle abreuvée par l'aveuglement volontaire, on s'y décharge de l'encombrant petit crétin, on y administre son propre amour des handicapés... L'observation m'en coûte, mais j'ai un contrat icin me rappelle-t-on! Pour ma part, aucun autre que la volonté d'accompagner le récit.
Lorsque les fous n'ont
pas cet apanage de la créativité géniale ou le goût
du bizarre, l'exclusion qui les contient devient rapidement trop ordinaire;
sans remous puisque sans sublimation. Par contre, la pédagogie trouve
là son terrain d'expérimentations le plus docile, instable mais
vaincu d'avance au chloroforme. Conservez-les moi intacts, ils peuvent encore
nous servir! Là où, par le mot, le corps médico-éducatif
entretient et abuse ses débiles, en une parade irradiée de bon
sens où même le texte s'essouffle.
Il peut exister mais il ne continuera pas tout seul.
(<< Nous voici devant la rumeur dont le texte a besoin pour s'orienter: pour s'exposer à ce dont il doit répondre. Cette rumeur est un murmure sans accent, un bruit sans écho. Elle vient en plus du texte, mais sans jouer pour autant, par rapport à sa charge ou à son poids, le rôle de supplément, ni le rôle d'excédent: elle ne dépasse pas la quantité et la qualité fixées par celui qui tient l'exposition. Elle survient donc au texte, précisement, pour qu'il en vienne à ce qu'il lui arrive, c'est-à-dire: pour qu'il découvre en lui, ou plutôt au long de lui, un désir de raconter ou, c'est pareil mais il faudrait l'établir, un don de réciter 3.>>)
Je me préoccupe
peu de m'y justifier. La seule chose que je sache me distinguer d'un idiot ou
d'un demeuré4 est
le rapport dialectique que j'entretiens au monde, sa représentation comme
volonté, et surtout la vacuité du réel. Et il n'est rien
ici qui m'autorise, surtout pas la voix de la prétendue maturité
mentale & de la normalité qu'on m'accorde, à gober dans mon
sillage des individus gelés dès l'enfance dans leur insuffisance.
Aucun lieu qui fasse que leur atrophie psychique serve d'exutoire à mes
propres apories. Jamais à m'y sentir grandie. Et ceci comme une appogiature,
où la nécessité d'écrire, d'écrire cela,
pourrait bien s'appuyer et se suffire. Panorama d'une intelligence souffreteuse,
indigne de la logique souveraine, mais satisfaisant l'espèce entropique
qui trouve là son chancre tout désigné.
C'est encore d'économie dont
il s'agit lorsque l'on parle de déficit intellectuel, de ratage et de
handicap. Ce qui pèse n'est pas tant la léthargie cérébrale,
que la foncière improductivité de ces récalcitrants. L'irruption
d'une morale simplifiée (expliquée aux enfants!) fera le pendant
à cette débacle, liberté est travail, l'effort donne la
récompense, les activités même les plus dérisoires
qu'affectionnent particulièrement les établissements spécialisés
(Centre d'aide par le travail & autres inventions) ne contredisent qu'une
seule chose: l'oisiveté impardonnable. Ce principe-ci passera par toutes
les démonstrations: le jeu obligatoire, le sport éreintant, presque
obligatoire lui aussi, la participation aux occupations de l'incontournable
groupe, le sommeil contenu dans des horaires rigoureux, les repas ..... Gestion
impeccable, militaire, d'un capital humain dont on désavouera la vanité
(impertinente). La généreuse dynamique de groupe ne me fait que
trop songer à une dangeureuse retrouvaille. Ici les enfants (continuons
à les appeller comme tels même si la plupart d'entre eux peuvent
avoir dépassé la vingtaine), ici donc chacun d'eux est d'emblée
suspect de mal faire, par principe, là où on ne les avaient pas
prévus, c'est-à-dire dans le cadre bien obsessionnalisé
de l'organisation plus ou moins pensée par des adultes qui savent ce
qu'il faut pour le bien des enfants5.
L'organisation n'est efficace que si elle contraint toutes les ressources individuelles,
en un système normatif et canalisateur où il est bien évidemment
impossible d'être seul. Le divertissement et la récréation
y ont fonction d'occupation imposée, contre la dispersion, dont on se
préoccupera pas de la qualité. Mieux, je constate que ceux-ci
vont prendre le relais de l'abêtissement généralisé
et du babillage que s'autorisent sans vergogne lesdits normaux. Trop heureux
de décider qu'il n'y a là qu'un piètre public!
Chaque point
contribue à un maintien grossier dans l'enfance, et donc dans l'irresponsabilité.
La protection culpabilisée passe souvent par un nombre incalculable d'artifices:
outre la perturbation du langage déja évoquée, les similitudes
avec l'habituel conditionnement puéril sont édifiantes. Point
d'orgue: la sécurité. La teneur de l'encadrement peut bien nous
faire croire à une nécessité physique / ne rien risquer,
ne pas se blesser, tomber, se brûler etc.../ c'est oublier qu'il s'agit
là d'une toute autre affaire, politique cette fois: rappeller à
ceux que l'on domine qu'ils sont des INADAPTES (impotents dans des conditions
normales de vie) et que leur autonomie ne résulte que de la distribution
des possibilités qu'on veut bien leur accorder. S'il peut être
naïf, l'exercice de la tyrannie ordinaire rend surtout compte d'un tout
autre cheminement psychologique, bien plus narcissique.
<< Mais n'est-ce pas ce que vous souhaitez quesoient vos enfants? Fous, pour jouir de les punir - idiots, pour jouir qu'ils vous ressemblent 6 >>
Oh, Jean-Michel, viens
demander pardon! D'humilier leurs gènes et de flatter leur chemin de
croix. Tu ne sauras sans doute jamais combien tu as pu être utile! Malgré
la disgrâce.
Comblant le flou de la normalité,
en regard de, on t'y accordera un viatique, le secours des bonnes gens. Il leur
aurait suffit d'être catholiques pour te concéder de vivre, ils
y sont tes parents légitimes. Votre dévoué, hébété
et inapte à la contradiction, malléable et disponible à
discrétion. Le meilleur des fils, emprunt de gratitude car il est bien
le seul à croire en l'amour filial & à aimer ses géniteurs.
Il peut croire qu'il leur doit tout, que chaque chose en ce monde passe par
la voix et l'odeur de sa mère, l'ordre paternel et la castration....
Pieds et poings liés à la sphère enfantine dont il ne s'extirpera
jamais, conditionné jusque dans l'habillement, la nourriture, l'environnement
musical. Avant toute chose, dans l'outrage de son sexe: habiles à le
convaincre que ses désirs sont des pulsions, une saleté, la jouissance
interdite (puisqu'infertile), sa libido forcément douteuse, la masturbation
honteuse...
Aussi, la prise de pouvoir parental
n'ignore surtout pas la faiblesse. Elle y mûrit, accentuant la fêlure
et le profond rapport dichotome de leur idiot Au Monde, entretenant l'autisme
prétendu. L'alibi d'e l'idiopathie, le prétexte clinique consacré
par les structures médico-éducatives (qui sont loin de procéder
à l'intégration sociale) permet d'imposer d'une manière
inouïe et incontestée les débris d'une morale autoritaire.
Voile tiré, trompeur. Chacun d'eux affectueusement suspendu au mensonge
collectif, lourd d'un corps déja mort, d'un corps de faux-vivant.
A cheval sur une
tombe et une naissance difficile7.
Notes: