Comment Messire Yvain fit cuire un brochet et que ce brochet
avait Gauvain pour nom.
a
cour du roi Arthur, enthousiaste, se mit en branle car il fallait retrouver
le seigneur Gauvain, suivre le messager jusqu'au Château au Gué
Périlleux et ainsi mettre fin au sort. C'était de Gauvain, le
neveu du roi, que venait la grande nouvelle. Tous en branle et surcharge, à
cheval et roulent les dames de compagnie. La reine au roi "Ainsi, messire Gauvain"
et d'icelui à icelle "Sourire splendide". Si ce n'était la lande,
les bois et les plans d'eau, courrait la famille de la table.
En plein remuement et mise à sac du campement, un chevalier vient à
prêter serment au roi Arthur.
- Beau sire, voici... Et récit. Combat, provocation, chute et soumission car celui qui assiégeait le Château du Bois Luisant avait été défait face au dit Perceval. Et ci-après, à assaulter la prison, l'injuste destin s'était paré de l'image d'un chevalier au roi. Et récit. Arthur, impatient, tape ses mains, rythme la voix éraillée du conteur défait pour accélérer les événements, raccourcir les péripéties. "Et mon épée, je la remets..." Le roi était parti, chevauchant déjà que le chevalier fut pris de dégoût et crache à terre, jurant que tel affront le levait de sa parole.
Les jours passés,
jamais la cour ne s'arrête si ce n'est quelques jouxtes qui délassèrent
fortement la reine et sacrèrent comme il se doit le seigneur Yvain et
son armure.
Enfin le messager déclare avoir atteint le Gué Périlleux.
Il racle alors ses yeux, car, alentour, le Gué Périlleux, nulle
trace d'un château ni d'un sieur Gauvain. Seule la brume s'élève
à sa coutume du marais. Le roi Arthur en est si fâché qu'il
veut lui-même crever le mensongeux messager. Le Sénéchal
Ké parvient à le convaincre que cette tâche lui revient.
Et sous les yeux affolés de dame Lore, le messager eut la gorge tranchée.
e
campement fut installé mais le roi Arthur sombra en mélancolique
humeur, n'ayant goût de rien, même la reine disait-on s'en plaignait.
Voyant cela, messire Yvain se présente au roi.
- Que veux-tu Yvain?
- J'irai moi chercher Gauvain.
- Veux-tu que je perde encore un
de mes valeureux chevaliers? Et que le seigneur des Illes, informé par
quelque espion, ne me défie? Non, Yvain, il nous faut faire deuil de
mon neveu.
-Sire, Oyez mon présage. Dans
mes rêves de la nuit, j'ai vu messire Gauvain et retrouvant son adversaire,
le chevalier Guiromélan, il me conta ce qu'il advint du château
de la reine votre mère. C'est alors que je vins vous mander la permission
de retrouver Gauvain. Quand au roi des Illes, n'ayez crainte de lui, les nouvelles
que j'ai reçues m'indiquent qu'il est parti guerroyer en Germanie.
Le roi Arthur, épuisé et toujours mélancolique, se résolut
à laisser quêter son seigneur le plus téméraire.
Et le sénéchal Ké n'eut qu'à s'en réjouir.
La reine s'approche d'Yvain et lui remet un mouchoir à ses initiales.
Au pas, dès qu'il n'aperçoit plus le campement, Yvain fait trotter son destrier. Les sabots sonatent entre les roches qui affleurent au sol, tant rocaille composait ce paysage. Bientôt le Bois Fumé aligne ses bouleaux à l'horizon et c'est là qu'Yvain fait une étonnante rencontre.
Accroché, enfoncé
à un arbre se tient un chevalier, le heaume tombé. Yvain desselle
et s'approche du cadavre. Il décroche l'homme de son glaive enfoncé
par le manche au tronc, le sang encore frais, la blessure profonde. Le chevalier
souffle et son nom "Guiromélan" à peine audible. Le seigneur Yvain
resta ainsi six semaines à soigner Guiromélan, à chasser
et à poser moultes mixtures feuillues cicatrisantes. Quand Guiromélan
fut en état, il lui fallut parler et réciter son aventure.
- Seyant l'armure, j'attendais le
seigneur Gauvain que je défiai sans savoir son nom... Quel est ton nom
chevalier?
- ...
- J'avais armé ma selle, et
me tenais droit, lance levé. Le pont s'abaissa, le seigneur Gauvain avança,
au pas, jusqu'au milieu du pré. Nous nous saluâmes comme il en
est coutume et je m'élançai, certain de déposer ledit seigneur
avant qu'il n'exécutât le moindre geste défensif. Mais du
Gué s'éleva une brume compacte qui réduisit mon champ de
vision. Je me repris, me retournai et la brume se dissipa comme elle était
venue. Observant alors notre champ de jouxte, je n'aperçus plus que l'horizon
de la lande: le château et le seigneur Gauvain avait disparu.
Son récit à
peine bafouillé, Guiromélan retombe en silence. Le chevalier Yvain
avait saisi l'aventure et elle l'ébranla fortement. Il selle et galope
quelques lieues, atteint la rivière Follauvant. Sir Yvain s'assied donc
sur la rive et, observant souffler l'eau, les songes à nouveau l'assaillent.
La levée d'une bise, creusant
ses sillons dans le Follauvant, éveille Yvain qui aperçoit dans
la brume la silhouette d'une bâtisse. Aussitôt saisit son destrier
et galope en cette direction. Mais n'ayant accompli que peu de distance et déjà
s'éloigne cette vision. Yvain relève son heaume.
Il se décide alors à
revenir au Bois Fumé pour s'enquérir de l'état de Guiromélan.
Ce dernier n'avait pas esquivé le moindre mouvement, toujours à
l'agonie. La blessure s'était ouverte à nouveau et le glaive saignait
de l'arbre même si aucun corps n'y pendait.
- Chevalier, chevalier... Qu'arriva-t-il
à ton épée pour qu'il s'enfonçât par le manche
au tronc?
Guiromélan soufflait avec tant de peine qu'Yvain crût que sa dernière
heure était venue. Il reste cependant à ses côtés,
multiplie les gestes et les mélanges curatifs.
Un charretier passe
alors. Il transportait du gros bois et son outillage plut au sieur Yvain. Le
charretier lui fait hommage et sans tergiverser accepte de couper l'arbre où
était figée l'épée de Guiromélan. Le labeur
fut rude, mais en deux jours et nuitées de hache, le bûcheron parvint
à arracher le bouleau de son socle et à extirper l'arme sans rien
l'abîmer. Le seigneur Yvain promet à l'homme de merveilleuses récompenses
et le prie de rendre en son nom hommage à la cour du roi Arthur. Le charretier
reprit donc sa marche au travers du Bois Fumé.
Dès que le seigneur Yvain
pose l'épée aux mains de Guiromélan, il la saisit et ses
forces reviennent. Bientôt il peut se mouvoir à son aise, la magie
s'évanouissant, et se met ainsi à conter la chute de son récit.
- Je cherchais, en quête du
seigneur Gauvain pour entamer notre combat. Mais j'avais l'esprit fort embrumé.
En quelques jours, je parvins à ce bois, et le traversant, je rencontrai
une vieille femme qui poussait une mule chargée de bois. Je la saluai,
mais comme elle ne répondait pas je lui fis remontrance, qu'à
chevalier on ne faisait pareille insulte. "Un chevalier qui ne combat point
mérite-t-il d'être mieux traité?" fit alors la vieille.
Je m'inquiétai d'où elle pouvait tenir cette information, mais
elle garda silence. Je mis aussitôt ma monture de travers afin de bloquer
sa route.
La mule alors se transforma en dragon
et souffla si violemment que je perdis mon épée, qu'elle se planta
vous le savez par le manche dans ce tronc. Au second souffle de la mule, je
fus à mon tour projeté et embroché. La vieille continua
son chemin sans doute, car je perdis connaissance jusqu'à ce que vous
me détachassiez. Mais seigneur, puis-je connaître le nom de mon
bienfaiteur?
- Ton sauveur s'appelle Yvain.
A ces mots, Guiromélan est
secoué de spasmes, il se tortille au sol, lézarde même,
mu d'une force inexpliquée, se lève pour mieux s'affaler et s'embrocher
à nouveau car son épée traînait là. Et la
médecine du chevalier Yvain ne peut plus rien pour lui.
Ce dernier creuse alors le sol pour enfouir un seigneur qui n'avait pu combattre.
Il y pose le corps de Guiromélan, son épée car il ne veut
garder tel instrument qui s'y prenait à deux fois pour occire son maître,
et referme la tombe.
hevauchant, songeur,
la rivière Follauvant, le seigneur Yvain aperçoit un somptueux
brochet qui longeait la rive, nageant en aval. Il suit la bête au pas,
et elle le mène jusqu'à un étang distant d'une trentaine
de lieues. Le chevalier descend de son destrier, met ses chausses en l'eau et
d'un coup de lance transperce le brochet.
Le petit bois brûlait, les
flammes, le brochet cuisait et alléchait le chevalier Yvain qui commença
à le découper. La chair était tendre. Au milieu du repas
apparurent derrière un bosquet la vieille et son âne. Méfiant,
Yvain délaisse son met et saisit son épée. Il hèle
"Eh, vieille femme!" mais celle-ci ne lui répond pas. "Va-tu me saluer!
Va-tu saluer un chevalier du roi Arthur?
- Comment pourrais-je saluer un chevalier
qui massacre son frère?
- Que dis-tu?
- Ce que tu as pêché,
ce gros brochet, t'avait-il défié? L'as-tu bravement combattu
à arme égale?
Le seigneur Yvain
se retourne alors, et il voit, embroché, le chevalier Gauvain cuit et
à moitié dévoré.
CHAPITRE DEUXIEME
Comment le chevalier Perceval retrouva le roi Pêcheur et fut séduit
par la sirène du Rocher Bleu.
ur la cour du roi Arthur pesaient les absences d'Yvain, de Gaudelain et de Perceval. La reine elle-même s'ennuyait des contes et des exploits. Les jouxtes n'étaient plus aussi fastes, les chevaliers n'avaient plus goût à combattre, sachant que les meilleurs n'étaient pas du combat. Le temps passait, quand survient un chevalier à la cuirasse vert éclatant et un heaume percé à la tempe gauche. Il descend à terre, la démarche lourde.
-Oh là, chevalier!
Héla le sénéchal Ké, Oh là! Où te
rends-tu ainsi?
-Je dois rendre hommage au roi Arthur.
Depuis mon combat et ma défaite, je le cherche en toute la Bretagne.
-Eh bien, tu as trouvé sa
cour. Mais ne veux-tu point te reposer et te soigner avant de nous conter tes
exploits?
-Mes exploits, je n'en ai plus à
conter.
Le chevalier enlève alors
son casque, et la compagnie s'émeut de sa tempe enfoncée. Son
visage est gravement déformé par le coup reçu.
-Mais qui donc vous a ainsi défiguré?
S'inquiète Dame Lore, le mouchoir en avant.
-Cet homme, ce démon, a pour
nom Perceval et chevalier du roi Arthur il se dit être. Est-ce là
la vérité?
-En effet. Et c'est avec joie que
j'entendrai ton conte.
'homme
qui vient de sortir de la tente, c'est Arthur en personne. Il parait vieilli
par l'absence de ses valeureux combattants, mais le chevalier le reconnaît,
et aussitôt il tombe à genoux. Il s'en veut d'avoir pensé
que Perceval pût être un imposteur.
-Mais viens, dis-nous ton nom et
ostente-toi en notre compagnie.
-Je suis le chevalier du Val aux
Bouleaux, et voici ma mésaventure. J'accompagnai le roi Pêcheur
en villégiature, du côté de la Zélande. Nous nous
restaurions quand survint un cavalier, et à sa suite une longiligne femme
enveloppée d'une toile fort fluide. Leur allure nous paraissant pacifique,
le roi Pêcheur en personne se rendit à leur rencontre. Il reconnut
sans perdre de temps votre chevalier Perceval qui lui rendit hommage, et il
les raccompagna jusqu'à notre campement. La femme était d'une
beauté incroyable, sa peau transparente, elle était presque sans
peau, et point d'os ne venait l'écorcher. Le tissu la seyait si bien
qu'il ne semblait pas superflu qu'elle le gardât tard en lit. Perceval
avait bien les traits tirés, mais de nuits de plaisir, ainsi avions-nous
interprété. Ils se retirèrent d'ailleurs tout deux en leur
tente, sans discourir le moins, ce qui me déplut mais laissa la cour
pavoisant, de propos discourtois bien sûr. Finalement, après coup,
sa peau était bleue.
"Ce roi t'apportera
le Graal, et la nuit, dans les brumes des élixirs, nous nous emparerons.
-Oui.
-Tu dois ne paraître ni surpris,
ni touché par ce présent. De moi il tient. Car souviens-toi, une
première fois le Graal te fut présenté et tu ne réagis
point. C'est moi et pour moi que le Graal te sera offert. Et en moi tu le désireras."
Ces propos, je les entendis, sans indiscrétion, j'étais alors
de garde et faisant le pas je m'étais rendu jusqu'à la tente de
ce chevalier et de sa compagne, une sirène comme je l'appris.
-Diras-tu que Perceval renia le roi
Arthur pour servir une femme? S'insurgea la reine, debout de rage maintenant.
Chevalier! Retire ces propos que tu regretterais sur le champ.
"La fête s'allumait à
la cour du Pêcheur. Des danseuses lascives en provenance directe de Syrtes,
mais je devais et j'allais, montant la garde je n'avais pu prévenir mon
seigneur du danger que représentaient ses hôtes.
Perceval avait le regard si fixe
que mêmes les servantes du roi Pêcheur n'osaient l'approcher et
il devait tendre les bras pour s'emparer des mets et se restaurer. Sans doute
un maléfice pesait-il sur son esprit, mais je semblais bien seul à
m'en rendre compte. Le roi Pêcheur et les autres chevaliers conversaient
comme si de rien n'était, ils s'inquiétèrent même
de l'absence de cette femme si belle, si blanche... Perceval hocha juste la
tête, absence, affirmant aussi qu'elle ne traînerait pas. Je me
rendis donc vers leur logis, vérifier mes soupçons, espérant
toujours qu'ils fussent ineptes. J'entrouvris la toile...
-Oh!... S'exclama la reine, ...Quelle
honte! Tu devrais te comporter en meilleur gentilhomme. C'est ta tête
que tu perdrais en t'intrusant ainsi en ma demeure chevalier.
-... Au milieu de la scène,
fort éloigné du foyer, traînait un énorme rocher
bleu, et sur lui, épousant sa forme rocailleuse, la sirène en
fil s'étirait. Même sa queue semblait alors minérale. Je
refermai aussitôt le battant, me frottai les yeux car je ne pouvais croire
un tel sortilège."
uelques
jours auparavant, Perceval galopait, et cheminant vers les côtes de la
Zélande, entre vertes et rases prairies, il allait. Au premier bourg,
de pêcheurs absents en femmes salant le poisson, il s'ennuya follement.
Une de ces femmes lui apprit alors qu'à quelques lieues de là,
des choses étranges, des hommes disparaissaient, des bateaux sombraient
et jamais on n'en entendait plus parler. Elle même y avait perdu un fils
et un père. Intéressé, Perceval se fit indiquer précisément
l'île sur laquelle de tels évènements survenaient. Et le
chevalier, fol guerrier, n'en eut alors qu'une seule envie, combattre et résoudre
ce mystère.
Ce lieu était fort embrumé,
mais il était inutile d'agiter son épée pour s'en défaire
tellement le brouillard collait à la peau de Perceval et de son destrier.
Cependant il s'approchait peu à peu de sa perte et finirait par y succomber.
Au bout de la jetée, une sirène hurlait. Elle aperçut le
chevalier et sut qu'elle ne chanterait plus vainement. Le rocher bleu qui la
soutenait la secoua légèrement, elle chancela et Perceval sauta
hors de sa selle, et se précipita pour la sauver des flots. La sirène
en ses bras, il ne pouvait détacher son regard, ni ses mains, ni ses
doigts et sur ses écailles il esquissa une caresse dont il ne savait
quel en était l'avenant, il ne pouvait s'en empêcher, caressait
écaille par écaille de plus en plus dure, qu'il se fendait les
doigts. Quand le sang coula, la sirène sut qu'il la suivrait. Et elle
le guida.
-Parle... Parles-tu
d'ensorcellement...? Mais ce qui s'en suivit, comment parvins-tu à nous,
si ce n'est Perceval qui t'en donna l'ordre et les indications? S'enquit le
roi Arthur.
-Je me précipitai vers la
table du roi Pêcheur, mais icelui me repoussa, car c'était le moment
du Graal. Et vinrent alors les porteuses, porteuses de lame, porteuses de sang,
porteuses de fiole. Elles s'étalaient sur la piste, les regards étaient
illuminés, il était impossible de raisonner le moindre laquais,
tous étaient pris et sublimés. Perceval se dressa alors, enjamba
le banquet et se précipita, trébuchant et se relevant, celle qui
tenait la lance enserrée dans ses bras le repoussa, il essaya d'arracher
l'arme, elle résistait, il tira et la lance lui revint attachée
encore à une main. La porteuse hurla, les chevaliers du roi Pêcheur
allaient pour s'élancer enfin et punir le traître, mais notre seigneur
leva le bras, le reposa. Il se leva. S'assit à nouveau. Il semblait ne
pas pouvoir aligner deux gestes continus. Pantin, il resta alors assis et ses
vassaux en firent tout autant. Perceval s'échappa vers
sa tente. La porteuse traînait son bras.
-Jamais Perceval à une femme
ne ferait moindre mal, cria la reine.
-La porteuse, allongée, le
bras en avant, le bras qui avait perdu une main. Le roi Pêcheur sans geste,
assis et sans âme. Ses chevaliers à l'identique, pourtant prêts
à bondir.
-Et que fis-tu noble chevalier? Interrogea
le roi.
-J'étais ivre de mon inexpérience,
je devais veiller et n'avais pu prévenir mon seigneur d'une telle calamité.
Je fis aussitôt cerner la tente par les hommes d'armes qui n'avaient point
trop abusé des élixirs. A son trône, le roi Pêcheur
chancelait encore plus. Mes troupes en place, je hélai le chevalier qu'il
se rende et rendît la lame du Graal. Ces forces étaient contenues
par le seul roi Pêcheur et si inconnue, la connaissait-il vraiment cette
femme? Qu'en voulait-elle?, s'en emparait, le monde en aurait à trembler.
Je prêchais encore moultes menaces de fin du monde, de fin des chevaliers
et de l'ordre. Mais seule une faible lueur bleue me répondait. Je défiai
alors le chevalier Perceval, qui disait tenir son honneur du roi Arthur, et
mis...
-Eh bien chevalier... Qu'as-tu à
ne pas poursuivre ton récit? Ton état faiblit-il à ce point?
-C'est que, ô roi, je vous
insultai pour humilier mon adversaire. Je ne saurai quels propos je vous attribuai,
mais finalement j'obtins raison. Et Perceval sortit au devant de la tente. Il
était fort aguerri au combat, je le savais, la lame du Graal en sa main
droite, je la voyais malgré la nuit dans cette lueur étrange,
mais je ne pouvais plus reculer et m'armai à mon tour. Il ne fallut qu'un
seul coup à Perceval pour défoncer mon heaume et me transpercer
le crâne par la force du Graal. Je succombai, et à genoux j'observai
mon vainqueur qui m'ordonna d'aller vous rendre mes hommages. Ce que je fis...
-Mais alors?... Parle chevalier,
parle.
-Dans la confusion de mon esprit,
je vis la sirène à son tour avancer. Mes hommes d'arme voulaient
me relever mais elle les éloignait par je ne sais quel subterfuge. Elle
m'approcha, tenta de retirer la lame de mon crâne, la tourna en tout sens,
et c'est pourquoi cette blessure est si large. Elle n'y parvint pas. Perceval
à son tour s'approcha, mais dès qu'il toucha au manche, du ciel
volaient des insectes, et des bruits étranges enveloppaient le campement.
Perceval, sans doute enfin libéré du sortilège, arrêta
de me torturer et au contraire, il me saisit aux épaules, me sella un
cheval et m'accompagna. Au loin, des explosions de terre ensevelissaient la
cour du roi Pêcheur. Perceval me soigna et m'indiqua l'emplacement certain
où je pouvais vous rencontrer et réciter mon histoire. Mais lui,
lui préféra retourner au campement.
Comment le roi Arthur privé de chevaliers fut défié et vaincu par le roi des Illes.
a
cour en manque d'estomac, stupeur, du récit d'un chevalier, d'un graal
en main étrange. La reine si émue s'était retirée
en sa tente. Le roi Arthur fut secondé dans sa marche vrillée
par un preux mais peu aguerri noble de Basse Bretagne.
Le chevalier avait à peine clos son récit que son état
se détériora; il dut se reposer et laisser aux mages le soin de
réduire sa blessure. La cour jadis rayonnante s'évanouissait en
fragilité, messire Gauvain, messire Yvain, vaillant Perceval! Comme votre
absence se fit ressentir. Et la chute du légendaire Arthur vous sera
due.
- O'roi, écoutez mon avertissement!
s'exclama Ké le sénéchal.
- Qu'as-tu Ké? Qui veux-tu
invectiver? Ne vois-tu point que mon état réclame repos et silence?
râla le roi.
- C'est que, o'roi, les nouvelles
de vos chevaliers, si mauvaises soient-elles, ne sont que peu face à
la venue, en armes et en force, du seigneur des Illes. C'est de victoires violentes
et éclatantes qu'il marche vers votre cour et votre trône. Sa renommée
grossit tant que nombre de chevaliers le rejoignent, et son but, vous le savez.
- Ton avertissement vaut des sources
d'où tu les tiens. Messire Yvain, avant son départ, qu'il nous
revienne bientôt!, m'avait affirmé que mon adversaire guerroyait
en Germanie. C'est de loin qu'il me menace.
- En effet sire, de Germanie. Mais
à grands pas, mue d'une force étrange, je n'oserais répéter
les propos qui me furent tenus par mes espions tant ils semblent fabuleux, son
armée se déplace. Elle traverse les lieues comme l'épervier,
et à son approche les bruits du ciel se réveillent et sonnent
et résonnent. Les habitants en sont terrorisés, les chevaliers
ne peuvent combattre. En une heure, entendez, en une heure le château
du Lieu Clément fut ravagé par le feu et la foudre, réduit
à quelques pierres. Des survivants nous arrivent peu à peu, et
nous content, cette horreur, cette violence; vous vous devez de les écouter
sire, et de rameuter tous vos chevaliers. Sinon...
- Sinon rien Ké. J'ai écouté
tes plaintes, et si mon maître d'armes ne peut nous défendre, j'en
changerai.
'un bois sombre, d'une orée, d'un versant de colline, d'un adret, Perceval observe avec minutie les mouvements de troupes du roi des Illes. D'étranges machineries tournoient au dessus du campement et Perceval s'en méfie. Ces objets le rappellent à un autre moment du récit. Quand il parcourait l'univers. Mais ces souvenirs sont par trop flous. Alors il épie, avec minutie.
- Sire, sire! beugla
Ké le sénéchal.
- Qu'as-tu à m'apprendre que
je ne sache déjà? s'ennuyait le roi Arthur.
- C'est... le destrier du chevalier
Yvain, sire.
- Yvain?
- Le seigneur Yvain marche, sire.
Il avance à pas comptés, derrière. Son cheval semble le
traîner, mais ne le porte point.
Le roi Arthur sortit aussitôt; la cour l'attendait. A proche délai,
on pouvait reconnaitre le destrier d'Yvain, mais son maître n'avait pas
d'allure. Il titubait, courbé, manquait à chaque pas de s'effondrer.
De jeunes laquais s'approchèrent, mais ils n'osaient soutenir l'homme.
Il n'avait point d'épée. Il criait parfois. Des sons. Etrange
et fantomatique silhouette.
Le roi Arthur héla tous ses
mages pour venir en aide à Yvain. Il s'était arrèté,
penchait tant à sa gauche qu'à sa droite, tant en avant qu'en
arrière, tant et tant qu'il finirait pensait-on par chuter lourdement.
-Seigneur Yvain! s'exclama
la reine. Seigneur Yvain!... parlez, parlez de vos tourments. Je les partagerai
avec vous... parlez. Qu'est-il advenu?
La reine épongeait le front
du chevalier. Sa compagnie espérait que le seigneur Yvain sortisse de
sa torpeur mais, là et las, il se tenait, de son long corps, un lit comme
un chevet. La reine s'était assise au bord de la couche, se penchait
en soufflant au visage de l'homme tétanisé.
Le roi s'enferma dans sa tente. Ses
chevaliers, pourquoi les avait-il laissé quêter d'aventures en
aventures qui n'ajouteront rien à leurs exploits passé, ses chevaliers
lui manquaient. Et le sénéchal Ké, insistant, et le seigneur
des Illes, menaçant. Le roi s'enfermait dans ses humeurs, noires.
e
loin en loin, cavalant le plus souvent, Perceval maintenait l'armée des
Illes et des étoiles à distance. Parfois, il s'aventurait en leur
campement; il avait aperçu sa sirène aux côtés du
roi, et une lumière, une entité avec qui ces derniers conversaient.
D'étranges montures ou d'indescriptibles monstres formaient, immobiles,
une garde avancée. Perceval avait touché l'un d'eux, puis s'était
enfui. Froide et dure cette peau. Une carapace ou une armure.
Perceval s'éloigne alors du campement, pour allumer un feu et se réchauffer.
Il réfléchit. Cette entité lumineuse évoque une
rencontre antérieure, une impression. Certes, il avait fui la cour du
roi, mais c'était une autre fuite qui travaillait son esprit. Une autre
fuite une autre fois... Il s'échappait d'un univers de fourmis.
La bataille allait
s'engager. Le sénéchal Ké avait pourtant prévenu
longuement Arthur, mais le roi ne virevoltait plus, assoupi. Les deux armées
se faisaient face. "O roi, il nous faut fuir pour regrouper nos forces!
-Il ne faut jamais fuir. Si notre
aventure doit ici finir, qu'elle finisse. Organisez nos troupes Sénéchal,
organisez. Que tous se préparent.
A l'horizon ennemie, les guerriers
de la table parviennent à discerner d'incroyables lumières. Le
roi s'était rendu au chevet du seigneur Yvain; il espérait un
miracle, un chevalier pour sauver ses troupes d'une défaite annoncée,
un chevalier pour continuer son règne. Mais Yvain ne respirait déjà
plus, et c'est en costume de deuil que le roi se présenta à la
guerre. L'armée des Illes s'étira en nombre. Et puis il y avait
ces droles d'engins qui planaient quelques mètres au dessus des haumes.
A l'aube.
L'haleine des combattants construisait
un léger brouillard quand leur palais se couvrait d'une particule mauvâtre.
Toujours la même dérive, des armes à mêmes vocations.
Et si près, des silences, des odeurs de chênes.
Le roi des Illes brandit son épée,
ses guerriers s'élancent, s'approchent des lignes arthuriennes et se
figent, comme plantés au sol, statufiés. Ils sont encore en vie
mais attendent. Un bruit assourdissant. Ces lumières, objets, créatures
volantes survolent le champ sans bataille pour surplomber le cheval du sénéchal
Ké. Puis tous deux brûlent. Les Illiens attaquent alors.
Les éléments
mécaniques d'un rouage tronqué s'alignaient, des souvenirs repus
s'immisçaient, ambiance reconstitutive, un Perceval sous de larges épouvantails
dressés. L'ennemi approchait. Les lueurs d'une bataille sans enjeu, là
bas, des rois dépassés. Un chevalier.
Perceval se faufile à présent dans le campement des Illiens. Déserté.
S'approche d'une tente, d'une seconde... à la flamboyante sirène
il eût conté ses déserrances, sa mosaïque quêtale.
Mais rien, un corps et un rocher. Si blanche fée en roc devenut. Perceval
caresse de son gant métal le minéral, touche aux fluides rocheux,
elle était blanche, cahotique. Dans ce désert, ces propos insignifiants,
ces roucoulades philosophiques, un désert où seuls les alcooliques
pouvaient espérer rêver.
Le champ sans plus de bataille, de sang engorgé, de cuirasses inondé. Le roi Arthur, dressé en pierre, toujours lève sa naturelle épée, plantée en son poignet. Le champ comme un désert océaniques où se meuvent quelques pantins de plomb dominés d'un géant; le seigneur des ILLes s'approche, sa garde d'insaisissables ballons d'acier en bouclier, caracolant à une couche de l'atmosphère dorénavant maîtrisée. Le roi des Illes s'approche, tend son bras, saisit l'arme et s'y blesse. Il crie car l'épée ne veut lui appartenir.
Au loin, Perceval vole le Graal.