I) Naissance de Dionysos
Galapagos,
Socle immonde de terre
meuble
Pour des tortues,
balayé par des crachats salés
Tu peux voir
trois faces de craie s'élever,
Faiblement au ras de l'herbe en brosse,
Sèche, cassante,
Les trois culs dandinants peints comme des visages
Des guenons.
"Pourquoi
m'injuriez-vous en agitant ces grimaces fendues sous mon nez, vieux singes?"
"Parce que nos vieux culs sales chient à tes narines, ô notre
doux Phébus!"
La terre stérile de Galapagos
Est méprisée par son gouverneur,
Et qui, méprise le gouverneur?
C'est en grattant son eczéma, disent les vieilles,
Qu'une croûte tombante fit cette île de misère.
" Je
vous les brûlerai jusqu'à les boucher ! "
Fouaillantes,
D'un ongle jamais coupé,
Labourent et dessinent d'un
Seul ongle immense qui alourdit leurs mains,
Des sillons croisés.
("Qu'espèrent-elles tirer de mottes noires de Galapagos, vieilles
guenons folles?")
Des cubes de terre découpés passent
de main en
main (ils s'animent en tremblant comme des desserts anglais)
dans un chaudron
(Vous n'aviez pas vu le chaudron? Pourtant, où quelque chose naît,
il y a un chaudron pour couver!)
"Race de veaux! D'autruches! Vos gosses rampent et se rabougrissent comme
des lichens!"
Un bulle pète, une injure
Fuse
" Dans les hospices, vos vieillards ôtent leurs dents pour piper
des nazis ! Vos mères avalent par le cul toutes les bites qui traînent
! "
A la surface emballée, de plus en plus de bulles,
Et d'injures,
Du cur même de l'amour
"Les dieux se comptent les poils du cul en attendant le dégel! Mais
Galapagos est gelée, et il n'y à que moi qui bande pour la faire
craquer!"
Phébus,
Pour qui l'injure est un narcotique,
Ferma les paupières et l'ombre passa.
D'une spirale
crémeuse
(peau du lait tourné)
pointa une bulle solide molle comme de la chair d'enfant ;
Du fond de ce gland,
logé,
narquois,
un il fixait le ciel.
Au bout de cette pine -ogive rose-
Vint du bouillon engourdi une
Jeune fille,
Long fuseau blanc et pine
Rose,
Nouvelle injure à l'ordre du Monde.
Mais ils durent tous reconnaître en lui un nouveau Dieu.
II) Mort de Dionysos
Une poche
flétrie,
Peau lourde veinée blanche de bleu,
un sac tombant et chargé en pointe
obstruait le ciel au-dessus de la capitale ;
à la chute, un bouton racorni,
terreux,
la mamelle.
Premier cadeau
de Dionysos,
né deux fois et ravi d'être sorti du chaudron.
Qui n'aurait pas tété au nichon de la vieille? Qui?
Bousculade du jour sur les os craquants des morts.
Il était amer, le lait
duquel (autre côté du monde, de l'histoire) jaillirent des Evangiles.
A la fin d'un
siècle
qui vit crever leurs derniers rois,
les hommes avaient fini par avoir cette amertume en horreur.
Plus un traître mot sorti de
La bouche bavouillante de l'androgyne
qu'ils comprennent
(Mais lui tétait toujours,
avait gardé sa gueule poupine,
le teint usurpé de la naissance).
L'horrible odeur rance enveloppant
La mamelle,
Les désolait ; il tendirent un drap bleu pour la cacher.
Le rythme
cardiaque de Dionysos, ralenti et faible.
Son nom,
source de quelques chants,
devenu un sobriquet,
on ne chantait plus que des rondes d'insultes
à son nom,
des allusions à ses fausses dents qu'il ôtait pour faire des pipes.
On découvrit le corps de Dionysos ramassé
comme un insecte sec
dans une cuisine d'hôtel ;
la poubelle éventrée contre lui
révélait, dans la coupure,
des livres, des lanières de cuirs, des mécanismes compliqués,
du métal.
Dernière haleine, de la buée, perlante,
avait collé par plaques son visage au plastique du
sac.
La main reposée sur
le gland d'une pine énorme,
bâ
ton
pour
le tenir,vissé,
à son lit de mourant.
Copyright ©L.L. de Mars 2001 — Copyleft
: cette oeuvre est libre, vous pouvez la redistribuer, la modifier selon les
termes de la Licence Art Libre.
Vous trouverez un exemplaire de cette Licence ICI