hilip
Roth, écrivain américain, mondialement reconnu, s'apprête
à interviewer son ami l'écrivain Israélien Aahron Appelfeld;
il est le principal protagoniste d'Opération Shylock, il en est
le narrateur; il rencontrera la deuxième figure majeure du roman, Philip
Roth, écrivain américain mondialement reconnu, voué à
la cause ahurissante du diasporisme, c'est-à-dire au retour de tous les
Juifs d'Israël en Europe par charters, pour le plus grand bonheur de tous.
Philip Roth est appelé à se déjouer de la maladie (la paranoïa
provoquée par le médicament Halcion), de l'usurpation (la paranoïa
sans remède de la confrontation avec le double), et du pistage de l'écriture
par le réel (la paranoïa engagée par la confusion générale
entre les propositions du roman et la métafiction qu'est le lecteur).
Philip Roth, manipulateur des deux occurences homonymes, va donc, par la cure
fictionnelle, systématiquement créer le remède du mal qu'il
s'est infligé et faire du roman le lieu de guérison impossible
du roman soi-même. Ouverture : Dans la confrontation avec le duplicata,
l'orgueil se heurte à la paroi du même (et c'est d'ailleurs l'angoisse
nourricière de l'orgueilleux); ce double, qui fait écho à
la terreur (et la jouissance) d'Astérion -le minotaure- dans la nouvelle
de Borges: "Tout est plusieurs fois, infini.
Mais il y a deux choses au monde
qui paraissent n'exister qu'une seule fois: là-haut le soleil enchaîné;
ici-bas Astérion"; ceci nous ramène au double jeu des métamorphoses
qui fait du minotaure l'habitant légitime du monstre : il y est le coeur
battant de l'horreur, mais c'est lui qui paye le prix de la monstruosité
; il lui est redevable parce qu'il l'habite, mais surtout parce qu'il lui sert
de couverture (Le labyrinthe n'a pas, à par le délire paranoïaque
des mythographes, de véritable inventeur : il s'invente sans cesse parce
qu'il est masqué par l'être hybride qu'il abrite, et il n'a besoin
d'aucune forme fixe pour durer ; là où Dédale passerait
presque pour une victime)1 ; Lyotard
propose dans "économie libidinale" le parcours d'une souris plus effrayée
par l'invention ou le doute que par les parois elles-mêmes:dans la chambre
d'écho qu'est le labyrinthe, la souris ne produit-elle, tout simplement,
d'autres souris?
oth
trouve dans la figure du double (Celui qu'il surnommera le Pipik, Moïshe
Pipik) l'impossibilité de toute opération de rejet: comment pourrait-il
rejeter sa propre puissance, fût-elle une copie, sans expirer dans les
couches de cette peau adverse, dans ce sac redoublé, sans se dégonfler?
C'est l'image très souvent développée dans les fictions
du double, des forces commes deux vecteurs mathématiques qui ne s'opposent
que ce qu'elles proposent (vecteurs d'angoisse réifiée, égalité
totale supposée des masses), et qui se détruisent si par malheur
elles sont contiguës. Elles se tuent parce qu'elles se veulent voir.
L'abjet, figure réplétive
du double qu'on ne peut tenter de défigurer sans y perdre sa figure;
comment se ratrapper? Il faudrait se nier en absorbant le discours du prétendu
non-autre, soit en étant l'autre -qui prétend, lui, se jouer de
vous- il faut lui voler ce qu'il vous offre : et c'est somme toute l'histoire
entière de la politique qui se joue ici (on peut penser à la droite
française qui, persuadée que l'identité groupale de son
parti se doit d'être la réplique d'un état mental de la
France, rivalise d'adhésion aux propositions les plus fantasmatiques
de l'extrême droite pour récupérer ses électeurs,
et qui les perd parce qu'elle se perd dans ses propres valeurs... si elle est
l'autre après l'autre, alors elle n'est plus, et, pire, elle n'aura jamais
été : car le double a un pouvoir de destruction rétroactif,
le doute sur la légitimité des prétendants à être
le modèle).
Roth évoque clairement dans
l'état maladif et hallucinogène du début du roman, le délire
suicidaire de la défenestration (qui revient à évaluer
-et reduire- son propre poids): on pense alors sans cesse que c'est bien la
négation de la terreur -de la pesanteur- qui a, par exemple, tué
Primo Levi, et non la terreur elle-même, qui, elle, le fit parler encore
: pire que le bourreau qui vous désigne finalement, même s'il n'est
pas capable de vous nommer, il y a la volonté de reconstruire un
monde pour lequel le nom du bourreau et la trace du supplice doivent disparaitre.
La souffrance du narrateur malmené par les médicaments et la paranoïa
est immédiatement suivie de la prise de conscience de ce qui fut abandonné
pour elle, au prix même du désir de lui donner du sens, à
savoir l'ensemble des caractéristiques de la résistance : contre
l'autodestruction, contre la vilénie, la faiblesse, et la lâcheté
(soit : contre l'éliminitation des valeurs généalogiques,
contre la destruction des règles morales, l'évacuation de la résistance
héroïque des pères, leur identité et leur don) : ici,
dans la souffrance, c'est-à dire dans la négation momentanée
du contrat social, se recréent toutes les facettes du terrorisme aveuglé
par la nécessité de survivre dans un monde dont les règles
ne sont pas (encore) les siennes... Aucune acclimatation à la structure,
mais le simple désir de détruire en l'emportant avec soi toute
forme de structure, c'est-à dire, avec elle, le moi social. La paranoïa
fait agir en créant des chaînes de causalité qu'elle prétend
rompre : elle dit s'être frottée au mal pour ériger une
nouvelle morale de la lutte, parce que sans la lutte, le paranoïaque se
dissout dans l'amorphe ; pour lutter contre l'informe d'une lutte qui appartient
au monde auquel il ne veut pas à son tour appartenir, le paranoïaque
réorganise la raison en s'y insufflant comme noyau causal:
"Le système que j'étais
en train d'élaborer dans tous ses détails pour expliquer rationnellement
le réel baignait exactement dans le genre de rationalité que les
psychiâtres rencontrent régulièrement chez les paranoïaques
les plus atteints."
lus
loin, Roth ajoutera: "J'étais en train de me rendre fou." On ne
peut que songer à la destructrice production de sens dans le "Cosmos"
de Gombrowicz, par laquelle le narrateur -pour qui tout trace visible produit
non seulement un sens, mais un sens corrélé, déductible
des autres lisibilités- corrige le réel pour parfaire l'adéquation
du monde à la prolifération des signes. "Quand je partage
une idée avec quelqu'un, j'ai l'impression de ne plus avoir qu'une demie-idée".
Vialatte Dans une disposition paranoïaque, l'autre, aussi nécessaire
qu'il soit pour se rendre à soi-même, est toujours infect, parce
qu'après avoir laché la preuve de notre existence corrélative,
il reste là, il valide notre propre infection dans la durée :
nous l'avons vu, nous le voyons encore, nous sommes nous nus, visibles dans
l'organe d'un complot.
Le double n'est un usurpateur que
si on le pourchasse : mais à quoi ressemble un double qui chasse?Le
lecteur qui prétend -et parvient d'ailleurs- à faire le livre
à la place de l'écrivain (au lieu de faire son livre, comme on
dit : faire son trou) est un exemple de subsombtion délirante qui organise
la destruction systématique de ce qu'il prétend donner du sens
à sa vie (c'est-à-dire qu'il finit par le lui reprocher). Le livre
évidemment n'existe que dans l'incroyable multiplicité des commentaires
qu'il suscite (mais qu'il ne peut pas solliciter, sous peine de voir le lecteur
se débattre, se sentant nié comme lecteur autonome), et ceci est
de l'ordre même de la pluralité des discours contenue dans le seul
livre ; imaginons en revanche qu'un lecteur se sente meilleur commentateur que
le livre qu'il commente, et c'est bientôt lui qui demandera des droits
d'auteur (Nietsche commenté, fractionné et monopolisé par
sa soeur, puis, par Adolf Hitler ; le détournement est toujours d'autant
plus opérationnel qu'il propose une version courte, absorbable et compétitive
du modèle ; n'ayant aucun scrupule, c'est dans le soulagement général
qu'il déduit de la complexité d'un esprit brillant des règles
maladivement étriquées d'une typologie de la consommation immédiate).
La littérature de Roth, obsessionnellement
tournée vers cette indiscrétion du lecteur qui ne commente plus
mais fouille la biographie pour tisser des ponts occultes entre la vie et l'oeuvre
(occultisme et fin du miracle), indiscrétion née de sa stupide
audace, et du paradoxal dégoût Admiratif du monde pour la littérature,
monde de la spectacularisation-minute ; personne ne supporte l'idée que
la littérature soit vraiment DANS la vie, voire, qu'elle soit la vie
elle-même (ou, disons, qu'elle soit exemplaire, sans éprouver la
nécessité de fournir un véritable exemple). La confusion
naît probablement du fait que l'acte de lire soit conduit implicitement
-par le style- à disparaître, sous peine de produire une distanciation
qui pourrait nuire au récit ; mais si un lecteur ne s'est effectivement
jamais vu lisant, il risque fort de se prendre pour l'invisible en coulisse,
et de ne jouir que du spectacle des descriptions. Il pensera alors avoir fait
le tour de l'affaire, et, pire encore, reprochera au récit toute incartatade
susceptible de ramener la fabrication de celui-ci à la surface du jeu
; il n'y CROIRA plus. Sa substitution au pseudo-narrateur, qu'il pensera
légitimée par le Je écrit, fera qu'en fermant le livre
il aura toujours l'impression d'avoir gagné contre lui. Vague parabole
des clés et des portes, qui se passerait sans peine de roman pour se
satisfaire de contes. Il a rejeté ce qu'il n'embrassait pas A-PRIORI,
et absorbé (donc plus ou moins méprisé) ce qu'il
comprenait.
'autre
part, Roth, dans Opération Shylock, piège le lecteur
entre un avant-propos (et un sous-titre aguicheur "une confession",
le tout manoeuvrant la confusion, la réclamant, de l'ordre de l'intimité
et du pistage du réel), et une postface qui radicalise la pratique de
la fiction dans ses méthodes économiques ("toute ressemblance
avec des personnages..." etc). C'est la congédiation, non seulement
des tentatives du lecteur de se positionner dans la biographie comme juge de
l'équilibre entre narration et histoire, mais aussi des modalités
qui d'habitude font du complot de la fiction le plus tiède commentateur
du réel. Roth souligne que pour des raisons de convenance (et comme
il s'agit de littérature, la morale serait celle des conventions) il
va placer un signe "°" derrière des noms qui risqueraient de devenir
enfin des noms (des objets d'échange, de recherche, d'acclimatation à
la vie); c'est l'exact point (l'os factice de la structure) que pourrait attendre
tout médiocre lecteur pour se raccrocher à l'idée qu'il
y a effectivement des connections rassurantes désignant l'origine : rien
de plus délicatement trompeur car il importera désormais assez
peu que la source, son codage, soit vrai ou faux, puisqu'ils sont mêlés
à ce tissu fictionnel où les noms sont toujours des conducteurs
de paragraphes lacés (des têtes de réseaux).
J'ai pu trouver dans Opération Shylock de nombreuses applications de
cette tentative systématique de décoder la prétention de
la réalité à avaler le réel, celle de la vie qui
attend que le roman lui rende des comptes ; en voici un exemple : lorsque le
narrateur est emprisonné pour avoir -croit-il- épousé,
en s'y infiltrant, le désordre provoqué par l'existence du double
(c'est-à-dire lorsqu'il croit ET ne croit pas à sa propre duplication,
qu'il cherche de la raison pour démonter l'irrationnalité de la
situation et qu'il piste le double en s'en faisant lui-même le simulâcre
pour retrouver son origine), et lorsqu'il pense alors avoir détruit toute
possibilité de reculer (de SE ressembler à nouveau) à force
d'application à ressembler à celui qui lui ressemble pour redevenir
le modèle, l'unique, c'est la question de l'authentique qui est ridiculisée
parce qu'elle est la tentation la plus grossière du réalisme romanesque
(avoir postulé, dès le début du roman, d'un authentique
narrateur contre un faux protagoniste est déjà une démonstration
de la prétention énorme du réalisme à proposer d'AUTHENTIQUES
situations ayant prétention au VÉRITABLE); on peut lire à
ce moment du récit :
"La soupe n'était pas en
plastique, le pain n'était pas en carton, la pomme de terre était
une pomme de terre et pas un caillou. Chaque chose était exactement ce
qu'elle était censée être. Depuis plusieurs jours, je n'avais
rien vu d'aussi peu équivoque que ce repas-là."
On pourrait même pesner retrouver,
par exemple, Robert Antelme et les autres témoins des camps, pour lesquels
l'écriture est toujours la vérification que quelque chose s'est
passé, que c'est discible, que ça passe par les fonctions élémentaires
de l'estomac et du souvenir, de la terreur du corps qui a tremblé et
ne veut plus trembler : le monde invérifiable et truqué du sentiment
disparaissant, là où la nourriture semble être le seul projet,
le verbe manger le seul verbe intelligible et intelligent. Mais chez Roth, "La
soupe n'était pas en plastique" est bien entendu une phrase en plastique,
parce que le roman préexiste au roman. Clairement exprimée, cette
propriété de la fiction à conduire le commentaire de la
terreur dans la subsomption à la mise en scène de cette terreur,
à évaluer la distance morale qui sépare le vrai de la vérité,
le réel de la réalité, s'écrit au début du
roman, à propos de la paranoïa du cousin Apter : "ses histoires
sont-elles exactes, sont-elles vraies? Moi, je ne pose jamais de question sur
leur véracité. Je crois plutôt que c'est du roman et, comme
c'est souvent le cas, le roman fournit à celui qui l'invente un mensonge
par lequel il exprime son indicible vérité".
Roth, cependant, s'il n'ignore pas que le roman EST le monde, sait aussi quelles
sont les limites d'intervention du roman dans la correction du délire
désorganisé qui prétend à l'organisation et qui
s'autoproclame Le Monde ; il peut écrire que rien d'autre que l'écriture
n'est apte à corriger le monde, tout en évaluant le peu de chance
du discours d'en faire un monde vivable : "Quand il s'agit seulement de mots,
on pourrait croire que j'ai acquis une certaine maîtrise et que je m'y
retrouve, mais le ressassement de toute cette haine, la transformation de chacun
en peloton d'exécution verbale, les incommensurables suspicions, le flot
de paroles blessantes, méchantes, la vie entière transformée
en un débat haineux, les conversations où il n'existe plus rien
qui ne puisse être dit... non, je serais mieux dans la jungle, me dis-je,
la où le rugissement d'un lion est un rugissement de lion dont il est
difficile de ne pas saisir le sens. Ici, je comprenais à peine l'enjeu
des affrontements, et de ces semblants d'affrontements; et ma propre attitude
ne me paraissait d'ailleurs pas beaucoup plus plausible que celle des autres."
oth
propose encore, pendant la phase d'enfermement -d'isolement, c'est-à-dire
de liquidation transitoire, fugace, du double- une réflexion sur la fabrique
du roman, son aptitude à mêler le commentaire au subterfuge. Le
premier envoi du livre est :"Jacob demeura seul. Alors un homme lutta avec
lui jusqu'au lever de l'aurore" Genèse 32, 24. (en anglais et en
hébreu) Nous retrouvons cette citation, alors que Roth (le narrateur)
emprisonné, se sent proche de la disparition ; c'est seulement à
ce moment précis qu'il prend en note quelques mots d'Hébreu dont
il feint de ne pas comprendre le sens (ou plutôt: c'est ici, puisqu'il
s'agit d'un roman, l'endroit où l'on saisit avec exactitude la jonction
entre l'écriture et la simulation qu'elle propose, puisque la traduction
de l'auteur, pour pouvoir écrire ce passage, est connue A-PRIORI : Roth
propose la citation biblique en hébreu et, surtout, en hébreux
cursif, c'est-à dire vivant). Nous avons donc affaire à un retournement
de la fiction sur elle-même en tant que le projet d'écriture est
donné par le mensonge qui fait du narrateur un inculte par rapport à
l'écrivain -ce qui est IMPENSABLE- et à un retournement historique
simulé par la perturbation de la fiction, l'écriture romaine de
gauche à droite et typographique devenant une écriture hébraïque
et manuaire, au moment précis de la lutte de Jacob avec -c'est encore
une des multiples interprétations talmudiques- lui-même (dans l'ordre
de sa foi et de sa soumission).
L'incompréhension de l'hébreu à laquelle il nous soumet
brutalement est celle de jacob devant la véritable nature de son adversaire,
et, surtout, celle du lecteur devant le temps et le sens de la fiction. Il faut,
dans tous les sens possibles, inverser un processus de lecture qui semblait
irréversible.
e plus, cette lutte, ne l'oublions pas, offre dans la Torah un nouveau Nom pour Jacob : Israël. Ici, commence l'histoire du peuple d'Israël NOMMé, et la destinée du NOM, le nom du questionnement infini, issu de lui et le proposant sans cesse. La lutte de Jacob est, en tout point, la métaphore la plus probable de la dialectique. Tout lecteur, il s'agit de la lecture la plus immédiate (peshat) de cette duplication Rothienne, aura vu dans la fonction du double et de la lutte celle du dialogue schizophrénique ; mais la question est plutôt : qu'est ce qui, de Roth, parle dans Pipik? (Jacob est lui-aussi confronté à un problème d'identité et d'identification avec la destinée d'un peuple). Probablement l'écrivain américain à l'être juif... Hmmm...Mais : l'être juif de Philip Roth, c'est quoi? C'est, justement, la littérature (américaine), du moins la thématique permanente de ses rapports intellectuels, généalogiques et politiques avec l'identité juive par l'écriture, qui depuis Portnoy et son complexe est le moteur de celle-ci. "Et si j'étais perdu, si je me perdais vraiment, par curiosité?", pourrait avoir été le point de départ de la création du Pipik ; Roth n'est pas le Juif des Juifs (il évoque son incapacité à retrouver adulte ne serait-ce que la lecture inversée de l'Hébreu acquis à l'époque de sa Bar-Mitzva), et risque fort de n'être plus -puisqu'ils sont moins difficiles sur la taxinomie de la désignation- que le Juif des antisémites, ce qui, je le répète, est la négation de la position a-historicienne et anti-combative des assimilationnistes...
oth
est confronté à la forme ultra et fantasmée du spectre
délivré par l'antisémitisme, et se voit, quoiqu'il fasse,
saisi dans ce spectre, plus ou moins honteux d'avoir trahi l'ascendance des
pères pour une tranquillité qu'il ne gagnera jamais. Je parle
de honte, bien entendu que Roth soit aux antipodes du Juif honteux dont l'assimilationniste
Rubinstein auprès de l'antisémite Wagner pourrait être un
prototype; cependant, si une facette d'Opération Shylock éclaire
bien le trouble rapport à sa généalogie de Roth, c'est
la confrontation entre la descendance tranquille (le fils Demjanjuk, assuré,
confiant, pendant le procès de son père, tranquille cultivateur
américain sans reproche -sans formulation) et sa propre généalogie
meurtrie (formulation continue de la rupture) : le déséquilibre
entre les assentiments évidents, souriants et muets, et les vecteurs
de sens qui ne se comprennent que difficilement, voire pas du tout, l'iniquité
entre l'évidence sans cervelle et l'inévidence de l'esprit. Demjanjuk
propose lui-aussi la question du double, mais dans la représentation
par rapport aux pères : ce qui est caché, ne peut -dit-on- l'être
à un fils : or, le judaïsme du père n'est pas transmissible
à Roth parce qu'il est discuté, la où l'innocence du père
est, pour Demjanjuk junior, indiscutable. Le problème est vite réglé
lorsqu'il est modulé selon la forme de l'aveu : chez Roth, tout y est
rendu compliqué par la discussion même et la tentative de créer
du sens ; "égoïste de fils qui réfute la validité
de ma vie, de ma lutte, pour satisfaire ses aspirations les plus prosaïques",
"égoïste de père qui soumet ma vie à ses haines
propres et veut m'y entraîner" (on retrouve d'ailleurs cette structure
chez l'ami arabe du narrateur, Zee, et sa volonté de plier son fils à
sa douleur : il prétend, en gros, le faire souffrir pour qu'il ne souffre
plus, là où en vérité il veut simplement être
accompagné dans la souffrance). Mais le fils Demjanjuk, lui, qui ne s'encombre
pas de ce genre de problème, est sans le savoir dans la monstruosité
biblique : la subsomption au père, et il serait bien en peine de comprendre
quoique ce soit à la punition des petits-fils de Noah, ne voyant pas
en quoi la découverte du sexe du père serait une découverte
coupable. "Si seulement je pouvais encore être un personnage grotesque
dans son livre merdique" lâche le narrateur épuisé...
On est assez loin du papillon qui
rêve d'être un homme (ou du contraire) de Tchouang-Tseu, la proposition
étant rien moins que philosophique; il s'agit plutôt d'un renversement
de la structure épidémique de la calomnie comme processus irratrappable...
ais
c'est encore la projection littéraire -je M'écris donc je ne suis
plus, ou : ce que je m'écris, on m'infligera de n'être que cela-
qui est ici reprochée à ceux qui réfutent au roman sa place
dans l'organisation du réel... au mensonge sa part de commentaire sur
la prétendue réalité. La première apparition
du Pipik, du FAUX DEUX, s'opère dans ce rapprochement du procès
de Demjanjuk (soupçonné d'être "Ivan le Terrible" de Treblinka)
avec le déplacement géographique du narrateur dans la Jérusalem
vive, où se déroule ce procès ;d'un côté,
l'histoire et l'absence totale de preuve possible (l'invisible, l'indémontrable,
est à la fois la démonstration ET la négation de
l'événement dans ce type de procès : c'est bien au moment
précis où quelque chose est détruit que l'on admet qu'il
a été un jour, et c'est, finalement, à l'horreur nazie
que l'on va devoir reconnaître enfin la démonstration de l'existence
-par défaut- des juifs)... de l'autre côté, la question
de l'actualisation géographique, c'est à dire, à priori
la disparition de l'histoire motrice derrière la nécessaire présentification
du monde juif en terre d'Israël, comme résolution d'un problème
posé par les ennemis de son (pas encore) peuple. A ce propos, on peut
lire p. 339 la division effrayante qui sépare le témoin Rosenberg,
fébrile victime d'"Ivan le Terrible", dont le commentaire est censé
être froid -ce qui, étant donné ce dont il témoigne
est une parfaite absurdité remettant en cause l'idée même
de précision juridique- et Demjanjuk; l'imprécision du témoignage
(forcément terrorisé, réactivant la terreur) a pour obstacle
têtu et tranquille l'implacabilité du rapport historique qui ne
souffre ni l'hésitation de celui qui fut pris dans la tourmente du mal,
ni, donc, par enchaînement, la réalité du mal lui-même...
Le rapport testimonial est-il concurrentiel
de l'archive? Où? Qui fait les archives? (Pressac ou Primo Levi?) Qui
fait les témoignages? (n'oublions surtout pas que dès les premières
heures du négationnisme, avec Rassinier, c'est l'imprécision -évidente-
des témoignages qui sert de point de départ à la ridiculisation
des victimes).
De plus, Pipik renvoie directement
à la schize d'israël évoquée plus bas ; celle de l'assimilation/comparaison,
et c'est tout perdre de l'historique juive pour actualiser, quoiqu'il advienne,
le noyau ETAT d'Israël... Mais ce qui ici n'est qu'une déclaration
toute théorique -ne prenant pas en considération le fait qu'une
synthèse N'EST PAS la somme des deux propositions dialectiques, mais
bien une troisième instance, autonome- la revendication spécifique
délirante de Pipik en fait une lecture littérale qui voudrait
tout effacer pour corriger... Israel est, selon le Pipik, malade d'etre
juif.
r,
il ne serait pas du tout, s'il n'était pas juif (la diaspora elle-même
n'est pas -tant qu'on ne l'empoisonne pas- malade d'être diasporique).
Qu'est-ce qu'un état Juif? Une structure schizophrène établie
sur une actualisation rendue possible par le renoncement aux fondations et au
moteur de l'acte : banalement, la mobilisation des valeurs du peuple juif pour
fonder un état-nation qui, comme tel, devra manoeuvrer parmi les autres
états en tant qu'état "comme les autres", c'est-à dire
non-juif2.Qu'est-ce qu'un juif sans
état? Certainement pas Philip Roth, absolument américain, et sans
aucun doute le plus juif des écrivains de la diaspora. Le Pipik est lui
l'exacte interface shizophrénique entre le juif diasporique et Jerusalem,
mais la tragique erreur de son obstination est de croire qu'il y a une nécessité
historique de lier la diaspora au sort d'Israël pour fabriquer des moyens
pour le sionisme, et enfin, pour légitimer son propre projet diasporique
; or la diaspora et Israël n'ont pas les mêmes responsabilités,
les mêmes productions, ni les mêmes aspirations ; le Pipik, comme
ses pires ennemis, veut donc corriger l'histoire.
Mais ce qui a été ne
peut pas cesser d'avoir été, et la réalité diasporique,
n'est pas la réalité de Moïse.
Le Pipik est proposé par Roth
comme le double -le calque?- ignominieux... la falsification du document plus
destructrice encore que ne le serait le document: Pipik met Roth en face de
l'histoire de l'ignominie antijuive, la calomnie, le faux, la rumeur. rien ne
ressemble plus à l'idée de la contamination, de l'épidémie,
que la rumeur et le faux; le corps attaqué est censé détenir
une somme de responsabilités vis-à-vis du fléau... Celui
qui est ridiculisé ou meurtri par la caricature, est toujours soupçonné
d'être plus ou moins responsable de la caricature, la cible du rejet étant
toujours suspectée d'être partie prenante dans le rejet, et le
maître mot de l'exécration solennelle est "il n'y a pas de
fumée sans feu"... On ne peut jamais contredire la la rumeur, qui se
nourrit de la dénégation (irrationnelle par essence, elle peut
toujours faire appel à d'autres justifications irrationnelles contre
la raison) ;j'ai tenté, plus loin, d'observer l'adhésion à
la thématique antisémite sous l'angle de la fainéantise
intellectuelle : peu de choses mieux qu'elle peuvent faire saisir ce que signifie
CEDER à la tentation.
S'il faut de patientes semaines de
discussions pour essayer de convaincre un antisémite de sa folie, avec
bien peu de chances de réussite, un seul discours haineux d'une demie-heure
soulage quelques milliers de personnes d'avoir à faire ce travail sur
soi. Je dirais même : en dix ans je ne suis guère parvenu à
corriger les plus petits défauts de ceux qui me sont le plus proches,
comment voudrait-on que je corrige les pires des gens dont j'ignore tout? Rien
de plus fragile, de surcroît, que la guérison, qu'il s'agisse de
la rumeur ou de la haine : la moindre contradiction peut à tout moment
la faire renaître par le doute qu'elle suscite, avec plus de violence
encore.
La réaction est le plus souvent : laissez aller... Mais la laisser aller
est toujours la laisser aller un peu trop loin ; et hélas, la contredire
est lui donner le poids de la polémique et donc de la discussion ; Le
Protocole des Sages de Sion ou encore la rumeur d'Orléans ont vu leur
développement s'amplifier de cette manière, et ont encore un bel
avenir devant eux.
Malheur à ce monde où
tout n'est que mensonge tendant à s'établir à force d'adhésion
comme vrai, à s'établir comme structure pour que tout le possible
soit le réel, pour que le gouvernement linguistique de la terrorisation
par la paranoïa soit le gouvernement du monde: car tout ici-bas finit par
être vrai...
l
est intéressant de se demander si le Pipik est autre chose qu'une métaphore
littéraire ou historique juive, et s'il ne serait pas, en fait, la jonction
métaphorique des deux pour l'écrivain assimilé Roth....
La fusion désespérée avec cet autre qui s'y refuse complètement,
en éliminant ainsi toute singularité, toute idiosyncrasie, est
finalement la véritable métaphore de l'assimilationisme qui voulut
se préserver en se niant (l'exemple le plus connu étant la frilosité
de l'accueil fait au XIXème Siècle par les juifs français
aux réfugiés hassidique d'Europe centrale, si typiquement incongrus),
encourageant les plus déchaînés de leurs détracteurs
et faisant grossir le nombre des convaincus : ils avaient déjà
perdu, par un désir d'adéquation maximale à la patrie d'accueil,
leur identité spirituelle, ils y perdront cinquante ans plus tard -toujours
accusés de se fondre pour comploter mieux encore- la vie : Pipik, dans
son délire du retour à l'Europe, ne voit pas le retour à
la mort, métaphorique ET réelle :
"Vous savez ce qui se passera
[dit-il] à la gare de Varsovie, le jour où le premier train rempli
de Juifs arrivera à quai? Des milliers de gens viendront les accueillir.
La joie sera immense. Tout le monde sera en larmes. Ils crieront : "Nos Juifs
sont de retour! Nos Juifs sont de retour! Le spectacle sera diffusé par
toutes les télévisions du monde. Quel jour historique ce sera
pour l'Europe, pour les Juifs et pour l'humanité, quand le mouvement
diasporiste aura transformé les wagons à bestiaux qui ont servi
à acheminer les Juifs vers les camps de la mort en belles voitures de
chemin de fer confortables transportant des dizaines de milliers de Juifs vers
les villes et les villages où ils sont nés. Un jour historique
pour la mémoire de l'humanité et pour la justice des hommes, un
grand jour d'expiation." ...
D'expiation, on est évidemment,
en regard de ce délire enthousiaste, tenté d'en douter, lorsqu'il
suffit de trois ou quatre répliques du film Shoah de Lanzmann, pour juger
des dispositions des paysans polonais à l'égard des familles juives
exterminées dont ils occupent désormais les maisons.
"Encore une question, cependant,
une dernière question méchante. S'il vous plaît. Est-ce
que les Juifs roumains qui meurent d'envie de retourner dans la Roumanie de
Ceaucescu font la queue? Est-ce que les Juifs polonais font la queue pour retourner
en Pologne communiste? Et les Juifs russes qui se battent pour quitter l'Union
Soviétique, vous avez l'intention de les remettre dans le prochain avion
pour Moscou quand ils atterriront à Tel-Aviv?3"
A cette question du narrateur, Pipik
répondra quelques chapîtres plus loin, lorsque sera découverte
sa seconde proposition, l'invention des A.A., des Antisémites Anonymes...
ayant testé l'efficacité du procédé sur sa propre
conjointe (on retrouve alors toute la thématique obsessionnelle de la
souillure sexuelle et aussi du fantasme sauvage propre aux nazis) Pipik propose
une guérison maïeutique aux antisémites, par la confession
publique.
e
qu'il y a de très interessant dans la nécessité pour Roth
de poursuivre la fiction, c'est bien qu'il ait dû rendre compte du déroulement
de ces sessions des A.A., en ECRIVANT une des confessions. Pour donner un état
lisible de ces bandes magnétiques, Philip Roth a donc dû écrire
une litanie antisémite ; il a fallu habiter cette rage, comprenez-moi
bien, il a fallu être tendu, plié en elle pour retrouver les reflexes
fulgurants de la haine : coups portés ici contre soi-même... Ce
qui est donc le plus épouvantable c'est que la haine antisémite
et le flot verbal qu'elle entraîne ne soient pas du tout inimaginables.
Même, par leurs millénaires victimes. A n'en pas douter il y a
un moment où l'antisémitisme n'est plus devenu que la forme la
plus paresseuse (la moins inventive) du dégoût et du ressentiment,
le grand brassage ; le tout-à fait et définitivement autre, têtu
( et Roth rejoint Didi Huberman dans cette géométrie de la peur
qui fait confondre la raison avec un appareil moral ), cette métonymie
flagrante de toutes les aspirations humaines à ne pas se voir voyant
: ce qu'il ya de particulier à la désignation du juif comme victime
possible, partout où elle veut toucher selon l'ordre du sang ou du capital,
du déicide ou de l'épidémie, c'est qu'elle doit, en passant,
l'éliminer sans cesse comme juif, puisqu'elle est incapable d'en trouver
un seul qui satisfasse la caricature qu'elle s'en est faite, pour parvenir à
ses fins: il faut commencer par réduire l'être à ce qu'il
n'est jamais, saisissable, il faut terroriser la substance pour qu'elle se replie
et parce qu'elle répugne à être saisie...
Parce que le juif n'a jamais été
tué comme juif, mais comme possibilité du vide qu'il est supposé
représenter pour remplir la poche de l'altérité; le juif
comme autre définitif, c'est: pas de juif du tout, sans quoi il serait
inexterminable (il serait INVISIBLE);il faut, en gros, supprimer la judéité
du juif avant de le tuer, parce que quiconque se serait assez penché
sur le judaïsme ou tout simplement sur l'imperceptible judéité,
quelles que soient ses intentions, pour le repérer, aurait du franchir
les étapes quotidiennes qui lient le juif au monde de Dieu et qui l'ouvrent
à l'appréhension de la mort: et se voyant brutalement dans le
reflet du monde, il ne pourrait plus le supprimer sans se tuer lui-même.
Le soi visible, le soi du discours répliqué, est diminué
dans l'horreur, ou plutôt agrandi dans l'horreur de l'autre, pour réduire
sa propre culpabilité, et, principalement, pour se fabriquer un état
angéligue supposé primal, originel. C'est la forme d'un syllogisme
qui édulcore l'intégration du syllogiste comme producteur d'une
pensée à réflexes, à enchaînements nerveux
: Il y aurait bien encore à faire, de ce côté là,
pour dévoiler la mécanique de la fumée, la causalité
des fumées :
omment
Roth a-t'il donc construit son Pipik? On peut imaginer que c'est l'enflure des
défauts même de l'auteur qui tracent ici le portrait de la névrose
qui le guetterait s'il s'y laissait aller...
L'exemple de la Shoah choisi comme
leitmotive et SEUL événement de la destruction antijuive est symptomatique
des reproches que, sous d'autres formes, Roth a déjà fait à
certains sionistes utilisant le génocide comme drapeau de la légitimité
; Roth se souvient qu'on n'a pas hésité à le traîter
lui-même d'antisémite parce qu'il évoquait le fait que la
destruction des Juifs d'Europe tenait lieu de mélodie d'Etat ; mais le
Pipik, qui est donc cette hyperbole de la culpabilité Rothienne, et contrairement
à lui, n'envisage rien d'autre parce qu'il ne voit que ce moment, comme
s'il était dupe de l'idée de paroxysme historique.La fonction
du Pipik est celle du miroir déformant qui renvoie les détracteurs
de Roth à leur volonté acharnée, au nom du refus de la
simplification historico-politique, de simplifier certaines de ses positions
a-sioniste (l'antisionisme n'étant que la version politically correct
de l'antisémitisme, que l'on peut déceler chez Pipik).
Lorsque le narrateur rencontre son
double, il dit "En imaginant notre face-à-face, j'avais oublié
que, au moment où il se produirait, ce face-à-face ne serait pas
imaginaire". Toute la fantasmatique qui rôde autour du divan chez ceux
qui en sont les plus ignorants, est exactement de cet ordre, et postule l'inoffensivité
-donc le comique- du patient, en oubliant la redoutable fonctionnalité
du discours et du transfert. Si l'on peut lire un nombre de fois considérable,
lorsque le narrateur est face au Pipik "Je m'entendis répondre", c'est
à la voix profonde et terrible, impersonnelle, de celui qui a des comptes
à rendre, dont la voix seule n'est pas encore dans la mort, qu'il a à
faire. Pipik est la version sociale, négociable, de Roth : c'est donc
à la littérature même qu'il renvoie ; ne saisissant rien
de ce mal qui habite la littérature et lui donne son sens et son poids,
il est un cancéreux incurable (et vit d'ailleurs avec son infirmière,
antisémite), là ou le narrateur Roth guérit au début
du roman ; de quoi nous parle cette guérison?
Une phrase du Pipik nous éclaire
: "Vous n'avez pas vraiment su utiliser votre célébrité.
Vous n'en avez rien fait alors que vous auriez pu en tirer beaucoup - beaucoup
de Bien."
On notera donc, surtout, le verbe
utiliser, qui tend si souvent à dire à un écrivain "vous
vous contentez d'écrire", comme si ce reproche négligeait
que la seule viabilité de l'intérêt qu'on accorde à
un écrivain, est justement qu'il écrive, mais l'on notera aussi
l'association fonctionnelle de l'écriture au BIEN (comme si le MAL de
l'écriture n'était tolérable qu'en tant qu'il était
le processus de réalisation du BIEN dans la vie de l'écrivain,
sa démonstration ; ce qui reveint, bien entendu, à nier toute
possibilité à la littérature d'avoir le moindre sens en
dehors de l'engagement physique de l'écrivain).
Pipik finit par reprocher à
Roth d'accorder trop d'importance à ces livres risiblement inférieurs,
selon lui, au but, à la cause. La particularité des prosélytes,
en général, est de vous solliciter sans que vous leur demandiez
rien, pour un objet qu'ils affectent d'apprécier, mais qu'ils haïssent
profondément parce qu'il est voué à leur glisser entre
les mains : votre intelligence est toujours suspecte, surtout si elle est désirée
; ils ne vous pardonneront jamais d'être vraiment ce qu'ils espéraient
que vous fussiez dans leurs rêves parce que, finalement, ils vous voulaient
à la fois intransigeants et complètement compréhensifs...
Ils vous veulent avec eux pour vous neutraliser et vous soumettre à leur
projet. En fait, ils se dégoûtent et ne vous permettrons jamais
de vous en rendre compte sans vous en faire payer le prix.
1) On pourrait,
avec rapidité, y retrouver quelques caractéristiques du rejet
qui correspondent à la typologie antisémite; la production intense
du regard des autres (Primo Levi, à la fin de "Si c'est un homme", en
évalue très justement le pouvoir, celui de donner du sens au point
de pouvoir le retrancher dans le coeur de l'être-même qu'il nie),
et le frémissement de celui qui se terre à l'endroit où
il est le plus en danger, persuadé, à la place de la cité,
de monstruosité. Retour au texte
2) Evidemment, cette définition fort courte,
ne prend pas en compte, entre autres choses, la bipolarité intrinsèque
aux motifs sionistes -Herzl/Terre Sainte- ou encore la fracture propre aux deux
populations -ashkenaze et sépharade- qui vécurent très
différemment migration et installation, et elle sembler n'envisager qu'un
aspect spirituel de l'enracinement en Israël; mais cette bipolarité
constante nous ramènerait assez rapidement au caractère shizophrénique
de cet état, qui est le point central de mon analyse. L'être juif
à préserver, ou le NOM juif, conservation pour congélation
d'un nom réel à attribuer au messianisme, qui ne se voit étrangement
plus que dans la ressemblance de cet état avec n'importe quel état:
Israël est non-juif parce qu'il est un état comme les autres, mais
il ne peut pas être autre chose que juif, étant donné que
seul la judéité a légitimé un jour son apparition
à la surface de la carte. Retour au texte
3) Quand bien même, depuis la parution du livre
de P. Roth, les structures politiques des pays cités ont été
modifiées, il est bien quelque chose qui est inamovible : l'antisémitisme
des nouveaux dirigeants catholico-réactionnaires de la Pologne n'est
plus à prouver, et la puissance des organisations ultra-nationalistes
antisémites russes (Pamiat) fait assez fréquemment l'objet d'articles
et de reportages. Retour au texte
Bibliographie
Primo Levi, Si c'est un homme, Press Pocket
Robert Antelme, L'espèce humaine, Tel
Philip Roth, Portnoy et son complexe, Patrimoine,
La leçon d'anatomie, Folio
Edgar Morin, La rumeur d'Orleans, Point/Seuil
Jakob Katz, Wagner et la question juive, Essai/Hachette
Raul Hilberg, La destruction des juifs d'Europe,Folio/Histoire
Pierre Vidal-Naquet, Les Juifs, la mémoire, le présent,
Point/Seuil
Josy Eynsenberg/Armand Abecassis, A Bible ouverte II, Albin Michel
Shmuel Trigano, La nouvelle question juive,Idées/Gallimard
et
Paul Rassinier, Le mensonge d'Ulysse, Ulysse trahi par les
siens, La Vieille Taupe