I
iroir
ô Miroir, " Ô " je crie, peut-être un
peu fort, sur le ton d’un oh ! réveille-toi ! railleur. Le
trouble que jette la buée à la surface. La décomposition
du visage maintenant, bon, le voilà entier. Je sors. À
classer dans mes périodes de représentation... Trois
fois ce matin passé par le miroir. Pas pour le visage, ni
pour voir au fond des yeux ; juste une mèche, rebelle et
sur le front. Est-ce que le haut du visage peut devenir, pour un
simple rendez-vous, un champ de bataille ? Ridicule. Pourtant je
passe le pont de la gare sans regarder la lumière magenta
entre les voies. Elle brille. Le réseau ferré, compliqué,
à cet endroit, m’est invisible. Trop concentré sur
ce qui me fait sourire ; moins la métaphore que le fait de
la produire. Lawrence... s’il l’entendait en serait affligé,
sans même voir se creuser les rides de mon front et avant
même que je n’imagine les tranchées qu’elles minent.
Avec l’avance, je peux bien le rencontrer aujourd’hui en ville.
À peine onze heures. Depuis six, levé, et le rendez-vous
avec la fille n’est qu’à vingt heures. L’oisiveté
tendue il faut sortir, et marcher, et que cela se fasse dehors.
Mon corps mon esprit, ça ne tiendra pas chez moi. ça
donne quoi ? Des mouvements convulsifs : les mouvements... c’est
bien ce qui se fait entre le corps et l’esprit, et lorsqu’ils s’agitent
de la sorte comment les tenir entre si peu de murs ?
Je
ne la connais même pas. Je la vois souvent sur son lieu de
travail, à la librairie, et rien d’autre. Fin. Elle a — combien
? — mille prénoms : que je lui ai choisis clos par un "
a " ; Alexandra, Rosa, Zouina, etc. Parmi ces milles, plusieurs
ont été imaginés appuyé sur la rambarde
du pont, où mes yeux intensifient et multiplient les cercles
de lumière magenta. Les prénoms se prolongent ou éclatent
une fois chez moi, sur diverses surfaces. Organisation : Un,
me souvenir comment cette prise de rendez-vous a pu avoir lieu.
Je l’ai. Je l’ai eu, mais elle habite une maison et le numéro
de la rue suffit pour la situer. Le mystère de son prénom
: consolidé, et qu’elle mentionne ce fait — en insistant
— a rendu plus trouble encore ce secret. Ses yeux noirs se sont
mis à briller. Je sens l’effet de son regard envahir à
nouveau mon corps. Un grincement strident — locomotives jaunes et
grasses qui déplacent les wagons aux abords des gares — et
je reviens dans le présent. Ne pas se demander d’où
vient le bruit, de quelle machine : la gare est déjà
loin derrière moi. Je pense à Lawrence ; c’est aussi
que je le rencontre ce jour-là en sortant de la librairie.
Je glisse sur l’escalier mécanique, il s’élance sur
l’autre, à contre-sens. Il y a un signe, entre nous, au moment
de se croiser. Content de ne pas le voir de près... je n’aurais
pas pu m’empêcher de lui parler de ma Liseuse — je la nomme
ainsi depuis ce jour-là, juste pour moi, et ce nom ne se
dégrade jamais, comme avec les milles autres. Mille, comme
ces milles chemins qu’on emprunte pour se déplacer... Aujourd’hui,
pas d’itinéraire conçu : sortir, amener dehors ce
qui se bouscule à l’intérieur. Et donner la création
de la ligne qui m’amènera au temps de ma Liseuse au hasard.
La tête : je l’ai pleine de circuits, selon mes états
d’esprits, et j’en connais un tout autre aujourd’hui. Le rendez-vous
me fait plus d’effet qu’elle ou... Incroyable le cambrage ! Je suis
passé où !? depuis le pont, et pour arriver à
cette boutique de chaussures. Une habitude... On ne voit rien. Ici,
et rien qu’en vitrine, toujours au moins trois modèles que
je trouve extrêmement séduisants. Je ne crois pas à
cette cambrure ! Comment en chausser ma Liseuse : je la connais
sans jambes ni pieds encore, à cause du comptoir derrière
lequel... Surgit Louise, une amie, elle a ce qu’il faut pour le
cambrage, et sait se déplacer. C’est ravissant. Louise :
elle a des traits de ma Liseuse et déjà travaillé
en librairie. Imaginer son pied me met en joie, son déplacement
m’allège — en même temps je suis en train de m’engager
dans une série de fantasmes. S’ils prennent ce chemin la
peur va venir avec ces accessoires. Éviter les vitrines à
sandales, les circuits de mules : ne pas emprunter à la suite
plus d’un point de ce qui constitue d’ordinaire ces parcours particuliers
à mon état d’esprit. " Quand " — sur le
ton du " Ô " au miroir —, mais quand et comment
l’excitation et la joie arrêteront-elles de m’alourdir d’une
charge ? Direction droit ailleurs : vers un petit cimetière,
un peu au-dehors du centre. Une rue insoutenable de gaz et de bruits
— la rue de la librairie de ma Liseuse : je sais ce qu’on trouve
sur le sol. Les petits signes des arpenteurs lors d’un récent
état des lieux de la ville : un gros clou, à la tête
arrondie qui déborde du sol et cernée de quatre...
oui, quatre traits jaunes et de chiffres. Combien, dix ? jonchent
cette rue immense. J’aimerais bien rencontrer le dernier topographe
passé là. Non... c’est ce qu’il a ajouté à
son travail qui me plaît après tout : de courts commentaires,
écrits en jaune, comme les traits, les chiffres. Des notes
d’humour dans les repères, deux ou trois mots, simples. Très
drôle de les trouver là. Je sais comment émerge
l’incipit de ce délire. Et où aussi, je ne vais pas
remonter une fois encore toute la rue comme à la première
apparition d’un de ces signes. Comment : " Moteur / Soleil
", et un second — passé —, je n’en sais plus la teneur.
J’approche j’approche, oui, tout juste si l’enseigne ne clignote
pas : " Ici ta Liseuse Ici ". Ne pas entrer : passer devant
est déjà énorme. Qu’est-ce... tout en joie
de lire le " coucou " (dans le texte) de l’arpenteur.
Les entraves les plus irréfutables sont parfois impossibles
à croire : une échelle est posée sur la façade
de la librairie. Un des pieds — non ! — utilise le relief du clou
comme butée. Dessous : le texte du topographe, auquel s’ajoutait
mentalement la voix de ma Liseuse. Leur choeur s’en trouve écrasé.
ça y est ! la façon avec laquelle elle m’a donné
rendez-vous : elle serait " probablement là si vous
venez ", et avec le même mystère que lorsqu’elle
a fait briller ses yeux noirs pour ne pas dévoiler son prénom.
Regard qui a fondu comme une promesse lascive... systole, diastole,
tout le sang se met à bailler : fondre. Voilà comment
on glisse, on s’écoule ensuite sur un escalier mécanique.
Elle sera là, mais ce si, et ce probablement n’ôtent
rien au doute. Du vent dans les branches. Le chemin le plus court,
en insultant le pied de l’échelle et le signe qui vient de
réveiller cette incertitude. Peut-être... peut-être
que si j’étais passé à côté j’aurais
aperçu quelques traits du coucou. Un grincement — les machines
jaunes et grasses. Bon, organisation : en Un oublier la mèche,
rebelle. C’est oublié, comment l’idée leur vient d’installer
des miroirs sur les devantures des magasins ? Putain de clou ! Juste
sur le mauvais orteil... Combien ? encore quatre clous : si je bute
sur chacun d’eux comme ça ce n’est plus la mèche que
je panserai... Sans compter le spectacle d’une chute ! De toute
façon les gens détournent les yeux lorsqu’ils voient
quelqu’un tomber, n’observent plus quand on regarde autour avant
de se relever. Et entre les deux ? Ils jouissent les salauds. Deuxième
partie : ne pas entrer — c’est fait —, ne pas penser à ma
Liseuse : le risque alors est de faire demi-tour... et entrer dans
la librairie. Les bulles des clous : c’est une chance. Je passe
" glop ! glop ! " et " ciao ". C’est le bout
de la rue. Cette place est à chier. Nous traversent des idées
! D’abord la rue de gaz et de bruit et maintenant la place où
elle débouche : identique à la rue mais en concentré
dans 20 fois moins d’espace. Quarante, allez je bifurque. Plus tard
le cimetière... Mylène ! étrange qu’elle soit
dehors si tôt. Et allez... : je ne sais pas, moi, ce que je
deviens ! ça va oui, ça va. Dans moins d’une minute
elle me demande comment ça s’est passé avec Lucie...
" Comment ? ", qu’est-ce qu’elle raconte... ? Troisièmement
: écouter ce qu’on me dit, s’entraîner maintenant en
vue de ce soir ma Liseuse. Mylène s’enorgueillit de maquer
les gens entre eux ; hétéros, homos. Même de
recoller les morceaux lors des bris de la passion. Qu’elle me prête
sa voiture en perspective de Lucie : ce n’est quand même pas
ça qui va faire qu’on retrouve notre ligne amoureuse. On
y est, oui je me souviens de ce type à la soirée,
gros cul, grosse voiture, grand appartement, compte en banque extra-large
: " ... avec Corine, eh ben elle se l’est fait piquer par Carole
". Sa meilleure copine. Ne pas évoquer ma Liseuse. Le
comptoir : elle sourit à quelqu’un au milieu de sa petite
tête brune. Combien de fois ai-je gardé mes questions
— renseignements littéraires —, lors de ses absences, afin
de lui poser, à elle. Et de questions inventées pour
sa voix et l’entendre sans écouter. Penser au troisièmement.
Et écouter Mylène aussi... Lawrence tiens ! Bien sûr
qu’il marche vite. C’est vrai que Mylène ne le connaît
que de vue. En aval du canal... mais c’est la direction du petit
cimetière ça ! Direction : cimetière ou pas
? Si je le vois ce sera impossible de m’en empêcher. C’est
Ma Liseuse jusqu’à ce soir, et après on verra.
Ma Liseuse et mon plan et ce qui, me connaissant, dépassé
ce soir, deviendra : une fille. A part cette histoire simple du
type qui a simplement fait un choix je n’ai rien retenu de ce que
m’a dit Mylène. Elle doit être au volant de sa voiture
maintenant et maudire Gros-Cul : mon travail d’entremetteuse réduit
à néant ! ça dénote vraiment d’une...
Les mecs c’est vraiment... Plus tard le petit cimetière.
L’anglais a le don de me faire parler et ce n’est pas le jour. Donc,
cette troisième partie ; je me plains, et m’en sers aussi,
de cette machine à avaler que forme ma mémoire, à
trier sévèrement, retenir et évacuer. Je me
demande si ça ne passe pas par l’écoute. Trop de choses
à écouter ; concentrer sur certains champs son acuité.
On ne peut s’y appliquer consciemment de manière incessante
: il y a un sujet d’intérêt — ou même une obsession
—, des limites se forment et conservent une part invisible de membrane
entrebâillée. Ce petit monde formé vit sur la
brèche, tendu vers ce qui peut le consolider, l’affecter.
On sent soi-même la tension de ses sphincters, de ces muscles
à la fissure de la membrane. Quant à localiser ces
tensions que ce monde nous transmet... Devenir un Lucky Luke : ne
rien faire de ses dix doigts et, au bon moment, saisir ce qui passe,
mettre en fonction juste ce qu’il faut. Très vite. Rouler
des clopes, adossé. Agir dans la collure. Fumer. I’m a poor
lonesome... bon, pour l’instant j’ai la fuite un peu plus convulsive.
Tu es où là ? — expression offerte avec les portables.
Tu es où là ? Rue des Roses Naines... pas aujourd’hui
: ça mettra trop de choses en branle. Quand je pense à
son regard à ce moment-là... brisée la belle
ligne bien droite de sa frange de cheveux noirs. Fissuré
le visage de poupée : c’est un peu la peau que lui donne
le maquillage qu’elle choisit. L’éclairage de néons
du magasin n’arrange rien. Où est-ce qu’elle traîne
? Dans quels endroits sort ma Liseuse ? Jamais vue hors de son comptoir.
Ses fesses ! Sa tenue debout et comment elle se déplace !
Comment galber son pied de la cambrure des sandales, et des brides
aperçues ? Immobilisée, comment la voir agir ailleurs
? Peut-être on la branche le matin, on la remonte pour la
journée. Qu’elle n’a pas de chez-elle ; une machine à
vendre des livres à des pèlerins comme moi, fragiles
de coeur, une machine à renseignements : " une BORNE
! ". Peut-être un peu fort, " excusez-moi, un café
oui "... il a dû se demander ce qui se passait le gars...
Je sonne et il n’y a pas de murs où s’accroche le bouton
! Pas de maison de murs de nom de fille de cul de jambes de pieds
! Pas de cambrage ! Pas d’orteils pas de langue ! Elle a quand même
quelque chose cette fille : chaque fois que je viens sur cette terrasse
elle passe. Elle habite dans le coin ou... Quatrièmement,
ne pas penser à une autre fille qu’à ma Liseuse. Sans
oublier le Deux : ne pas penser à ma Liseuse... Organisation.
Je dois traverser un bloc de poupées là. Cette terrasse
de bar, j’adore. Elle doit être sans aucun intérêt
d’ailleurs : jamais personne, et la terrasse d’en face toujours
débordée. Bondée, ou débondée
: des gens debout, pas assez de chaises... Terrasse envahie de types
et de filles bcbg, du genre blond et bien Barbies. D’ici au moins
je peux les voir, et les mouvements, les gestes : on s’incline en
retenant un pan de cheveux pour la bise, même au serveur —
qui ne doit plus bander depuis le temps, bien qu’avec ses postures
de visage elles doivent y croire. Le cadre du spectacle : la place
en entonnoir, côté siphon pour mon point de vue, peu
de véhicules ; les colombages des façades qui dominent
le bar de blondes, le bord des maisons tordu... Qu’est-ce qu’ils
fichent en face ? À ma terrasse : personne. Au-dessus de
moi : rien, et je dois me confondre aux chaises et tables sans signes
particuliers. Tranquille. Aller voir de près comment elles
sont chaussées, un jour... écouter dans quel langage
et sur quel ton on s’exprime... Les remercier pour le tableau qu’ils
m’offrent : virer la statue qui surplombe, sauter, me présenter
: " James Blonde, le Spécialiste... ". Je vous
remercie pour le spectacle que... Plus tard. Le bar de blondes est
fermé à cette heure. Le cadre est là et prend
tout le vide. Peut-être ce soir à l’heure de l’apéritif
: la statue, le saut ! Cinquièmement : me vêtir des
fringues de la statue pour discourir. Pas mal, un petit galop d’élocution,
juste avant 20 heures ! Non, cinquièmement : rencontrer quelqu’un
avant ma Liseuse pour me délier la langue, la chauffer. Des
jours entiers où l’on prononce " une baguette s’il vous
plaît ", rien d’autre. Un pain Polka. Des clopes. Une
chance que se perdent des parts de mon plan à mesure qu’il
se fait ! Vocaliser donc, et en Six : ne pas trop segmenter mon
programme, y insérer trop de parties.
L’espace,
le temps... Leurs tremblements convulsifs... Les visions presque
hallucinatoires qu’on fait naître ensemble... Temps et espace,
eux aussi agis de segmentation, surtout en ville. Ce qu’on ressent
un tel jour approche du sentiment d’angoisse qui envahit lorsqu’on
est frappé d’infidélité amoureuse ; prison
et prisonnier de ces deux idées, et des obsédés
d’images — des concentrés d’hallucinations — qu’on ne contrôle
pas. Impression d’accélération dans le ventre, par
les trous qui s’y font. Tout le corps se transforme et n’est plus
doté alors que de muscles striés, aux stries mal réglées
entre elles. Une seule différence entre ces spasmodies :
il y a un objet et un objectif dans la présente fuite. Le
rendez-vous, l’heure du rendez-vous : censé annuler la segmentation.
Quand, " mais quand ? " et comment l’excitation et la
joie arrêteront-elles de... Septièmement : se lever
vite et se déplacer, et tuer ce septièmement. Chouette
redingote ! " Je tiens à vous remercier... ". Pour
troubler les distances, propager du flou dans le temps : une solution
d’alcool. Drôle de chimie ! Désinhiber les muscles
striés ! Faire dérailler les segments ! Un désastre
d’idée : l’haleine sera déplacée. Sans compter
que les odeurs, comme le regard d’onyx de ma Liseuse, éveille
selon les esprits un monde particulier. Et puis : quelques verres,
rencontrer Lawrence, les relents d’intimités qui se dévoilent...
La joie de lui évoquer le rendez-vous... Et après
: l’abattement qui suit les fuites. Comment est-ce arrivé
? Je me demande si c’est le genre de fille qu’il me faut : un modèle
que j’ai aimé il y a quelques années, mais aujourd’hui...
Tu es où, là ? ça ne passe pas... Je te rappelle...
je te rappelle la partie Deux : ne pas penser à ma Liseuse.
Rebelle et sur le front ! Et le grand champ de bataille ; la ville
où je me déplace, plaie à la recherche d’un
corps aux balbutiements que traverse encore le désir ; trous,
l’Anglais, l’alcool, éviter ces accélérations
incontrôlables ; muscles striés en pâte de chair
foulée en chaussures à brides ! Par où suis-je
passé pour repasser devant cette boutique ? Allez ! Le petit
cimetière, et avant passer voir le camélia : ça
me fera gagner du temps sur l’Anglais. Un quartier dévasté,
frappé de démolition, des engins à chenilles,
à godets munis de crocs, un quartier de jardins où
il ne reste que terre dure et presque blanche. L’herbe ne passera
pas ! Pourtant, sur une colline meuble oubliée d’une grue...
On a investi ; on construit. Une, deux, trois années : ruiner,
rendre désert et construire. Transformer, et au milieu :
le camélia. Toujours là ! À fleurir, mauve
pâle contre ce jaune des engins gras que les chenilles n’approchent
pas... Comment ont-ils pu laisser passer cet arbuste ? Il est là.
Voir s’il est là. Exorciser le coucou de l’échelle,
cette voleuse de nid ! Est-ce la saison fleurie ? La fuite d’un
camélia sur la boutonnière de la redingote empruntée
à la statue sera du plus bel effet... Un peu de la force
réfractaire du front végétal, ça aide
: " Coucou ! C’est moi, Blondes ! James Blondes. Je vous remercie
pour... ". Le rendez-vous, je vous remercie pour le rendez-vous
mademoiselle ! On jouit sur des types qui chutent dans la rue, et
ceux qui y rient solitaires sont méprisés : mouvement
retranché de la tête, expression de méfiance.
Je ne vais pas te sauter dessus mamy ! Pas s’inquiéter Jane
! Déjà oubliée... mêlée au monde
où s’est éteinte l’insoumission de ma mèche...
Mademoiselle comment ? Y aura-t-il un nom dans le rectangle et un
prénom derrière la sonnette ? Un corps et le bruit
d’une voix ? Quelque chose comme une Liseuse sans qu’un comptoir
nous entrave. Il est bien là. Je me contente de sa vue d’ici
ou je vais jusque là-bas, à toucher ses fleurs mauves
? Avec le temps passé sur place c’est vingt minutes encore
sur l’Anglais... Il en est passé sous les ponts depuis tout
à l’heure, l’époque où Mylène m’a dit
l’avoir aperçu. Un peu d’histoire : cambrages, déserts,
grand discours sur la place en entonnoir, guerre, joie qu’on rabat
sur la folie, chimies, opérations sur plan... Accélération
dans un flot d’insultes — taré ! va — déversé
d’une vitre : quand les êtres humains deviennent automobilistes...
quand les porteurs de portables nous demandent où l’on est
alors qu’ils appellent un poste fixe... Accélération,
déformation... J’y vais. Il faudra revenir sur mes pas :
c’est ça aussi qui fait hésitation. Bon, c’est juste
un petit décroché vers une poche, le long des galeries
creusées depuis ce matin. Moins la beauté de l’arbre
que celle du signe, et aussi moins la représentation que
l’intensité du vestibule. Pas même une invocation :
juste s’appuyer sur la rambarde toute proche, regarder l’eau, regarder
l’arbre. Je pourrai même m’accorder un petit souvenir lointain
; deux. Pas plus. Toucher l’eau ça aide : mettre un peu de
la main dans de la mort. Pourquoi de la mort ? La fille peut-être,
la noyée dont les cheveux... dans le courant.... Est-ce le
même mythe qui me travaille sur le pont près de la
gare ? Le fleuve à double courant du réseau ferré...
reflets du métal... et comme chevelure végétale
la petite lumière magenta ! Cueillie. Présentée
à la boutonnière de la redingote ! Mieux qu’un camélia
! Cette lueur, vive, éblouit modestement. " Afin de
montrer la joie qu’a fait naître votre invitation, j’ai fait
glisser un peu de la mort qui passe à ma boutonnière...
". Très bonne idée : le magenta pris des voies,
j’arrive à la porte, appuie sur le bouton. Signal : la cloche
électrique retentit... Le flux s’arrête, ma Liseuse
arrive à grande vitesse. Avec " Oui... ". Elle
est là ! Tout de suite : regarder comment le cambrage aperçu
peut jouer dans ses mouvements. Si alors je pense à Louise
c’est que ça ne fonctionne pas. C’est un bon test. Septièmement
: valider ce test ! Le petit cimetière maintenant ? Et fixer
ce que la rivière charrie depuis tout à l’heure. Une
oraison peut-être : " en ce jour de discours, je voudrais...
" ! Redingote. Etrange que je me remette en mouvement sans
que quelque chose d’extérieur ne vienne me le souffler ;
comme un grincement strident, une vision qui me traverse. Plutôt
ce genre d’action qui m’agit d’habitude... C’est vrai qu’aujourd’hui...
En tout cas, le bruit de la peau n’a pas changé ; chaque
fois je me demande comment ça se fait : on marche, on laisse
glisser la main sur le métal lisse d’une rambarde, et le
frottement ! On dirait que la paume est devenue dure : la peau,
le métal et le déplacement, le ton du frottement ne
les rappelle pas. Est-ce que je surveille les accrocs qui pourraient
surgir ? Je ne crois pas. Vérifier ça un de ces jours.
Cette eau est vraiment glauque, à débouter le Narcisse
aux rêves empreints des plus larges étendues d’huile.
Miroir, Ô miroir, l’impossible est à la mèche
ici ! A l’endroit de cette impossibilité pousse la gentille
chevelure noire de ma Liseuse à frange... Dire que j’aime
l’onyx et le geai... Faire de sa peau blanche des guirlandes aux
Furies ! Je vais m’étioler ici, allez ! Trois minutes et
je suis sur l’autre rive. Combien ? — une, deux, trois... en quelques
brasses j’y serais déjà. Pas de rambarde de l’autre
côté : de hautes herbes, un talus jonché de
plastique et de métal qui rouille, encore de la végétation.
En grosses mottes : elle empêche de voir la surface du trottoir
et, non ! Lawrence !
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