Olivia BLONDEL
dédicaces

Ce texte a été publié dans La Parole Vaine N°8. Il est à ce jour la seule fiction d'Olivia Blondel.
Venez aussi consulter la page consacrée à son travail plastique.


 
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her monsieur P.M.

 

ette lettre aura certainement de quoi vous surprendre; peut-être même que ses propos vous agaceront. Mais je ne puis faire état de ce qui me détermine à vous contacter aujourd'hui d'une autre manière qu'à l'aide de ce courrier.
        Il n'est pas impossible que vous trouviez hardie la façon dont je m'adresse à vous: lettre longue, importune et pour le moins brutalement rédigée. L'auteur vous en est inconnu, soit: je prends sur moi les risques d'une telle entreprise; s'il s'avère que j'ai eu tort, je serais la seule à en être punie, en sachant, moi, ce que je peux y perdre. Mais j'espère de vous une réponse.
 
 

ela fait maintenant quelques années que j'observe votre travail pictural, avec un intérêt croissant. Et si j'ai souvent hésité à vous joindre, c'est que j'étais probablement peu sûre des raisons qui auraient du m'y pousser: j'ai récemment eu l'aubaine de me confronter à la dernière série en
date de vos "autofictions". Douze planches de bois sales et salies, blanches, inscrites et triturées en gravures, bavures et dessins. Signées.
C'est le lieu de vous confier ce qui m'interroge.

e me trahirais d'abord en vous parlant de ma petite enquête, concernant les rapports que vous entretenez avec Vincent Vaillant. Enquête qui, il me faut le dire, n'a pas tardé à tourner court: le peu de renseignements extraits de mes recherches sembleraient bien pâles en regard de ceux
que comportent vos travaux, si je n'avais eu la chance d'obtenir une copie d'un texte écrit par V.V. J'ai néanmoins échoué dans toutes mes tentatives de vision: il paraît n'exister aucune trace accessible de la peinture de ce monsieur. J'ai obtenu des archivages une seule date (1960) correspondant à l'année de sa mort, comme à celle de la rédaction du fameux texte. Impossible donc d'assouvir ma curiosité...

 e présume n'avoir vu qu'une partie de votre travail récent et je ne chercherai pas à en circonscrire les intentions, ni à en compiler le sens. Compliqué à faire entendre, il aura fallu que je me perde au sein de l'espace démesuré qui sépare le spectateur de son attention, soit, du lieu que
vous délivrez: sans exemple, il ne peut être reconnu et mon regard fuit votre avancée; avancée du pas-un-seul, rien ne vous échappe. Tandis que je tente de vous suivre, vous et vos signatures. D'abord la vôtre, Pierre M. doublée du monogramme V.V, élargie par V.Vaillant, mais sépa
rée d'une lignée ressemblante, d'une descendance que je ne mesure pas. Et le pas du pas-un-seul, celui de votre nom, est hors de proportion. Le pas à la limite où ça ne touche plus, passage qui ne se mêle de rien (ce que je regarde n'est pas mon affaire, me direz-vous et pourtant...) Et le discours que j'en étire, j'entends qu'il ne touche à rien, qu'il vous laisse seul, resté muet, au bout du compte...

omme vous refusez de toute évidence la mise à plat, la cohérence débridée d'un espace unilinéaire, la place est autre. Diverse et nommée à n'en plus finir, panoramique, dont la ligne horizontale reste en suspens, interrompue. Forcément: son parcours n'est même pas fléché. En
core moins pourvu de cadres. Les règles sont multiples, tout juste déterminées par une courbure rétinienne prenant ses aises. C'est, à première vue, ce que j'ai pu penser. Le désordre apparent n'a rien de confus; votre trait est sûr, l'oeil s'y accroche mais se voile dans ses accoutumances (il ne s'agit pas ici d'histoire): celui qui regarde n'est pas ce qu'il regarde. Soumise à ce moyen du regard, arc-boutée et trahie, menant l'enquête imaginaire, il n'y a pas d'oeil à l'intérieur de l'oeil pour voir ce que l'oeil voit.
          Aussi, ne vous trompez pas sur ce que j'ai à vous dire: le goût que j'ai pour vos spéculations peut en passer par là.
Votre travail m'obsède. Parce qu'il met le mien en cause, sinon en condition.

e viens et ce n'est pas vous qui me le faites dire. Entendez par là, celle qui s'adresse aujourd'hui à vous ne peut demeurer impassible, même si elle a su rester calme en pensant le déroulement de sa phrase, mimant sur feuille le sens inscrit: je n'en soupèse pas la portée. Mon propos manque de limites, le contexte s'étiole avant de s'être entamé... Distorsion, par exemple, entre tel et tel mot, limite et cadre. Seulement je viens et vous annonce: -"votre travail m'obsède". Vous ne comprenez pas, mon intérêt vous est étranger. Traduisez les hypothèses. Moi, je n'en finirais pas de traduire.
        Pour autant je subordonne votre art à ma parole, à la nomination qui en forme l'appel. Je me demande ainsi ce que peut dire une oeuvre plastique en soumettant vos productions à l'autorité d'un discours. Et si vous êtes capable de patienter un peu, d'accrocher sans guillemets les abords de la page, vous saurez que je ne veux pas dominer cette situation, ni en exfolier les sens. Même si vous vous servez du langage pour accomplir le simulacre narratif de vos "autofictions", les mots ne gagent en rien le mode du constat... Mais en tant que signataire, vous êtes responsable et vous en engagez plus d'un, à certaines promesses.
        Je souscris au promis.

e me demandez pas d'être sincère; personne n'exigera de moi plus de sincérité que moi seule. Mais vous me rappelez la gravité de l'enjeu: ce que permet la signature et ce qu'en retour elle offre.
Vos autofictions délivrent signatures et monogrammes: votre nom s'y mêle d'un autre, prêtant alors vos dires et faits aux siens, avant la réciproque; mais n'est-ce pas toujours votre main qui en décide l'écriture?
         La signature opère, n'est plus seulement signe, point final marqué, mais pose la pièce maîtresse de ce qu'elle donne sans savoir qui elle donne. Opérer l'exposant au hiatus: l'ouverture émargée, l'inégale solution de continuité dans la trame. La signature émancipe le produit sans
que jamais cette production ne puisse se passer d'elle, quand bien même elle ne fait que cela, parce que le produit n'a plus besoin d'elle pour fonctionner.
        Elle en est le fonctionnement.
        Aussi, rien d'étonnant me direz-vous, à ce que la contagion circulatoire, la fausse équivalence du rapport entretenu à deux noms (qui ne cessent de s'ajouter, s'alliant parfois au trouble d'une authenticité indécidable) ne puisse me résoudre à imaginer les liens multiples qui nouent deux
individus, n'ayant pour moi d'autre existence que cette fiction par vous tissée. Qu'en est-il de ce brouillage cryptographique perpétuant son ajustage, d'une personne à l'autre?

os planches marquées de graphes monomaniaques oscillent entre la narration propre à la bande-dessinée et le carnet de bord, le brouillon d'un journal intimement désuet ou grave, la note d'atelier jetée, emportée et ironique, que viennent ponctuer les images, dessins, collages
et autres illustrations, tour à tour signés P.M, V.V, pour que je me sois prise au jeu du délit, cherchant à lire, sous chaque citation, note, bribe inscrite, la marque apposée qui permet d'identifier le fragment; mais peut-être suis-je profondément hors-sujet?
        Peut-être que ma pratique picturale et le jugement que j'en ai ne sont qu'accoutumance à une série de sacrifices faisant jaillir dans l'appréhension de votre propre travail tel élément aux dépens des autres, aveuglée que je suis, pour y trouver une valeur disproportionnée du partiel, de la partie signifiante qui m'incombe et me concerne; alors que vos intérêts sont ailleurs, ou plus larges et même différents...
        J'ai beau me signer en visant l'unique, ma peinture n'en reste pas moins muette: du moins peut-on lui faire dire ce que l'on veut... Mais toute signature est une adresse, un dû.
J'attends que vous m'en parliez.

                                            Frédérica MENS.
 

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e trouver à la fin nommé, dénommé, au travers d'une langue qui toujours a su nous rappeler à ce nom, cette langue que l'on veut faire sienne, par excès de choix, justement lorsqu'elle file, nous double, et qu'il est difficile de se préciser, d'ajuster son vocable auprès de ses intentions,
ce nom confié s'émancipe d'un discours qui le fait devenir nôtre. Je m'efforce de recouvrir un nom et cet effort maintient ma chute inscrite, à trop vouloir m'excepter: lissage, peu à peu, d'une pierre d'angle jusqu'alors inaccédée. Celle que je pose. Exhaussant l'inscription d'un filigrane,
l'ajustement est exhaustif: signer une page, vingt pages... Tout un ouvrage... Ouvrager après d'autres, textuer et re-tracer un filigrane déjà transcrit; découverte qui a l'âcreté du calque: écrire en transpirant la marque infinitive, à claire-voix de lecture.

e tombe souvent... De pas très haut; des angles où je m'accroche, des pierres et des pierres, des signets balancés entre cette page et l'autre, entre mon nom et l'écriture, fil indécis d'abord, puis tremblé, jusqu'à ce que je trouve son lieu d'inscription: proposition en perte d'accoutumance, renouvelée.  La parole donnée pèserait-elle le poids d'un nom? D'une autre pierre?

omme toute, les mots s'arrangent du sens que ce nom veut leur donner... Et si ce nom-là peut, à lui seul, signifier, le langage n'en reste pas moins l'augure accompli de sa propre exubérance. Car il y a des restes qui officient dans le texte: les filiations s'empressent continûment de se trahir.
         Depuis le premier mot lâché, endossé jusqu'à entraîner le texte entier dans son engorgement, l'articulation en signera le morceau, attestera le greffe, la prothèse rapportée, poussée à soi, liée, cousue dans sa tessiture même, avant d'être relayée par chaque lecture: c'est toujours un autre texte. Relisez le même et vous en lirez un autre... Inépuisable, la mécanique est sûre, car on ne produit pas impunément de sens sans y laisser ses fins.  Pas de peine perdue, non plus de simple aveu: l'effort s'engage en dehors des frontières confidentielles et l'aveu n'est plus le même selon qu'il reste mien ou que je le destine à être lu.

osant ses mines où on ne sait les attendre, sa lecture ploie sous le décalage de ses consomptions: parcours d'un oeil exercé, en possession de ses moyens. Il reproduit la trace, corrige la matrice fictionnelle en brisant le silence, atteint ce qu'il n'obtenait pas, tel ce qui est tu dans une parole jetée, empêchant toute assimilation éloquente... Loquet et locutions... L'aveu résiste, mais c'est toujours au travers d'une autre porte, d'une fracture du verrou que je n'ai pas désiré.
        Pourtant j'accepte et contresigne le fragment, le passage entrepris, escripture à la clé... Le long d'un itinéraire tracé: le texte déjà s'écarte du travail de traçage qui provoquait l'itinéraire même, de sorte qu'il ne sera jamais plus qu'inabouti. Je traîne son deuil, à rebours. Rebrousse-page et frappe inscrite, sa trajectoire concorde inévitablement à son décalage supplémentaire. Si j'en décide la constitution, la lecture en offre une nouvelle. Projet sapé dès son écrit, puis cultivé à plusieurs voix d'après lecture. Pourtant, mon calque est bien signé et le papier souvent désengorge l'encre: savoir disposer du monde en raison de son absence est une tentative de la fiction.
        Et c'est de cette absence là dont il est question: je ne connais que le monde dont je verse l'encrage, broyant l'encre d'une langue de pierre, extraite, à force d'impouvoir... Début versatile, ténu, prêt à la souffler, amplifiée d'un choix, propre ou défini. Signée. Enfin signée, prête à consommer, scripteur et lecteur révélant ce qui est sienne comme leur: lieu choisi en place offerte, béance surdouée. A me tenir là, imposer l'insert, en "je" subtil, ignoré, invisible, afin d'intervenir au moment opportun, tel celui qui reconnaît une qualité inaltérable à la considération de son texte... L'identité.
Instant de paralysie, chant du bouc, dont la portée signe le décapage impératif: pas de terre natale, ni d'ancrage supposé.  J'y gage et aiguise le monologue, épiant le souffle des mots comme une force dont je fus l'absent; souffler l'absence posée d'une pierre, aubaine de l'exception, de
mes persistances avouées, nommées... Persifleur assouvi, repu jusqu'à la prochaine... Excepté moi, substitué à toute autre forme d'existence: à ne plus dériver, anonyme. Etre caustique... Authentique, pour posséder un nom propre; posséder ce nom pour en être possédé. Eigentlich.

ier son Eigen, indice d'un écart des traînées; ma tête est comme une gare: setzung, suspens, lieu de départ, de traverses et d'arrivées.

ose des sable, aux quatre points et sur les bords. Le monologue se dispense de censure. Mes vents à moi s'y engouffrent, énoncés à ne plus être les traces errantes, indifférenciées: la transaction s'annonce difficile; le lecteur pourrait prendre le pas d'un mauvais pli, déjouer mon singulier, l'infirmer pluriel... En duo désaccordé, réajusté d'un brassage actif de l'oeil, la pierre n'est plus celle que j'ai posée; fendue, éparse, cailloux... Gravier digestes, ma langue est comme de bois: suintement des pronostics, logique en cercle vicié durch ein drittes, articule à rétrocéder au sens commun; commune vertu du tiers, ressacs en spéculations dialectiques...
        Parole d'écho falsifié. Texte à boire, comme on siphonne les réservoirs.
        Organes pour demander, mes yeux placent cette image au mur: pour un témoin suffisamment éloigné, la pierre de charbon délivre le contour sans montrer le point de son départ; le tracé fuse à la face, aveugle des retraits qui forment la figure. Le témoin peut y jeter la première pierre, ce n'est que son visage à lui qu'elle trace

                                        Vincent Vaillant. 1960.
 

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intements aigus, répétés, entrecoupés de silences... Pierre est tombé.

De la jointure téléphonique; coup de fil tendu, au long duquel sa voix s'est faite celle que je lui avais improvisée. Elocution saccadée, incroyablement rapide dans ses élans, cédant parfois le temps à des secondes hésitantes, soigneusement déliées pour enfin poursuivre le flux de son langage. Cet entretien fut écourté: juste l'occasion de se présenter (-"Pierre M. à l'appareil") et de m'imposer le jour, l'endroit, l'heure d'une entrevue. -"Oui?"
        Je dus m'incliner... Et penser que Pierre était déterminé à ne plus souffrir mes interventions.  Nous avions rendez-vous dans un bar, un de ces lieux propices à l'immersion, où l'anonymat suffit à entamer l'inconstance des discussions. Mais je savais de qui nous allions probablement parler. Pierre sut donc m'allouer quelques instants et je pouvais l'aborder. Je veux dire qu'il se rendait accessible, présent, même si j'étais incapable d'évaluer à quel point le simple fait de le voir sèmerait ou non un trouble: la seule perspective d'enfin lui adresser la parole brouillait toutes mes suspicions. Je lui ferai entendre ma voix pour l'écouter s'attribuer un droit d'auteur, ça lui revenait.

on obstination à espérer de lui une réponse soutenant les obstacles qu'imposent deux signatures pour une même oeuvre attesterait le caractère de son travail. Du nom propre au nom commun, la signature comme ultime effort d'assignation aurait à décliner son manifeste, à se dénoncer. Aussi, comment trancher?... Lorsqu'un émargement tient à la fois d'une expropriation et d'une réappropriation, comment savoir quel est celui qui décapite l'autre? Pierre M. ou Vincent V.? Il n'empêche: Pierre prenait sur moi un ascendant toujours plus marqué...
        Depuis je m'apprête à le croire résolu, énervé d'avoir à confier un secret; celui dont je connais les deux termes sans pouvoir encore préciser le signe qui les sépare ou les ajoute. Equation insoluble: je crains qu'une telle activité n'ait jamais existé. J'apprends cependant à devenir patiente, à ne rien brusquer, pour éviter de dissoudre le peu d'à-propos de mon discernement. Et au point où j'en suis, je doute de sa contenance, car jamais Pierre ne prit le risque de m'écrire.
C'est pour lui la pire chose à faire, le moyen affreux d'envisager des relations supportables, et le silence qu'il m'a jusqu'alors adressé confirme sa crainte des mots que je lui envoie, régulièrement, sans retenue.

omme pour s'excuser -cela ressemble plus à un désengagement- il m'affirme écrire le moins possible, bien que la tension qui s'exerce en lui à la seule idée d'y être obligé soit extrême. Mais je n'ai aucun mal à songer qu'il me reproche une mise à l'épreuve, l'exposant à la tâche composée de mon infiltration, tout en le laissant croire que cette tâche saurait, tôt ou tard, limiter mon intrusion.
        Moi, intrus... Il ne peut que s'en inquiéter, finissant par haïr les enveloppes à lui destinées; colle moite du papier plié (pliure indésirable) peut-être même qu'il ne les ouvre plus, excédé d'avoir à déchiffrer mes envois, parce qu'ils attestent trop copieusement mon intérêt... Il a pourtant ravalé ses silences, en prenant l'initiative de m'appeler; incapable désormais de se départir de l'attention que je porte à ses tentatives de fictions.
          Pierre est déjà là. Scrutant amplement son verre, comme si les yeux s'énervaient à décrocher la pellicule humide qui le recouvre.  Concentration des gouttelettes en surface, lui en fixe les transparences; moi je reste un bon moment à l'observer du dehors, épiant tranquillement de derrière les carreaux et prête à discerner dans les traits de son visage la moindre alerte qui aurait pu me faire retourner sur mes pas. Pierre soudain lève la tête: aucun signe tangible ne m'obligerait à reculer.
 
 
        "Rendez-vous au café T. Samedi, vers dix-sept heures." J'en apprends tous les jours... Elonga tion du discours, au fur et à mesure, fuyant toute croisée des regards. C'est comme si je m'éloi gnais, peu à peu, tenue par Pierre à l'écart, exclue des solutions de l'énigme... Demeurée quasi muette; lui, il parle; moi, point minuscule, rétréci, réfugiée en exil. Contre- offensive en chuchotis mal digérés, réponses hors-sujet, rencontre avortée: je ne sais rien de plus, rien de trop. Pierre s'interdit mes projections, prenant les devants, préparant le terrain, m'affirmant que celui où je pose les pieds n'existe pas... L'affaire est sérieuse! Je lui échappe, il veut m'évincer. Ressenti ments, sabotages, le code allégorique en direct: -"Non, vraiment, le code ne regarde que moi."

ierre a su me regarder... Avec commisération. Maladresse confirmée, approximations:
"Laissez-moi vous freiner. Arrêtez là."
 
        Il m'observe maintenant de biais... Pas prévu au programme! Ce qui m'arrive à ce moment précis, impro, explication faussée: il y a maldonne.

        Je me console naïvement, juste pour me dire qu'il y a là un problème de vocabulaire...

        Jolie foutaise... Idiotie calculée pour préciser mes attentes, mieux vaut repenser la mise en scène, repasser le script, songer qu'après tout, c'est Pierre qui m'a téléphoné.

t qu'il le confirme ou non, c'est bien d'un appel dont il m'a gratifié. Appel qui résonna, du moins jusqu'à aujourd'hui, comme une promesse; même si la stupeur d'entendre son nom me saisit de qui j'avais affaire, et sans que je n'ai pu articuler d'autre mot qu'un "oui", la ténuité de ce "oui" est l'inversé de ma précipitation, anticipant la préparation d'une réponse; et cet appel m'avait semblé constituer la preuve éperdue, le nom qui demande une contre signature à l'autre, l'injonction suppliante d'un contreseing.
         Je me mentais..
 
                     Frédérica Mens MENT. Elle ment sur V.V. Ment: de mentir (Lat. mentiri), v.n. Dire un mensonge\sans mentir, en vérité, à dire vrai\Mentir à Dieu\Je ne mentirais point au Dieu de vérité\pour rendre le démenti plus offensant, Frédérica dira: -"il en a menti par la gorge" ou bien:
-"vous avez fait mentir le proverbe" ou bien: - "vous avez fait une chose improbable selon les opinions reçues" ou encore: -"se mentir à soi-même\se mentir réciproquement" et plus: -"les marques d'un livre ne sont pas strictement tranchées". Car au-delà du titre, du premier mot à la signature, d'une configuration qui l'autonomise, le texte s'en envoie d'autres, se renvoie à d'autres. Mens ta langue... Frédérica... Constituant un appareillage de lois qui autorisent... L'infini  des performances: Vaillant (ll mouillés. anc. part. Prés. de valoir) le fond de bien d'une personne... Son capital\tout le vaillant d'un homme\adv.il a dix mille francs vaillants\Elle se demande ce que peut valoir la dénotation d'un texte par un nom propre: le nom de l'auteur présumé dénote t-il unilatéralement un texte publié: 1- sous son nom, un ouvrage édité: 2- sous un pseudonyme, un autre trouvé:  3-par hasard (posthumement imprimé) où à l'état: 4- d'ébauche?

ierre n'a jamais rapporté l'instance de l'événement textuel à des composants de synthèse purement psychologique (bla-bla biographique, intentions d'auteur, obsessions personnelles, formes de son âme, etc...) Ni aux marques qu'il avait pu retrouver gravées, ailleurs. Pierre: (Lat.petra), corps dur et solide, de la nature des roches, qu'on emploie entre autre pour bâtir \il n'y reste pas pierre sur pierre\ un coeur de pierre\ pierre d'attente\pierre angulaire\pierre de taille\pierre philosophale\pierre lithographique\pierre d'angle\jeter des pierres\faire d'une pierre deux coups\pierre figurée\figurale traits tirés et bouche cousue, Pierre reste-chute de l'un dans les reste-chutes remarque et signe V.Vaillante petite Frédérica    reste    entre deux     effets de littérature (au vol des mots) entre les noms et le verbe à-vau-l'eau entre l'énoncé\le discours est autre chose qu'un ensemble de signes et même les grammairiens accordent aux groupements d'éléments linguistiques le statut de phrases sans qu'ils soient correctement construits pourvu qu'ils soient compréhensiblementinterprétablescommenarbregénéalogiquepeutêtre1énoncésansêtre1phrasecarc'estunefonctiondexitencequiappartientausign
         "Au demeurant, j'ai en horreur tout ce qui m'instruit sans augmenter et stimuler de façon immé
diate mon activité"    - Frédérica Goethe -.
 
 

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 aire d'une pierre deux coups...

         A Vincent Vaillant.
 
         Pour oublier l'auteur, je signe: l'oeuvre s'attarde à se penser.
Dévouement nécessaire?... Je manque d'humour. Spéculation maîtrisée? Je n'emporte malgré tout que son aparté tragique... Monodie imprononçable, uni-tragédie au scénario monoton que je suis le seul à jouer, m'y acharnant.
        C'est sûrement ça qui me plaît... D'en remplir tous les rôles, d'en rédiger les contrats, d'en omettre quelques lignes, pour être mon propre souffleur: auteur, acteur, habilleur...
Difficile exutoire. Quotidien play it again. Exercice nébuleux au gré duquel je saisis une réalité dont l'emprise désastreuse a l'amertume du trop peu.
Et pourtant, je me surprends à en être changé, de part en part.
        Comprenez-vous cela?

ors de toute ébauche, de l'élaboration méthodique m'amenant à décider sa conclusion passa gère -elle est conclue tant qu'elle n'est pas montrée- et une fois tranchée: je n'y reviendrais plus. Au-delà d'une touche finale, je suis l'étranger de ma propre production...
        Le père et l'étranger... L'inversé du miroir: je manque de m'y reconnaître.
        L'itinéraire accidenté de ces trafics, j'en deviens l'homme averti qui se dédouble, le donateur occulté: Libre à vous d'investir le fragment, de remettre à plus tard l'origine pour en désenclaver les fictions... Perpétuer le rapt...
Mais c'est donnant-donnant, semble-t-il, puisqu'on veut me convaincre que mes autofictions prennent sens en augurant l'interrogatoire de l'individu qui s'en trouve demandeur, par tie-prenante... Comme s'il s'agissait de posséder quoique ce soit. La fiction, par exemple: Non, je ne peux pas peindre ce que je veux. La peinture n'a pas tous les droits puisqu'elle est étroite ment surveillée... Divulgation du secret... Initiation.

e risque étant de révéler des noms plus authentiques que les vrais.
Si une personne venait à moi concéder le trouble, contrarier l'imminence de ma solitude, au nom d'une empathie insurmontable, admettrais-je mon impuissance à la dissuader?
Je m'imagine prêt à crever d'orgueil pour mon barbouillis graphique. De là à supposer que les flatteries médiocres et autres exergues condamneraient mon silence, il y a plusieurs pas: Autant se débattre dans le vide.
Quoiqu'il en soit, j'en respire le danger: L'intrus habile serait à même de ruiner mes projets d'aménagement...
        Et je crains plus que tout le critique, le regardeur coutumier des formes basiques, digérées par l'appétit du prêt-à-porter artistique patronnant ses petits ensembles de sens, qui lui donne l'illusion d'une élaboration théorique. Rapiéçages stylistiques, s'ajustant aux doublures: détourne ments de vestes... A chaque voyage.  Problématiques in, soucis du siècle... Subversion garantie et avant-garde à tous les fronts!
On sabrera le champagne... Le jaugeage des peintures: ENCADREES.
Moulures en jugements détentrices du grand secret des chefs-d'oeuvres, hypothèques misées sur mes facultés virtuelles jusqu'au recouvrement de mes gestes... A venir.

e type d'anticipation renseigne, m'apprenant ce que je ne suis pas comme ce que je devrais être. Tous s'y connaissent en matière d'Art, excepté moi, à qui le premier venu s'octroie la gageure apodictique de décliner son bavardage: Hardiesse ceci, rythmique cela, néobédésie... -"Monsieur M. est un mégagraffeur, ou un hyperironiste, voire, un métapeintre." Heure du grand déferlement... Promesse de tout archiver. Les invectives s'épanchent à qui mieux-mieux: Biographies, commémorations, histoire, mausolée.
        L'auteur est mort, vive l'auteur!

        Achevons le révolu, une bonne fois pour toute, et qu'on en profite: Bénédiction de bonne volonté, occasion juteuse, met délicieux pour les officiers de la chronique que cette remise à mort. Ils auront tout le loisir de s'exposer en commentaires -caractères, catégories et classes- en se
limant les dents sur ce qu'ils jugent avoir mérité.
 

                    V.V est mort.

ous n'êtes plus là pour remettre les choses en place (si tant est qu'elles soient situables) ni pour revendiquer quoique ce soit. Serait-ce que vous n'avez pas été prudent? Ou plus juste ment, trop silencieux?... Car en exhumant des empreintes jusqu'ici dévaluées, la critique s'en hardit à évacuer l'incompréhension de leur étendue: le soulagement à cette posture malaisée consigne l'auteur à l'extravagance... C'est plus commode: récupérant les "phénomènes", ce qui déborde des tiroirs, on ramasse, on mélange, et on extrait une chiure d'étoiles, à gober. Au pire, si la pâte se refuse à l'homogénéité, on postule l'inexistence du gêneur. Et l'on fait d'une pierre, deux coups: de l'un, l'artiscritique rabote ce qu'elle administre, de l'autre, l'écran total de sa flegme acoquine ses estimations à la gravité de ses sentences. Peine de mort. Et de l'un à l'autre, la même ténacité: mâchoires serrées boulottant ses crachats journalistiques. L'irréductibilité de l'auteur en fait les frais, même si il s'est toujours trouvé en plein désert...
        Omphalos soupçonnable, épicentre usurpé, corrigé, sédimenté au crépis d'une étiologie forcé ment positive... Taxé d'un héritage contaminant les chairs et dont l'unicité s'emmêle de vies qui ne furent pas les siennes.
         Je ne serai pas cet allié d'une généalogie attrape-mouches, où se coagulent les nuées d'un écheveau causal, sous prétexte que la normalité exige la transparence: parce qu'un homme doit constituer un but. Là où ma seule chance est d'être un moyen, jamais une fin. Me croirez-vous s'il m'arrive de ne plus chercher à comprendre, par peur de tout admettre?

l suffit de me reclasser à l'ordre d'un passé insaisissable, dont les causes font peser sur moi le poids d'un sort, pour que je ne puisse m'affranchir de sa poussée. Déjouer les mécanismes d'une vie: A tout prendre aussi, je finirais par tout admettre... A me paralyser d'un sort quand je n'en convoite pas (programme de mémoire éclairci du vieux miroir Prométhéen) pour tendre, doucement, aux mixtes de l'aplanissement, à ses corpus de pacification: croupe ouverte et dire merci, en attendant mieux.
Dire que dès ma naissance, on m'enseigna que l'union fait la force...
 
                     Bien à vous.
 
                                     Pierre M.