peine avais-je marqué mon nom que je me suis demandé comment j'avais
pu le pro noncer et même souvent l'inscrire avec autant d'aisance.
Sans doute était-ce par habitude,
car on m'occupa dès que cela fut possible à ce type d'exercice.
Mais personne ne sût prendre garde à mon mutisme; je cédais
complai samment à l'illusion d'être hors d'atteinte et plus mon
nom fut prononcé, moins je m'y retrouvais. Alors, pour me garder, pour
sauver si peu que ce soit de mon corps, de ma parole et de mes actes, ma seule
alternative est de me confondre, indéfiniment, à cette part ténue
et à la fois énorme que je me taille: La part de choix est de
cet ordre. Mon nom seul ne peut rien. Et lorsque je m'en départis, rompant
la proximité évidente du patronyme, c'est qu'il me faut décider
de ce qui m'est propre: Dans ce monde centri fuge, je suis cible, victime. Mon
seul effort sera de ne plus dériver vers l'anonyme.
Alors quoi? Partir en bonne compagnie,
et répondre à Nietzsche, lorsqu'il affirme que le sujet n'est
que fiction? Construire et entretenir le genre, embrayer le pas à l'autobiogra
phie? Automutinerie oui! Ex-voto anticipé! La signature se retourne et
devient impropre, dès lors qu'elle se répète, mais la répétition
est la condition même de sa lisibilité: Sa forme doit être
imitable, le nom doit être réécrit, réinscrit, pour
être propre. Le sceau emblématique, réitérable à
l'infini est la seule garantie possible de l'identité.
Alors, il faut se reconnaître
à l'occasion d'une prononciation... Cela ne dépend plus de soi,
mais de son interlocuteur... Le nom-dit retrouvé... Tu parles, Charles!
ça m'est ar rivé des centaines de fois, et ça m'arrivera
encore, de ne pas répondre lorsque l'on m'appelle: Le prénom crié
ou murmuré, à ceci près que le heurt de son articulation
empêche parfois que je m'y identifie, je n'en admettrais jamais que le
son que je veux en reconnaître.
Tant pis si concernant cet état
- certains le trouveront douteux- je ne suis pas ému, à peine
touché; j'ai tout le loisir de me détourner de ces intentions
familières, de lever la tête vers ce qui ne m'est pas à
priori destiné, m'essayant à changer de nom simultané ment
que j'essaie de peindre: "Portrait du peintre par lui-même". Et toujours
une part irréductible échappe. Je ne suis pas celui que vous croyez...
Je me préoccupe trop de ces
retours, RE- et autres "Pierre" rencontrés (parfois revus) pour qu'à
tout appel, le bruit de mon nom s'écrase le long d'une faille sans écho.
D'ailleurs, c'est plus confortable: Non que je veuille jouer au sourd, mais
tout de même, l'entente sélective est préférable
lorsque l'on s'attache à préparer ses réponses...
Je vous sens venir: Quelle lâcheté!
Pierre est irresponsable! Pierre ne se pose qu'en terrain sûr, Pierre
refuse de s'expliquer, etc...
Mais qui, réellement, s'en
alarme? Lequel d'entre vous est concerné? Le seul, prêt à
se mouiller, est celui que je revois régulièrement, sans même
que je ne l'y invite, lors de profonds sommeil: De ces instants de rêve
flous mais fulgurants, je ne retiens que les épisodes à la double
mise-en-scène, où je me vois, sujet rêvant, m'épiant
en tant que sujet du rêve; et dans cette pose où je deviens mon
propre témoin, je me demande en core jusqu'où le simulacre d'un
tel dédoublement poussera l'apparence. Pendant ces rêves et attendu
que je m'en souvienne, lequel des deux posera le regard vers le tiers qui l'appelle?
Bien sûr, vous me direz que là encore, il s'agit de sélection...
Sujet rêvé, sujet rêvant, tir au sort... Courte-paille en
mains.
Le tri est cependant difficile et
je suis incapable de décider si oui ou non, celui qui se voit en rêve
est le même individu qui rêve se voyant rêvé. Un miroir
jamais n'a éludé l'impossible reconnaissance. Et il ne saurait
y avoir de portrait du peintre par lui-même si la reconnaissance est impossible:
Traits et nom doivent s'accorder... Est-ce toujours de moi dont il s'agit? Le
clone recloné... Recyclage en pure perte, ad aeternam...
Mais je ne suis que l'interprète
éveillé d'une impression qui me terrorise.
Un miroir, à côté,
c'est de la petite pierre. Se surprendre à être vu, alors même
que l'on est endormi et se voir, donc croire se reconnaître est autrement
plus cruel. Je me trouve là, projeté, sans autre lieu que l'étroitesse
d'un gros plan, cadré en plein visage: Je ne l'ai pas voulu et pourtant,
cela s'imprime en moi comme un semblant d'identifica tion. Serait-ce la seule
occasion, à peine plus authentifiable qu'une réminiscence, de
me voir tel que je suis? Un autoportrait décidé me paraîtrait
plus fiable. Au moins réussirai-je à fabriquer le cadre au lieu
de m'y laisser prendre.
Mais comment m'y retrouver? Je devrais,
bien entendu, répéter et redire à haute voix, et enfin
approuver l'emprunt d'un son à l'autre, pour une même syllabe,
me rendre compte de quelle manière s'effectue le glissement. PI-erre.
Le PI siffle bas, justement ou s'écartent les lèvres, avant d'ouvrir
en hauteur le dernier souffle de mon nom... Pa raît suspendu; arrêté;
toujours plus alourdi et roulé, en fond de gorge -ER- et pourtant, sec,
précis, tendu au point de se rompre.
Rompre, c'est le mot; rompre le passage
entre deux sonorités pour l'avènement d'une syllabe. Je pourrais
m'arrêter à la brisure du rapport... Suffocations en PI-. Pi? Peut
vouloir dire l'accord calculé, le répertoire supposant le stockage
des données. Défini tions calées, verbes en -ER... Listing
surpris dans l'aisance de la limite; l'arrêt de sens: Je suis Pierre calé.
Entre l'unique fenêtre de la salle de bain et le miroir. Supposé
être l'image que les sons me renvoient... PI-erre, face-à-face.
Mon visage marque dur, mais j'oublie un instant l'opulente ouverture, petite
fenêtre circulaire qui me tourne le dos. "Aujourd'hui, Pierre M".
ujourd' Hui, Pi- calé.
i, eR- calé. Intermédiaire où je m'aligne ainsi placé:
A l'envers la lucarne à l'endroit le miroir en faciès angulaire,
découpé à l'extrême, morcelé à l'équerre
et quelle piètre face d'homme s'enlèvera des yeux les marques
de mon nom pour cerner la lumière au mi roir je me penche pour en fait
ne plus croire qu'ici suis l'image perlée, mobile, suintant ses humeurs,
jamais celles de mon nom opaque indécision, pourtant mien, c'est ce qu'on
dit m'accoler sa syllabe égouttée sur le lisse d'une paroi réfléchie
illisible et sur buée je me signe du nom à mains moites en tremblant
le tracé par ratage je me porte à nommer bel effet exposant pomme
d'Adam petit caillou l'empêcher de déchoir loin de P. cette image
à fouiller le reflet ça me souffle patience au vouloir résolu
à ne pas provo quer le portrait attendu qu'il finira par me faire signe
forcé pour ma petite histoire dispo sée linéaire vis-à-vis
spéculum abusant sa réverbe sans repos sans répit, adjugé!
Adjugé l'arpentage minutieux,
essayer de savoir jusqu'où le curieux ira comme ça dis tiller
sa vue double sur l'authentique version possédant ma continuité
pire encore sale psyché métabole voleuse opposée à
ce que je veux être et ne peux recevoir du présent sans toutefois
estimer le rappel refusant l'autographe réchappé d'une fragile
pellicule chaude humide finira gouttes au front détachées d'intentions
singulières consumées par avance, désavouées par
lâch ..
C'est ce qu'on croit pour P. et toujours:
Sans garantie aucune - hors-course
- in privacy - divisé croisillons arc tendus d'écriture
pour mémoire d'où j'effrite voire j'imagine me fléchir
encore Pierre à l'ombre portée de ses créatures et y être
subtil perdu de temps aux repères marqués dont les heures s'alourdissent
minérales reconduites pour envoyer le thème en m'adressant l'accroc
plastique à condition d'essayer être surpris en flagrant devis
à compter les détails tem pes mâchoire os du nez que reniflent
à grand peine les grades de ma voix contrapunti que -"je voudrais l'épisode
number x"- où ma bobine se résigne à la précaire
circons tance de son apparition chancelant ses trajets de toupie en partie qui
ne gagne ni ne perd plus aucun postulat à doubler et la langue et la
voix cachée tue sous la mienne piégée entre le hasard contre
l'approximative parole conservée in mind coulure déjà ailleurs
qu'ici à redire ma mémoire tant brassée n'est plus mienne
miroitée tain judas oeil-de-boeuf petit verre circulaire de la salle
à tracer où perdure la distance de ma vue au miroir lavabos tête-à-tête
en recto-verso puis recto contenu à ne pas lâcher prise ac cepter
de réduire ce que je vois dans l'urgence reconnaître Pi- au verre
teint schémati que il y va de ma vie des moyens de mon nom sans pouvoir
le lettrer à en être resté là cils ouverts métronomes
aux battements lamentables en cadence anonyme d'instants fadasses englués
collectés brassant l'air comme on le fait des organes grattant l'or des
souvenirs quand pourtant il s'agit de plaqué et toujours :
Investir l'ultime parcelle à
puiser ce qui pourrait servir pour gagner s'énerver en défi duel
usé réchappé et depuis j'accumule les temps morts à
bouffer les miettes pour ne pas dire oui à m'accroître car il n'y
a plus lieu de laisser s'acharner le regard j'ose le croire en m'ôtant
des yeux les marques d'homme afin d'en finir -eR se hâter l'épitaphe
son tracé sans le graphe mais porter l'exactitude du moment où
je tombe l'articule de ce nom qui m'accable telle une pierre .
ierre,
J'attends une lettre.
Forcée donc... De m'en remettre au plaisir épistolaire, au leurre
du rapprochement qu'il me paraît susciter, jusqu'à m'imaginer que
le seul mérite d'une lettre est de s'accaparer l'absence de son destinataire
afin d'en mieux convoiter la présence.
Alors je parle sans regarder mon
interlocuteur: Frédérica se place entre deux, technique et rythme
confidentiels au tracé mémoire et lettre.
Mais voilà, plus j'avance
au travers du projet qui me tente et plus s'installe en moi l'amertume d'un
espace lacunaire: L'acharnement entraîne ces décrochages, ces inter
valles à la limite où l'écriture s'extrait péniblement
d'un entretien qui bute contre lui-même, que je suis seule à engager...
C'est ne rien dire, mais où placer le dire sur le fil de la petite histoire
onto-encyclo-véridique? A quelle machinerie du discours dois-je me vouer?
A quelle fabrique de la pose? Cela ne se dit pas... Besoin d'une médiation...
De cette feuille manuscrite... Et je porte l'exactitude de son instant: La distance
perdra le sens des mots telle une pierre dans ta chaussure, un soupir qui perdure,
une décombre.
Ainsi, au fil des jours, j'apprends
à mon corps défendant que personne n'espère être
sauvé, tiré d'affaire par une présence, fût-ce la
plus enviée. Car si la tienne pouvait m'éviter la maldonne, cette
présence là tenterait de me détourner de ce que j'ai à
faire, à écrire.
Donc je gratte encore mes lignes,
sans oser poursuivre: Qui a promis d'éviter tous ces risques? C'est à
vouloir les éviter à tout prix que je piaffe sur place.
uppose
maintenant que ce soit un autre qui t'adresse son engouement pour tes auto fictions;
après tout, ça ne coûte rien. Ne pourrait-il pas s'agir
de n'importe qui? Tel indi vidu, troublé par ce que tu délivres...
Tu l'aurais repoussé avec la mëme sévérité
qu'aujourd'hui, avec le même écart silencieux, sur le temps immunité-fiction:
Corps étranger à désincorporer, va-et-vient suffisament
dangereux pour que tu adoptes la sauvegarde: L'affaire est close. Alors, c'est
à moi de dupliquer les déplacements entre les noms, jusqu'à
espacer mieux les points à lier: Le voeu dérisoire d'un travail
com mun, une pierre jetée sur l'autre, sans que jamais elles ne se touchent
(à peine se se raient-elles effleurées) et dont la projection
martèle les tranchées délinéaires de son ap parition:
Je suis responsable, en somme, de l'existence du spectre et de ses circonvolu
tions... Je tente d'en décrire le tracé, l'abîme et sa passerelle.
Hors d'oeuvre réchauffé, cicatrisant la béance entre deux
mondes pour panser l'écart, un tiers pour passer l'abîme. Décrire
si c'est possible le jeu de l'analogie, la reprise du thème multipliant
les convictions pour quelles soient autres, en vertu du tiers suspecté:
C'est encore ne rien dire. Pure folie de ma part, que d'imaginer que quelque
chose se trame là-dessous, que de prétendre décupler les
ficelles du jeu: Elles s'embrouillent bien avant mes interventions!
Mais je ne sais pas lequel de nous
est la victime de l'autre... Qui réalise le faux d'une localisation?...
Même drame, sur la même scène étroite. L'ennui est
que la précieuse règle des trois unités ne semble pas être
respectée de la même manière... Le déplace ment s'annule
parce que tu ne l'acceptes pas, le décor reste similaire. Géométrie
inva riée -ou si peu- je reprends: Ma peur n'a d'égale que ton
propre manège. Les lois par toi fixées ne supportent aucun écart,
mais bascule-moi et je m'effrite! Je m'explique, je m'explique oh oui! Je croule,
je m'égrène, déliant la poudre d'un sablier d'idées
électrocut enfilées à la perle... Collier des courts-circuits,
décharges à termes: Epilepsie.
Explication à donner, comme
on s'exerce à l'évanouissement, en bloquant scrupuleuse ment les
morceaux de respiration à contredire. Fébrilité cireuse,
états circulaires enflés... Entends-moi, Pierre, C'est pire si
je m'écoute:
-" Je dresse la carte emplissant
l'étendue. J'en croque les écarts, les ruptures, les ni veaux,
sans que le modèle ne se heurte aux limites de ma vision: Je connais
ce travail... Le rêve du faussaire... Jouant de l'utilité d'une
échelle, coïncidant trait pour trait aux quatre coins d'un format.
Puis je réduis (les proportions abandonnent la proie pour l'ombre) je
sais réduire la densité de l'ombre précédant les
changements de mesure, les cadences créent cette illusion\tempo\modifiant
les rapports de proportions; je cerne d'un trait les contours projetés
sur la paroi: La légende Grecque motivant la naissance de l'image assure
que l'ombre ne transpose rien sans en altérer les formes; leur affinité
dé pend seule de la position du soleil..."
Figer sa proie, serait-ce la tuer?
Pour un peu, poussée à
bout et parce que je ne peux rester inoccupée, j'établirais d'autres
mots de passe contre tes gardes-fous... Je changerais de tactique... Sans recul
ni arrières plans. L'équilibre interne de tes créatures,
je n'y suis évidemment pour rien, je n'y serai jamais pour rien, quoique
tu ais pu accepter de moi. Je ne veux rien circons crire. Tu n'a pas compris
cela? Si, bien sür... A condition que tu découvres là, brutale
ment, la fragilité de la pellicule apparente, l'extrême minceur
de son écran: Cela ras sure, de se croire malade au point de se persuader
qu'on puisse l'être plus que soi.
Aussi, notre histoire n'est pas une
histoire à taire, ni à cacher. Si tout est mouvement, tout reste
calme, aussi loin que porte la vue. Tu peux bien mettre mes écrits à
pe tits-feux... De façon désinvolte: Je m'obstine. Mais je ne
cherche pas à tomber dans l'aveu d'un interrogatoire. Je ne veux pas
extorquer du prétendu suspect un semblant de transparence. Ce n'est pas
toi que j'interroge, ni Vincent Vaillant. C'est ce qui n'est pas encore et que
tu ne voudras jamais lire.
Moi, dénouant les liens de
mes yeux, d'ordinaire rivés à ce que je vois, je me mets à
l'affront de ce qui se voyait mal et que je vois depuis fort bien: De l'appréhension
de ton travail, je fais, dans l'urgence, mon écriture. Je suis la seule
à la savoir... Aussi reli rais-je seule mes vieux cahiers... L'évaporation
progressive de mes activités... Correc tions, deux pages en moins...
Ecriture avec devoir de réserve... Trahison, peut-être. De mauvaise
foi, sûrement...
ierre, on se brouille à vue d'oeil. C'est ainsi que tu te rends opaque... Récupérable pour l'intrigue?
hère
amie,
Nous ne considérons pas ce courrier comme une réponse à
vos attentes.
Il n'y aura pas de réponse.
La lecture de ces pages confirme nos positions (de retraits...)
Ce n'est pas nous que ces pages évoquent,
mais (et c'est peut-être tant mieux) d'autres personnages. D'autres personnages
qui réaliseraient (bien malgré eux sans doute) les mêmes
erreurs que nous, soit V.Vaillant et Pierre M.
Nous apprécions beaucoup cette
idée -non, ce fait- de lire -donc, en tant que simple lecteur- cette
autre aventure de l'autofiction. Cette idée -non, ce fait- nous enthou
siasme, à vrai dire plus que par le fait -non, l'idée- d'y participer
activement.
Nous préférons (lâchement,
mais sûrement) vous laisser à ces merveilleuses élucubrations
(lis-tes-ratures d'autofiction) que V.V aurait pu écrire, en niant niaisement
notre existence effective, notre signature affective. Ce qui veut dire également
que Vincent Vaillant et Pierre M. préfèrent (tout aussi lâchement
mais sûrement) vous laisser la dé licatesse, voire nous l'espérons,
le plaisir, de réaliser ces planches dites "d'illustrations": Nous attendons
d'ailleurs avec impatience le moment venu pour les feuilleter, ces pa ges qui
parlent de nous, sans que nous sachions qui de nous, ou de vous, ou d'un autre,
les a réalisées. Il va de soi que la signature de ces pages est
laissée (décidément) à votre libre choix.
ous
apprécions avec le plus vif intérêt l'attention que vous
portez à notre emploi du temps; attention qui nous permet d'exister de
la façon la plus réussie à nos yeux: sous forme de fictions.
Notre ravissement est à la
mesure de nos ambitions, et nous permet d'assurer que ce courrier, qui n'en
est pas un, sera le dernier.
Nous faisons confiance à votre
plume, pour que votre pierre se pose, ne pouvant espérer plus vaillante
intrigante, pour que votre pierre se pose à la suite de la nôtre,
ne rendant pas si vaine la parole qui la croit.
Devant votre projet, aussi porteur
qu'il soit, nous nous effaçons humblement -un simple goût de comme
suffit à cet effet- afin de laisser la fiction -non, l'autofiction- vous
emporter.
Nous laissons par conséquent
au hasard le devoir de nous croiser à nouveau, afin de savoir si nous
avions raison. V. Vaillant et Pierre. M. n'évoqueront pourtant en aucun
cas les relations les liant, vous comme eux, l'important étant AILLEURS---
Nous ne renoncerons pas à
ce que nous sommes (vous comme nous) pour des bla-bla ridicules sur la fiction.
Que l'autofiction nous emporte, c'est tout ce qui compte. Louise Brooks a dit
un jour à Vincent Vaillant (prononcez alors W.): "au revoir et merci!"
V.Vaillant + Pierre M.
P.-S.: "Il y a des gens gais qui se servent de la gaieté
parce qu'elle leur permet d'être mal-compris, ils veulent être mal-compris."
F. Nietzsche.
Jour 1.
a
visite prévue à K.G où sont exposées les Autofictions
m'encourage à contacter Pierre M.
Soufflée par son travail, je voudrais l'entendre m'en parler. Pourquoi?
Je me contenterais aisément de cet entretien, à la galerie, pendant
lequel j'ai pu être à même d'entamer une discussion... La
convoitise peut être la mauvaise raison de ce désir. Et pour autant
que ses fictions sont à mille lieues des miennes, il est probable que
mon propre monologue se soit délié, le temps du parcours et le
long d'un espace offert, de sorte que son flux coule inéluctablement,
parallèle, mais aussi éloigné que peut l'être une
in terprétation de son objet. L'objet réalisé du peintre:
La peur avouée qu'on lui mette le grappin dessus; présentez votre
travail et hop! le tour est joué, le filet est tendu, le passe-passe
s'amorce à l'aune d'une trajectoire subtilisant un objet à l'autre.
La saisie d'un regard attentif est à même d'en annuler le passage;
ce qui se passe lorsque je vois une oeuvre est l'annulation de cette limite,
où ce qui m'est représenté devient l'obliga tion d'un autre
sens. Le revers de la médaille, en somme, l'avers ayant été
frappé dans un matériau que je reconstitue, lentement, pour mieux
voir à travers, depuis ce qui est montré. C'est pour rendre à
la vision la tension portée aux fragments qu'il m'est néces saire
de la penser: Avant d'en faire le tour, j'aimerais relever les indices d'un
travail qui peuvent m'aider à le concevoir comme un ensemble. Et ces
indices extraits des Autofic tions de Pierre M. pourraient bien en décaler
les intentions: Il s'agit de se confronter, non pas à un texte ou à
une parole, mais à un semblant de picturalité. Chose peinte, chose
feinte...
A moi, spectateur, de feindre avoir
perçu.
Je dis "semblant", ce n'est pas par
hasard, car l'auteur se plaît à brouiller les pistes, usant de
l'image et du graphe, de mots ou phrases jetées dont le point de jonction
se rait aveugle si deux noms, deux signatures, n'en affirmaient tour à
tour la parenté. En core que... Rien n'est ici garanti. Les bavochures
empêchent parfois de suivre le fil, mais ce fil égrène une
structure impeccable: Lorsque le regard bute sur un élément, ce
n'est que pour mieux le retrouver, ailleurs.
Les sujets en place se transposent
en bribes: Pierre M. et Vincent V. se constituent une complexe hypogée
de fragments, sur douze planches de bois dont le noeud semble être la
part taillée du monogramme. Mais je ne sais pas à qui appartiennent
les noms ici figurés. Ce qui m'étonne, c'est que cela puisse m'inquiéter.
Pierre reste indéfini... Seul
en marge, V.V s'accouple: W.
Jour 2.
+V=W,
le M de Pierre à l'envers.
Je lui adresse aujourd'hui une lettre. Pour vérifier... Me rappeler ses
Autofictions... Moi devant ces planches: De quel droit puis-je en parler quand
je n'y suis plus? L'entretien de front, le face à face, je m'en souviens,
avec ce que cela suppose d'invention, d'ajus tage, ce qui n'est pas forcément
de l'acuité... Je joue au décryptage de l'après, à
la post-fiction... En exagérant la quantité de son offre... L'excès
s'infirme en out-line, espace hors-d'oeuvre à son issue, à l'insu
même de Pierre: Frédérica, propice au grand débordement
d'un hinterland encadré; je sais ce que j'exclue comme cadre et comme
hors-cadre. Je prends ce risque, en imaginant les obstacles... Ce qui est sans
résistance est sans danger. Ce qui est sans danger est sans importance:
L'émargement n'a rien d'un lieu conquis d'avance...
Jour 3.
oujours
pas de réponse.
Rien à signaler: Le mot Art est un mutant emblématique.
Jour 4.
e
me surprends au calibrage de l'impact, aux soustractions du négoce: Je
songe à de curieux phénomènes de synesthésie, alimentant
l'appareillage de théories modulables au gré de métaphores
incontinentes: Dilution des spécificités irréductibles
qu'absorbe allégrement tout terme générique... Mouvement
oscillatoire, effets de natures perverses assimilant la littérature à
la musique, élucidant le peinture par la poésie, déterminant
l'écoute d'hallucinations optiques... Excroissances langagières
en guise de purée passée au crible de l'équivoque... Analogies
douteuses, papier-buvard.
Jour 5.
eux
autres lettres ont été envoyées, aucun retour.
A méditer: "Artistes: Vanter leur désintéressement (vieux)".
Flaubert.
Jour 6.
-" Pierre M. à l'appareil". Une seule syllabe: Une seule émission de voix... Pour toute compensation... Rendez-vous fixé.
"Et ses yeux ils crèveront
Il faut demander pardon,
Il faut demander pardon,
Et ses yeux ils crèveront".
(J.Joyce)
a
besogne est picturale -je ne la vois plus, en cet instant, mais je la devine,
en fili grane-, je l'infiltre en réseaux fragmentaires. Picta, Ficta...
Oeil de mémoire, pour retar der les symptômes du décapage:
Je requiers l'invisible derrière ce que j'ai vu. La curio sité
me pousse en ces matières, où le visible le dispute à l'illisible.
En ceci la peinture n'a rien d'intègre... Se mesurer à ses à-bords,
les déborder, oblige à hériter d'une mé moire excédant
le souvenir individuel.
Toute remémoration volontaire
est la complétion d'une larve choisie électivement selon sa spécificité.
Remémorer, c'est avant tout maintenir une larve, jusqu'à ce qu'elle
se complète d'elle même. Cette assertion d'Ellenberger me fait
penser à ce qui se passe: Maintenir une larve sans qu'elle puisse se
compléter. Le souvenir que j'ai ressemble au tissage des cocons: Fils
tendus, opaques. Ma vision est-elle acculée au contre-sens? Si je pense
les Autofictions, est-ce pour me penser moi, au détriment d'un autre?
L'oeil, est-ce moi, changeant le monde? C'est moi, chargeant Pierre...
Ma volonté, c'est encore moi,
calculant ses positions d'usage, et moi, c'est toujours l'ar rêt: Station
du Là... Le temps ne s'élargira jamais plus qu'en cet "il y à".
L'entrevue fût un désastre.
Jour 7.
raits
tirés de la pointe à tracer... Trou creusé dans la tavoletta;
saisir d'une main le mi roir et le présenter face au trou... Vision directe
occultée d'un reflet (trou exsangue, à peine plus gros qu'une
lentille) passée au crible d'une équivoque... Le lieu d'où
il faut voir un tableau ne peut être montré par le tableau lui-même...
Sauf si l'on y place un mi roir. Mais c'est encore un artifice. L'exhibition
du trou de mémoire qui convoque la psy ché. "Qui voudra se soumettre
à cette condition? Quatre siècles de peinture, non sans dé
tourner la contrainte d'une simple saisie géométrique de l'espace
visible, s'y engagent... Repenser l'espace en termes cohérents aménage
les hommes sur une scène unique."
Pierre distribue les fous sur l'échiquier.
Jour 8.
"Frédérica
cherche toujours serrure et petite clé".
i reçu une
lettre de Pierre. Sans commentaire. Correction, clé pour clore, fermer
le trou... Boucher la césure: Syllabe-trait-syllabe... L'image n'est
qu'un élément du souvenir. Un art d'oublier est-il concevable?
Opacité du rappel, envie pourtant de le garder: La césure mémoriale
n'est pas la persistance du passé (ce serait considérer une empreinte
dans la cire comme une habitude). Sans plus de cadre au souvenir -à sa
survivance- son altération à un caractère téléologique:
La commémoration est déjà un oubli.
Jour 9.
rendre
la courbure inverse de l'apprentissage: A quoi me plier? Autocritique, manière
incessante d'accepter les extra... La lecture de sa lettre, le froissement du
papier.. .Fermer encore l'ouverture, la marque à faire le long d'une
entaille -celle de l'enveloppe- refoulée des avatars de l'affect. Le
groupement des images par condensations créent les apparitions du transfert:
-"Frédérica cherche serrure et petite clé". Instants étirés,
jours à marcher comme un automate; j'ajuste un compas là où
il n'y a pas de calcul. Adieu... Car tout recommence: Et ses yeux ils crèveront...
J'anticipe l'épuisement de
mon attention... Emboîtement automatique du récit, possibi lité
topologique des lignes, circuits, striures, etc... Traits et retraits... Adieu.
Car tout re commence, "et ses yeux ils crèveront".
Pour toute imagerie perceptive, une
image des choses qui, sous certaines conditions, coïncide avec la vision
que j'en ai: Je louche pour confirmer ma double vue, mais je ne peux résister
longtemps, car très vite les yeux tremblent dans leurs cadres, simultané
ment que les tendons s'étirent à de courtes migraines aiguës.
A voir de plus près, je me
rapproche tant que c'est possible: Pointer le nez et finir en louchant, jusqu'à
ce que la croisée devienne insupportable, le temps de songer que ma vue
pourrait demeurer ainsi...