Oolong
La tombe - XXIV -

Récit-album, c'est à dire une série d'instantanés plutôt qu'une histoire. Chaque bloc relativement indépendant des autres, mais s'y reliant par un « air de famille » [...]
Ce roman est feuilletonné à l'occasion de sa publication dans Le Terrier. Voici la vingt-quatrième partie, présentée aux lecteurs le lundi 25 juillet.

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L'hôtelier

Ma main, elle me paraissait disproportionnée, trop grande par rapport à la poignée de la portière. Je n'avais jamais remarqué rien de semblable. Je n'avais jamais eu de grandes mains, auparavant. Il est probable qu'elles aient poussé brusquement. Un effet de l'émotion sans doute. On dit que les hommes continuent à grandir longtemps. Plus longtemps en tout cas que les femmes. On me l'avait souvent dit. Des mains aussi. Sans doute. Vraiment, ces doigts ! Comme des fagots. On m'aurait rajouté une phalange que le résultat n'aurait pas été pire. La poignée en avait des apparences de jouet. à moins qu'il ne se fût agit d'un bref instant de lucidité quant à l'échelle relative à laquelle se mesurent êtres et choses, souvent en désaccord, si souvent qu'on l'oublie. Finalement tout ça n'est pas si bien établi. Qu'en aurait pensé un curé ? Est-ce qu'ils ont des argumentaires pour ce genre de désastres ? Mais je finis tout de même par me tirer de la fascination que provoquait la taille de cette main, jusqu'ici inconnue comme telle, et par pousser la poignée vers le bas, faisant ainsi magiquement jouer les ressorts du vieux mécanisme qui ouvrait la portière du train. Et je descendis sur le quai de la gare de Cambridge.

Exactement, ceci signifie que j'avais fui. Que me restait-il à faire d'autre ? La chose m'avait été clairement signifiée. Fuir, loin, de toutes façons, de cette façon-là, très exactement. J'avais pris avec moi mon manteau, rien du tout, les carnets de O, pas sa tête. Je l'ai laissée, je crois bien. Je n'étais plus très persuadé de cette histoire de tête, peut-être qu'on me l'avait volée, déjà, entre-temps, sans son cerveau. J'ai, en tout temps, quelques passages à vide, c'est mon état normal. Et puis je m'étais hâté vers Cambridge. Enfin, hâté, c'est beaucoup dire. J'avais en chemin peut-être un peu moins traîné que d'habitude, un peu moins hésité de mes pieds sur les marches les seuils et les estrades, ces obstacles qui jonchent et brouillent à plaisir la réalité, la mienne en tout cas.

Cambridge, se dressait, se dresse toujours, sur les bords de la rivière Cam. Je m'y étais finalement rendu, quittant la ville, dans le vague espoir d'en venir à comprendre la nature de la recherche de mon ami O, et de comprendre du même coup, autant que possible, la nature de mon propre rapport à cette recherche, ce qui me permettrait ensuite de me décider sur ce que je devrais faire des papiers, des nombreux carnets de notes que m'avait confiés mon ami O, d'une certaine façon, à sa mort, et dont je ne savais, pas encore, quoi faire. Une fois parvenu là, à Cambridge, donc, je n'avais d'autre choix que de déambuler dans les rues en attendant le lendemain matin, car je ne voulais entrer dans ce cimetière, comme dans tout cimetière, c'est un principe qui qualifie assez exactement mon mode de vie, qu'au matin, le plus tôt possible dans le matin, au moment même de l'ouverture, voir en escaladant les murs avant l'ouverture, lorsqu'une telle acrobatie est possible (ce n'a jamais été le cas, dommage), et en me souciant du même coup de trouver un hôtel qui forme un abri pour mon envie de dormir, ici, afin de me rendre prêt à poursuivre le lendemain, à l'ouverture du cimetière, vers la tombe de W qui importait tellement à O.

Comme il faisait beau, soleil et juste ce qu'il faut de nuages uniquement voilant de temps en temps le soleil puis se déplaçant et avec eux leur ombre, soleil très exactement gommé d'ombre comme on s'y serait attendu dans une peinture comme il faut, un petit maître, en me promenant je fis, à de nombreuses reprises, de brefs arrêts dans la rue, non pas pour flatter seulement ma fainéantise naturelle, qui se flatte toute seule, qui se flatte dans mon dos, d'une seule main parfois, mais pour regarder avec attention les pierres dans la rue. Particulièrement les pierres ensoleillées. Je trouve aux pierres placées en plein soleil une apparence curieuse, elles exhibent les incidents de leur surface auxquels on ne prête ordinairement, dans l'ombre surtout, quasi aucune attention, cratères, verrues, éclats, cicatrices, invaginations, de pierre. Et particulièrement pour regarder parmi les pierres ensoleillées, avec une attention encore plus grande, celles arborant des veines dans leur plein. Des veines dont la teinte claire tranchât sur la masse de la pierre, souvent un gris plus ou moins sombre, gris bête et gris sans veines, en vérité, de telle façon que je prends plus de plaisir à la contemplation des pierres veinées qu'à celle des pierres non veinées, c'est ainsi. Et ces arrêts, ces arrêts au bout du compte assez nombreux, durant lesquels je me mettais à quatre pattes puis avançais mon oeil le plus près possible du caillou en question, me donnaient, à ce qu'on m'en a confié plusieurs fois, une apparence remarquable, due en particulier au fait qu'ainsi installé j'offrais au monde la vue de mon postérieur pointant alors entre les deux pans de mon manteau lui-même gris et strié, et remarquable aussi du fait qu'ainsi installé, je parvenais par moments à occuper une place considérable sur la chaussée, ce qui obligeait les autres passants à me contourner comme un gros rocher oublié là. En dépit de cela, et je n'en estimais alors que plus les habitants de cette coquette ville de Cambridge, coquette j'entends aussi par contraste avec la ville que je venais, honteusement, de quitter, aucun de ses habitants ne crut réellement nécessaire de me faire disparaître de son chemin, au moyen, par exemple, qui aurait été, selon ma position presque à quatre pattes, très facile, ne demandant qu'un effort minime, d'un grand coup de pied au cul qui m'aurait propulsé le nez sur ce que, justement, j'observais alors, à savoir l'un ou l'autre caillou gris veiné de blanc comme on n'en trouve pas habituellement.

En suivant, à force de suivre, attentivement ainsi les veines dans les cailloux qui en possédaient et les pierres qui comportaient des veines, parfois sautant de l'une à l'autre catégorie, pierre ou caillou, sans véritable discernement, et en faisant des arrêts nombreux pour les observer à chaque fois attentivement, je parvins, ou je me retrouvai, car le lien logique entre ces événements n'a rien de clair, et aucune preuve ne peut être fournie pour accréditer la thèse que j'aurais suivi une sorte de piste au moyen des cailloux et pierres dont les veines auraient alors été par moi interprétées comme signes me conduisant jusque-là, et rien ne prouve non plus que ce soit le simple hasard plutôt que l'apparition des pierres en différents points de la chaussée et des trottoirs qui n'ait décidé de mon but, pour ce que j'en sais, je parvins devant un hôtel que je jugeai suffisamment miteux pour me convenir, c'est-à-dire bien plus que modeste d'aspect, avec la peinture qui couvrait sa façade écaillée par larges plaques, délavée par les intempéries et la lumière, ou encore carrément recouverte en certaines parties par de larges traînées de pluie sale qui dessinaient des sortes de guirlandes où ne se reconnaissait encore que très vaguement la forme de corde qui dans une origine lointaine avait dû, pour des raisons purement physiques, servir de modèle. Rien n'aurait même, au premier abord, permis de caractériser ce lieu comme un hôtel, n'était justement son délabrement plutôt inattendu au milieu des maisons luxueuses de ce quartier avec leurs jardins propres dépourvus de toute trace de cailloux résiduels et leurs peintures fraîches absolument impeccables et brillantes sous la lumière pourtant discrète de cette fin de journée, comme si elles rendaient non pas la luminosité de ce jour, mais bel et bien une luminosité gagnée au moment même où un ouvrier appliqué les avait avec soin peintes conformément aux désirs du propriétaire, avec une peinture peut-être spécialement facturée pour obtenir cet effet à la vérité remarquable. Ce délabrement dès lors le signalant à la vue non pas comme une demeure normalement cossue, mais comme un de ces endroits où la pause ne saurait jamais se prolonger, un de ces bâtiments qui ne constituent pas des lieux normaux de résidence, mais essentiellement d'abord des lieux de passage dans lesquels le voyageur n'est aucunement invité à faire un arrêt de trop longue durée (en effet, la réalisation de cet arrêt le ferait du même coup échapper à son statut de voyageur), et où le seul résident de longue durée est le propriétaire, qui souvent habite ailleurs tant son bâtiment est laid, à moins qu'il ne réside effectivement là, saisi par l'ambiance, et ne pouvant alors plus s'en extraire. Ces goûts là se rencontrent parfois. Je serais assez homme à les partager. Justement, derrière des volets pas encore moisis mais en bonne voie pour le devenir un jour, et dans une lumière que la décrépitude alentour rendait elle-même décrépie et qui empruntait une bonne partie de ses caractéristiques à celles de ces aquariums trop garnis de vieilles algues dans lesquelles se cachent les poissons, aquariums devant lesquels on mène les petits enfants pour les distraire lorsqu'ils deviennent, durant les vacances scolaires, trop contrariants, se tenait l'hôtelier du lieu dont le visage était partiellement masqué par une barbe de grand chemin qui lui donnait l'air de revenir d'une expédition polaire, hôtelier par ailleurs sans doute honorable, et qui buvait posément une tasse de thé. Cette bonhomie barbue derrière laquelle se reconnaissait aisément un être humain, ainsi que l'aspect charmeur de la tasse de thé fumante me conduisirent tout de go, presque impétueusement, à me renseigner auprès de cet homme, comme j'avais toujours appris à le faire en de telles circonstances, des tarifs pratiqués dans sa villégiature, mais aussi des prestations réelles délivrées par son établissement, et ceci avec un luxe de curiosité qui correspond à mes exigences en terme d'information hôtelière, comme de connaître la dimension exacte des lits d'où j'espérais déduire la surface approximative du couchage, la matière constitutive des draps, leur rythme de remplacement, les facteurs extérieurs créateurs de bruits éventuels, la nature du petit déjeuner, les possibilités de se voir accorder une réduction en cas de séjour de plusieurs nuits, l'éclairage des chambres, le rythme des vents dominants et leur éventuelle action sur les différents groupes de chambres et choses similaires. Tout ce à quoi l'hôtelier répondit d'abord par un flot de réponses vagues et bougonnes, comme c'est l'usage là encore, et comme ce semble être toujours l'usage de ne pouvoir faire que des réponses fausses et bougonnes, et fausses parce que bougonnes à nos demandes de renseignement sur les choses les plus simples mais les plus décisives du simple confort et de l'ambiance, non pas que je craignis de mal dormir, car l'insomnie m'est une hypothèse insupportable, mais bien plutôt que je me refuse à passer la nuit, sommeil ou pas, mais c'est la chose la moins importante du monde en fait, dans une ambiance à laquelle je ne sois pas préparé. La malpropreté en soi ne me dérange pas, ni l'absence de lumière, ni les lits trop courts ou trop étroits, ou grinçants, ni même la saleté, mais la découverte de la malpropreté, de l'absence de lumière, d'un lit trop court ou trop étroit, ou grinçant, ou même la saleté, je n'exigeais donc que ce minimum, une information détaillée qui me permette par avance de m'adapter à ce que j'allais trouver en ces lieux, et ainsi préparer ma nuit, qu'elle ne soit pas faite de surprise et d'imprévu, mais d'une réalité, si miteuse soit-elle, pleinement assumée d'avance. Était-ce si difficile à comprendre ?

Mais la barbe bougea, lentement d'abord, puis avec opiniâtreté, puis avec chaleur, puis dans un désordre total, puis derechef avec sérénité, et quantité d'autres états, que j'ai depuis oubliés, ou dont j'ai depuis à peu près tout oublié, sauf leur remarquable diversité.

"Il ne m'est pas possible de vous fournir de telles informations qui sont bien plutôt une explication, l'explication de mon hôtel. Vous les visiteurs, vous les clients, vous voudriez que je vous donne toute votre nuit dans mon hôtel avant même que vous n'en ayez seulement monté le grand escalier, dès la réception de l'hôtel, parfois même encore engagés dans la porte d'entrée, vous me demandez de vous dire le tout de mon hôtel, et de ses chambres, et de ses couloirs, et la forme de ses lits, et la couleur des bidets, et le comment du soleil dans les fenêtres de l'hôtel, mais cela je ne peux pas le faire. Ce que vous me demandez est une demande impossible. C'est une demande qui ne demande qu'en apparence ce qu'elle demande, et ce qu'elle demande vraiment je n'ai pas de moyen de vous le dire non plus, et personne n'en a le moyen. Je ne peux que vous proposer de découvrir l'hôtel d'abord et ensuite de pratiquer l'hôtel pour savoir comment est l'hôtel et de quelle manière il fonctionne avec le soleil et avec les sons et les vents. c'est-à-dire de procéder à la réponse au fil d'une découverte qui demanderait beaucoup de temps, comme par exemple pour se rendre compte de ce qu'il en est de l'hôtel le soir de la grande fête annuelle de la ville, lorsque le cortège ininterrompu des chariots passe devant l'hôtel durant des heures et des heures et que le bruit et les vibrations engendrées le rendent proprement insupportable au point qu'ordinairement je ferme cet hôtel. Mais cette expérience, il vous faudrait la faire par vous-même, car si je vous la décris, je sais bien que je ne la fais pas à votre place, et peut-être êtes-vous assez tordu pour trouver du plaisir, et même un grand plaisir, à ce bruit et à ces vibrations, qui représenteraient même éventuellement, à condition par exemple que vous veniez de la planète Mars et que les goûts des habitants de cette planète aillent dans ce sens, le plus grand agrément,

- il dit agrément. Je l'entends ébahi prononcer ce mot agrément, et pourtant je crois, si peu de gens se sont jamais souciés de mon agrément, c'est la première fois que devant moi quelqu'un, c'est un, les larmes me montent aux yeux, il l'évoque, son hôtel, comme quelque chose qui pourrait me faire plaisir -

à prendre place justement dans mon hôtel, justement durant le jour de cette fête.

Ou peut-être encore deviendrez-vous sensible au fait que la disposition des chambres de cet hôtel est telle qu'elle permet de jouer un jeu qui dérive directement du jeu d'échec, mais se joue sur un plateau tridimensionnel comptant autant de niveaux que cet hôtel compte d'étages, un jeu dans lequel un de ces niveaux n'est (presque) jamais utilisé pour des raisons précises qui ne peuvent apparaître qu'à la toute fin d'une partie, et qui justifie la numérotation particulière des chambres de cet hôtel. Mais il se trouve que les règles de ce jeu ne sont pas écrites, et que je ne les crois même pas communicables autrement qu'en effectuant une très longue résidence dans mon hôtel et en étudiant avec attention les déplacements de personnes et d'objets qui se produisent entre les différentes chambres, couloirs et escaliers de cet hôtel, et en écoutant comme je le fais moi-même attentivement les paroles échangées entre les résidents de cet hôtel, paroles qui ont une incidence directe sur le déroulement de la partie, et même sur la modification de la partie dynamique et flottante des règles qui régissent ce jeu. Je serais d'ailleurs même bien incapable de vous livrer de façon simple et en peu de temps ne serait-ce qu'un ensemble mineur des règles qui constituent ce jeu. J'en serais totalement incapable malgré toute ma bonne volonté, et le désir éventuel que j'ai de vous voir résider dans cet hôtel où vous pourriez peut-être débloquer une partie depuis longtemps envasée dans une variante complexe de la position de Russell. De la même façon que je me sens incapable de répondre à l'ensemble de vos questions. Non pas que je n'y puisse répondre une à une, et vous indiquer la dimension des lits, la fréquence de remplacement des draps, le nom du ou des fabricants de ces draps, le nom de l'entrepreneur qui a bâti cet hôtel, les relevés des mesures sonores effectuées à proximité de l'hôtel qui vous permettraient sans doute de vous faire une idée du bruit réel qui règne dans cet hôtel aux diverses heures de la journée. Mais la connaissance que vous cherchez, cette connaissance que je reconnais bien et que trahissent vos questions, n'a rien à voir avec le genre de connaissance que je puisse apporter tout simplement en m'efforçant de répondre de façon précise à des séries de questions précises. Vos questions insidieuses, comme celles qui portent sur la surface exacte, vous avez dit "exacte" des lits, je l'ai entendu, cet exact est sublime, trahissent la véritable nature de votre questionnement. Ce n'est pas un questionnement portant sur quelques points qui devraient vous permettre de deviner comment vous allez dormir dans cet hôtel, où vous ne passerez de toutes façons qu'une nuit ou deux et sûrement pas plus, et donc où vous pouvez tout à fait vous permettre de mal dormir sans trop vous poser de questions, mais un questionnement qui vise à obtenir de moi une connaissance exacte de l'hôtel tel qu'il est. Et dans votre cas, la série de questions à poser étant infinie, il me faudrait un temps tout aussi infini pour répondre à chacune de vos questions, et ceci me dérange purement et simplement. Vous me dérangez avec ces questions. Et vous me dérangez d'autant plus qu'avec ces questions, vous essayez de vous faire livrer le tout de mon hôtel avant qu'il ne soit une réalité pour vous, avant d'y avoir mis les pieds pour de bon, les deux, franchement. Ce n'est pas d'y dormir qui vous intéresse, vous pouvez l'avouer, moi, du moins, je ne l'entends pas comme ça. Je dirais même que dormir cela ne constitue absolument pas votre souci avec ces questions. Et ce n'est pas vous demander comme vous allez dormir dans mon hôtel. Pour que vous puissiez vous poser cette question, et cesser de me poser des questions, il faudrait que vous considériez mon hôtel comme un objet neuf et un objet de rencontre possible, et un lieu nouveau pour vous, mais ce que vous faites c'est comme si derrière le mot hôtel devait se dessiner à chaque fois une réalité similaire et d'une certaine façon déjà connue, une réalité identique et déployée sur un modèle totalement monotone à la surface du monde, sous la forme d'un seul hôtel que vous connaîtriez (et de quelle façon ?) et que vous n'auriez plus qu'à rencontrer posé en différents endroits du monde, et à cause de cette conception vous nuisez à la diversité, vous développez une horreur de la diversité, une horreur sans fond de la diversité qui rend le monde sans cesse plus identique, ce que vous n'aimez pas c'est que le monde change et change encore et sans cesse d'aspect, et tous les hôtels avec, et vous voudriez qu'il ressemble encore et toujours de la même façon au seul et même escalier-monde que vous connaissez et qui vous semble le lieu le plus logique et le plus agréable de résidence, parce que le mieux connu, et vous ne vous demandez jamais si un autre lieu, si n'importe quel autre lieu ne serait pas plus convenable justement à cause de ceci qu'il s'agirait enfin d'un lieu dont vous n'auriez aucune connaissance, mais au contraire d'un lieu qui vous échapperait totalement, et qui se révélerait à vous non pas sous la forme du déjà connu, mais sous la forme de la nouveauté radicale, et d'un hôtel dans lequel vous devriez fournir l'effort d'apprendre comment il est un hôtel, mais cet effort, vous ne voulez pas le fournir, vous n'êtes en aucune façon prêt à le fournir. Alors, voilà, je ne peux pas vous répondre et vous livrer mon hôtel en bloc comme je vous livre en bloc mon tarif, je ne peux que vous inviter à affronter mon hôtel tel qu'il est, tel que vous le découvrirez un peu si vous y prenez une chambre."

Son visage au bout du compte, était tout à fait calme, sa barbe ruisselait un peu de sueur suite à l'effort fourni pour mener à bien ce discours, mais tout à fait calme. Aussi, je compris que cet hôtel, du fait de la tournure d'esprit de son hôtelier, était exactement l'hôtel qu'il me fallait.