Le village sous le choc

Théâtre

Jean-Christophe Pagès

 

épisode 3


la juge : et si nous reprenions votre planning

sandrine : encore

juge : les gens aiment comprendre

sandrine : lundi la couverture, mardi change de prénom


la juge : vous enroulez-vous dans une couverture avant ou après la strangulation

sandrine : le soir pour dormir

juge : avec guillaume

sandrine : guillaume a son duvet

juge : fermé

sandrine : voulez dire

juge : est-ce que guillaume sort sa jambe

sandrine : dans quel but

juge : très bien, guillaume ensaché

sandrine : sauf les bras et la tête

juge : les bras hum

sandrine : les bras hum

juge : les bras, que fait-on avec les bras

sandrine : tenir sa revue, gratter cheveux

juge : inscrivez le complice feuillette des magazines et se shampooine peu


sandrine : mardi j’assiste à une conférence

la juge : et

sandrine (changeant de personnage) : « mesdames, et, en quelque sorte, messieurs » dit nioukhine avant de lisser ses favoris

juge : nioukhine

sandrine (jouant) : nous pourrions débuter la soirée de la même manière et, en quelque sorte, mais nous n’avons pas de messieurs, mesdames bonsoir, laissez-moi tout d’abord vous remercier d’être présentes

juge (écrivant) : favoris


sandrine : suis-je une bonne mère, on peut s’interroger

juge : pouvez faire court svp

sandrine : peut-être que votre mari a des moustaches comme nioukhine, c’est regrettable car il y a fort longtemps qu’on n’en porte plus

juge : lisser

sandrine : je vous vois observer mon gilet, sachez qu’il est pratiquement neuf, peut-être m’arrivera-t-il de tirer dessus sans m’en rendre compte, ça n’est pas pour imiter nioukhine, c’est un tic

juge : je sais votre goût pour la scène

sandrine (poursuivant) : évidemment c’est un peu provocateur, les organisateurs ne souhaitaient pas faire un bide comme l’autre fois, les organisateurs : trouvons un thème porteur

juge : four

sandrine : pourtant, à en juger par l’assemblée, y a-t-il des messieurs dans la salle, je n’ai rien contre votre village fleuri mais je viens d’assez loin

juge (écrivant) : messieurs

sandrine (dans son rôle) : être mère ne va pas de soi, les organisateurs : bonne accroche on devrait remplir ; dans le monologue de 1886, c’est la femme de nioukhine qui envoie nioukhine faire une conférence « sur un sujet quelconque » et nioukhine dit : « s’il faut faire une conférence, faisons une conférence ; cela m’est absolument égal » puis il entre majestueusement, salue et arrange son gilet

juge : on perd des auditeurs

sandrine : je renvoie à mon intervention sur le Bon Père De Famille

la juge : hum

sandrine : suis-je une bonne mère, ah la belle question, se la pose-t-on suffisamment, je n’ai pour ma part aucun enfant, être mère ne va pas de soi, le devenir peut même s’avérer difficile, j’ignore si nioukhine et sa femme ont des enfants, fin 19ème dans un bourg reculé de russie, était-il évident d’en avoir

la juge : j’admire votre mémoire, mais allez-vous nous faire l’intégralité de la conf’

sandrine : mesdemoiselles, je ne vois pas la femme de nioukhine interpeller les demoiselles du pensionnat

la juge (s’occupant) : pelage gris

sandrine : hier soir, on m’appelle mais je n’ai rien préparé, savoir assumer son rôle, remplir une fonction exigeante, tout en restant compagne, amie, femme au travail

la juge (marmonnant) : ne sommes plus au collège

sandrine nioukhine : pourriez dire que je ne suis pas le mieux placé pour poser cette question et c’est vrai, d’une part je n’ai pas de garçonnets, ensuite, n’étant pas une f, je ne pourrai jamais être m, ce qui me préserve d’un tel casse-tête, je vous (geste paumes ouvertes vers l’auditoire) pose la question et j’attends

la juge : merci belle interprétation

sandrine (ignorant l’injonction) : assis j’attends, qui, ici, dans cette assemblée, ce soir, peut affirmer oui je suis une bonne mère, prouvez-le


Standing ovation, sandrine salue.


la juge : suspension de séance

public (à l’unisson) : encore


Noir.


la juge : reprenons à mercredi 13, marelle dans le frigo

sandrine : je suis chez mes sœurs

juge : merci pas de sketch


la juge : je lis ici « mercredi sagement assise sur ma petite chaise mains sur les genoux »

sandrine : ma chaise d’enfant

juge : que fait-elle chez vos sœurs

sandrine : pour les enfants


« On trouve surtout ces félins dans les cirques, on n’a pas trouvé de cadavre, le puma pêche beaucoup. »


la juge : m’en direz plus sur ce nioukhine

sandrine : commencez par libérer guillaume

juge : mais

sandrine : et jenni poche

juge : laissez jenni hors de tout ça

sandrine : que faisait-elle en pleine nuit

juge : c’est une amie, n’avez pas d’ami(e)s ?

sandrine : guy et guillaume

juge : avez-vous remarqué la similitude

sandrine : le hasard

juge : nous reparlerons du hasard

sandrine : votre amie conduit sa p’tite auto en pleine psychose

juge : et alors

sandrine : serait pas plutôt un puma votre jenni


la juge : vous faites un rami avec vos sœurs mortes


la juge : jeudi 14 arrivent les pompiers

sandrine : ah

juge : prénoms des neveux

sandrine : bruno

juge : qui est sur la chaise

sandrine : manu

juge : l’aîné de montmirail

sandrine : veut tout pour lui

juge : notez bruno ferté

sandrine : carlo

juge : carlo

sandrine : le père

juge : il y a des pères

sandrine : votre fille n’en a pas

juge : oublions

sandrine : je n’oublierai jamais le mien


Flash-back : on voit guy à la maternité, embrasse le bébé sandrine.


la juge : il doit y avoir une erreur de vidéo

sandrine : que

juge : c’est ma sandrine

sandrine : je vous jure que c’est moi

juge : ma sandrine avait des bouclettes

sandrine : moi aussi


Un habitant certifie avoir vu un félin sur le chemin forestier près du stade. L’animal noir et gris a bondi dans les fourrés. S’agit-il du fameux fauve dont on n’a toujours pas retrouvé la trace ?


la juge : bien bon très bien reprenons

sandrine : les pompiers

juge : manu

sandrine : petit nerveux bagarreur fait des migraines

juge : porte lunettes

sandrine : souvent

juge : je vois


sandrine : pique le siège de bruno pour le faire pleurer

la juge : m’étonne pas, qui gagne la partie

sandrine : guillaume

juge : supposons que ferté montmirail ne soient pas mortes

sandrine : si ça vous amuse

juge : jeudi 14 vous vous emportez votre chaise

sandrine : vous insinuez

juge : vous êtes sur le cyclo AVEC la chaise


la juge : et guy

sandrine : boire un coup

juge : depuis lundi 11

sandrine : …

juge : l’avez-vous revu

sandrine : jamais

juge : nous savons qu’il organise des battues et survole la zone en hélicoptère


sandrine : malheureusement les pompiers repartent

la juge : simulez l’étonnement

sandrine : quoi ma mère

juge : mieux que ça

sandrine : marelle disparue incroyable

juge : pompiers n’y connaissent rien en théâtre

sandrine : on aime les pompiers


« Je me promenais à vélo jeudi vers midi sur un chemin près du stade quand j’ai vu devant moi un animal noir et gris pas très grand de dos (reprend son souffle) j’ai pensé que c’était un chien ». Edouard ralentit car « les chiens n’aiment pas les cyclistes ». Alors qu’il s’approche de l’animal, ce dernier au lieu de s’enfuir ou de se retourner ou d’aboyer, continue de remonter le chemin en trottant.


la juge : ma fille faisait des spasmes du sanglot, quand elle pleurait elle s’évanouissait et dormait longtemps


la juge : c’est quoi ce blog

sandrine : photos de loulou texte sur le bleu chansons

juge : vous me donnerez l’adresse, jenni fait le sien aussi

sandrine : dimanche j’achète une crème pour les mains

juge : où avez-vous connu ce nioukhine


la juge : jusqu’à mardi vous restez chez les défuntes

sandrine : sinon qui s’occupe des garçons

juge : passons sur les quenelles

sandrine : avec du riz

juge : on arrive à cette histoire de pseudo, pourquoi changer

sandrine : on va sur les sites on est repéré on change


Noir. Dans le noir, le mystère reste entier, l’animal, passé par ici, repassera par là, la silhouette de la juge apparaît, profite de l’obscurité :


la juge (au public, chuchotant) : traversant mon parc je pense au promeneur paniqué

l’eau du canal

en hiver

marcheur épouvanté

hèle son terrier

conductrice terrifiée

que fait cette tête sur le bas-côté


Sylvie toujours plus inquiète, le sol du tribunal semble trembler.


où est-elle

je ne sortirai plus

veuillez nous en débarrasser


j’alerte les enquêteurs

la masse sombre de mon voisin

la nuit

près des buissons



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