Le village sous le choc

Théâtre

Jean-Christophe Pagès


é
pisode 5


la juge : à l’époque, guillaume était votre amant

sandrine : vaguement

juge : petit ami

sandrine : colocataire

juge : inscrivez


La cour prend un repos bien mérité, certains boivent un thé (Sylvie), d’autres partent en province pour le week-end (greffier).


la juge : combien d’années de chômage

sandrine : depuis toujours, j’ai raté mon bac et me suis retrouvée à la rue

juge : vous auriez pu être coiffeuse

sandrine : hors de cette maison, a-t-elle dit

juge : pour autant

sandrine : j’ai erré dans le village plusieurs jours et plusieurs nuit, c’était l’hiver

juge : vous hurliez à l’injustice

sandrine : comme un oiseau blessé

juge : elle vous a coupé les ailes


Larmes de l’auditoire, on entend un air d’orgue.


la juge : pour autant

sandrine : je suis allée au service social

juge : que n’aviez-vous l’épaule d’un père

sandrine : m’ont accordé une chambre près de la déchetterie

juge : une triste histoire messieurs dames

sandrine : surveiller le tri sélectif

juge : vous rencontrez guillaume

sandrine : tous les matins mettait son pack de lait dans la poubelle jaune


la juge : ravages de l’alcool dans les bourgades enclavées

sandrine : marelle ne travaillait pas


sandrine : un cyclo c’est la liberté

la juge : à deux c’est mieux

sandrine : je propose à guillaume de l’héberger

juge : on se serre les coudes

sandrine : me prête parfois son walkman

juge : c’est là que vous entendez jeannette, asseyez-vous et écoutez-moi bien

sandrine : si je pouvais me dégourdir un peu

juge : accordé


On voit Sandrine dans la pénombre du tribunal, fait les cent pas.


la juge : sportive

sandrine : je faisais du tennis

juge : ajoutez

sandrine : on m’a volé ma raquette

juge : décidément

sandrine : pas de cadeau

juge : même pour noël, une nouvelle raquette

sandrine : misère de noël dans les foyers défavorisés

juge : je vais reprendre, tâchez de ne pas m’interrompre

sandrine (se mouchant) : d’ac


la juge : au début de votre audition, vous avez déclaré : je passe chez guillaume

sandrine : manière de dire

juge : ne me coupez pas, répondrez à la fin

sandrine : …

juge : ensuite, vous avez dit : guillaume découpe marelle

sandrine : …

juge : puis intervient jeannette : tu la laisses 24 heures et reviens la découper

sandrine : …

juge : vous reconnaissez la strangulation mais pas le débitage

sandrine : …

juge : comprenez mon embarras, maintenant que les deux affaires sont disjointes

sandrine : …

juge : si vous me remettez une deuxième affaire dans la première

sandrine : …

juge : les gens veulent savoir


Il était noir ou fauve, selon les témoignages, voilà maintenant que le félin, censé rôder en forêt depuis plusieurs semaines, serait gris. Pour la préfecture qui coordonne les recherches depuis le début du signalement, ce nouvel élément ne risque pas de simplifier une enquête qui se heurte à des descriptions contradictoires et à un manque de preuves matérielles.


la juge : répondez par oui ou par non

sandrine : oui

juge : hébergiez-vous guillaume chez lui

sandrine : oui

juge : où dormait-il

sandrine : non

juge : une tente le long du canal

sandrine : oui

juge : je comprends, quand vous dites que vous passez chez guillaume, c’est à sa tente

sandrine : oui

juge : et vous l’hébergez épisodiquement

sandrine : oui

juge : c’est pourquoi guillaume a un foulard

sandrine : oui

juge : éviter rhume

sandrine : oui

juge : cyclo candélabre avec antivol

sandrine : oui

juge : survêtement

sandrine : oui

juge : merci, on y voit plus clair, suspension


La queue aux toilettes du palais de justice, notamment côté femmes, certaines ne se gênent pas.


la juge : la cour envisage un transport de justice au café pour entendre guy

sandrine : si je comprends bien je suis le principal suspect


Silence de l’assistance, regards médusés. On aperçoit une lézarde sur le mur.


la juge : j’ai deux mauvaises nouvelles pour vous, je commence par laquelle

sandrine : n’importe

juge : la tête retrouvée n’est pas marelle

sandrine (abattue) : ah

juge : quant au corps en décomposition, pas guillaume

sandrine (idem) : ah

juge : c’est benoni

sandrine : le sort s’acharne

juge : va falloir nous dire la vérité

sandrine : le fauve a dû attaquer benoni

juge : pendant son jogging

sandrine : benoni courir, vous rigolez

juge : alors

sandrine : devait faire de l’exhibitionnisme en forêt

juge : on cherchera

sandrine : quelle tête a la tête retrouvée

juge : je l’ai là, je peux vous la montrer


Elle fouille dans ses affaires.


la juge : ah non, désolée, pièce à conviction, doit être sous scellés

sandrine : j’aurais pu vous dire

juge : revenons à guillaume le campeur

sandrine : encore

juge : le routard du crime

sandrine : impossible

juge : bien, alors reprenons à l’épisode frigo


la juge : utilisez-vous à nouveau le cyclo

sandrine : ça fait un bout depuis la déchetterie

juge : 7 minutes si vous avez le feu vert

sandrine : guillaume fonce

juge : très bien, vous laissez tourner le cyclo pour la fuite

sandrine : voisins sourds

juge : n’avons pas réussi à les interroger

sandrine : faut utiliser l’ardoise

juge : expliquez

sandrine : les watson n’entendent rien

juge (écrivant) : les watson n’entendent rien

sandrine : c’est pas le greffier qui note

juge : escargot

sandrine : dites aux enquêteurs d’écrire leurs questions

juge : pourquoi les appelez-vous les watson

sandrine : leur nom

juge : retraités

sandrine : sourds, marelle avait sympathisé

juge : peut-être ne comprennent pas le français

sandrine : on peut laisser tourner le cyclo

juge : la veille vous avez eu besoin de la clé de guy

sandrine : je pense à guy

juge : allez-y


la juge : autre chose sur les watson

sandrine : non

juge : poursuivez

sandrine : le corps sans vie de marelle

juge : inanimé

sandrine : sans vie

juge : le cadavre de marelle

sandrine : à la cave

juge : où guillaume l’a entraîné pour lui « montrer quelque chose »

sandrine : enfin, guillaume n’a pas entraîné un cadavre

juge : qu’allait-il lui montrer

sandrine : rien

juge : marelle ressent-elle une attirance physique pour guillaume

sandrine : ne rechigne pas à descendre avec lui

juge : amants

sandrine : présence d’un vieux matelas

juge : voyez

public (émoustillé) : oh

juge : complément d’information, test ADN, recherche de matières résiduelles

sandrine : guillaume a son couteau-jouet

juge : vous avez déclaré : « c’était l’idée de montmirail »

sandrine : vous me faites perdre le fil

juge : tant pis, reprenez à « huit morceaux ça ne rentre pas »

sandrine : guillaume extrait d’abord la tête

juge : pour en faire quoi, mystère

sandrine : comme je ne me sens pas bien, je monte au frigo vide

juge : marelle n’avait pas fait les courses, devait se douter de quelque chose

sandrine : je retourne à la cave

juge : une boucherie

sandrine : guillaume travaille proprement

juge : faites-moi penser d’envoyer le labo

sandrine : vous ne trouverez rien

juge : les vêtements de guillaume

sandrine : gouttelettes de sang sur les manches mais on a nettoyé

juge : les gars du labo sont des experts

sandrine : je dis : yaume le frigo vide

juge : marelle déjà étêtée

sandrine : à cet instant, oui, ça me fait d’ailleurs de la peine mais n’avons pas le temps

juge : ensuite

sandrine : trouve-moi des sacs congél

juge : remarquez-vous la tête remisée

sandrine : je cherche les poches plastiques

juge : placard au-dessus du frigo

sandrine : à propos, j’ai relevé une faute dans l’article, « les huit morceaux du cadavres »


On déplore un public conditionné, avide de sensations.



téléchargez l'épisode en pdf
>>>SUITE>>>
frontispices de Albane Moll