Le village sous le choc

Théâtre

Jean-Christophe Pagès

 

épisode 6

 

la juge : pouvez dessiner comment vous avez fait rentrer

sandrine : je ne suis pas douée

juge : pas grave, faites en gros

sandrine : n’allez pas vous moquer

juge : ni moi, ni le public, hein le public

public (à l’unisson mais mou) : meuh non


Sandrine dessine. Tout le monde attend. Elle rature, recommence, chiffonne, demande une autre feuille, on s’ennuie.


la juge (pour meubler) : hormis le s à cadavre, pensez-vous qu’on doive accorder « plastiques »

sandrine : …

juge : sacs en plastique, la matière plastique, est-ce un adjectif, faut-il l’accorder à « sacs »

sandrine : …

juge : j’espère que le résultat sera probant

sandrine : je m’applique

juge : vous avez aussi déclaré : avec la tête ça ne rentrait pas, ça veut dire que guillaume avait déjà en tête le problème de tête

sandrine : chut !

juge : tirez toujours la langue ?

sandrine : ah, je n’y arrive pas, voilà, c’est de votre faute

juge : les téléspectateurs s’ennuient, j’envoie l’interlude


Malgré la réquisition d’une dizaine de personnes, aucune empreinte ou déjection de panthère ou de puma n’a encore pu être retrouvée. Cette histoire n’est pas sans rappeler deux autres récits évoquant la présence d’une panthère noire dans les Calanques et dans le Cantal. Certains témoignages évoquaient même les bonds d’un animal gracieux.


la juge : si vous n’y arrivez pas c’est mauvais signe

sandrine : que

juge : ça ne rentrait pas

sandrine : pourtant

juge : légistes faisaient la galette mais ont bien voulu me répondre

sandrine : et

juge : vous avez menti

sandrine : j’ai levé la main droite mais je croisais les doigts de la gauche dans mon dos

juge (pour elle-même) : la garce


MONOLOGUE DE SANDRINE


la juge : il y avait bien 8 sacs mais pas 8 morceaux

sandrine : deux faits à porter au dossier : marelle avait un frigo américain, marelle mesurait 1 mètre 49

juge : secondaire

sandrine : attendez non, ça change tout

juge : frigo américain

sandrine : ceux qui font des glaçons

juge : oui

sandrine : extra large

juge : un luxe pour un frigo vide

sandrine : cadeau crémaillère

juge : d’accord

sandrine : 1 mètre 49, ça fait des petits bouts

juge : cubes

sandrine : guillaume avait fait un stage chez le boucher

juge : on va y arriver


Soupirs du public.


la juge : maintenant, plus croustillant

sandrine : chouette

juge : mais je dois faire un flash-back

sandrine : avec mes couettes

juge : « guillaume prend un verre avec son père » et « peut-être guillaume, n’a pas connu ses parents »

sandrine : possible

juge : comment guillaume peut-il prendre un verre avec son père qu’il n’a pas connu

sandrine : ah oui tiens

juge : si guy est son père, guillaume est votre frère

sandrine : ça se complique

juge : nous savons désormais que votre mère n’était pas votre rivale contrairement à ce que vous pensiez, par conséquence n’étiez pas l’amoureuse éconduite

sandrine : pouvez reprendre lentement

juge : dossiers mélangés, femme de ménage, etc.

sandrine : oui

juge : or donc le fameux lundi, guy retrouve édouard


sandrine : cyclo défectueux

la juge : le démarreur

sandrine : absolument

juge : question : couchez-vous avec votre frère

sandrine : je ne crois pas

juge : et avec votre père


On saute la pause.


la juge : hier soir, jenni s’était couchée de bonne heure, comme trop souvent, je relisais les minutes du procès

sandrine : moi je feuillette des catalogues

juge : j’ai aussi une bio de l’abbé cauchon mais ça m’ennuie

sandrine : connais pas

juge : une autre phrase a retenu mon attention : « guy et guillaume sont une seule personne »

sandrine : qui a dit ça

juge : vous

sandrine : non

juge : très bien, rembobinez


Le greffier fait tomber toutes les cassettes, c’est la confusion. On aperçoit le greffier sur la plage ramassant des bigorneaux, la juge en maillot, le bal des pompiers…


la juge : allez-vous y arriver


Suivent : long plan-séquence sur le clocher de l’église, images aériennes de la forêt, on entend le greffier jurer, interview du conférencier en costume de nioukhine…


la juge : je vais être obligée de suspendre

public : oh non

juge : l’emploi des seniors dans les services publics

sandrine : très sexy ce monokini, c’était en quelle année


MONOLOGUE DU JUGE


la juge : je peux signaler

sandrine : faites

juge : qu’il n’y a pas de tombe au nom de jeannette

sandrine : enterrée sous son nom de jeune fille

juge : la recherche de la vérité n’obéit pas à notre calendrier


Tout le monde médite la phrase.


sandrine : marino 

la juge : quoi marino, on ne crie pas dans un tribunal

sandrine : jeannette marino

juge : ouiche

sandrine : vers les cyprès

juge : et les autres

sandrine : ferté montmirail ensemble, marelle par-dessus

juge : nous vérifierons


Au mois de juin, le maire avait même interdit le site aux promeneurs, par mesure de sécurité. Jusqu’à ce qu’on s’aperçoive, après plusieurs semaines, que « la panthère noire pas très grosse » n’était autre qu’un « chat exceptionnellement gros.»


la juge (sort une feuille) : suis allée faire un tour sur votre blog, c’est n’importe quoi : « j’espère qu’il va pas nous bouffer un jogger » et « j’ai entendu des cris terrifiants, le puma se battait avec un blaireau », enfin « ce monde est ignoble, j’espère que la pauvre bête ne subira pas une issue fatale »

sandrine : on chatte

la juge : interdit de parler d’une affaire en cours


Contente d’elle replie son papier.


la juge : sandrine fleur marino trucel, 23 ans, 120 impasse de la bourrette, sans profession, de marelle marino trucel et géniteur inconnu

sandrine : guy

juge : est-il votre père oui ou non

sandrine : j’ai promis de ne pas le dire

juge : ça reste entre nous

sandrine : d’après marelle non, d’après guy oui

juge : guy oui, notez, fratrie

sandrine : deux sœurs décédées

juge : pas de frère

sandrine : ben

juge : d’où sort-il celui-là

sandrine : demi-frère


Sylvie lance ses stylos en direction de Sandrine, celle-ci esquive à la manière d’une boxeuse.


premier intermède chanté : « la nouvelle épouse est une météorite »

par sandrine


j’allais vêtue comme un plouc mais on organise une opération escargot

les astrologues amateurs reconstituent la trajectoire


REFRAIN

on n’a rien fait de plus

même si on l’a voulu

d’ailleurs on n’a rien voulu


où est-elle tombée, on recherche un aéronef

le village n’a plus le moral


on bloque le rond-point

les spécialistes parviennent à situer l’hypocentre

on fait un sit-in


objet céleste ou débris spatial

on apprécie la discrétion


REFRAIN


le village regarde ses pieds

elle avait des bottes, ravissante comme d’habitude, le marié pas mal non plus



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