"Une science suppose nécessairement une philosophie,
une "foi" préallable
qui lui donne une direction, un sens, une limite, une méthode, un
droit à l'existence."
F. Nietzsche in Généalogie de la morale.
ichael
Billig est professeur de psychologie à l'université de Birmingham.
Son livre traite de psychologie... plus précisément d'une discipline
de la psychologie: l'Eugénisme(1);
qui se verra attribuer une chaîre à l'université de Londres
en 1911.Ce livre est succint mais dense, didactique, nourri de références,
et gagne à ce qu'on l'en dépouille l'instant d'une critique. Non
pas qu'elles soient superflues, mais qu'elles étouffent, en l'étayant,
l'essentiel du propos: l'élaboration particulière à une
science de la race.
C'est pourquoi je les ai réduites
et retranchées dans l'appareil de notes afin qu'elles continuent de témoigner
de toute l'ambiguïté idéologique d'une pareille science...
Francis Galton est d'ailleurs suffisemment explicite à ce sujet: c'est
une science qui se destine particulièrement à des mesures sociales,
voire même à devenir "un dogme religieux orthodoxe du futur". Son
application par les nazis est de loin la plus représentative que l'on
connaisse.La philosophie nationale-socialiste se fonde sur le présupposé
que la race détermine les actes des individus, des peuples et des nations,
et sur la crainte d'une décadence génétique à laquelle
seule une politique de la race, fondée scientifiquement, est susceptible
de remédier. Ce genre de présupposé et de crainte a bien
évidemment moins à voir avec la science qu'avec des préjugés
ancestraux. Il fut cependant adopté par les universitaires Allemands
qui travaillèrent dès les années trente à fournir
à cette politique la science qui lui manquait(2).
L'eugénisme est et a toujours
été une activité engendrée par le désir de
pallier à l'imperfection démocratique par une société
fondée scientifiquement, il ne s'agit vraiment pas d'un particularisme
poussiéreux: dans la Harvard educational review (1969), Jensen(3)
cherche à démontrer que le manque d'intelligence héréditaire
des noirs rendrait toutes les dépenses de fonds publics inutiles. Les
propos de ses collègues laissent également entendre que la science
n'est pas leur unique trait commun: Eynsenck(4),
pour qui "à chaque admission d'un noir terne et pauvrement instruit,
on forcerait un étudiant blanc pourvu d'une bonne culture à abandonner
(ce qui reviendrait à favoriser, selons ses propres termes, la médiocratie
au détriment de la méritocratie -euphémisme pour untermenschen
et übermenschen)"; ou encore Gayre(5),
prévenant que l'intégration scolaire "force injustement les enfants
noirs à se bousculer derrière les enfants blancs pour essayer
de les suivre".
Ces attentions scientifiques firent
aussi bonne impression auprès des politiciens soucieux de réduire
le budget de l'éducation qu'auprès du National Front(6).
Ces chercheurs nient cependant tout préjugé de leur part, prétendent
obstinément à l'objectivité... Nous admettrons qu'il faille
être un demeuré, ou plus certainement un opportun candide, pour
ignorer l'historique et la méthodologie qui fonde sa propre science...
Nous connaissions la méthode dite expérimentale: observation,
classification, hypothèse et vérification; les eugénistes,
eux, détiennent le monopole d'une tout autre procédure: hypothèse,
observation, mesure et classification (chez eux la vérification embrassant
les quatre autres données).
a fin du XIXème Siècle est pour l'Europe une période de pleine mutation industrielle et urbaine et, de ce fait, d'inquiétude face à l'expansion de la modernité. Les Juifs y sont perçus comme de dangeureux agents de changement et de bouleversement(7); on redoute le métissage.Francis Galton, à la fois psychologue et aventurier, pionnier de l'eugénisme au service de l'impérialisme victorien, se propose en 1965 de créer un dispositif garantissant la pureté et l'amélioration de sa race: "Nous voulons des capitaines, des hommes d'Etat, des penseurs plus compétents." Lui, (visiblement épargné par l'incompétence) pensait parvenir à ses fins en appliquant les méthodes darwinistes de reproduction et de mutation physique des animaux, à l'Homme...
e
voilà qui se livre à ses premières observations: "Les
nègres nés aux Etats-Unis ont les mêmes facultés
intellectuelles qu'en Afrique." "Même civilisés, les nègres
gardent les caractères innés aux sauvages." Il constate également
que la seule manière d'éduquer les nègres "si enfantins,
stupides et dignes de simples d'esprits", est la manière forte. Puis
il se met à analyser les biographies d'hommes illustres, en notant pour
chacun d'eux le nombre de parents éminents qu'elles possèdent.
Pourquoi pas l'annuaire pendant qu'on y est est? Ce serait méconnaître
Karl Pearson(8) que d'y renoncer: "Une
étude actuelle des noms dans les annuaires commerciaux des villes de
Londres et Manchester donnerait matière à réflection."
La "matière" en question le préoccupe à tel point qu'en
1925 il décide de mesurer les enfants d'immigrants juifs sous toutes
les coutures, aussi bien physiques qu'intellectuelles.Evidemment, ces mesures
grotesques ne peuvent prétendre démontrer que la science de Darwin
soit appliquable aux différences individuelles et sociales.
Elles se contentent amplement de
nourrir la propagande protectionniste de fabulations scientifiques, prétant
aux croyances populaires racistes des allures rationnelles.La crédibilité
de l'eugénisme ne pouvant être assurée par d'indiscutables
découvertes, il lui faudra de beaux parleurs...
coutons
Galton:"Il est avant tout nécessaire que les progrès de l'eugénisme
soient couronnés de succès, que ses défenseurs procèdent
avec discrétion et ne prétendent pas à une efficacité
plus grande que celle que le futur aurait confirmé."
Lourde tâche pour ses successeurs de ne représenter qu'avec des
prédictions, une science qui n'a rien à découvrir!La première
défense qu'ils adoptent face à leurs détracteurs consiste
à les accuser de racisme; selon le procédé par lequel on
accuse de sa propre forfaiture celui dont on ne veut à aucun prix qu'il
la révèle... ici appliquée avec d'autant plus de conviction
qu'un scientifique est à même de dissiper dogmes et préjugés.
Sous les critiques interminables des biologistes, ils préfèrent
se boucher les oreilles, les traiter d'ignares et se détourner vers les
amateurs bienveillants.Mais leur spécialité reste le non-sens:
après avoir bien mesuré les enfants juifs, Pearson conclut: "Nous
ne pouvons constater que l'immigration ait été un avantage pour
ce pays."
urt,
observant que le test du Q.I. n'indique aucune différence entre les races
(ce qui arrive uniquement lorsque le questionnaire ne favorise plus les membres
d'une culture donnée), insistera tout de même sur le fait qu'aussi
minimes que puissent être ces différences, elles peuvent impliquer
d'importants fléchissements. Eysenck, à ce propos, affirme que
"tout changement de proportion des variations du Q.I. dû à des
causes génétiques allant de 0% à 100% est fondé
sur la forte base génétique du Q.I."(?)Reste la mauvaise foi dont
ce dernier fait preuve dans le Times du 15 mars 1978: "Le travail empirique
que Jensen et moi-même avons dirigé, rend le maintien des positions
racistes que tous les membres d'un groupe donné sont inférieurs
à tous les membres d'un autre impossible." En désespoir de
cause, ils peuvent toujours les traiter de communistes, à la manière
d'Eysenck recevant les critiques de Rockeach comme une réponse à
sa propre critique du marxisme (mais l'exemple est particulièrement mal
choisi, puisqu' Eysenck ignorait tout des attaques de son interlocuteur contre
le dogmatisme commun aux marxistes et aux fascistes dans ses écrits(9)).
Jensen, certes plus brillant, considère
les antiracistes comme des racistes souffrant d'un complexe de culpabilité.Finalement,
les seuls à ne pas leur poser de problèmes sont les fascistes,
ils s'accommodent parfaitement de la tendance idéologique de ces scientifiques,
leur seule dissemblance étant que les uns agissent selon ce que voudraient
démontrer les autres.Les scientifiques convoqués par M. Billig
nous apparaissent tous aussi lamentables, effraient, prêtent à
sourire parfois, mais ne doivent pour autant nous distraire de l'essentiel du
livre: l'appréhension de la haine par ceux qui cherchent à la
justifier...
maginons
l'inquiétude d'une nation qui ne comprend ni les microbes de Pasteur,
ni les peuples qu'elle a colonisés au bénéfice de sa gloire,
et s'amuse par ailleurs à faire tourner les tables en appelant les esprits...
l'épouvante!
La phobie d'extinction graduelle d'une nation vaniteuse qui s'imagine les peuples
humiliés couchant avec ses filles. La tradition eugéniste galtonienne
a planté là ses racines, dans cette crainte irrationnelle d'anéantissement,
soucieuse de deviner ses origines avec ses instruments de mesure...C'est en
se penchant dédaigneusement sur la faiblesse ou la différence
que ces psychologues configurèrent le mal, plus soupçonneux envers
les invalides, les noirs, les juifs... qu'envers leurs semblables .
"C'est la théorie qui décide de ce que nous
sommes en mesure d'observer."
Albert EINSTEIN
NOTES