THEORIA - deuxième partie

transcription des tapuscrits et organisation du dossier : C. de Trogoff
Relecture : L.L. de Mars

Le 09 / 12 / 1981, M.V. ajoute à la communication « Une description difficile » (de 1978, reproduite ici) un addendum —une page tapuscrite avec deux notes en marge — sur la notion de difficulté et d'arbitraire (thème présent dans la lettre à Pierre Pachet du 09 / 01 / 1981 dont nous donnons copie des différentes versions ici), pour en étendre l'espace théorique.
Cet addendum, qu'il juge sans doute insuffisant, est rayé d'une ligne bleue sans équivoque, raison de son absence parmi nos transcriptions.
Cette page désavouée nous donne au moins une chronologie possible pour l'écriture de la longue deuxième partie (celle que vous lisez ici) qui finira par rejoindre « Une description difficile », ensemble qui formera désormais « Theoria ».
Dans certaine version des tapuscrits, la lettre à Pierre Pachet est ajoutée en conclusion, parfois adressée à un « Cher Piotr ».
Nous retrouvons ce « Theoria » sous la forme d'un chapitre supplémentaire inséré dans le roman inédit « Le souveneur ».


Nous avons ajouté en fin de page à nos transcriptions les notes accompagnant la communication de 1978, notamment celles consacrées aux problèmes de traduction du texte, et les articles consacrés au colloque.

« Question : qu'est-ce que: facile et qu'est-ce que : difficile?

Réponse : il est facile de poser de telles questions, mais difficile d'y répondre. »

Aphorisme facile, difficile, d'une belle aisance, réussi dans sa forme. Figure complexe ou fourbe d'une rhétorique supportée par un sens qui lui échappe mais qu'elle fait circuler, renvoyant le sens à son glissement, bifurcation, confluent, court-circuit sémantique et logique, chiasme... Lichtenberg ne définit rien, ne représente pas, ne critique pas, il exemplifie sans prouver, c'est par auto­destruction qu'il montre : peut-être la fallacy de tout questionnement général comme de tout jeu de mots. En somme, une version plus élégante et subtile d'un célèbre couteau tout juste bon à tuer l'anthropologue.

Question : qu'est-ce que questionner? La Question est une tactique ou/et une catégorie mentale, elle signifie également torture : son éventuelle conséquence : son éventuelle origine. Le secret du Sexe et du Sens politiquement noué. Et dénoué pour rien, par plaisir, dans la limpidité tortueuse d'un aphorisme. En même temps, il n'existe aucune essence du facile ou du difficile. Mais la question est là, Lichtenberg retourne magistralement l'extension en compréhension, il accomplit une pure figure sur le terrain même de l'opinion : dont on soupçonne au moins un point de contact (mais où?) avec le terrain d'une science dont on utiliserait (parodierait?) la méthode... Faux sérieux protocolaire de l'aphorisme.

S'inversent les pôles de la Question et de la Réponse, du Singulier et du Genre : une langue se goûte et se traverse sans contradiction ni paradoxe. Les mêmes mots se trahissent, s'épousent et s'épuisent, on donne le paradigme avec l'adultère, on évite l'Histoire ni plus ni moins menacée que toute histoire de finir en Style. Le truisme appelle le rire (et souvent vice-versa), démystifications réflexes, ricanements du groupe, mains courantes, les Mots promènent éternellement leur air de Choses importantes.

Serait-il légitime de distinguer un humour d'écrivain de l'humour d'un peuple comme ce qui sépare l'exercice spirituel (individuel) de la sagesse défensive (collective), la gratuité de la mentalité, la liberté des libertés, l'arbitraire de l'art du libre-arbitre et du Droit? À l'instar de Lichtenberg, jouer d'un éclair le Pied & l'Herbe des notions en se gardant d'éclaircir. L'humour serait aussi une pragmatique qui piège pour les défaire des axiomes trop implicites pour être énonçables : léger vertige d'abstraction & d'intuition mêlées, maintenant artistiquement enclos comme dans une mince membrane, comme une réserve de mobilité, de disponibilité: la forme dans tout son état sensible. Le vent de l'énigme passe: le sourire, plus puissant que la loi & le rire.

Que vont devenir le Sexe & l'Art? Seul Dieu pourrait encore avoir (hélas) un bel avenir (devant Lui). Le dernier rêve secret de nos instructeurs mondiaux : s'emparer un jour de la musique. Et pénétrer au plus profond des voix afin d'en brancher les cordes sur la monomachine des psaumes frères ou laïcs (aucune importance).

Qu'avez-vous épousé? Quel est le romanesque des uns & des autres, ce qui entretient tout pour chacun, l'alacrité comme l'insatisfaction du public, l'éclat individuel avec la bonne volonté des écoliers? Rêver pour agir, rêver pour dormir, rêver pour s'éveiller, rêver pour rêver. Non : rêver. Devant certains produits de l'art : oui, oui... et alors? Comme devant certaines vies. On oublie les candidats pressés au suicide.

Faire du mal (car est-il possible de faire le mal?), le refaire imaginairement en écrivant, jouir encore de cette neutralisation avide de succès, jouir de son écho, voire donner au mal une nouvelle chance dans le monde... Pur moralisme, ou bien plaisir de philosophe. (Mais qu'est-ce que le plaisir et qu'est-ce qu'un philosophe?)

Ne pas vouloir tout (!) faire à la fois. Un vrai pas d'abord! Tout suivra, du moins beaucoup.

Est-ce que faire l'amour signifie quelque chose? ( «Signifier» a-t-il une signification particulière dans cette question?) L'art est-il une pratique ? Que l'on réponde par oui ou par non il va falloir remuer beaucoup de choses (...), le facile & le difficile. Si on avait tout son temps on ne le passerait sans doute pas à faire l'amour, c'est-à-dire qu'il y aurait quand même quelques... pauses, ou intervalles. Que faire dans l'intervalle? Rien? Ce qui se fait ou non, ce qui se passe dans l'intervalle ne prépare-t-il pas déjà et encore à l'amour? Mais ceci vaut, (chez certains (mais est-ce certain?)) encore bien plus pour l'art. Entre l'amour et l'art existe-t-il comme un rythme commun, une arythmie, quelque chose (...) que saurait suggérer un dessin d'ondes interférentes? On mesure avec de l'espace mesuré, on ne se mesure qu'avec le temps démesuré, incommensurable, là réside le jeu, la jouissance et la mort, "tout l'intérêt". Et personne ne gagne car le temps est trop fort pour se respecter lui-même. Et c'est encore une idée folle d'orgueil de croire que d'une manière ou d'une autre il se sert de nous. Cependant on doit être plus fou que cette folie, croire qu'on peut "quelque chose" (seul cas moderne, dans un syntagme figé hypervague, où pouvoir reste transitif, et tout le monde comprendra, ce qui d'ailleurs n'exclut pas qu'on s'explique). Qu'on peut ou qu'on peut faire (un faire aussi douteux qu'un être, en quelque sorte, aussi explétif). En réalité ON N'A JAMAIS RIEN À PERDRE. Restent les problèmes dits pratiques, c'est loin d'être trivial.

IL a côtoyé des choses mobiles avec le sentiment légitime et illusoire de vivre plus vrai, plus fort que d'autres, parfois avant eux (devant — s'imaginent certaines crapules), brillamment seul : heureux de faire & être le temps, brûlant ses portées, musique... Soudain prise dans le dessin montant, la confluence sociale des singularités, toutes brillamment seules... Qu'est-ce que social : ce qui se fait. Sans quiconque ni personne? Nul doute que le social n'ait ses « artistes », plutôt rares (hélas). IL voulait à la fois échapper au grand dessin et en mourir, il a glissé vers un bras mort, un endroit où le courant allait moins puissant, une île toujours mouvante. Ses échecs l'ont servi mieux qu'autre chose, Il lançait des fumées de temps en temps, le rire dans la barbe. Avec l'ambition IL perdit sa lassitude, sa paresse décidait. Il LUI suffisait de tourner la tête de 5° pour qu'une civilisation entière disparaisse, il se fit latitude, toutes les surfaces culturelles furent moins passionnantes que la surface de l'eau. Trêve d'arrogance biographique : qu'est-ce qui prouve que vivre consiste à à bouger, à changer, voire rencontrer? Tant qu'un infect garde-côte ne vous brutalise pas, tant que le siècle débile et sa mort rigolarde ne souillent pas votre micro-climat, tant qu'on ne vous colle pas l'envie comme la poisse (comme un harpon humain dans une baleine de pluie), vous pouvez rester sur le même bord à pêcher, en regardant sans fin les vagues jamais identiques.

Un livre ne s'oppose pas à la vie, d'aventure il la provoque de manière incalculable, ou l'endort. Un livre est un objet d'art. Mallarmé : « En vérité, il n'y a pas de prose ». Il n'y a pas de livre non plus. Quant à la vie... Que trahir de plus important que l'importance proclamée pour simplement vivre? Ni contradiction ni transgression mais adultération permanente, c'est plus facile. Et plus difficile d'inquiéter le couple que je reforme constamment avec moi-même, en fonction et en dépit des institutions, mots & émotions, tentations & mutilations, pleins & vides. Les couples avouées sont ailleurs invisibles, l'amour est peut-être à faire, avec art, la vie est une partie carrée. A quoi de moindre consent le couple pour s'en arranger, négocier au plus bas la mort? Si l'on veut, passage du difficile au facile.

Comment dire (accointé, à côté, accouplé, adulé, altéré) les moments intenses sur le coup, sinon avec art, comme dans le langage même des choses de l'art? La question-réponse y incite, la vie plus vraie qu'elle-même, le jeu de l'amour et du hasard, de mots de mort, mais les choses s'accomplissent avant d'être choisies, on s'accorde une dernière difficulté ou facilité, rien n'est foncièrement inexprimable car rien n'est foncièrement exprimable : l'un pousse un pion, les autres font le reste, une théorie générale est difficile, totalitaire ou ridicule, provisoire méthode ou amusement. On devrait au contraire se demander si tout n'est pas tout le temps terriblement facile. Et cette facilité effraie, les mots sont là, on suit, mourir est plus facile que vivre, l'art encore autre chose, pas forcément une autre histoire. L'art, difficile facilité, rend le facile au difficile.

Facile d'écrire sur l'art (d'écrire d'art, d'écrire l'art) en termes de sexe. Quant à décrire le sexe artistiquement... Plutôt le vieil art de vivre qu'un quelconque art de jouir! Tout terme est de sexe, tout objet d'art, toute logique de droit, toute facilité difficile, toute difficulté... Selon la théorie comme sous l'angle quotidien du bonheur et du malheur, faire l'amour ne résout pas la question descriptive. Et inversement. Affirmer qu'il n'existe pas d'impensable, imprononçable, irreprésentable, ici la sodomie ou l'inceste, ailleurs l'Holocauste. Par contre il existe sans doute des chiens aveugles capables d'assembler des idées et de rameuter. Sinon l'inceste ne se soustrait pas à la pensée, ni plus ni moins qu'un vol d'oiseau, la danse, la musique. Ou manger. L'aile de l'oiseau est aussi trouée, parfois la merde répugne moins que bien des bouches. Portrait du Sexe, portrait de Dieu, l'art ne portraitise pas, Le portrait n'est pas un portrait (ou ce n'est pas de l'art).

Dignité et obscénité relatives. Gestes anodins, normaux, plus révulsant que l'obscénité. Dignités obscènes. Coït et défécation fascinent, amusent le regard innocent comme la mort partout invisible, avec ou sans drame. Le temps nous adultère, le réel nous kitsche, le rire fraternise avec la peur, on ne voit pas ensemble ou accordés le sexe et l'invention. Le rire, dénégateur pornographe. Le rire dénonce, réassume le compromis. J'aime ceux et celles qui rient pour rien. Non pas de rien : toujours un pet déclenche l'ancien réflexe herméneutique, c'est la théologie qui pue. (On peut gloser sur le mauvais goût, forcément bon.) Ce scandale bâclé de la vie humaine témoigne d'une sorte de défaite réussie, tant pis pour ce qui sombre. Constat. Mais encore de quel ordre? Union du biologique et du mécanique (à ce qu'on sait), copulation, mastication, les dents aident les diastases, etc. Et toute la graduation morale du déchet, de la défécation à l'expiration, via miction, sudation, morvation, pleurs et bavation, du vent au souffle. Excrément-déchet, oeuf-reste. Les menstrues troublent un grand paradigme, contaminent le privilège éjaculatoire. Toute une modulation psychologique, sociologique, psychanalytique, économique, politique, comique, sadique. L'homme n'est plus seul à écrire, plus la seule aventure. L'oxygène vital et son corollaire, C02 létal, sont aussi invisibles que la ponctuation qui lie & sépare les mots par conventions l'intervalle blanc. Fond de l'air où tous les corps se déplacent, surface du papier. Ce qui est visible est invisible. On a beau le savoir, la difficulté subsiste, inspiration, expiration, peinture, peinturation. Ici survient comme impossibilité (en chair et en os) de rire le dogue blanc élancé aux yeux bleu pâle de la gardienne. Des rondelles limpides d'une fixité féroce qu'on ne voit pas bouger, l'imbécilité électronique reptilienne d'un regard qui peut faire poids, débouler d'un coup. A quelques mètres le dogue me hume comme son propre point vélique hors langage, absurde obéissance à l'évaluation COMME à la cible.

(Eu cette idée — vision abominable d'êtres humains fonctionnant comme des lampes connectées au même secteur. On ignore où elles puisent leur énergie, on remarque seulement que l'une brille plus fort quand l'autre éclaire moins. On devine un pompage féroce : la pure relation. Et je refuse cet aspect réel du social pris sur le fait, je veux qu'il existe quelque chose de moins désespérant, de moins bestialement facile, même si toute la pensée humaine s'investit là animalement... Je me dis que peut-être il est possible de fabriquer un autre circuit, ou, en attendant, d'aménager le régime des lampes, d'améliorer leur alimentation, leur production de lumière...)

Un homme qui connaît un peu les femmes parce qu'il en a aimé quelques-unes ne dira jamais Les femmes, mais lorsqu'une femme un peu intelligente évoque Les hommes elle sait à quoi s'en tenir, et cette absence d'illusion la rend incompréhensible à des hommes triviaux, persuadés qu'elle ment dès qu'ils débusquent un mensonge. La plupart du temps une femme ment pour prendre un raccourci («ce serait trop long à ex­pliquer» «de toute façon tu ne m'aurais pas compris»), apparaître telle qu'on la désire jusque dans son langage, des mots où on la somme d'être. Elle ment par ignorance ou par mépris du mensonge, elle ment par courage pour ne pas mentir, parce qu'il faut mentir dans un monde mensonger où les hommes ne mentent jamais. Une femme ment afin de préserver son intégrité physique.

Bien sûr, mentir est facile (en réalité très difficile), même pour une femme. On ne justifiera personne.

Presque fantastique la manière dont une femme arrive à rayer de sa mémoire, avec facilité, ses plus beaux moments, comme si elle était douée d'une faculté d'oubli absolument volontaire... Langue étrange, facilité et faculté ont même étymologie, et la douleur forclose des femmes tuent jusqu'à leur douleur, peut-être leur amour avec. L'insen­sibilité de certaines femmes au cœur de la passion n'est pas un mythe, c'est le prix net de leur vie.

En allemand, facile se dit leicht (qui signifie également léger), on songe tout de suite à Licht, lumière. On indique, je crois, cette racine mais aussi une autre: gelingen, réussir. Serait donc facile cela qui me réussit...

En amour comme en histoire il y a les courtes et les longues durées. Ce qu'on gagne dans une durée on le perd dans une autre. Maxime non pas facile mais un peu infantile qui, pour une fois, effleure l'impensable. Comme tout ce qui est banal ou évident, ou même pas faux, de ce même-pas faux que trimbale la rhétorique, l'arme idéale du démagogue - le même-pas faux ayant un air de tout-juste vrai, il ne manque qu'un peu de souffle et de constance, on trouve toujours les clabauds.

Tissée inextricablement de durées les plus diverses toute vie aspire sans doute à l'aphorisme, une morale du temps dans un art du temps, un petit dessin intemporel, une légende où l'on prendrait enfin plaisir à la douleur (sans masochisme). La vie n'est pas faite pour qu'on l'écrive, autre aphorisme. Évidemment la vie n'est ni faite ni pour ! Cela dit, se méfier encore de telles évidences, les actionnaires de la vie n'en finissent pas de mettre l'action au-dessus des livres, les remontreurs de remontreurs les stigmatisent comme poujadistes, re-re-couvrent une question réelle, quoi de plus poujadiste que l'invention du poujadisme? Et la mort qui vient et qui ne vient pas, la mort longue à venir, elle non plus ne veut pas tout de suite. Otez le voile romanesque... Le malheur est sale, c'est pire, il rend sale.

L'art peut s'utiliser, comme on peut faire servir ce qui ne sert rien ni personne. Si l'art est un suprême défi, ce défi procède d'une tentation permanente (qu'il serait vain ou faux de qualifier « inverse ») de laisser tomber. Rien de tel ailleurs, sauf chez les prêtres et les putes, seule comparaison. La danse est à tout le monde, ultime dépit des cuistres, car on danse sans raison, sans douleur, jusqu'à épuisement. Même en dansant seul on danse avec, solitude de tous les danseurs, infinie variation. Art futile, fatal comme le temps.

Jouir tandis qu'autour de soi règne le mal, jouir malgré le mal, grâce au mal, pour le mal, alors enfin faire le mal. Baudelaire et "la certitude de faire le mal" dans l'amour.
Ne plus avoir peur. Peureuse préoccupation!
«Tenter de vivre». Pour en finir avec la tentation» d'être encore tenté.
Pour l'artiste vivant, tel qu'il vit, aucun sens de distinguer une éthique d'une esthétique. Reste qu'il s'agit aussi d'un type comme un autre.
Art, orgasme mental solitaire, les autres y viennent prendre leur portion, le dessin devient social. Rien à dire du processus.
(J'ai vu de mes yeux deux femmes menant la guerre des manteaux.)

Quand est-ce qu'on commence, où finir? Et même quand on finit on n'en sait rien, on ne voit rien, on ignore qu'on a commencé. Impression de moments fastes et néfastes, du moment qu'on laisse passer, regrettable puis moquable. Que valent les nouvelles impressions, c'est-à-dire la pente superstitieuse et trouveuse de toute science? Un moment s'avère, s'envole, chaud comme la plume, exact comme une sentence mathématique, insistant comme un mythe. Moment d'une force qu'on voit exclusivement en lignes, aux coordonnées qui fanent, s'amuïssent, perdues. Moment de vouloir et d'abandon, on choisit : on cède. Entre la science et la croyance, entre cortex et vortex, par-delà le bien et le mal, le laid et le beau. L'arbitraire dessine... Pas un individu en guerre contre la société mais un artiste en ape­santeur, qui troue la matière, l'un quelconque des grands noms du social. Moment légendaire! Le vortex ne se raconte pas, il n'est pas non plus l'attribut d'un inreprésentable, le vortex se creuse n'importe où n'importe quand à 1'improviste, par simple amour du mouvement, mouvement d'amour, ou bien avec art.

Coït, co-ire, aller avec,certitude de faire le mal (Baudelaire) sans l'euphorie sédative de la « fouterie » « lyrisme du peuple ». Jeanne, Madame Sabatier, les prostituées et Madame Aupick, solitude du Poète. « Décomposition » ennemie de l'assouvissement communautaires la politique: LE politique. Reich (Wilhelm) se marie trois fois, orgasme libé­rateur, psychocosmique, démocratie du travail, prolétariat et orgone. Quel est le travail d'un artiste ? Aussi inexistant que celui d'une pute, encore moins planifiable. Art, art du temps, affrontement dur.

La ligne d'un nez quelconque dans un visage quelconque dispose parfois contre toute attente un charme imprévisible. Les lèvres sont légèrement difformes, comme l'évidence d'un cœur, lui caché. Je songe à des filles laides qui m'émeuvent à en perdre la raison.


DOCUMENTS

Document I - Tapuscrit agrafé (copie carbone)

DESCRIPTION DIFFICILE Michel Vachey ERRATUM

page 2, ligne 18 : on lit: « ne se mesure pas au nombre de preuves et de réfutations dont elle est l'ob. »

SUPPRIMER: « et de réfutations » - AINSI, on a: « (...) ne se mesure pas au nombre de preuves dont elle est l'objet (...) »

REMARQUES :

En effet (ou plutôt par (définition), chez Popper, une théorie falsifiable est une théorie vérifiable. Une théorie non falsifiable, donc non vérifiable, n'autorise que des prophéties, non pas des prédictions. Dans la mesure où théorie est synonyme de théorie scientifique, la théorie non falsifiable (comme en produit l'historicisme — et tout ce qui ressemble à une loi intangible de l'histoire, c'est-à-dire une orientation absolument régulière du devenir humain) n'est pas scientifique, à peine est-ce une théorie.

Des preuves corroborant une théorie, on en trouve presque toujours. On pourrait dire qu'une preuve ne prouve jamais rien... Par contre, une théorie peut être infirmée, surtout comparativement à une autre qui rend compte de ce que la première n'explique pas. Une seule réfutation peut donc en principe infirmer une théorie, ce qui ne revient pas & dire qu'il suffit d'infirmer une seule hypothèse si la théorie se conçoit comme une sorte de complexe d'hypothèses.

( Cela dit très sommairement. La pensée de Popper est très claire, très rigoureuse, quasi pédagogique parfois. Et j'ai rédigé le texte assez vite.)

Quand, après avoir cité Popper (d'une façon que j'avoue assez douteuse), je dis encore « falsifions », etc, falsifier n'a plus du tout le sens poppérien. Ce n'est même pas un détournement. C'est presque une falsification au sens du faussaire. Mais il s'agit au départ de brouiller littéralement, pour le faire bouger, le sens du mot faux — afin de reproblématiser.

Ma démarche est d'ailleurs inverse, en un sens, de celle de Popper. Il souscrit à une universalité (historique — antihistoriciste) résistant à la falsification (universalité provisoire, comme l'est toute hypothèse).

Sa démarche est critique, négative. La mienne est affirmative : l'invention est une processus de falsification positive, de distorsion, un paraître: un « résultat » mais toujours-encore déchiré dedans-dehors, n'importe où, déjà travaillé par la mort au moment où il marque un arrêt.

Ce que j'aime, chez Popper, c'est son affirmation du provisoire. Qu'il écrive que la pauvreté de l'historicisme est une pauvreté de l'imagination. J'aime son pragmatisme, sa combattivité intellectuelle contre l'holistic (totalisme). De là à le citer comme je l'ai fait... C'est contestable!

DONC, ici, ne pas trop insister. MV 6.II.78


Document II- Tapuscrit agrafé (copie carbone)

K.R. POPPER : Misère de l'historicisme. Trad. fr. de Hervé Rousseau. 1956. Note de H.R. sur sa traduction :
Par « vérifier », le traducteur a rendu le verbe anglais to state; il a traduit de même test par « vérification », testable par « vérifiable » (...)

Écartons tout d'abord une traduction par « tester ». Ce mot reste, en dépit de quelques tentatives, confiné en France au vocabulaire de la psychologie et l'on sait qu'à un test, toutes les réponses sont admisssibles. Or l'essence du tra­vail scientifique consiste précisément dans la rectification de l'erreur. (...)

On sait par ailleurs qu'en français « vérifier » peut être pris dans deux acception différentes (et nous suivrons ici le Vocabulaire de la Philosophie de M. Lalande, s.v.). Aux sens A et B, il signifie: examiner si une proposition, ou une hypo­thèse, est vraie ou fausse. C'est là, semble-t-il, son usage le plus répandu. Au sens C, plus proche peut-être de l'étymologie, il signifie: établir comme vrai. L'on dira au sens A « vérifier si...» et au sens C « vérifier que...». M. Lalande fait à juste titre remarquer dans sa critique (...) que l'usage du verbe avec un complément direct, ou du substantif, ne vont pas sans équivoques « vérifier une hypothèse », la « vérification d'une hypothèse » peuvent s'entendre de deux façons. Il propose en conséquence de se cantonner au sens A, et d'utiliser pour le sens C des vocables tels que « prouver » ou, ajouterons-nous, « établir », « confirmer ». Le traducteur du présent ouvrage, en traduisant to test par « vérifier », n'a fait que se conformer à cette suggestion qui répond à l'usage courant.

..........

Ceci posé, il nous faut dire que l'usage anglais, sans doute grâce à l'existence de to test, semble suivre le chemin opposé. To verify signifie avant tout: to prove, to be true, to confirm. C'est le sens C, abandonné par l'usage français.

Nous voilà à la source ne nombreux malentendus.

..........

Nous sommes maintenant à même de comprendre les observations que l'auteur a bien voulu nous adresser dans une longue lettre du 2 décembre 1955. Se conformant à l'usage de l'usage anglaise, il conserve à « vérifier » le sens C, et celui-là seulement. Il estime donc, et avec raison, qu'écrire to verify a theory « suggère que le résultat de l'examen sera positif, que l'on cherche tout au moins à établir la vérité de cette théorie ». Or, rappelle-t-il, cet examen aboutit le plus souvent à réfuter la théorie. M. Popper précise ainsi sa position: « Selon ma thèse a) un test n'est jamais une vérification; b) une hypothèse n'est jamais vérifiable bien qu'elle soit testable, c'est-à-dire que l'on puisse la réfuter, montrer qu'elle est fausse; to test une théorie signifie donc pour moi l'examiner sévèrement et s'efforcer de la réfuter (...) To test n'est pas établir, ou prouver, mais bien s'efforcer de déceler l'erreur. (...) »

////

K.R. POPPER : La connaissance objective. Trad. fr. de Catherine Bastyns. 1978. « Note et remerciements de la traductrice »:

Que le lecteur ne s'étonne pas ici de la disparition d'un des termes-clé du vocabulaire popperien francophone. Il s'agit du verbe « falsifier » et de ses dérivés. Construit sur un des termes de l'opposition vrai-faux, il avait l'avantage de marquer par son étymologie qu'il s'agissait de démontrer la fausseté (/d'un énoncé/), et le désavantage de n'être pas recensé au dictionnaire avec cette signification.

Karl R. Popper a bien voulu relire la traduction qui suit et m'a signalé qu'il souhaitait que le terme en usage soit remplacé par celui de« réfuter » (et ses dérivés). II insistait sur ceci, que si en anglais et en allemand les termes concernés signifiaient à la fois réfuter et adultérer, en français par contre le verbe « falsifier » n'a que ce dernier sens. Un point intéressant est que même en anglais son « falsify » est pour lui synonyme de « réfute ».

Nous sommes heureuse de pouvoir accéder à la demande de l'auteur, et de satisfaire ainsi un souci de clarté qui l'honore.


Document III- Tapuscrit agrafé

Dominique BED0U

DESCRIPTION DIFFICILE * (Sur la notion de faux)

à Stefan Themerson.

« Et comme toutes les descriptions,

c'est très très difficile, ...»

W.S. Burroughs 1978

« On a beau dire (et on aura beau faire), l'abîme est infranchissable. Les deux pôles ne se touchent jamais, la sottise est de croire qu'un des deux doit dis­paraître. »

Flaubert. Lettre du 22 XII 1878 à Mme Roger des Genettes,

* Communication faite au Colloque International de Psychanalyse de Milan, 24 Novembre 1978.


Document IV- Articles de journaux