Transcription : Marie-Valentine Martin
Relecture : C. de Trogoff & L.L. de Mars

©Marie Léonore Vachey

Archipel plusieurs

Tapuscrit étrange, composé d'une série de faux articles sous multiples pseudonymes (certains sont récurrents, notamment le Eshyl Vaune – parfois orthographié Vaughn – qui signe l'ensemble). Ce titre est étroitement lié au numéro de la revue Impasse 8/9 (voir En pays Kusha et Après cinq questions de Jean-Marie Le Sidaner)

Pour d'ex-intimes, Ménard s'est suicidé. Pour d'autres, également ex et intimes, il s'admirait assez pour ça mais il avait une raison de vivre. Il se trouverait en Amérique du Sud. Bolivie ? Ce potentat du tourisme, qui aimait les félidés et dansait merveilleusement le cha cha cha, entretenait des littérateurs à sa gloire. Bien qu'il dût ouvrir un livre, voire un journal, à peu près tous les dix ans, il remuait depuis la Côte de profondes pensées. Les peuples ont encore perdu un homme du monde. Les femmes vont pleurer.

Isabelle Plunian

 

Je ne lis pas l'américain

Georges Lagnon

 

Ce Livre du Mort nous promène dans le théâtre désaffecté où coulisses et décors, strapontins et scène, poulailler et trou du souffleur échangent leurs prérogatives et leur matière. Livre décadent d'un monde qui fait semblant de jouer parce qu'il ne joue plus, refus pathétique achevé en parade, mimé et miné, peut-être. Aussi un battement, de la grande représentation à la grande dissolution. N'en déplaise aux joueurs sur indices, qui sont nos indics, on n'en finit jamais. Pas de leçon, pas d'histoire, pas de biographie, pas d'échec, mais des passages.
Pierre de Camjonche

En marge de la littérature idéo-initiatique et connexe-contrainte, on s'évertue ici à l'inutile. Scientifico-politico-porno-fiction ? Les esprits chagrins ne sauront pas de quoi Ménard est en train de mourir. Car si le grand Paon meurt, le Pan qu'on croyait mort va revivre. Dans cet interlude qui n'est qu'une vue de l'esprit en même temps qu'une réalité d'impressions, Eshyl Vaune leur abandonne quelques plumes multicolères pour qu'ils en ornent leurs mémoires, leurs momies.

Naji Djegham

 

La simple conscience d'appartenir à la mégamachine est déjà terreur. Toute mise en contact transforme le monde quelconque en monde solitaire. N'importe qui peut alors tuer n'importe qui, sans s'exposer, sans arme.

Noar Mansenego

 

Inutile de lui supposer de secrètes accointances. En plus de dossiers d'anciens clients il disposait d'une pile de passeports oubliés dans l'avion ou l'hôtel, encore valides. On sera au moins averti de la négligence des personnes qui voyagent.

Heureux Porada

 

Certainement, Assemanti existait, c'était bien son nom.

Richard Petit

 

Extraordinaire affairiste dans la peau d'un fin lettré ? Play-boy mythomane trop sûr de lui ou père de famille misogyne, scrupuleux trésorier d'une association de parents d'élèves ? Picaro renaissant aux coudées franches ou homme de paille follement traqué réduit aux expédients ? L'histoire est aussi drôle que navrante, en tout cas baroque. Si Ménard travaillait pour des services étrangers, cela ne gênait apparemment personne. Sur lui, on a tout raconté, sur sa vie publique et privé, sa perversité, etc. Il serait mort d'un cancer. Quelle preuve ? Faut-il épiloguer sur les téléphones ?

Jimmy Languedoc

 

Quant à Mort Assemanti, ce n'était ni un écrivain mineur ni ce qu'on appelle un cas-limite. Un phénomène d'érosion.

René-Julien Aubort

 

Exact, la législation du travail yougoslave ne permettait pas à cette agence d'ouvrir un bureau à Belgrade. Ni ailleurs.

Vala Drosenk

 

Quel totalitarisme ? Choisir ? Et si ce qu'on pressent comme totalitarisme d'un futur probable était... agréable et également « juste » ?

Dan Ottier

 

Un fou, assure Sunion Il jouait au fou, rectifie Herbert Lucquin. Nolde condense cette double remarque: un vrai fou qui jouait au fou. Personnellement j'ai découvert en lui un mélomane. D'intelligence médiocre, il se trompait rarement sur l'intelligence des autres, c'était sa force. Aujourd'hui ne figure même pas dans les thèses. Puisqu'il s'avère que de jeunes économistes étudient de près Mare Nostrum.

Ian Soames

Un jour, surmontant leurs rivalités gnoséologiques, quotidianistes ou qualunquistes, les services secrets que nous entretenons (biopolitike, nosomathematike, semioesthetike, musicothanatike) sauront établir ce qui s'est passé avec Ménard, quelles furent ses activités exactes. Nous n'en sommes pas encore là.

Charles Haisaut

 

Mort Assemanti, cet écrivain du cinquième rayon au passé louche (limpide en comparaison du passé de pas mal d'autres), aurait constitué le brain-trust de la Méditerranée... Qu'on nous permette de rire. Pour mieux s'informer, certains iront faire un petit tour dans leurs souvenirs, en essayant d'en revenir, sinon on les oublierait là-bas.

Jack Fridrici

Ménard malin mécène, vrai et faux mutant, voyageur absurde ou solitaire, technocrate taoïste... Ménard ou bien Vaune ?

Gilles Rodin

Héros ou pauvre type assez bien entouré ? Nous n'avons vu personne qui veuille être son défenseur. Nous n'avons pas à sympathiser avec lui. Une part de sa stratégie se ramenait à faire n'importe quoi. « Évidemment » , eût peut-être ajouté celui qui fut un solide mondain et probablement rien d'autre.

Günther Poussette

Entre la clientèle de Guy des Cars et les adeptes du collage, le Dr Laca et Rita Kraus, la BD-SF et ses ethnologues, la médiocrité saisonnière soutenue et les spécialisations dans l'audace, le diplôme universitaire sophistiqué et le dossier-document imprenable, l'avant-garde éternelle et le best-seller obligatoirement traduit de l'américain, souhaitons qu'un regard non conforme se hasarde à considérer le puzzle étrange de l'Archipel.

Robert Jaunalitt

C'est l'homologation qui est en jeu et en cause.

Henry Tannery

Lui que nous venons de croiser sans le voir, qui sait s'il ne vit pas sous un visage refait — à la manière d'anciens nazis ?

Louis Lebon

J'ai connu Michel Ménard quand j'étais secrétaire d'État au Tourisme... L'entreprise était liée à sa personne... Dès qu'il s'en alla l'affaire a sombré je ne sais trop comment... On a tort de considérer exclusivement les chiffres.

Léon Lucat

M. Eshyl Vaune, qui représenta l'OTAN auprès de la CED dans les années 70, n'est certes pas un mystificateur. Mais il s'imagine qu'on peut créer une atmosphère avec des mots d'auteurs, deux poèmes et quatre nuages. Je ne mentionne pas l'intrigue car je ne l'ai pas trouvée. M. Eshyl Vaune eut largement accès à maints documents, il connaît les « rouages » et la « crise » . Pourquoi cet esprit aussi distingué que bien placé non seulement ne nous révèle rien mais refuse encore d'écrire un roman d'espionnage ? Ce ne serait pas déshonorant et on lui devine assez de talent pour nous maintenir en haleine pendant trois cents pages. Il évoque de manière vague la Côte d'Azur, en homme qui aurait trop fréquenté les Parisiens. J'avoue avoir éprouvé peu de plaisir à ma lecture, ce qui sans doute m'a empêché de comprendre sinon le livre du moins ses intentions.
Néanmoins, un ami me jure que M. Vaune possède le don rare d'attraper « l'air du temps » . C'est pour moi une denrée trop subtile. Attendons que le livre paraisse en France pour connaître la réaction des intéressés.

William Sutton

Admettons que Von Maynard ait eu un contact intergalactique. Ce n'est pas en soi invraisemblable. Ce qui l'est, c'est de pouvoir élaborer et interpréter un code inhumain. Du moins jusqu'à maintenant. Quant à imaginer ensuite cette trahison terrifiante... Nous quittons le domaine de la raison: du crédible.

Rose Xallas

Une planète imbécile qui ne mérite plus d'être défendue.

Sarah Enoude

(ESHYL VAUNE, ARCHIPEL PLUSIEURS. — Dossier établi par : Dominique Beukemans Claude Sunion Miki Malloum).
20.2.1978

 


imprimé dans la marge gauche, verticalement, de la deuxième page du tapuscrit :
Le MONDE
[...]cle abrutit ceux qui n'en possèdent pas le code, tandis qu'il affine sans cesse la compétence de ses manipulateurs. Meynard, à son tour, risque d'en faire l'apprentissage. La séquence qui confronte ses [...]
Xavier Delcourt.

imprimé dans la marge gauche, verticalement, de la première page du tapuscrit :
L'EXPRESS
[...]et enfants fous du meurtre politique sont-ils les inconscients outils de lointains services secrets, qui viennent faire sombrer les dernières démocraties européennes? [...]
J.-F. Revel, éditorialiste de l'Express.*



* note de L.L. de Mars : j'ai retrouvé l'article de l'Express de 1978, tel qu'il est cité par le Monde Diplomatique 1978, trente cinquième année, n°10265 :


Terreur à la française après l'enlèvement du Baron Empain


Cette semaine, Christian d'Epenoux, Jacques Derogy et Georges Valance, ouvrent un dossier de L'Express : l'enlèvement du baron Empain est-il le coup d'essai d'une bande à Baader française ou l'explosion d'un terrorisme à l'italienne, ou encore une affaire purement crapuleuse ? La tentation du terrorisme est-elle le langage du désespoir ? Jean-François Revel s'interroge sur la montée de la criminalité politico-crapuleuse : 4 Parrains rusés de la Mafia et enfants fous du meurtre politique sont-ils les inconscients outils de loin tains services secrets qui veulent faire sombrer les dernières démocraties européennes?


le dernier chapitre est extrait d'un autre article du Monde (dont je n'ai trouvé qu'une microfiche abîmée):


De part en part, la peinture affirme spectacle : faire voir et faire acheter. Les situationnistes, dès 1955, avaient analysé cette apothéose de la marchandise : Varias(?) peint des billets de banque géants. Mais la peinture industrielle, qu'ils avaient inventée pour s détourner du fétichisme, a pris, à son tour le chemin des collections privées. La société du spectacle est omnivore. En feignant de se mettre en jeu face aux caméras de la télévision, elle n'effectue qu'une pirouette ironique, la critique se retourne en promotion, excellente, pour les cotes de Monory et de Cueco, mais aussi pour celle de Meynard, le jeune peintre écœuré par cette tragédie bouffe.
Richesse et suicide
Il ne reste plus qu'à en rire. Les artistes rient beaucoup. L'humour assassin de Cueco, le rire excessif et presque mécanique de Monory, ponctuent rémission L'art et l'argent comme autant de symptômes d'une irréductible absurdité. Monory, dans ses technicolors peint la dérision des cadres sociaux : devenez riche, allez vous suicider dans un endroit enchanteur, au bord de la piscine olympique d'un hôtel quatre étoiles. Mais qui achète ces tableaux, pour aussitôt les cloîtrer dans son salon ? Le collectionneur bardé de billets, que les hôtels de luxe n'effraient pas. Alors, un empoisonnement subtil de son intérieur... Mais le collectionneur n'est pas dupe de ces peintres contestataires. Ainsi, on réécrit les circuits parallèles d'une société où les phénomènes collectifs primeraient mais où le goût pour l'art contemporain ne se trouve pas dans ces circuits. A Pascale Breugnot, Cueco confesse qu'il a perdu toute illusion populiste. Le spectacle abrutit ceux qui n'en possèdent pas le code, tandis qu'on affine sans cesse la compétence de ses manipulateurs.
Absence d'intérêt
Meynard, à son tour, risque d'en faire l'apprentissage. La séquence qui confronte ses parents à sa peinture donne tout son poids à la démonstration. Bien sûr, l'affection l'emporte. Mais l'incompréhension est totale. Des œuvres de leur fils, où ils se plaisent à reconnaître l'effet de ressemblance, ils ne possèdent qu'un poster. Par discrétion — car il vit de ses ventes — mais aussi par absence d'intérêt. La pompe des soieries, la scénographie de l'exposition, les mettent aussi mal à l'aise que la majorité des passants. L'impasse est incontournable. Mais à Beaubourg, la grande foire de Paris où se pressent les visiteurs,? Chacun fait semblant d'y croire un peu, pour oublier que l'établissement vient en un sens d'une institution qui neutralise son travail. A force de se vouloir démonstrative, l'émission de Breuqnot et Bouthier se retourne contre elle-même : constat d'échec, panorama de portes closes l'une après l'autre, elle paraît manquer, malgré son humour, d'une réflexion sur elle-même qui saurait peut-être amener à entrevoir d'autres vérités que celles que nous connaissions d'avance.
XAVIER DELCOURT.


L'article fait allusion à une émission qu'on peut retrouver dans les archives de l'INA, diffusée le 22/02/78, « l'art et l'argent », émission « l'art sur le vif » réalisée par Bernard Bouthier, avec Cueco, Monory, Jean-Paul Meynard, Carlotta Charmet (directrice de galerie), Jean-claude Binoche (commissaire priseur), dans laquelle ils sont interrogés par Pascale Breugnot