ouis Nolett,
super-flic auteur d'ouvrages sur Epictète cités par les meilleurs
philologues et politologues mondiaux, subsidiairement titulaire de quelques
diplômes, parlant malais et swahili, connu pour son laconisme _ sous le
sobriquet d'ETC _ dans les cénacles péjistes, chargea l'inspecteur
Undequer de recueillir quelques renseignements.
Ce corps, trouvé en pleine
rue dans un sac plastique normalement destiné aux ordures, on s'en était
manifestement débarassé à la hâte. Par crainte d'une
enquête subite ? Il n'y avait pas à proprement parler d'enquête.
Peur d'une dénonciation? D'une trahison?
L'autopsie révélait
une mort par méningite foudroyante. Autrement, nulle trace suspecte.Il
est assez rare qu'un ou des criminels balancent comme ça une femme-tronc
sur un trottoir entre dix et onze heures. Quant à confier l'exécution
à des méningocoques... Il est plus vraisemblable de supposer que
cette maladie provoqua l'effroi, puis la panique. On connaissait par conséquent
la nature de l'affection. En ce cas, un médecin avait informé...
A moins que le propriétaire du cadavre ne fût lui-même médecin,
ou qu'il exerçât une profession paramédicale quelconque.
Tout un appareil hospitalier à
surveiller, et tout un monde. Sans oublier qu'on peut aussi se faire soigner
à domicile.
Et il y avait d'abord cette rumeur,
ou cette pseudo-rumeur, puisqu'elle échappait au destin coutumier ou
logique du bruit, qui est la publicité, sinon la propagande.
Pauvre terre songea Undequer, où
l'on ne désire plus ses désirs, où l'on ne redoute plus
ses peurs. où l'on n'a même plus le courage de l'hypocrisie, ajouta-t-il
mentalement, sans conviction.
Dans quelles maisons vivaient ces
"mutilées volontaires" sinon chez les gens riches ? Il rectifia aussitôt
: piètre raisonnement. Et le fait n'était pas avéré.
En admettant sa véridicité, pourrait-on expliquer par la misère,
misère matérielle ou morale, ou les deux, un choix aussi horrible
? Horrible ? A quoi réfléchissait-il donc en réalité
? PLus plausible qu'un hypothétique volontariat aux mutilations, il apercevait
une pluie déclinante de vecteurs, le goût délicieux et effarant
de la mort.
C'était un petit roman macabre
prétexte à psychanalyse, un bout égaré de cauchemar
rose dans une ville qui s'ennuie, acclimatée à l'horreur, ça
finirait pas plus loin, pas au-delà des fantasmes non moins ennuyés
du dernier prof de morale. Undequer se souvint d'un voeu de pragmatisme qui
innocentait ses tâches.
Restait cette femme sans bras ni
jambe, sans moignon, sans cicatrice, à la peau régulièrement
blanche. Le médecin-légiste avait caressé de manière
admirative la peau, là où le membre manquait. "Du très
beau travail d'équipe. Je dirais même équipe de pointe."
Undequer se remémorait sa
question aussi spontanée qu'idiote au médecin-légiste.
-Quel est votre âge ?
Visiblement, l'autre ne s'attendait
pas à ce genre d'intervention saugrenue. Trente-trois, répondit-il.
Complètement saugrenu, se dit Undequer.
mpeccables.
Chirurgiens, anesthésistes, tout. Vraiment aucun problème. Astrud
Jézéchiel avait discuté avec une citadine apparemment heureuse.
Elle la revit à plusieurs reprises, elle se balladèrent ensemble.
En vain elle chercha dans son comportement des détails antipathiques.
-Jurez-moi que vous n'êtes
pas une rabatteuse ?... Vous êtes totalement libre ? Totalement ?
-Je vous donne ma parole
...Astrud eut envie de lui demander
encore si elle ne regrettait pas le temps où elle était... entière.
L'autre sembla la devancer.
-Je suis bien comme je suis, croyez-le.
Avant qu'elle aille
se faire faire un buste, Sarah Enoude envisagea de congeler ses jambes afin
qu'on les lui greffe ensuite si elle voulait retrouver son intégrité
normale.
En même temps, se voyant de
nouveau intègre, elle tremblait presque à l'idée d'avoir
tout le temps froid aux jambes.
Quoi qu'il en soit, elle se sentait
bien comme elle était.
Maintenat elle déplorait que
ses jambes n'aient pas fini dans l'estomac d'un tigre.
Pour les filles sans
bras ni jambes on disait squarred. Elle enregistra tout de suite. Mais le mot
d'amateur lui demeurait en travers de la nuque. Elle entendait à la place
: propriétaire, client. Et d'autres mots, violents, désespérants
ou destructeurs. Salaud. Scato. Esclave. Objet. Fond. Fin. Mort. Il existait
également des amatrices
-Qui est réellement esclave
de quoi?... Personne ne vous oblige.
Au troisième étage
de la SARVAM, l'une des plus importantes compagnies d'assurances de la planète,
Astrud s'informait auprès de Juana Carréga, une dame efficace
et détendue, très brune, la peau un peu molle.
-Vous gérez l'argent de toutes...
-De toutes les employées de
la maison, selon une terminologie ancienne qu'il n'y a pas lieu de bouleverser
et qui n'engage à rien. Il ne s'agit pas essentiellement de gérer,
même si vos revenus sont considérables. Nous devons vous protéger,
vous défendre. C'est le rôle de nos contrats en bonne et due forme.
- C'est... officiel ?
- Absolument. Même ce que nous
indiquons par c.c., c'est-à-dire clause compromettante.
- Compromettante pour qui ?
- Pour un amateur éventuellement
incorrect.
Il fallait un certain génie
juridique pour produire des contrats susceptibles d'être digérés
par n'importe quel ordinateur, inoffensifs contrats que la SARVAM pouvait d'un
coup rendre terribles en rectifiant une légère erreur sans grande
conséquence pour elle, rectification entraînant une relecture totale
du texte soudain gauchi. Un amateur potentiellement incorrect était d'emblée
un futur escroc rétrospectif contre lequel se retounerait impitoyablement
une respectable compagnie ignoblement abusée.
-Mais, finalement, tout se ramène
à la méfiance.
-La confiance. C'est différent.
Si vous vous placez au départ d'un point de vue désastreux, on
peut aussi bien invoquer le fait que demain l'Espagne ou le Pérou vont
nous déclarer la guerre.
Madame Juana Carréga sourit.
"Bon", fit Astrud.
-Qui n'est pas tenté d'abuser,
de mésuser, à commencer par l'Etat, à commencer par ses
propres amis ? Vous connaissez le sens du mot crédit... Soyez crédibles.
La SARVAM a su se rendre crédible, c'est sa véritable puissance.
La seule.
-Les prothèses ont fait quelques
progrès depuis Homais et Dupuytren... Certaines femmes repoussent l'idée
d'un système compensateur artificiel avec oui répugnance.
Elle avait parcouru la liste des
médecins dans le hall. D'une voix neutre, la secrétaire l'avertit
que le Dr Derouan ne prenait plus de consultation pour la semaine. S'il est
pris davantage que les autres, pensa Astrud, c'est peut-être qu'il est
meilleur, et elle eut envie d'attendre une semaine. Elle se ravisa, consciente
de sa sottise, de son anxiété. Ni plus ni moins qu'une femme enceinte.
Enceinte de la mort.
Elle lisait Abilio, Cormier, Derouan,
Liloup, Lochak, Pham Van Binh, Sinassär, Zriem.
-Le Docteur Cormier.
-Pour jeudi... à quinze heures.
ça vous convient ?
Elle se sentait furieuse, triste.
Cormier. Ce nom comme les crétins vont au cinéma d'après
les titres. Cormier. Une familiarité presque rustique. Elle se rendait
compte qu'elle se déterminait moins par hasard que par xénophobie.
Et elle ne savait plus si elle suivait son désir ou si elle s'entêtait
désormais par autopunition. Voilà pourquoi votre fille si belle
de jeunesse et de santé va se faire tronquer avec toutes les garanties
possibles. Et puis zut à la psychanalyse. Juana Carréga : " Qui
sait si tout ne va pas sortir d'un coup de la clandestinité, pour être
voté et approuvé au Parlement?"
Zut à la politique. J'ai la
fièvre, se dit Astrud Jézéchiel.
Au moment où elle quittait
le Centre de Rééducation Fonctionnelle, la secrétaire la
rattrapa.
-Je vous prie de m'excuser. Si vous
pouvez attendre encore une demi-heure, le Dr Cormier vous recevra.
-Si votre propre fille...
-On dirait une mère de famille
pleurant sur son propre sort ou une journaliste sentencieuse qui tient ses sources
de la police.
-Il s'agit de mon propre sort.
-Je n'ai pas de fille... Mais pourquoi
pas ?
-Pourquoi pas ? Et vous l'opéreriez
?
-Non. Mais ce serait non aussi pour
une simple appendicite.
-Vous vous dérobez.
-Admettons. Mais nul ne peut vivre
pour vous... Je vous prend quand ?
-Dès que possible.
-Pas avant cinq à six semaines.
Il y a les tests hématologiques et tissulaires, la vitesse de cicatrisation,
la chromodermie...
Il remonta son énorme montre-bracelet
sur un bras de nageur.
-Existe-t-il des inconvénients
spécifiques pour les squarred ?
-Mis à part l'aspect locomoteur
évident, aucun, à ma connaissance. Il y a un inconvénient
social, qui coïncide exactement avec le bénéfice. En d'autres
termes, vous devenez entièrement ou partiellement hétéromotrice.
Il faut que le désir d'assistance de l'un corresponde chez l'autre au
désir de manipulation stricto sensu. En ce qui me concerne, ce niveau
d'approche est acquis... Avant ou après, on consulte ici d'excellents
psychologues. Pour vous, il s'agira de en pas jouer les potiches. Les bras et
les jambes n'ont pas l'exclusivité de la musculature. Nul ne devrait
être en principe plus actif qu'une femme-tronc.
-On consulte aussi d'excellents kinésithérapeutes
?
-Qui vous enseigneront à vous
passer d'eux.
On avait dit à Astrud que
les squarred se déplaçaient sur de bons tapis comme un lézard
dans l'herbe. On se procurait des meubles particulièrement confortables
et pratiques. Si on voulait, et si on était doué, des appareils
munis de petits ordinateurs pour toutes sortes de trucs.
-Je vous importune peut-être...
Le plus rare, c'est quoi ? Les squarred ?
De nouveau elle s'affolait. Moins
craintive.
-Le plus rare ce sont les bustes.
Surprenant, non ? Les plus nombreuses sont les citadines. On marche mieux sans
bras que sans jambes, c'est clair.
-Tout le monde aime se promener.On
rétribuait les bustes et les squarred à peu près pareil.
Ca lui parut injuste. Pourquoi alors voulait-elle supprimer ses quatre membres
?
-Pas très nombreuses non plus
les main jambe gauches et les main jambe droites. Un chiffre intermédiaire
entre celui des squarred et celui des citadines... et qui tend à diminuer.
Vous savez leur nom ? Les semi-onciales.
-Vous établissez des statistiques
?
-On rapproche un certain nombre de
chiffres.
-Vous ne croyez pas qu'il peut exister
là aussi un phénomène de mode ?
-Certainement. Mais la mode est plus
mystérieuse qu'on l'imagine.Les gibbones constituaient la population
la plus dense. Autant de main droite jambe gauche que de main gauche jambe droite.
Les mains droites, on les appelait les gibbones " pra ". Les autres, des " amoureuses
".
Le téléphone sonna.
-Non, il est absent. La grippe...
Oui, au mois de juin... Jourdreuil ? Certes. Certes... Non, on ne part pas très
loin cette année.Astrud Jézéchiel retint sa respiration.
Jourdreuil était son médecin. Il ne devait pas exister trente-six
Jourdreuil dans le coin. Elle avait en lui une confiance sans limite.
- Merci de m'avoir
laissé trifouiller vos registres. dites-moi, dans quels cas on ôte
des membres à quelqu'un ?
-A la suite d'accidents de la route,
la plupart du temps... Je vois encore des malheureux qui débarquent ici
avec la gangrène... C'est ça pour moi qui est le plus incroyable,
c'est ça la barbarie... L'exploitation, la peur, l'ignorance.
Le professeur Lattice agitait les
mains à travers ses poches de blouse.
-Vous êtes au courant de toutes
les interventions chirurgicales ?
-Pas possible ! Les tâches
administratives... Mes cours... La recherche. Il s'en est fallu de peu qu'on
nous attribue le Nobel... C'est un peu la mafia, vous savez.
Il émit une espèce
de ricanement las. Undequer lui tendit la main pour prendre congé.
hmed
observait la main gantée depuis vingt minutes. Momentanément,
plus que lui et la femme dans la pâtisserie. Une main gantée près
d'une tasse que la femme portait à ses lèvres, qu'elle reposait.
De sa main droite nue elle lissait des sourcils avec un ongle. Ahmed allait
arracher le gant noir, dépouiller la main, dénuder la prothèse
miroitante comme de la faïence. Ou une fausse main si bien imitée
qu'il ne verrait pas immédiatement si elle était vraie ou fausse,
qu'il n'aurait pas le temps de toucher car la femme crierait déjà
comme une truie. De toute façon, il tâterait la matière
de la main, il sentirait si elle est tiède, si elle remue comme une vraie
main. Il y a des choses qu'on ne peut pas confondre. Peu importe si on lui tombait
dessus, si on le cognait, il aurait vu. Il s'apprêta à bondir.
La jeune femme le dévisagea.
D'un air qu'elle voulait naturel
elle ôta son gant, porta cette main neuve vers son cou. Ahmed n'en revenait
pas, l'élan coupé.
Elle le regardait. Il détourna
les yeux, tira une cigarette d'un paquet, fixa ses yeux vers la femme. Elle
le regarda avec un air d'ennui provoquant. Il alla vers elle.
-Pardon Madame, vous auriez du feu
?
Elle prenait un air de ne pas éclater
de rire, de ne pas être dupe.
La vraie main fouillait dans un sac,
l'autre main au bord du sac, tenant un côté de la fermeture. Une
main aussi vraie que l'autre, finalement. Elle sortit un briquet et alluma la
cigarette d'Ahmed.
-Merci de votre feu, Madame.
Elle rit amicalement. Ahmed ne savait
trop quoi lui dire, maintenant, et il quitta le salon de thé en laissant
une pièce de dix francs sur la table.
Philippe Lehman racontait toujours
des histoires à la con. Il affirmait que son père était
bien placé pour savoir ce qui se passait avec les chirurgiens. Mais cette
ville fourmillait d'histoires à la con. D'ailleurs, Philippe se spécialisait
dans les vannes tarées. Sans arrêt il répétait "
con comme une malle arabe ". Il attendait qu'on lui demande pourquoi, pour qu'il
puisse répondre ensuite, comme si c'était infiniment drôle,
qu'une malle arabe avait trois poignées. Ahmed était né
en France et n'avait pas vu beaucoup de malles, quelle que soit leur nationalité,
mais il ne trouvait pas du tout con qu'une malle ait trois poignées,
surtout dans des immeubles sans ascenseur. Lehman était un petit con
d'Européen.
-Et quand bien même tu interrogerais une centaine de filles
employées dans une centaine de maisons, qu'est-ce que ça prouverait
?
-Rien. Des accidents de la route.
Du chirurgien au garagiste.
-Ces deux jeunes femmes avec qui
tu as pu parler, ont-elles l'air malheureuses ?
-Elles n'ont pas l'air.
-Tu penses qu'elles le sont en réalité.
-Je ne pense rien.
Undequer renifla. Jacques Leo-Wallis
ne dirait rien de très net. Il plissait les yeux avec incrédulité,
repoussant Undequer vers un rôle de fonctionnaire ridicule saisi par le
soupçon. Jacques était moins le Maire de cette ville que trois-quart
centre dans une équipe de rugby où lui-même autrefois jouait
numéro neuf. Nostalgique, avec un amusement morose, il constatait que
rien ne changeait dans certaines relations.
-Que t'arrive-t'il ? Comme chacun
sait, je suis un anti-démocrate primaire, un illettré ennemi des
jeunes et des arts, le népotiste du Moyen-Orient français. A trois
semaines des élections, il me manque des ballets roses. Dois-je compter
sur toi ? On est en plein rétro !
-L'ordre moral, c'est l'Opposition
?
-Une évidence. Mais je veux
bien qu'on ouvre une enquête. Nous avons un préfet radical qui
ne ménagera pas ses efforts... Pour découvrir ce qui est notoire
: d'honnêtes familles emploient ou plutôt accueillent de jeunes
handicapées motrices. Générosité ? Perversité
? Ce n'est pas mon rayon. Toute société est ambivalente.
Undequer avait déjà
entendu cela quelque part. Le Maire continuait à pérorer.
-Aujourd'hui, les pôles opposés
s'écartent au maximum pour revenir follement l'un sur l'autre. Extrême
générosité, extrême perversité. Extrême
intelligence, extrême bêtise. Extrême puissance, extrême
fragilité. Non seulement dans le face à face de termes opposés
mais à l'intérieur de chaque terme.
-Cela encore pour longtemps ?
-En bon cybernéticien tu crains
le run-away. Le monde n'est pas une machine. Et pourquoi cela ne durerait-il
pas ? Et pourquoi cela durerait-il ?
Undequer déclina divers alcools.
-Vous ramassez des
voitures depuis quand ?
-Depuis que le garage existe. Maintenant,
c'est à cause des pompiers ou des C.R.S qui nous téléphonent.
C'est pas du boulot intéressant.
-On vous paie mal ?
-Oh, il y a des tarifs. Mais pour
ce genre de boulot ils n'ont qu'à aller voir les casseurs. Ceux qui s'occupent
des carcasses, les ferrailleurs, tous ces mecs-là. Nous, c'est la mécanique.
-Vous, vous avez déjà
vu beaucoup de cadavres ?
- Ouais, pas mal.
- Des personnes très gravement
mutilées ?
-Ecrabouillées des fois. Remarquez,
on voit des types qui sortent de leur bagnole sans une égratignure. Ils
grillent une sèche, ils font un kilomètre à pied, ils boivent
un coup en racontant l'accident, et toc ! Plus personne. Rectifié. Une
hémorragie, dans le cerveau, dans le foie.
-Vous avez vu des membres arrachés
?
-Moi non. Une fois, on a retrouvé
un doigt dans une voiture, sous le tapis en caoutchouc... On ne pouvait plus
rien faire avec, il aurait fallu le donner tout de suite à l'ambulance
ou les prévenir tout de suite... Maintenant, on arrive à greffer
des mains, des pieds.
Une voix retentit du fond du garage.
-Dis, Jaime, tu peux venir une minute
?
-On m'appelle... Pourquoi vous posez
ces questions ?
-C'est la Préfecture qui fait
des statistiques d'accidents. Allez, au revoir.
- A votre service.
Undequer vit le mécano disparaître
sous une auto. Il aimait la fraîcheur douceâtre des garages parfumés
d'essence, de graisse minérale, de cambouis.
e
que le Super-Flic a vraiment dit à l'Inspecteur Undequer, en gros et
à peu près.
-Je m'apprêtais à vous contacter quand vous m'avez appelé.
D'abord, je vous complimente. Mais il faut redresser légèrement
le cap... Bien sûr, Léo Wallis est le roi des menteurs. Ce qui
ne met pas forcément en cause ses talents municipaux. Madame Carréga,
de la SARVAM, est une personne des plus estimables... Si vous insistez maintenant
sur le fait que les accidents de la route provoquent des dégâts
corporels de plus en plus lourds, et bizarrement localisés aux membres
supérieurs et inférieurs, surtout chez les femmes... Ce n'est
pas à vous, mon cher Undequer, qu'on a besoin de suggérer que
les neuf dixièmes de ces accidents sont bidons. Deux cascadeurs professionnels
émargent à la SARVAM régulièrement. Le problème
est le passage d'un phénomène de gestion générale
moyenne à une sorte de populo-centrisme gagné ou lorgné
par la délinquance très haut et très bas, si vous m'autorisez
ces images commodes.
-Qui assure concrètement le
contrôle, l'exécution des contrats SARVAM ?
-Attention à ce que vous allez
dire, Undequer. Si vous parlez de police parallèle, vous vous déconsidérez.
-Je ne sais rien. Je n'ai même
plus d'opinion.
Lois Nolett respira largement, les
narines ouvertes.
-Tant que je suis vivant, pas d'inquiétude,
mon cher Undequer.
-Cette femme-tronc...
-Avec une méningite ?
-Oui.
-Je ne sais pas. Cela m'ennuie beaucoup
de ne pas savoir.
-Si je vous traitais de proxénète
?
-Vous vous en abstiendrez. Il y a
plus urgent à traiter. Pardon pour le jeu de mots. Vous êtes-vous
demandé pourquoi personne ne dit mot ?
-Je ne suis toujours pas sûr
de ne pas rêver. Dans la mesure où mon hypothèse se confirme,
je touche du doigt la prodigieuse indifférence des gens à quoi
que ce soit. Inversement, je veux imaginer une sorte de pudeur inédite,
le désir de ne pas neutraliser en banalisant, en publiant trop vite,
en hurlant trop fort. Une méfiance attentive à l'égard
des habituels relais.
- Un immense complot tacite ?
-Je ne vois non plus rien de tel.
D'un mouvement de tête, Louis
Nolett exprima sa reconnaissance.
-Tu es intuitive,
toi ?
-Pour certaines choses. ça
dépend aussi avec qui.
-J'ai l'impression qu'il va se produire
je ne sais quoi. Chez les Talbot j'ai vu un garcon squarred, je ne savais même
pas qu'il en existait. Il paraît qu'il y en aura de plus en plus.
Zumbi eut un petit rire de gorge.
-Il va y avoir de la concurrence
!
-Pas seulement à ce niveau...
Les gibbones deviennent indépendantes.
-Je sais, surtout des " pra ". On
n'est jamais aussi bien servi que par soi-même.
Elles s'écroulèrent
de rire. Le compagnon de Zumbi avait été poignardé à
Manille au cours d'un voyage d'affaires. Elle ne savait rien faire de ses dix
doigts, ni de sa tête. Ses revenus fondaient. Tandis qu'elle essuyait
le dos d'Astrud, elle pleurait sans bruit.
uhillah,
d'un geste herbeux, félin, calligraphe, propulsa la dernière fléchette.
Au centre de la cible en liège. Sa robe de coton tournoya, s'accrocha
au hamac comme une végétation chatoyante. Dans l'appartement tendu
de cordages, d'étoffes légères splendides, elle ne sautait
pas mais se mouvait, oscillant parmi les cuirs fauves et verts, les cuivres,
le bois noir, le jonc, le rotin.
Voyait-elle seulement Undequer ?
En elle flottait un certain savoir d'une détresse matérielle à
quoi elle échappait, qu'elle repoussait d'une pensée aussi féroce
que la menace même.
De sa main, elle arracha le slip
de soie jaune et rouge. Peu abondants ses poils noirs brillaient dans ce juillet
après-midi.
Si quelque chose n'effleurait pas
Undequer, c'est qu'il pût manquer le moindre morceau à Juhillah.
Posée sur un coffre, la jambe gauche s'intégrait immédiatement
au décor, sculpture anonyme, ou accessoire anodin à l'abandon,
sans appartenance ni mémoire. Un type de prothèse bon marché
qu'elle arborait presque par défi.
Pourquoi, songea Undequer, mais dieu
pourquoi est-ce que moi aussi je préfère les amoureuses ?