VII. «On voit
tout en bleu quand on porte des lunettes bleues» G. Flaubert,
à propos de l'amour
Mannequins, vêtements la Déroute, peinture noire spéciale
Tartufe, reproductions de grands classiques de l'érotisme enfantin
(Carroll, Von Bayros, etc.)
« Que s’est-il donc passé pour que l’opinion
connaisse un revirement aussi spectaculaire ? J’aimerais que quelqu’un
m’éclaire sur ce mystère. Le phénomène
est d’autant plus remarquable que nos sociétés occidentales
contemporaines semblent désormais cimentées par l’idéal
sacro-saint, mais purement imaginaire, de l’enfant-roi et par
l’obsession corrélative de la protection de l’enfance.
Loin de moi l’idée de contester la nécessité
de cette protection et le progrès qu’elle constitue. Mais
la meilleure protection de l’enfant n’est-elle pas le désir
et le soutien que les adultes qui l’entourent lui manifestent
afin de le voir grandir ? J’ai été surpris, il y
a quelques mois - et je suis particulièrement heureux de vous
faire part de cette surprise ici, à l’hôpital Nestlé
qui a bien voulu accueillir mes propos de ce soir -, de voir apparaître
sur l’écran de mon téléviseur une publicité
de la firme Nestlé dont le texte énonçait fièrement
: "Chez Nestlé, c’est le bébé qui est
président".
Est-ce que nous ne sommes pas arrivés au bord d’une espèce
de délire collectif ? Qui ne voit l’hypocrisie de ce culte
de l’enfant innocent, vierge de corps et d’esprit, l’enfant
merveilleux et pur d ont l’univers est censé n’être
peuplé que de rêves et de jeux ? Qui n’observe, dans
le langage et l’imagerie publicitaire et médiatique d’aujourd’hui,
que la plus belle marchandise du monde est désormais un bel enfant
? Qui n’est frappé de constater que l’exemple de
notre Cité idéale nous est proposé sous deux versions,
deux imageries standardisées, qui font couple comme un duo d’opéra
: Disneyland et Las Vegas ? D’un côté, le monde de
l’enfant imaginé comme un adulte miniaturisé, de
l’autre, le monde de l’adulte imaginé en enfant éternisé.
Nous sommes entrés, sans nous en apercevoir, dans une véritable
idolâtrie de l’enfant, dans "l’infantolâtrie",
dans l’infantilisation générale du monde. Les enfants
s’habillent comme des adultes pendant que les adultes s’empiffrent
de bonbons et jouent comme des enfants - les uns et les autres se disputant
les commandes de la console de l’ordinateur familial. L’idéal
aujourd’hui, c’est de rester enfant, et non plus de devenir
un adulte. Et, de plus en plus, c’est une certaine représentation
imaginaire de l’enfant qui fait la loi. C’est l’enfant
mythique dont la statue s’élève au rang d’idole
à mesure même que les adultes déchoient de leur
piédestal, démissionnent de leur fonction et s’infantilisent
à qui-mieux-mieux.
[...] » |