MERDE IN FRANCE
L'actuel gouvernement s'acharne depuis son ubuesque élection à confondre les sphères de la morale et de la justice. Il ne connaît aucun autre instrument que la punition infantilisante, la rétrogradation du citoyen à l'état de garnement irresponsable qu'il faut punir pour conduite à l'état adulte (c'est-à dire l'état de droite), quand c'est cette conception même de l'action judiciaire qui semble tout droit sortie d'un album de Mickey. Le dernier coup porté à notre aptitude au jugement critique l'est aussi à toute liberté d'expression politique et satirique, et vise à légiférer sur notre degré de patriotisme (et sur sa nature, ici subsumée au militarisme). Le seul moyen de mettre en lumière la nullité d'une loi est de démontrer l'impossibilité ou l'absurdité de son application; j'invite donc le maximum d'artistes à se mettre hors-là loi en répondant à cet appel (tel qu'il fut lancé sur la liste de diffusion du Terrier le 26 janvier 2003):

Chers tous, c'est le moment d'agiter vos cervelles pour nous pondre quelque chose, relativement à l'article du Monde que m'a expédié un ami cet après-midi (voir ci-dessous*); je vous invite à me goupiller un outrage de votre goût, dont le fond pourrait être "je me torche l'oignon de la bannière tricolore" ou "j'encule Rouget de Lisle" et dont la forme, surtout, devra être aussi malveillante et enguirlandée que possible. Les interprétations les plus miteuses et assourdissantes de la marseillaise sont évidemment bienvenues chers musiciens.

Expédiez vos travaux à le.terrier@wanadoo.fr.

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*Article du "Monde". Extrait : "On est confondu devant tant de bêtise, déclare Daniel Joseph, président du Syndicat des avocats de France (SAF)."

LE MONDE  25.01.03

Le délit d'outrage à "La Marseillaise" laisse la gauche sans voix

Député (UDF) des Alpes-Maritimes, Rudy Salles a fait adopter, jeudi 23 janvier, à l'Assemblée un amendement instituant un nouveau délit d'"outrage au drapeau tricolore et à l'hymne national". Celui-ci est punissable de 7 500 euros d'amendes et de six mois de prison "lorsqu'il est commis en réunion". Les parlementaires de gauche, présents dans l'Hémicycle ont voté pour cet amendement. Les syndicats de policiers doutent de pouvoir faire appliquer cette nouvelle disposition. Une amende de 7 500 euros et jusqu'à six mois de prison. Les députés ont eu la main lourde en adoptant, jeudi 23 janvier, dans le cadre de l'examen du projet de loi sur la sécurité intérieure à l'Assemblée nationale, un amendement qui institue un nouveau délit : celui d'"outrage au drapeau tricolore et à l'hymne national".

L'origine du texte. L'amendement adopté par les députés a pour auteur Rudy Salles (UDF, Alpes-Maritimes). Il stipule que "constituent un outrage puni de 7 500 euros d'amende les agissements qui portent atteinte au respect dû au drapeau tricolore et à l'hymne national. Lorsqu'il est commis en réunion, cet outrage est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende".

Le texte proposé par M. Salles a reçu le 18 décembre 2002 le feu vert de la commission des lois de l'Assemblée. "Sans discussions", précise Bruno Le Roux, député (PS) de Seine-Saint-Denis. Il n'y en a pas eu non plus jeudi 23 janvier. Présenté en fin d'après-midi, alors que l'examen du projet de loi sur la sécurité intérieure touchait à sa fin, il a été adopté sans que personne ne se manifeste.

La gauche divisée. Muguette Jacquaint (PCF, Seine-Saint-Denis) n'a "pas pris part au vote", car elle "trouvait les peines encourues excessives". Les députés socialistes, par contre, ont soutenu l'amendement. "Nous n'avons pas voulu entrer dans un débat piégé", explique Christophe Caresche (Paris)."Si nous avions dit : "Ce n'est pas la bonne réponse", on nous aurait caricaturés en disant que nous acceptions l'outrage",détaille M. Le Roux, qui n'a pas assisté au débat.

"C'est affligeant. C'est à désespérer de la gauche, qui s'aligne sur ce qu'il y a de plus réactionnaire à droite", réagit Noël Mamère (Verts, Gironde), absent jeudi. Il ajoute : "Ce nationalisme paraît mal placéet celui qui en tirera profit, c'est M. Le Pen ou sa fille."

Pour Manuels Valls (PS, Essonne), en revanche, "l'intention est bonne, l'objet difficilement contestable. Il s'agissait de faire passer un message fort et aussi de montrer qu'au PS on ne laisse pas ce terrain à la droite". "La mesure est disproportionnée", déplore de son côté M. Caresche. "Créer un délit c'est incroyable", renchérit M. Le Roux, qui dit "avoir l'impression de faire plus ouvre pédagogique en allant deux à trois fois par semaine dans des classes parler de La Marseillaise". "A la logique de pénalisation, je préfère les méthodes éducatives", fait, lui aussi, valoir Jean-Marie Le Guen (Paris), qui avait quitté l'Assemblée lors du vote. "La mesure législative est sujette à caution", convient M. Valls, qui, avec ses homologues du PS, pose le problème de l'"application". "Comment intervient-on sur des centaines de spectateurs et où commence l'outrage ?", interroge ainsi M. Le Roux.

L'hostilité des avocats, des magistrats et des associations. Les associations de défense des droits de l'homme, les syndicats d'avocats et de magistrats, qui avaient appelé à manifester, le 11 janvier, contre les projets de loi sur la justice et la sécurité, dénoncent une nouvelle mesure "d'ordre moral".

"On est confondu devant tant de bêtise, déclare Daniel Joseph, président du Syndicat des avocats de France (SAF). Cela relève d'une volonté identitaire plus que franchouillarde et nous ramène au temps des tribunaux militaires et de l'infraction d'insulte au drapeau. On est dans la confusion totale en transposant sur le plan pénal un problème d'ordre moral." Selon lui, la nouvelle infraction et la loi sur la sécurité intérieure dans son ensemble sont dictées par des considérations électorales : "Les députés se sont lâchés en répondant à l'exaspération d'un certain nombre d'électeurs et en pensant que cela les dispense d'un projet de société dans laquelle tout le monde doit vivre."

Pour Dominique Brault, secrétaire général du Syndicat de la magistrature (SM, gauche), "cela dénote une société d'ordre moral, une volonté de tout contrôler, qui correspond à la logique d'ordre et d'encadrement du gouvernement. On affiche par des lois ce qui est socialement et politiquement correct".

Michel Tubiana, président de la Ligue des droits de l'homme, s'inquiète, de son côté, d'une "définition erronée de l'identité collective" et du tout-répressif. "Ce n'est pas ainsi qu'on arrive au respect des valeurs communes, estime M. Tubiana. Que ce soit pour la prostitution, la mendicité ou le drapeau, la seule réponse, c'est de dire qu'on réprime et qu'on met en prison."

Les policiers dubitatifs. Certains syndicats de policiers s'affirment plutôt d'accord sur le principe d'un délit d'outrage au drapeau ou à l'hymne national, sans pour autant vouloir endosser un rôle de garant de l'ordre moral. "Sur le symbole, je ne trouve pas ça anormal, au contraire, estime Bruno Beschizza, secrétaire général du syndicat Synergie-officiers, mais la solution dans ce domaine n'est pas que policière. Il ne faut pas qu'on soit les moralisateurs de la société." M. Beschizza pose les limites de l'application des nouvelles dispositions. "S'il y a une émotion particulière, on peut demander aux services d'investigation de retrouver les auteurs après coup, souligne-t-il. Mais on ne va pas envoyer une compagnie de CRS pour faire arrêter les gens de siffler La Marseillaise dans un stade, ça serait l'émeute."

Frédéric Chambon et Philippe Le Cour

. ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 26.01.03


Rebondissement dans l'affaire, un nouvel article du Monde
07 02 03

Outrageons le drapeau ! par Bernard Cerf
Il est interdit d'outrager le drapeau français et La Marseillaise.
Personne ne bouge. Pas de réaction. Je veux bien admettre que l'homme de la rue s'en moque : il a d'autres problèmes et surtout aucun moyen de s'opposer. Mais pourquoi les cinéastes, les artistes, les intellectuels ne disent-ils rien ?
Un écrivain passe au tribunal pour avoir écrit un livre qui met en scène un pédophile, on essaye d'interdire la pornographie sans la définir, on considère de facto qu'une femme immobile en minijupe sur un trottoir est une "pute" potentielle, Gitans, hall d'immeuble, la liste s'allonge tous les jours.
Le PS a voté cette loi pour l'outrage au drapeau.


Le PS est mort. Le gouvernement en place est obsédé par les 18 % d'électeurs du FN et veut les reconquérir en appliquant une partie des propositions que formule Le Pen depuis des années et que pourtant 82 % des Français ont rejetées.
Ayant voté pour un "petit" candidat de gauche au premier tour, j'ai ensuite culpabilisé face au résultat des élections. En voyant, depuis, l'action du PS, je me dis que je n'avais pas tort. Que faisons-nous, nous qui nous proclamons de gauche et qui n'avons plus personne entre ce soi-disant PS qui veut plaire à l'électorat de droite et l'extrême gauche figée qui ne cesse de citer Marx et Lénine ? Nous restons apathiques à pleurer sur notre sort en essayant de comprendre ce qui a pu se passer ; en attendant, les lois passent.
C'est pourquoi j'en appelle d'abord aux cinéastes, seuls capables de contrecarrer le pouvoir de l'image télévisuelle aux mains des journalistes. Si nous ne faisons pas des films d'outrage au drapeau et à La Marseillaise en réclamant nous aussi d'être emprisonnés, cela signifie que l'art est coupé de la réalité et du peuple, cela signifie qu'un Arabe ou un Noir sifflant dans un stade ira en prison et qu'on laissera les gentils artistes bourgeois comme on laisse des enfants crier et gesticuler dans leur coin en sachant qu'ils n'ont plus de prise sur le monde.
Arrêtons alors de dire que les Fassbinder, Pasolini et autres étaient de grands artistes, arrêtons de parler d'engagement. Nous sommes cinéastes et pas politiques, mais à partir de quand doit-on s'arrêter de filmer des histoires d'amour, de divertir les gens, de gagner de l'argent pour nous impliquer dans la vie de la société ? Nous avons le pouvoir de parler, de crier, de nous exprimer.
Si nous sommes incapables maintenant de prendre la parole pour nous opposer à cette déferlante de lois liberticides, ne me faites pas croire que demain nous serions capables de nous opposer à des militaires.
Vouloir imposer le respect d'un symbole par la force, par la loi, signifie que l'on est incapable d'expliquer pourquoi il faut le respecter. C'est croire que les gens ne comprendront pas et que soi-même l'on n'a plus d'argument. Cette loi a été créée car des supporteurs de foot ont sifflé l'hymne national lors d'une rencontre France-Algérie. Imposer à tout un pays une loi à cause du dérapage d'une vingtaine de personnes prouve que cette classe politique est complètement déboussolée en mettant au même niveau le détail et l'essentiel.
Faute d'opposition et de partis politiques crédibles avec lesquels nous pourrions nous engager, il ne reste plus que le recours aux voix individuelles et aux œuvres. Ne pas s'opposer signifie accepter.
Je suis français et, si je dois respecter un drapeau, c'est celui des révolutionnaires qui crachaient sur la monarchie, celui des Français qui s'opposaient au drapeau de Vichy, le drapeau de ceux qui étaient contre la torture en Algérie. Le respect ne s'impose pas par la force ; il se gagne. En interdisant cette liberté d'opposition, M. Sarkozy salit la France plus qu'il ne la fait respecter.
Cinéastes, musiciens, artistes, écrivains, faisons des œuvres d'outrage au drapeau et à La Marseillaise, car c'est le premier des droits du citoyen. Si nous ne le faisons pas, nous acceptons de fait, la mort de la liberté d'expression.


Bernard Cerf  (réalisateur et producteur de courts métrages).