Entretien réalisé en mars 2018 à Luttre (Belgique),
en présence de Robert Varlez, Jo Hubert, C. de Trogoff, L.L. de Mars.

(les passages en gras indiquent la présence d'une illustration en bas de page)

L.L. : La question, c’est, justement, de faire le point là-dessus...

Robert Varlez : Oui et non… C'est-à-dire il faut pas dire : « j'ai trouvé ça le premier », ça n'a pas tellement de sens... Mais quand même quand y'a des gens qui...

L.L. : Oui c'est tout à fait agaçant. Ok, ça n'a pas de sens de le dire, mais c'est aussi ça qui fait qu’il y a toute cette catégorie de cuistres qui ne s'en privent pas de... Pour dire les choses connement : tous ces gens comme toi que les soucis de mondanités exaspèrent ne sont jamais là pour la ramener et dire : « non c'est pas vrai ce que tu racontes ! Moi j'ai publié ça avant toi ». Donc à cause de cette espèce de retrait — je dirais légitime, discret — des gens qui font vraiment les trucs, t'as toujours, par contre, derrière, des gens qui...

R.V. : ...font le contraire.

L.L. : Oui c'est ça le contraire. C'est tout à fait exaspérant. Et de temps en temps, c'est pas inutile de rappeler la vérité des faits, pris dans un peu d’histoire...

R.V.  (à C. qui prend les photos) : Un minimum de photos car j'aime pas trop ça ! Les mains tu peux, les mains c'est très bien, c'est avec ça que je fais tout. (rires)

L.L. : C'est surtout un entretien pour causer des livres, c'est un entretien oral, les photos c'est...

R.V. : C'est destiné au Terrier !

L.L. : Je sais pas, on va peut-être faire un bouquin avec tout ça. Mais le Terrier, oui oui. J'aimerais bien qu'on arrive à réunir ces entretiens pour en faire quelque chose sur la façon dont la technique a changé beaucoup nos usages éditoriaux, dans le fait qu'on ait pris en main...

R.V. : Oui ça c'est clair ! Moi j'ai l'impression d’être passé d'un monde à un autre : je suis complètement perdu d'ailleurs avec ce nouveau monde numérique.

L.L. : ça c'est des questions intéressantes, par exemple comment passer de l'un à l'autre, oui.

R.V. : Je suis complètement incapable de payer une facture, je suis nul dans tous ces trucs-là, je le dis franchement mais j'ai pas honte, heureusement (rires).

L.L. : Dans la dématérialisation d'une grande partie de travail du papier, c'est un peu compliqué hein, même moi, parfois je suis un peu dépassé, surtout dans les situations bureaucratiques, tu vois, un peu la « technique du quotidien »… C'était déjà compliqué de remplir des formulaires papier… Bon qu'est-ce qu'elles font les filles ? Je veux voir avec Agnès, elle aurait peut-être des questions qui ne me viendraient pas l'esprit.

R.V. : ...Tu vois ça c'était le plus grand format mais celui-là, c'est pas un exemple ; je mettais des fois des trucs en couleurs... Tu vois là, des passages couleurs, je faisais des trucs au centre et tout ça. Je faisais des posters...c'est vraiment horrible mais enfin, bon…

L.L. (à C. de Trogoff, qui filme) : Ce qui pourrait être chouette, c'est que pendant les questions, tu prennes, en film, les manipulations de livres comme ça je peux rester concentré. Mais que ça ne t'empêche pas, à tout moment, d'intervenir pour poser des questions qui ne me viendraient pas à l'idée !

R.V. : Attends je vais sortir deux ou trois trucs …

L.L. : Une question rapide juste pour savoir comment on va faire : tu as commencé par publier la revue ou des bouquins ?

R.V. : Des bouquins. J'ai commencé par publier un petit catalogue, le seul qu’il y ait jamais eu de « L'atelier de l'agneau »1, dont j’ai quelques exemplaires.

L.L. : Est-ce que tu souviens quel est le premier livre que tu as publié ?

R.V. : Non, il faut que je regarde mon catalogue. (rires)

L.L. : Tu l’as, là ? C'est pas inintéressant : on va pouvoir voir, techniquement, quelles sont les premiers… Pas les premiers obstacles, mais en tout cas les premières conditions de travail… J'en ai vu un dans la boîte là, un catalogue…

R.V. : Il y a un article ici : j'étais à l'école du livre et le soir je travaillais pour un typographe... Les dessins que je faisais à l'époque c'est des trucs qui n'existent plus…où est-ce que j'ai foutu ce catalogue ?

L.L. : On le tient ! Donc si j'en crois ce catalogue…

R.V. : Oui c'est un mini catalogue le seul que j'ai vraiment fait, comme tu vois je suis très sérieux ! Je m’en foutais ; à ce moment-là, ça a vraiment débuté avec les livres et des gens ont écrit des articles, des gens que je connaissais l'époque Anne-Marie Lapaire (?), qui était journaliste, et d'autres, avec des textes que m'avait donnés William Cliff pour le catalogue.

L.L. : Que t'avait donné qui ?

R.V. : William Cliff. Tu connais pas !

L.L. : ça ne me dit rien. Le premier que tu publies... Il est dans l'ordre chronologique ce catalogue ?

R.V. : Non. Attends, le plus intéressant c'est la préface d’Eugène Savitzkaya avec qui j'étais proche... on a vécu ensemble avec Eugène, Jacques (Izoard nldr)... Donc Savitzkaya a été un des premiers effectivement.

L.L. : Celui-là, donc ? On part là-dessus ?

R.V. : Imaginons. Donc il y a une petite interview sur à quel moment fut fondé «  L’atelier de l'agneau » etc. par Gérard Durozoi, « Artitude ». Tu connais ?

L.L. : Non.

R.V. : Il a très bien connu Vachey et tout ça ! Il connaît rien lui ! (Rires) Alors voilà, Paul Vincensini, un auteur avec qui j'avais des relations l'époque. Michel Fardoulis-Lagrange ça c'est quelqu'un de connu quand même !

L.L. : Un peu mon neveu ; il a écrit un truc fameux chez Corti !

R.V. : « Le grand objet extérieur ».

L.L. : Et ce qu'il a fait sur Bataille, tu sais, au « Soleil noir », qui est vachement bien...

R.V. : C'était une grosse pointure.

L.L. : « G.B. ou un ami présomptueux ».

R.V. : On était deux, et y’a un type qu’a lâché : c'était trop dur pour lui. Oh je te raconterai ça !

L.L. : On va rester concentré sur la technique, Monsieur Varlez...

R.V. : James Sacré, qui est toujours vivant… Les fameuses affiches-poème aussi...

L.L. : La fameuse affiche de Michel (Vachey ndlr). On va regarder le premier bouquin, on va essayer de se souvenir. On sait que c'est vaguement le « Cœur de schiste ».

R.V. : Attends, vaguement le « Cœur de schiste », non !

L.L. : ça ne va pas comme point de départ « Cœur de schiste » de Savitzkaya ? Tu penses qu’il y a autre chose avant ?

R.V. : Oui, Vincensini avec des couvertures jaunes, c'étaient les tout-premiers, mais je sais pas s'il y en a là-dedans.

L.L. : C’est pas grave. Moi ce que je voudrais savoir, déjà pour commencer, c’est d'une part, qu'est-ce qui motive, qui te motive toi, à prendre en main la production physique des livres ? Et est-ce que, au moment où tu le fais – on est en 75 c'est ça ? – je crois que c'est ce qui est écrit sur la fondation des « Ateliers ». Attends je vais regarder ça : « depuis 72 — pardon — les Ateliers de l'agneau publient régulièrement des recueils de poèmes, des affiches-poème... ».

R.V. : L’affiche-poème ça été assez vite… Bon, j'étais à l'école du livre, je te montrais tout à l'heure l'article, j'étais à l'école le soir où j'apprenais je sais plus très bien quoi, parce que comme j'étais apprenti typographe dans un truc où j'étais exploité, complètement, où j'ai rien appris en définitive sauf à aligner les lettres dans le composeur...C’était un truc tout à fait commercial, sans intérêt, avec un patron complètement fou, qui n'arrêtait pas de me courir derrière « plus vite plus vite ! Action ! Action action ! » Et puis il me faisait nettoyer le sterput.

L.L. : le quoi ?

R.V. : Le sterput, le trou où l'eau s'écoule ; il était toujours bouché et c'est moi qui devais le nettoyer avec ma main, je me souviens très bien de ça ! Enfin c'est ça, être apprenti ! Tu n'as jamais été apprenti toi !?

L.L. : Non. Je suis pas capable d'apprendre moi, je n'apprends rien.

R.V. : Moi non plus, mais j'étais bien obligé de faire quelque chose, selon mes parents, et voilà.

L.L. : Tu dis que tu n'as rien appris. Mais on est d'accord quand même sur le fait que tu prends en main des machines pour publier des livres. Tu peux pas dire que c’est sans conséquences, que tu n'as rien appris. Il n'y a pas tant que ça de mecs qui appartiennent au monde artistique qui décident comme ça d'écrire et de composer physiquement des ouvrages. Y’a au moins ça, ça n'a pas été inutile !

R.V. : J'avais comme projet de quitter mes parents. Je me suis découvert un deuxième père qui s'appelait Jacques Izoard et qui publiait vaguement de la poésie en plus de son travail de poète lui-même, et qui avait envie de faire connaître la poésie internationale...Et quelques amis à lui dont il aimait le travail. Mais il publiait une revue qui, je dirais, était un petit peu élitiste parce que c'était surtout des gens déjà relativement connus, qu'il connaissait lui. Et que je connaissais un peu par la force des choses... Et donc, j'ai voulu prendre, encore une fois, le contre-pied et publier des poètes totalement inconnus en me disant que, il y avait tellement de gens qui écrivaient et comme j'ai dit l'autre jour dans mon discours : en Belgique, il y avait le « Journal des poètes », un mensuel où tous les poètes étaient heureux de publier parce que c'était… Officiel quoi ! Donc c'était un peu la poésie de Maurice Carême, des fois un peu mieux, mais c'était pas terrible pour moi…M’enfin ça quand même été créé par des gens comme Arthur Haulot et Pierre-Louis Flouquet et un autre, je sais plus comment il s'appelait…

L.L. : C'est pas très important ; ton ami Izoard, quand il faisait son magazine enfin cette revue…

R.V. : « Odradek », ça vient de Kafka.

L.L. : Qui fabriquait ça ? Lui, il déléguait la fabrication, la maquette et tout ça ou il participait physiquement à la réalisation ?

R.V. : Non, lui n'a jamais rien fait au niveau de la fabrication ; il donnait à un imprimeur.

L.L. : Ce qui m'intéresse, c'est pourquoi, toi, tu n'as pas fait ça ?

R.V. : Je te dis, il y avait pas des « locomotives » mais des gens un peu connus pour moi là-dedans et je me disais qu'il fallait absolument donner la parole à de parfaits inconnus, découvrir des gens qui n'avaient jamais publié et qui cherchaient à écrire… Parce qu'il n'y avait pas vraiment beaucoup de débouchés, par exemple, en Belgique pour ces personnes là.

L.L. : On est d'accord mais ça n'implique pas, qu'à ce moment-là tu décides de fabriquer toi-même la chose ; tu aurais très bien pu faire comme ton ami Izoard, enfin, faire une revue par exemple…

R.V. : Parce que je voulais faire ça au moindre coût parce que toute façon, Izoard, il gagnait sa vie alors il pouvait...Moi j’aurais pas pu payer. Les premiers « 25 » c'était en stencil avec des amis plus ou moins connus et inconnus. J’en ai quelque part mais pas sous la main...

L.L. : Décris-moi le stencil c'est la ronéotypeuse à l'alcool ? C'est bien ça ?

R.V. : Non c'est avec des trous, c'est un truc avec un gros rouleau. On tapait sur le stencil avec une machine à écrire et ça perforait… (il demande à Jo Hubert)

Jo Hubert : C'était une espèce de peau comme un parchemin mais souple, il y avait un papier cartonné en dessous et cette peau venait se mettre par-dessus et alors on passait ça dans le rouleau de la machine, ça perforait la peau, si tu veux, et après on passait sous un rouleau encreur et l'encre passait dans les trous qui avaient été perforés par la machine et imprimait. On pouvait imprimer comme ça une certaine quantité avec un seul stencil.

R.V. : Je croyais que vous connaissiez ça…

L.L. : Non, je connais les ronéotypeuses à l'alcool où on utilisait des papiers carbone comme stencil.

Jo H. : Pour corriger on utilisait du vernis à ongles pour reboucher les trous et on retapait dessus.

R.V. : C'est le procédé du pochoir.

L.L. : J’ai une question par rapport à ça, du coup : tu parles de pochoir, mais en pochoir par exemple, quand on veut ménager l'œil à l'intérieur d'un « O » ou d'un « P » il faut aménager un pont entre le tour de la lettre et la partie centrale. Donc si ça fait des trous est-ce que dans le résultat…

Jo H. : Non, ça n'enlevait pas complètement la partie…

L.L. : Donc ça fait pas vraiment un trou, ça frappe ? ça gaufre en fait ? C'est ça que je veux comprendre, parce que si ça fait un trou, ça enlève le contenu de la lettre...

Jo H. : Non ça n'enlevait pas le contenu de la lettre car le caractère de la machine à écrire était suffisamment altéré pour ne pas enlever le milieu de la lettre.

R.V. : Il y avait aussi une espèce de paraffine...Il faudrait regarder dans Google.

L.L. : J'aimerais comprendre assez précisément c'est-à-dire que pour imprimer, vous n'aviez comme seul outil de départ que la machine à écrire, c'était une machine spécifique ou n'importe quelle machine à écrire ?

R.V. : Au départ c'était n'importe quelle machine, après ça c'est un peu amélioré, si on peut dire. Au départ, c'était machine ordinaire.

L.L. : Donc ça c'est le premier : tu tapes avec la machine sur le stencil. Et donc, y’a pas d’images ?

R.V. : Non.

L.L. : Aucune image.

Jo H.: Avec un stencil et un scalpel on pouvait quand même...

R.V. : Pas un scalpel, un stylet avec un bout rond sinon on l’aurait complètement découpé, le stencil là ; alors ça creusait, le dessin comme le caractère, creusait le stencil.

Jo H. : Parce que moi j'en ai fait des dessins sur le stencil.

R.V. : Moi aussi.

L.L. : Tu as utilisé ça ? Tu en a profité de cette technique là de temps en temps ?

R.V. : Oui, je vais essayer d’en trouver...

L.L. : Où le dessin a été fait directement sur le stencil ? ça m'intéresse.

R.V. : Je crois que j’en ai pas loin. Je vais t'en amener, on parlera moins dans le vide.

L.L. : Premier détail technique intéressant. Donc là, c'est le résultat du stencil :on se retrouve devant un volume donc, agrafé sur le côté, le plus simplement du monde et pour le titre « 25 », tu l'as fait avec ce fameux...

R.V. : J'ai creusé avec un stylet à bout rond pour ne pas couper dans le support.

L.L. : Donc pour que ce soit calé par rapport au texte, tu commence par dessiner, ensuite tu glisses ça dans ta machine à écrire sous le « 25 », et tu viens taper.

R.V. : Je dessine le « 25 » pour l'envoi.

L.L. : Tu cales comme ça ; je vois qu'il y a des retouches sur le gros titre ; tu as dû revenir probablement avec le stylet à bout rond… Et c'était du matériel que tu possédais ça ?

R.V. : Oui c'était pas très cher. C’était un minimum pour imprimer soi-même ; ça je possédais, je sais pas ce que c’est devenu. Tu vois c'était assez malhabile comme dessin.

L.L. : Pas tant que ça ; ça c'est entièrement fait avec stylet à bout rond, donc, et il y a déjà un vrai souci visible de construction : tu te retrouves avec un gros titre – celui-là par exemple tu l'obtiens comment ? Tu utilises des matrices découpées dans des revues et tu copies les lettres ?

R.V. : Je sais plus.

L.L. : Tu décalques des lettres qui ont été publiées dans des magazines ?

R.V. : Oui, ça doit être ça oui. En général, j'ai beaucoup travaillé avec des magazines comme pour mes collages. Et là, ça devait être ça.

L.L. : Tu te retrouves condamné avec un fer à gauche il n'y a techniquement aucune possibilité de justifier.

R.V. : Ce n'était pas possible...

L.L. : Oui, à la machine à écrire classique tu as une chasse fixe mais apparaît déjà le souci de compo… Là on a, en cul-de-lampe, un agneau, adorable, on a un foliotage manuel… Ou est-ce qu'il est fait postérieurement au crayon ? Ça n'a pas été fait sur le stencil.

R.V. : Oui, parce qu’il n’y était pas.

L.L. : Ah, quand même je vois que tu essayes de… Là, on a une page composée au fer à gauche, puisqu'on peut pas grand-chose avec une machine à écrire ; tu va au maximum de ce qu'on peut inventer pour faire des compo rythmées.

R.V. : Ce n'est jamais moi qui tape à la machine ; j'ai jamais su taper à la machine, je le faisais faire...

L.L. : Par qui ?

R.V. : Je demandais à des amis, je ne sais plus qui, qui tapaient plus facilement que moi.

L.L. : Dans ce cas là, tu leur décrivais ce que tu voulais obtenir comme résultat ? Ou tu étais derrière pour guider ? Tu te souviens de ça ?

R.V. : Non je ne me souviens pas. Attends, qui est-ce qui a tapé ça ? Possible que ce soit Jacques, Eugène Savitzkaya, ou quelqu'un d'autre encore qui savait mieux se servir d’une machine à écrire que moi.

L.L. : Bien. Ce qui m'intéresse quand même… Parce que là, au niveau du professionnalisme, visible de la revue c'est très en dessous, on s'en doute bien vu la précarité des moyens, de ce que pouvait devoir se permettre, dans les revues un peu chères qu'il faisait imprimer, ton ami Jacques Izoard. Alors qu'est-ce qui le convainc, lui ?

R.V. : Ah, la voilà sa revue, un grand format avec de la couleur !

L.L. : On la regardera tout à l'heure, voilà la revue « Odradek », même période donc. Ah oui évidemment ! Alors là, il y a des moyens derrière, c'est un peu savant.

R.V. : Oui il y a un peu d'argent.

L.L.(présentant côte à côte Odradek et 25)  : Mais comment tu le convaincs, lui, que ça vaut le coup de se lancer dans ce type d'approche ?

R.V. : Bin, ça c'était moi, et ça c'était lui, hein. Moi j’estimais que...

L.L. : On retrouve ce William Cliff dont tu parlais...

R.V. : Il fallait bien commencer par quelque chose. Je connaissais pas encore beaucoup de poètes, donc j'ai commencé comme ça, mais mon but c'était de pouvoir faire quelque chose qui sortait chaque mois, parce que les revues où les poètes pouvaient publier en Belgique c'était des trucs qui sortaient comme par exemple chez Marc (inaudible) que tu connais sans doute, une fois l'an, des trucs épais, subsidiés où on avait pas beaucoup de chances d'avoir un texte retenu parce que c'était beaucoup de copinage. C'était des revues de luxe quoi. Je voulais faire tout le contraire.

L.L. : Ça, tu peux le tirer à combien d'exemplaires avant que ça devienne illisible?

R.V. : Je sais pas.

L.L. : C'est marqué, le nombre d'exemplaires tirés ?

R.V. : Non… peut-être une centaine, je sais pas.

L.L. : Quand ça marche plus il se passe quoi, ça paraît comment ? Les lettres elles s'écrasent ? Puisque c'est un truc paraffiné...

R.V. : Je n'ai pas poussé au maximum, peut-être une centaine d'exemplaires, je ne saurais pas dire exactement.

L.L. : Tu les diffuses comment à ce moment-là ?

R.V. : Par déjà, plus ou moins, une tentative d'abonnement, puisqu'il y a un truc à envoyer dedans.

L.L. : Ah d'accord, ça c'est le truc que tu pliais, tu pouvais écrire l'adresse à cet endroit-là. (rires)

C. de Trogoff : Tu peux montrer ça Robert, à la caméra, comment tu fais… Montre le mouvement que tu fais, le repliement...

L.L. : Et hop, là tu peux envoyer la revue « 25 » ! Tes abonnés, comment tu les trouves ?

R.V. :Par le bouche-à-oreille ; on connaissait, à Liège, des gens qui s'intéressaient à la poésie ou qui écrivaient...Et petit à petit c'est allé au-delà des frontières, avec le temps.

L.L. : Je vois que là ce sont des photocopies, ce n'est pas l'original, on voit le marquage en noir.

R.V. : Oui bien vu.

L.L. : C'est intéressant, je me pose la question : c'était relié comment l’original ? Pareil, des agrafes sur le côté, comme un vrai sagouin ?

R.V. : Oui oui. Carrément.

L.L. : Ça veut dire qu’à ce moment là, tu t’en soucies pas, de ce problème là ; tu considères que c’est pas important la façon dont c’est agrafé… Le fait que ce soit un A4, à ce moment là, ça ne te pose pas de problème ?

R.V. : C’était plus facile, parce que malgré tout, tu vois...

L.L. : Il y a un travail de composition ça c’est sûr, on voit que dès le début, tu fais le maximum de composition qu’on puisse faire avec une machine à écrire, il y a un joli travail sur les fers et les retraits de textes. Effectivement, la revue elle-même, quand on voit ce que va devenir « 25 » par la suite, reste très rudimentaire dans ses choix notamment :la reliure, l’agrafe sur le côté…

R.V. : Là, disons que c’était la revue « 25 » mais ça dépendait déjà de l’« Atelier de l’agneau », on avait, avec des amis, constitué une A.S.B.L. avec le docteur de Lief (?), son épouse, Jacques Izoard, Eugène Savitzkaya, ma sœur, moi et un autre ami.

L.L. : Ah, ta sœur bossait à...

R.V. : Elle tenait la comptabilité.

L.L. : C’est déjà quelque chose.

R.V. : Il y en a eu plusieurs à tenir la comptabilité...

L.L. : il y a eu combien de numéros faits avec cette technique ?

R.V. : 5, ça je suis à peu près sûr.

L.L. : ils ont tous été agrafés comme ça ?

R.V. : Normalement j’avais l’ensemble… Agrafés ; en tout 4 ou 5, ça fait pas une grande différence, hein.

L.L. : On dit que c’est pas important, ce qui m’intéresse, c’est à quel moment…

R.V. : Parallèlement…

L.L. : Ils ont tous été agrafés comme ça .

R.V. : Oui, parallèlement, voilà vraiment ce que ça donne, ça c’est pas une photocopie, Eugène Savitzkaya, lui-même, faisait une revue aussi avec des amis communs, que je connaissais...

L.L. : Oui, on reconnaît plein de monde, là…

R.V. : Mais c’était déjà plus élaboré parce que là c’est une photocopie.

L.L. : Les copieur, à ce moment là…

R.V. : On n’avait pas de photocopieur, on pouvait aller dans un magasin pour faire des copies.

L.L. : C’était très cher les premières photocopies, dans mes souvenirs c’est pas un moyen très économique de faire une revue en tout cas.

R.V. : Il y avait juste quelques dessins.

L.L. : Ah, d’accord, les textes sont en stencil, très bien…. Ça c’était sur un papier spécial les photocopies, un peu plus lisse… c’est marrant celui-là il n’est pas glacé.

R.V. : Contrairement à d’autres dessins que tu as vu dans l’exemplaire tantôt, on s’était aperçu c’était quand même mieux avec une photocopie.

L.L. : Ah, c’est tes premiers dessins, c’est chouette ça ! Et du coup, graphiquement, est-ce que tu adaptes ? Parce que moi je me souviens qu’évidemment, les premiers photocopieurs interdisaient de faire des mélanges de gris.

R.V. : C’est pas mes premier dessins ! Mes premiers dessins...

L.L. : Oui, c’est une façon de parler, oui c’est ce que je voulais dire… Je vois que tu as là-dedans, un travail graphique vraiment complètement au trait, tu dessinais comme ça ou tu t’adaptes à la photocopie ?

R.V. : Je dessinais beaucoup au trait oui… Et je me suis adapté aussi, parce que, disons que pour travailler sur stencil, on ne pouvait travailler qu’au trait de toute façon.

L.L. : D’accord. Sur celui-là, je vois que la couverture, elle en papier kraft, assez épais — c’est très beau d’ailleurs — donc ça ça passait aussi dans les machines à stencil…

R.V. : C’était pratiquement, dans le même moment… Donne voir… Oui ça, c’était fait avec du letraset.

L.L. : Oui, je vois, on voit les déchirures du letraset ; donc tu fais ton titre au letraset. Je vois que là il y a une partie violette, c’est quoi. Un tampon ?

R.V. : Un tampon.

L.L. : C’est un tampon, parfaitement aligné… Donc là, on est dans du stencil, ou c’est la photocopie qui est tirée sur le kraft ? Le papier peut passer...

R.V. : C’est tiré par un petit imprimeur.

L.L. : Donc la couv’, vous la faisiez… C’est de l’offset en gros… C’est de l’offset la couv’ ?

R.V. : Mais ça c’est déjà plus élaboré, c’était septante-quatre.

L.L. : Oui, je vois, soixante quatorze… Et ton truc là ? Celui que j’ai là il est fait en soixante-dix-sept, donc là c’est avant, il y a avait peut être plus de moyens financiers ?

R.V. : Peut-être...

L.L. : Le choix du papier kraft (tiré à part Donner à voir), c’est juste pour cette publication ou les premières revues « 25 »…

R.V. : Non les premiers « 25 » étaient uniquement comme ça.

L.L. : Tous le même papier ?

R.V. : Y’avait pas de couverture en plus.

L.L. : Alors, ce papier là, par exemple,est-ce que c’était ce même type de papier, la revue ? Tu te souviens ? Parce que là on a un fac simile.

R.V. : Oui c’était le même type de papier que celui que tu vois là-dedans.

L.L. : D’accord, c’est du papier de base. Qu’on trouvait déjà en ramette ? Est-ce que c’était le même papier, tu sais, que — maintenant on a l’usage pour les fanzine de prendre le même papier que celui qu’on trouve dans les bureaux — c’était déjà du matériel de bureau, le papier A4 ?

R.V. : Oui.

L.L. : C’est donc vraiment les bases.

R.V. : C’est dommage, j’ai gardé que 4 originaux de « 25 »… ça c’était le fameux « Journal des poètes », tout le monde cherchait à y publier..

L.L. : Là, on est en soixante-neuf, c’est le journal de ton ami Izoard…

R.V. : Non, Jacques Izoard collaborait vaguement, mais il n’était pas d’accord avec la ligne éditoriale, donc, après, il n’est pas resté. Ça c’était la revue officielle pour les poètes à l’époque.

L.L. : On est en soixante-neuf, il y a déjà des revues d’avant-garde…

R.V. : Exceptionnellement, dans celui-là, j’ai été publié parce que je connaissais Jacques et c’est pour ça que je l’ai gardée ; c’est très rudimentaire aussi mais…

C . Déjà c’était pas agrafé.

R.V. : Non c’était imprimé.

L.L. : Tu m’as dit que tu avais fait des livres avant de faire la revue. Or là on est déjà partis sur les pistes de la revue : ça veut dire qu’avant que n’apparaisse cette revue sous cette forme, là, on est en soixante-dix-sept, il y avait déjà des bouquins sortis aux « Ateliers de l’agneau »… C’est ça le premier ?

R.V. : Un des premiers.

L.L. : Là, on est devant le Jean-Luc Parant.

R.V. : Je vais regarder… Septante-cinq…

L.L. : Donc c’est fait avant la revue…

R.V. : Oui, parce que normalement l’idée c’était de faire des livres ; et puis comme je trouvais que ça touchait pas assez de gens à cause de mon problème de diffusion, la revue, pour moi c’était pour toucher plus de gens… Petit à petit, parce que en stencil, on touche pas beaucoup de gens, mais je suis vite passé à l’offset.

L.L. : Alors, deux trucs : tu dis que la diffusion était mauvaise pour les bouquins ; ça, ça m’intéresse beaucoup. Pourquoi elle était mauvaise ?

R.V. : On était inconnus à l’époque, hein.

L.L. : Pourquoi elle était si mauvaise cette diffusion ?

R.V. : Parce que j’ai jamais été doué pour ça, j’avais pas de voiture pour aller à Bruxelles dans les endroits qu’il fallait… j’ai jamais tellement pensé à la diffusion en définitive, c’est la fabrication qui m’a pris tout mon temps ; il fallait forcément diffuser mais…

L.L. : Du coup, là on est devant « Les yeux de Parant 286 », je suis pas très doué pour les chiffres romains, donc 286, celui-là est donc publié avant que n’existe la revue… Quand tu fais un livre comme ça, du coup, tu n’as pas encore le matériel offset à toi, tu ne le possèdes pas ?

R.V. : Non, je le fais imprimer.

L.L. : Du coup, c’est un objet qui coûte un peu cher à faire...

C. (qui regarde le montage des textes) : Oh, c’est beau… Parce que ça se réduit au fur et à mesure !

L.L. : C’est super beau, une très très belle chose, y’en a d’autre tu peux les…

R.V. : Je fais imprimer les premiers livres, mais celui-là c’est moi-même qui l’ai imprimé….

L.L. : Là tu es déjà passé à…

R.V. : ça c’est sûr !

L.L. : Alors, tu publies donc régulièrement des bouquins chez d’autres imprimeurs...

R.V. : Oui, les moins chers qu’on peut trouver, pas trop loin de Liège.

L.L. : Mais à l’époque, quand tu prends un imprimeur pour faire un livre, il refuse en dessous d’un certain tirage.

R.V. : En général c’était trois-cent.

L.L. : Trois-cent, il accepte de tirer ? D’accord. C’est un petit tirage, j’imagine que ça doit être écrit, je vais te dire ça…

R.V. : Ah non, un peu plus : « numéroté de vingt-six à quatre-cent cinquante » donc en dessous de cinq-cent...

L.L. : Ok, ah c’est très beau, c’est super marrant qu’il ait été… Qu’il ait bouffé son blanc tournant…

R.V. : Déjà, on parle de Michel Vachey.

L.L. : Ah oui ! Et Butor.

R.V. : Sans oublier Butor, Vachey, « Jean-Luc Parant fabricant de boules et de textes sur les yeux., vit en Ariège avec sa femme et ses deux filles au lieu-dit du bout des bordes… » ça, tout le monde connaît…

L.L. : Donc, du coup, on se retrouve avec ces bouquins qui te coûte quand même un peu cher à faire, que tu as du mal à écouler et à diffuser…

R.V. : Oui.

L.L. : Mais t’es pas, ça t’épuise pas… T’as quand même envie de poursuivre l’aventure… L’offset, la machine offset, comment elle arrive dans ta vie, ta propre machine ? Tu vas l’acheter ?

R.V. : Ma propre machine ? Non pas directement, j’ai d’abord… Tu as vu que l’ami chez qui on est allé hier — comme quoi les choses se rejoignent — il travaille avec un éditeur qui s’appelle « Yellow », qui fait de très beaux livres et qui vit toujours, je l’ai revu à Liège ; il sort plutôt des livres soit sur la photographie, soit sur le cinéma. Tu connais pas du tout ?

L.L. : « Yellow »

R.V. : « Yellow now »

L.L. : ah, « Yellow now »

R.V. : Il a publié de gros ouvrages, il est beaucoup plus sérieux que moi et aussi plus équilibré que moi. (rires) Il s'est appelé Yellow parce qu'il aimait beaucoup jouer au kicker ; il a commencé par faire ses études à Saint Luc à Liège, en photo, et il est devenu plus tard prof à l'académie. Et dans ses années d'étudiant, il jouait beaucoup au kicker et prenait toujours les jaunes.

L.L. : Il jouait au quoi ?

R.V. : Au baby-foot.

L.L. : Ah, au baby-foot. La question que je me pose, par rapport à l'entrée de la machine offset dans ta vie : est-ce que une opportunité se présente et tu passes à l’offset ou est-ce que c’est à force de rencontrer des difficultés soit techniques, avec le stencil qui est insatisfaisant, soit des difficultés financières avec les livres qui se vendent pas?

R.V. : C'est au moment où je veux sortir un mensuel. Là je m'étais dit qu’il fallait absolument... Et puis j'avais un peu chipoté dans l'imprimerie ; pas la typo, pas l'offset… Et j'ai eu l'opportunité. J'étais à Liège, donc, « Yellow now » a travaillé dans une tout petit atelier avec une toute petite machine offset et j’ai appris l’offset avec lui. J'ai travaillé avec lui, j'ai publié des choses sur sa machine etc. Je peux te montrer des livres que « Yellow now » faisait déjà.

L.L. : Ça m'intéresse ce que tu me racontes, déjà les gestes techniques de l'offset. Qu'est-ce que t'apprends ? Comment ça se pense ?

R.V. : Ça, c'est un livre qui est sorti au temps où je travaillais avec lui ; c'est peut-être moi qui l'ai imprimé, je ne sais pas. Voilà le type de livre. Alors en général, c'était le même papier de couverture et le même papier intérieur.

L.L. : Ah d'accord ; on est dans une conception assez professionnelle. Il fait tout, il fait la reliure aussi à la colle ?…

R.V. : Non la reliure, il la fait pas. Je ne crois pas non. Non non, il l'a fait faire. Lui, il fait l'impression.

L.L. : Il fait l'impression, il file les pages, il sous-traite quoi.

R.V. : Il fait surtout de la photogravure et tout ça parce qu'il est photographe.

L.L. : Comment ça marche, ça, raconte-moi. Comment tu pars par exemple ? Quelle est la chaîne d'opérations pour partir d'une photographie jusqu'à l'impression offset ? Qu'est-ce que tu fais comme gestes techniques?

R.V. : Bah attends, que je me souvienne (rires)…

L.L. : Pars du principe que je n'y connais pas grand-chose.

R.V. : Tu n'y connais rien ?

L.L. : Oui, donc allons-y !

R.V. : Apparemment, il n'est pas très bien outillé, c'est tapé à la machine aussi.

L.L. : Je vois ça, mais c'est réduit. On a changé d'échelle, la machine elle sert juste pour la compo.

R.V. : C'est en quelle année ça ? Il y a beaucoup d’images aussi.

L.L. : Oui il y a pas mal de photographies. Comment faire pour qu'une photographie aboutisse à une impression, il faut la tramer ?

R.V. : Septante-sept, tu vois c'est les mêmes années.

L.L. : OK, par quels moyens on la trame cette photographie ?

R.V. : Oh, avec une caméra qu’on appelle ça, ça fait longtemps que j'ai pas fait ça… Bon, c'est un appareil avec deux lampes, de grosses lampes sur le côté, qui sont amovibles et qui projette pour impressionner la plaque… Attends, on fait d'abord des films… Comment ça se passait encore ?
… à cette époque-là il y avait des méthodes rapides qui s'appelaient copyproof (développeuse produite par Agfa, voir note 2, ndlr).

L.L. : Oui ?

R.V. : Tu impressionnais le film, tu mettais dans un rouleau, tu passais dans un bain révélateur et il sortait prêt à imprimer sur la plaque qui servait à la reproduction.

L.L. : Ils sortaient déjà tramé ?

R.V. : Ouais.

L.L. : Tu confiais, enfin, tu sous-traitais le tramage des photographies ?

R.V. : …heu…

L.L. : … ou des dessins enfin, des documents.

R.V. : C’était surtout lui qui faisait des photos, moi j'en ai fait plus tard…

L.L. : Et même un dessin : comment tu traites le dessin, pour qu'il devienne une image imprimable en offset ?

Tu as oublié ?

R.V. : Oui, un petit peu. C'est le même procédé sauf qu'il n'y a pas de trame qui intervient, c'est plus facile à faire. Enfin tu dois connaître ça.

L.L. : Ce que je comprends, c'est que pour l'offset on doit obtenir une plaque de métal qui a été révélée…

R.V. : Oui, j'ai même pas d'exemples, oui on parle d'un révélateur…

L.L. : Si je vois bien comment ça fonctionne : tu as une plaque de métal, tu as dessus une image qui va retenir l’encre…

R.V. : C'est un film, qui va impressionner la plaque.

L.L. : Alors il y a le film pour impressionner la plaque et toi tu le fais faire, tu le mets par-dessus le texte et les images.

R.V. : Donc j’avais une espèce d'appareillage on appelait ça copyproof : tu avais ton film qui passait entre deux rouleaux en caoutchouc — j’en ai eu longtemps ici mais c’est parti à la poubelle, c’était plus d’actualité. C’était large comme ça, il était disposé comme ça, un peu à distance et tu introduisais tes films dedans. C'était un procédé assez rapide, il y avait des procédés plus longs. C'est plus d'actualité.

L.L. : Le film. On va commencer par ça. Avant d'impressionner la plaque, comment on obtient le film ? Donc tu as composé ton texte par exemple, est-ce que c'est encore à la machine à écrire que tu composes ton texte, ou c'est pas obligé et tu as déjà d'autres procédés pour composer les textes ? Parce que dans la revue des « Ateliers de l'agneau », il y a des compositions — peu importe la période — il y a plein de de périodes à ta revue « 25 », au mensuel « 25 » et il y a des travaux de compositions complexes.

R.V. : C'est toujours la machine à écrire qui est relativement… Ce qui permet pas de… Justifier à droite de faire des blocs quoi.

L.L. : Je vois ça, par exemple, dans ce numéro là, qui est un numéro de 1980 — numéro 46 47 — toute la compo, c'est des variations sur de la machine à écrire. Ça veut dire quoi ? Que tu as plusieurs machines à écrire différentes à ce moments-là ?

R.V. : Non on n'en a qu'une, un peu plus élaborée que celle avec laquelle on était partis. Qui était une bête machine de bureau. Après, ça s'est amélioré et on pouvait quand même faire…

L.L. : Oui, c'est plus la même typo, c'est quoi ? Une sorte de tête, une marguerite que tu changes ?

R.V. : Oui une marguerite.

L.L. : Donc là, on a une composition à la machine à écrire et je vois que là c'est en négatif, il y a un bandeau vertical.

R.V. : Oui je me suis servi du ruban de frappe pour…

L.L. : Ah oui, tu poses sur le film directement… Tu utilises la transparence du ruban de frappe pour composer, oui, je vois bien, ça veut dire que tu as gratouillé

R.V. : Je me suis amusé comme ça pendant longtemps pour « 25 »

L.L. : Ça c’est du dessin qui vient alors poursuivre le travail du ruban de frappe de la machine.

R.V. : Du dessin ? Non c'est des accidents.

L.L. : Là ?

R.V. : C'est des accidents du ruban.

L.L. : Tu composes, tu tapes à la machine et le film tu le fais faire par quelqu'un d'autre ? Ou tu le fais avec ta propre machine ?

R.V. : Je le fais avec la machine dont je te parlais tout à l’heure.

L.L. : Donc là, on a de l’image au trait, c'est pas compliqué d'obtenir du film en noir et blanc.

R.V. : C'est pas très bien reproduit, comme tu peux voir.

L.L. : Oh, ça va ! C'est vrai que le dessin filaire, il est maigrichon et il a un peu tendance à disparaître. Là, on se retrouve devant une photographie dans ce numéro, donc elle, pour qu'on comprenne bien, pour qu'elle soit imprimable. On la voit bien parce que la trame est assez grosse quand même, on voit qu’elle a une LPI 3 assez lâche. Comment tu obtiens cette trame ? À ce moment-là, on est en 1980, comment on obtient une photo tramée, qui fait ça ? Et par quel procédé ?

R.V. : Là, c'est moi qui fais moi-même, mais j'avais une trame en plastique quoi.

L.L. : AH? !… on va voir si je te comprends bien. J'ai le souvenir, dans mes premières années de photocopies que quand on voulait des gris, entre la photographie, qui avait ses nuances de gris par le tirage photo, et le photocopieur on mettait feuille de plastique transparent avec imprimé dessus une trame très fine de points blancs, c'est la même chose ?

R.V. : La nôtre était de couleur rosâtre, je sais pas pour la tienne mais oui, c'était une trame plastique.

L.L. : Donc ce n'est pas un vrai tramage de photos, en fait ça ne trame pas vraiment la photo, comme on fait aujourd'hui avec les procédés… C’est très beau en tout cas !

R.V. : Je ne sais pas comment on fait aujourd'hui !

L.L. : Moi non plus, j'avoue. Même en faisant, j'ai beau l'avoir fait, j'ai jamais compris ce que je faisais.

R.V. : J'ai beaucoup travaillé sur la trame, par exemple ici j'ai renforcé la lumière avec l'instrument qui m'a servi plus tard pour mes collages : le scalpel.

L.L. : Tu grattes. Ici par exemple ?

R.V. : Oui, là.

L.L. : Tu renforces les blancs, ah, oui, très bien. Là aussi ?

R.V. : Oui, je travaille sur la mécanique de la trame de manière manuelle.

L.L. : Donc les filets, c'est des filets manuels que tu fais avec des crayons sur le film… Donc comme compo, je résume, on a : la machine à écrire avec les différents caractères et la marguerite et on arrive déjà à une compo assez savante et ça, du coup, c'est du letraset je suppose. Là, le titre, est-ce que tu as d'autres moyens que le letraset pour le faire à ce moment-là ?

R.V. : Oui et non. C'est-à-dire qu’il y a eu pas mal de letraset au début, mais après, la plupart du temps — c'est dommage je n'ai pas conservé ça — je découpais toutes mes lettres une à une dans des revues, des choses comme ça, c'était déjà du collage.

L.L. : Pour composer tes titres ? (Rires)

R.V. : Oui, c'est fou ! (Rires) ça me prenait un temps fou ! Je vais essayer de t'en trouver un plus loin.

L.L. : J'ai une question par rapport au film…

R.V. : Là, tu vois c'est de la création à partir…

C. Oh !

R.V. : J'ai intitulé ça « Paysage de neige », je me suis servi des rubans qu'on avait utilisés pour faire une illustration.

L.L. : Là, on est dans un truc super intéressant, on assiste à un retour de la revue sur elle-même avec l'utilisation d'un procédé de fabrication…

R.V. : ça fait comme des traces de pneus…

L.L. : Oui, on est dans l'idée que tout le processus de fabrication la revue…

R.V. : ça pourrait bien figurer dans le truc d'Alex (il parle du collectif « De tout bois » des éditions Adverse, ndlr).

L.L. : Oui, aucun problème là-dessus ! C'est très intéressant et super riche !

R.V. : Alors il n'y a plus ces machins là.

L.L. : Oui, les rubans, c'est fini. Tu réutilises tout ce qui, dans la chaîne de production, a déjà eu lieu. Est-ce que ça veut dire que quelquefois dans la revue, tu utilises d'anciens films de vieux numéros pour en prendre des bouts dedans et…

R.V. : Oui je réutilise de tout, quand je fais des collages, en définitive. Attends, j'ai un bon exemple : là, je me suis servi d'une radiographie. Déjà il commence a y avoir des petits collages pour les illustrations que je fais sur des thèmes. Là, c’est sur des enveloppes mortuaires et c’est revenu dans d'autres numéros de « 25 ».

L.L. : Ils sont faits directement sur le film ces collages là? Ou c’est des collages que tu as fait à côté ?

R.V. : C'est des collages qui ont été filmés, ça aussi, mais ce n'est pas très très bien parce qu'il n'y a pas les nuances. Ça, les gens du « croc électrique » l'ont repris mais à partir de l'original, je ne sais pas très bien ce qu'il est devenu. Mais là, c'est mal reproduit, je tramais pas tout, quoi, comme tu peux voir : se serait pas tout blanc comme ça ! Mais je m'en contentais… j'essaye de réfléchir, avec le système de copyproof, en film direct, je ne pouvais pas avoir des des nuances, vraiment. Pendant tout un temps, normalement, il devrait y avoir des gris ici.

L.L. : Oui, on est dans les « séquences », le matériel Muybridge et on voit bien là, que l'offset ne peut pas discriminer les nuances de gris, ou plutôt, c'est une discrimination brutale, noir ou blanc, il choisit.

R.V. : À cette époque-là, oui.

L.L. : Là, je vois qu'il y a un passage couleur. Comment tu fais tes calages ? Donc en plus, c'est plus compliqué, il y a un dégradé.

R.V. : Oh, le dégradé, c'est peut-être pas vraiment voulu…

L.L. : Tu crois que c'est pas voulu ? C'est pourtant bien centré, bien vertical, ça pourrait pas être une trame dégradée que tu aurais mise par-dessus ? Ça ne te paraît pas probable ?

R.V. : Non, c'est un aplat.

L.L. : Tu penses que c'est un aplat qui a mal tourné ?

R.V. : Ou découpé, je ne sais plus... Je ne sais plus très bien comment j'ai réalisé ça.

L.L. : Tu les cales comment, à ce moment-là, tes films ? J'essaye de comprendre ton dispositif technique. Donc, tu as ta propre machine offset...

R.V. : Là, oui.

L.L. : Alors, les plaques sont réalisées à partir des films, elles sont insolées, c'est des grandes plaques ? C'est une grande machine ? C'est quoi le format maximum que tu peux faire sur ce genre de machine ?

R.V. : 40 × 60 dans mes souvenirs.

L.L. : Là on est déjà dans de la grande revue, là, tu es quasiment au maximum. Ton format ouvert c'est ça.

R.V. : Oui oui. Tu plies en deux, ça fait un A4.

L.L. : Effectivement, et là, on a encore du passage couleurs, les deux passages sont en offset, il n'y a pas d'autres techniques ? tu jongles avec deux couleurs, ça a été ton maximum en offset, deux passages ?

R.V. : Oui, je n'ai jamais fait de trucs plus poussés au niveau technique... Par exemple je ne sais pas faire de quadri et des choses comme ça moi. C'est toujours resté très artisanal.

L.L. : Là on est dans une reliure journal, là dans les numéros au format un peu plus modeste — façon de parler, c'est agrafé. L'agrafage il était fait par toi ou tu sous-traitais ? Tu avais une agrafeuse pour faire ça ?

R.V. : Ouais, on avait une grande agrafeuse, à bras comme ça.

L.L. : Une agrafeuse à bras, il n'y a rien d'automatisé.

R.V. : Oui la reliure à toujours été très artisanale pour le mensuel « 25 », ça été de l'agrafage jusqu'au bout, ça va vite et c'est pratique, quand tu as la grande agrafeuse ça suffit, mais tout à la main !

L.L. : Tu dirais combien d’exemplaires au début des années 80 ?

R.V. : Toujours cinq cent.

L.L. : Cinq cent exemplaires et à ce moment-là tu diffuses comment ? Abonnement encore ?

R.V. : Abonnement nécessairement et distribution d'un distributeur pas très sûr.

L.L. : Et tu payes un distributeur à ce moment-là ?

R.V. : Non je ne paye pas : ils prennent en dépôt et voilà, au petit bonheur la chance.

L.L. : C’est un système que je ne connais pas.

R.V. : Alors ils visitent les librairies je suppose mais la plupart s'en foutent (rires).

L.L. : C’est 'intéressant parce que aujourd'hui quand tu bosses avec un distributeur, tu le payes pour qu'il fasse le boulot, et là, tu ne le payes pas, c'est lui qui se paye en faisant son travail, c'est-à-dire tu lui confies tes stocks…

R.V. : En définitive, j'ai jamais vraiment profité de ça ; ils étaient vraiment très éphémères les distributeurs, tu vois le genre.

L.L. : Là, on est dans un numéro un peu tardif, en 86 et il y a deux passages couleurs...

R.V. : Oui, c'est encore hésitant.

L.L. : Tu l’a faite cette couv' ? Oui c'est un peu cracra mais c'est pas mal (rires). C'est pas mal le petit côté cracra

R.V. : Je ne peux rien dire parce que je n'ai plus ni de numéro de celui-ci, juste la version cracra.

L.L. : D'accord.

R.V. : J'en ai eu des qui étaient mieux faits…

L.L. : Là, on n’est plus du tout dans de la « machine à écrire », c'est carrément composé comme un magazine professionnel.

R.V. : C'est pas composé, c'est fait normalement.

L.L. : Dis-moi.

R.V. : Des titres découpés dans… Je ne pouvais pas composer ça, c'était soit la machine soit des lettres découpées pour le titres.

L.L. : Ça aussi c'est à la machine ? ! Les grandes capitales là ?

R.V. : Non les titres.

L.L. : Bon, le titre c'est découpé, on est d'accord ? Mais ça, c'est machine à écrire ?

R.V. : Ouais.

L.L. : OK mais tu as trois passages quand même ! Tu y vas, il y en a un pour le jaune un pour… le rouge ! (il parle du numéro Pauvre Belgique, de la revue 25, NDLR)

R.V. : Oui, c'est un assez gros numéro pour l'époque.

L.L. : Je vois ça…

C. Quelle année celui-là ?

L.L. : Quatre-vingt six, on arrive quasiment à la fin de la revue, tu l'arrêtes quand ?

R.V. : Non on en est loin, c'est en septante !

L.L. : mais on est en quatre-vingt six.

R.V. : Je veux dire cent-septante numéros ou cent quatre-vingt je sais pas exactement.

L.L. : Ah oui quand même, tu es loin d'être à la fin en fait !

R.V. : Ouais.

L.L. : Et jusqu'au bout tu vas composer tes pages à la machine à écrire ? Ou il y a un moment où tu passes à autre chose ?

R.V. : Non toujours à la machine à écrire, parce que ça m'amenait déjà assez loin…

L.L. : Oui ça t'amenait loin !

R.V. : … ça n'a pas été plus élaboré que ça au niveau de la composition. Attends, je vois Michel Vachey
« après-midi à rien ».

L.L. : Ah oui, tu faisais l'annonce de sa sortie.

R.V. : « Je ne suis sans doute pas la seule à déplorer qu'on ne lit plus assez Michel Vachey » ça, c'est une personne qui faisait des articles…

C. S'il savait ! (Rires)

R.V. : J'en ai fait aussi, mais beaucoup moins.

C. Alors ça c'est le maximum de ta composition pour l’élaboration de la revue ?

R.V. : Ça c'est un collaborateur occasionnel qui dessinait, qui vit toujours… Magic strip, tu connais ? C'était l'époque de Magic strip.

L.L. : Oui oui, très bien

R.V. : Avec Didier et Daniel Pasamonik.

L.L. : C'était des éditions un peu luxueuses, Magic strip.

R.V. : Oui j'aimais bien cette collection là…

L.L. : J'avais ça aussi, le « Godefroid de bouillon »…

R.V. : C'était un peu la ligne claire…

L.L. : Là, tes titres sont un peu complexes : c'est encore découpé, là tu vas chercher le logo de Magic Strip, je suppose, et tu l'agrandis...

R.V. : Là, le « made in Belgium » par exemple, si tu veux, les titres ils étaient faits en fonction de ce que je trouvais donc si je trouvais toute une phrase je m'arrangeais pour… Parce que des petites lettres comme ça, c'est pas... Ça risque de ne pas être très droit et ça, là, c’est comme tu dis…

L.L. : Du repiquage de logo. Il y a un truc qui m'étonne dans cette affaire, tu commences à faire du copy-art très tôt, dans les années 70. Parce que si je me souviens bien le premier bouquin de copy-art ça doit être Ian Burn avec son Xerox book, à peu près, vers soixante-huit ou soixante-neuf, un truc comme ça ; donc dès le début tu t'intéresses au copy art, dès que c'est possible, et donc au photocopieur ; tu te penches très vite sur l'intérêt du photocopieur, avant plein de gens… et c'est pourtant pas ça que tu fais, ça c'est bizarre…

R.V. : Mais je n'ai pas de photocopieur à l’atelier, et je m'en suis très peu servi en définitive.

L.L. : C’est assez dingue, tu fais une quantité assez folle de travaux de « Séquences »… les montages des « Séquences » qui ont été réunies en bouquins et qui était publiées chez minuit c'est des travaux de photocopieur… les « Séquences » tu les faisais comment ?

R.V. : Au départ oui, c'était des bouquins de Muybridge que je m'étais procuré...

L.L. : Que tu avais photocopié…

R.V. : ...comme c'était pas encore suffisamment élaboré, les trames comme je voulais faire, comme tu as vu dans d'autres numéros, tout à fait en négatif et positif, quoi.

L.L. : Tu t'intéresses de très près à ce que propose, comme possibilité technique, le copieur, mais tu choisis l'offset comme matériel de travail pour une revue ; à aucun moment ça t'a donné envie, les propriétés techniques du photocopieur, sa manière de faire les choses, ce grain si particulier, de l'utiliser dans le cadre de ton boulot ? Tu es passé à l'offset dès qu'il s'est agi de faire une revue. Ça s'est imposé à toi logiquement ?

R.V. : Bah oui, parce que j'avais une volonté de toucher un maximum de gens… Donc déjà cinq-cents, c’est pas un tirage que tu utilisais non plus quand tu fais...

L.L. : C'est non négligeable, enfin ça commence à être quelque chose d'un peu conséquent ; les livres, aussi étaient tirés à des tirages conséquents?

R.V. : Ouais, il y a juste l’anthologie 4 qui a été tirée à trois mille — ou un peu plus — d'exemplaires, mais la plupart des livres c'était autour de cinq-cent, ça comprenait les abonnés et les dépôts en librairie, de toute façon…

L.L. : On va regarder ce bouquin là « Après la bataille » de Vaughn-James. Donc ça c'est le premier bouquin qui ait jamais été publié de Martin Vaughn-James, on est d'accord ?

R.V. : Attends, je réfléchis… Ouais, à moins que j'en ai publié avant... Parce que j'avais publié aussi son amie aussi : Sarah McCoy.

L.L. : Son amie comment ?

R.V. : McCoy, sa compagne.

L.L. : Je ne la connais pas.

R.V. : J'ai des choses. Je pourrais te montrer.

L.L. : Là, on rentre dans des compositions très différentes ; là on est plus dans la machine à écrire pour celui-là, et c'est un bouquin que tu as fait en quatre-vingt deux. Alors c'est intéressant : quand tu fais des bouquins, tu n'es plus du tout dans ton rapport « machine à écrire » de ta revue « 25 », pour le coup tu composes autrement. Ça veut dire que tu fais faire ça ?

R.V. : Oui, ça, j'ai jamais eu le matériel pour le faire j'étais obligé de passer par un photocompositeur, quoi.

L.L. : C'est qui ? Tu le connais, c'est un ami ou c'est un professionnel ?

R.V. : C'est le moins cher, le plus accessible.

L.L. : Du coup on a un dialogue entre une photocomposition qui vient de l'extérieur et qui fait des drôles de trucs des fois, il y a des accidents, c'est marrant ! C'est très étrange, ah, c'est beau, il y a un fantôme qui apparaît d'une autre page…

R.V. : Oui ça c'est le problème du blanchet qui n'est pas toujours très…

L.L. : Le quoi, le blanchet 5 ?

R.V. : Le blanchet c'est : l'image elle est sur la plaque et elle se reporte sur le blanchet en offset et puis le blanchet imprime le papier…

L.L. : Ah, c'est pas direct, le contact ?

R.V. : Non non.

L.L. : Ah je savais pas. Du coup il peut rester un vestige des usages précédents, un peu comme quand tu as des fantômes en sérigraphie des images qui ont déjà été tirées.

Alors là, ça se passe comment ? Tu fais donc composer le texte par quelqu'un et est-ce que les images sont introduites après par toi sur la page ? Ou tu lui donnes tout à photocomposer ? Image et texte au type ?

R.V. : Non uniquement le texte et après j'installe les images et j'installe les textes en rapport, je découpe.

L.L. : Tu découpes dans ce qu'il t'a filé. Il te file les films avec le texte composé et tu utilises ce matériel comme tu as l'habitude de faire dans ta revue. La seule différence, c'est que lui, il t'a monté tout ça. Donc du coup tous les alignements, les foliotages, etc. ça reste un travail manuel que tu fais sur les films.

R.V. : Oui.

L.L. : D'accord alors quand je vois les dessins de Vaughn-James, je me trompe peut-être, j'ai l'impression qu'il y a des échelles différentes du dessin ; en gros que selon les originaux, j'ai l'impression qu'il utilise plus ou moins les mêmes outils, et qu’on n'a partout pas le même degré d'agrandissement du dessin. Est-ce que ça veut dire qu'un certain moment tu joues sur la mise à l'échelle de ses dessins dans une page ?

R.V. : Ouais, c'est possible, je ne me souviens plus très bien.

L.L. : Et techniquement, dans ces cas-là, comment tu fais pour changer la taille d’une image, pour réduire et agrandir un document ?

R.V. : J'avais une caméra qui permet d’agrandir ou de réduire, une caméra dont se sert en offset pour agrandir une image ou la faire… Parce qu'au départ, je ne savais la faire que à 1 /1, et après pour ce livre j'avais cette caméra qui permet d'agrandir ou de réduire une image.

L.L. : Mais cet agrandissement ou cette réduction, ils se font au moment de l'insolation ?

R.V. : Oui.

L.L. : Ah d'accord, ça je savais pas. Et quand tu changes, j'ai pas regardé les changements d'échelle de texte dans la revue « 25 »… Elle a vraiment pris plein d'allures différentes, elle est très jolie en petit comme ça… Est-ce qu'il y a eu des changements d'échelle de texte ? Sur le texte, tu ne joues pas, tu changes juste les marguerites ?

R.V. : Non sur les textes je ne joue pas, ça ça a été imprimé à l'extérieur…

L.L. : Donc de temps en temps l’« Atelier de l'agneau » délègue... C’est guidé par quoi, cette délégation ? Tu as une subvention, tu as du fric, un truc ?

R.V. : Pour un dessin, quand ça marche pas et qu’il y a des gris et tout ça, on possédait pas encore tout à fait…

L.L. : Je connais pas du tout cet aspect de ton travail (rires). Petit cachottier ! C'est beau ça, c'est de la mine graphite ?

R.V. : Du frottage.

L.L. : Du frottage, c'est super délicat ! (il s'agit du Ici-même, à main nue, avec Bernard Noel, NDLR)

R.V. : Je ne faisais pas que des frottages, mais en définitif c’est Bernard Noël qui a fait le choix dans ce que j'avais à ce moment-là.

L.L. : Là c'est très luxueux, on a papier souple vergé mauve, on a un train d'entrée un peu long, on a du rabat. C’est une autre économie.

R.V. : Ça commence à être élaboré.

L.L. : Qu'est-ce qui décide cette économie ? Est-ce que c'est l'impératif donné par le type de travaux, ou finalement est-ce que c'est parce que c'est Bernard Noël qui a une certaine notoriété et plus d'assurance qu'il va y avoir de l'argent à rentrer qu'on peut se permettre de ?…

R.V. : On espérait ça, oui.

L.L. : Est-ce que, du coup, à ce moment-là, moi je ne sais pas comment ça fonctionne...

R.V. : Je suis resté une semaine ou deux, je ne sais plus, enfin un certain temps, j'ai été invité par Bernard Noël, on a élaboré ça, il a écrit sur les dessins que je lui apportais et voilà. Je savais bien quand même que c'était un événement.

L.L. : Ouais, ouais ; donc il y a un risque, mesuré, mais c'en est quand même un, on est en soixante-quatorze, je suppose que t'a pas trop de fric. Du coup est-ce que à cette époque il y a des systèmes d'aide, des subventions d'État des moyens de soutenir un truc qui est quand même copieux à faire financièrement ?

R.V. : J’ai pas eu d'aide pour ce livre.

L.L. : Tu n'as pas eu d'aide. Alors comment tu te débrouilles pour débloquer un budget comme celui-là ?

R.V. : La banque.

L.L. : La banque prête ! Comment tu fais ? C'est un souci permanent en auto-publication, comment on fait ?

R.V. : Franchement, comme j'avais du matériel pour imprimer, j'avais beaucoup de copains trotskistes, anarchistes etc. qui avaient des revues à publier et c'était pas évident de trouver une impression bon marché, parce que eux, ils étaient très serrés aussi… Donc j'ai imprimé aussi plusieurs revues de l'époque. J'ai complètement oublié les titres, mais ça me permettait de rentrer un peu d'argent.

C. Du troc un peu.

R.V. : J'avais quelques mécènes comme le docteur de Lief, quelques mécènes sincères, ouais.

L.L. : Là, je vois « Alain Le Bras, portrait en pied », de Savitzkaya… Petit livre assez joli et je vois qu'on change de papier. Est-ce que tu faisais de la récup de papier ? Ou tu faisais des acquisitions de papier spécifique pour tel ou tel livre ? Comment tu bosses avec le papier ?

R.V. : Je Fais plutôt de la récup.

L.L. : Comment tu fais la récup ? Tu as des rapports avec les imprimeurs locaux, tu chopes des chutes, c'est quoi tes sources pour récupérer du papier ?

R.V. : Je ne sais plus très bien comment ça s'est passé, mais ce papier là, oui je l'avais… J'avais utilisé ce type de papier pour quelques autres ouvrages que j'avais imprimés. C'est donc de la récup’ mais dans mon atelier, quoi. C'est des chutes en trop.

L.L. : C'est pas des choses que tu vas récupérer en déchet d’imprimerie ou des choses comme ça ? Ça ne t’es jamais arrivé de faire ça ?

R.V. : Non non je ne connaissais pas cette possibilité.

L.L. : Du coup, j'ai une question de ce genre, elle est assez cruciale, enfin, elle se pose souvent en micro-publication : est-ce que ça t'est déjà arrivé, par exemple, que le matériel dont tu disposes — en gros : tel papier, il te reste un gros stock et il est là il a servi pour un truc et il en reste assez pour un autre truc — ça t’es déjà arrivé que le matériel disponible décide d'un projet ? Au lieu de dire : « bon moi je faire un livre bleu, je vais chercher du papier bleu ».

R.V. : Pour l'anthologie quand j'ai commandé le papier c'était pour trois mille exemplaires…

L.L. : L'anthologie : le monstre.

R.V. : Il fait plus de cinq cent pages.

L.L. : La grosse chose.

R.V. : Quand ils ont apporté le papier, bon, mon atelier, c'était un hangar, un ancien local pour stocker du charbon qu'on a transformé un peu, qu'on a isolé. Il y avait juste un radiateur à bain d'huile pour quand il fait froid. Il y avait rien, il n'y avait pas de chauffage…

L.L. : Donc le papier vient d'arriver, tu en as plus que tu en avais besoin ; j'imagine et tu vas réutiliser ce papier…

R.V. : ça je ne sais plus, mais je sais que j'en ai jamais eu autant, à ne pas savoir où le mettre ! J'étais bien emmerdé ; je me souviens parce qu'ils ont tout déposé sur la pelouse devant l'atelier et j’ai dû tout rentrer et stocker ! Et c'était vraiment tout juste. (Rires) Parce que c'était vraiment un petit atelier.

L.L. : Tu dis « je ». Tu es tout seul pour le travail technique aux « Ateliers de l'agneau » ?

R.V. : Ben Oui.

L.L. : Tu as fait tous les numéros de la revue « 25 » tout seul ?! (Rires) Comment ça, « ben oui » ?!

R.V. : Oui.

L.L. : « Ben oui, c'est une telle évidence ! Enfin, Laurent, tu déconnes ! »(Rires)... On va parler maintenant de l'anthologie. On va arriver au gros truc. T'es tout seul pour faire ça aussi ?

R.V. : Oui. Ça c'est vraiment le plus gros truc, c'était fou de faire ça ! Plusieurs jours de suite, j'ai imprimé ça. Pour la composition, comme c'est fait avec « le Castor astral », ils ont fait la composition, j'ai fait les films avec ma caméra et j'ai fait l'impression.

L.L. : Tu as tiré ça à trois mille exemplaires, c'est ça ?

R.V. : Oui.

C. C'est de la folie !

L.L. : Tout seul ! Alors, on est devant un pavé de cinq-cent soixante pages. En 1981. Alors raconte-moi, déjà, quel genre de problèmes spécifiques qur tu rencontres quand tu veux faire un truc pareil ?

R.V. : Ben, la quantité du papier à stocker, pouvoir circuler dans l'atelier jusqu'à la machine. (rires).

L.L. : Ah, oui il y a aussi les problèmes de séchage, du coup. Il y en a partout, des petits tas.

R.V. : Oui oui.

L.L. : Comment tu t'organises ? Parce que du coup, ça fait un nombre considérable de cahiers…

R.V. : C’est pas moi qui fais la reliure.

L.L. : Oui, mais il faut bien ranger constamment ! Oui, pour la reliure ce sont des cahiers, collés proprement, une bonne ouverture, du beau travail…

R.V. : Je sais jamais trop. Je n'ai jamais été appareillé pour la reliure, sauf les agrafes.

L.L. : ça c'est curieux. Pourquoi tu l'as jamais fait ? Parce que c'est pas forcément très coûteux de trouver le matériel.

R.V. : Tu te sentirais le faire, toi, cinq cent exemplaires !

L.L. : Oui mais une fois que matériel et là, il te donne aussi des idées et des envies, une encolleuse, tu aurais trouvé mille occasions de l'utiliser.

R.V. : Les autres livres étaient quand même beaucoup plus… Certains pouvaient être agrafés, d'autres je les donnais aussi à faire…

L.L. : Mais quand même, là, on a une revue « 25 », c'est dense ! Cent douze pages, c'est un format livre un peu ample quand même, je dirais qu'on est sur du… Vingt-deux... Et ça aussi, tu la fais faire ?

R.V. : La reliure, oui, je donnais.

L.L. : C'est très beau ça aussi, c'est encore du Varlez ?

R.V. : C'était toujours la vieille machine, comme tu vois.

L.L. : Je vois qu'il y a aussi des choses manuscrites. Alors quand c'est manuscrit comme ça, ça a été manuscrit directement sur le film ? Ou, juste, tu fais un film d'après une page d'écriture ?

R.V. : C'est un texte que j'ai reçu manuscrit et que j'ai reproduit manuscrit.

L.L. : J'avais pas remarqué qu'il y avait des illustrations dans l'anthologie.

R.V. : C'est des photos d'un gars, je sais plus comment il s'appelle… Baldet… Je ne sais pas ce qu'il est devenu. Eugène Savitzkaya « la malheureuse vêtue de roux ». Bon qu'est-ce qu'il y a au sommaire de celui-ci ? Voyons : la compagne de Martin Vaughn-James, dont je t’ai parlé plus tôt : Sarah McCoy. C'était sa compagne et elle, elle était poétesse.

R.V. : Ça, c'est une chute de collage,et les traces…

L.L. : C’est quoi ça ?

R.V. : C'est l'offset.

L.L. : C'est l'offset qui a merdé,qui a fait une sorte de bavure, c'est très beau.

R.V. : Il ne me reste que des exemplaires merdeux !

L.L. : C'est vrai, que c'est beau !

R.V. : Ouais, c'est beau mais…

L.L. : Bon on reste concentrés sur l'anthologie, c'est moi qui diverge en te mettant autre chose entre les mains. Honte sur moi ! Donc problème technique premier : le stockage. Est-ce que tu en rencontres d'autres, de spécifiques à l'ampleur d'un tel bouquin, à part ta fatigue immense ?

R.V. : Ma fatigue et ma santé parce que c'était très mal ventilé, à cause du chauffage… Si tu veux, la machine, on a construit autour l'atelier. On a racheté une machine avec l'aide du mécène, le docteur de Lief, et il a mit la pâte aussi à la construction de l'atelier. C'était un grand hangar à charbon — enfin grand, pas plus grand qu'ici — et alors, il fallait isoler l'endroit où on allait travailler parce que question chauffage… je crevais de froid en hiver. On a donc isolé une partie, juste autour de la machine. Après avoir rentré la machine, on avait une grande entrée. Tout ça était pourri, donc on a isolé. J'avais juste la possibilité de tourner autour de la machine ; derrière deux trois palettes pour mettre le papier, et puis le reste stocké à l'extérieur de la partie chauffée.

L.L. : Du coup, l'humidité — parce que c'est quand même un peu humide Liège on est d'accord ? C'est pas la ville la plus ensoleillée du monde — ça a des effets sur le stockage de papier et aussi sur le séchage de l’encre, forcément.

R.V. : Forcément. Mais c'était pas toujours en hiver. Je ne sais pas quel moment ça été imprimé.

L.L. : Ça doit être marqué quelque part dans l'ours, à la fin peut-être. « Cet ouvrage a été conçu tatata en septembre… ». En septembre, à Liège, quand même (rires). Ouille, il était temps de finir. Ça t'a pris combien de temps pour faire cette chose ?

R.V. : Ça je ne sais plus, mais c'est vraiment le truc impensable que j'ai réussi à faire.

L.L. : Pourquoi tu l'as fait tout seul ? Pourquoi, à ce moment-là, y a pas des gens ?

R.V. : Parce que j'étais tout seul !

L.L. : Mais ça se fait en collaboration avec « le Castor astral » il y a bien des gens !

R.V. : Oui mais « le Castor astral » était à Paris, à Pantin et bon, ça se fait par correspondance tout ça. Ils n'ont jamais mis les pieds à l'atelier, pratiquement, ils avaient aussi leurs propres problèmes d'impression etc. Enfin ils ont mieux réussi que moi question…

L.L. : Ça sort en 81 cette énorme chose, on est d'accord ?

R.V. : Ouais.

L.L. : Les « Ateliers de l'agneau » existent depuis 72, comment se fait-il qu'en neuf ans tu n'aies pas été foutu de te trouver un collaborateur dévoué qui vienne aider à tirer tes offsets ?

R.V. : Parce que… J'ai pas cherché.

L.L. : Tu n'as pas cherché.

R.V. : Ça ne m'est pas venu à l'idée. Et puis bon, il aurait fallu… Tu sai,s pour faire tourner une machine, il n'y a pas besoin d'être cinquante, surtout dans le petit espace où était la machine... Qu'est-ce qu'il aurait pu faire ? Non. J'avais pas vraiment de copains qui étaient dans le métier, des copains poètes oui, j'en avais tant qu’on voulait, mais pas de copains imprimeurs…

L.L. : … je voudrais te poser encore une ou deux questions, si tu n'es pas mort de fatigue et si tu n'en as pas marre de mes questions idiotes.

R.V. : Ce sont pas des questions idiotes, tu fais ton possible pour essayer de retracer un certain… La mémoire des « Ateliers de l’agneau ».

L.L. : Ce qui m'intéresse de savoir, c'est qu'est-ce que tu as eu comme autre pratique de l'impression, à par l'offset… Qu'est-ce que tu as pratiqué d'autre et pourquoi par exemple ?

R.V. : Très très peu la typographie.

L.L. : Donc la composition au plomb, c'est ça ? Là où tu as fait ton apprentissage ?

R.V. : Ouais quand j'étais apprenti, j'étais typographe, donc je connaissais la typographie mais je n'ai jamais eu de matériel typographique et je suis passé assez vite à l'offset parce que c'était juste une époque charnière où la typographie pour les revues et tout ça, disparaissait au profit... certains ont continué à faire des choses comme « la revue des recherches », j'en ai toute une caisse avec des numéros en bas ; eux, ils ont continué en stencil très très longtemps. Surtout ils faisaient très peu d'images, surtout du texte. Donc, moi, je voulais privilégier l'image et c'est pour ça que l'offset était tout à fait indiquée, parce qu'en typographie c'était plus compliqué.

L.L. : Et la sérigraphie, à cette époque c'est quelque chose qui est beaucoup pratiqué ou pas ? Dans le domaine artistique ou éditorial ?

R.V. : J'ai été aussi apprenti. Mon père m'a envoyé aussi comme apprenti dans un truc de sérigraphie, même problème : exploitation. Dans un truc qui m'intéressait absolument pas à cette époque parce que c'était uniquement des trucs publicitaires, donc je n'y suis pas resté longtemps. Mais aux Beaux-Arts, où j'étais encore, j'ai un peu pratiqué, mais très artisanalement, la sérigraphie en mettant moi-même sur les châssis le bouche-pores, sans… Bon, très artisanal… Je ne sais pas si j'en ai encore, je peux en retrouver éventuellement, mais c'était des trucs pas très élaborés et le résultat ne m'a jamais vraiment convaincu.

L.L. : D'accord. Donc tu n'as jamais imaginé des techniques mixtes.

R.V. : Ça n'allait pas très loin au point de vue technique, c'était tout à fait artisanal, quoi. Je travaillais directement avec le bouche-pores sur la toile et je faisais des images qui n'étaient pas très intéressantes.

L.L. : D'accord. D'autres techniques ?

R.V. : La couleur… D'autres techniques d'impression ? Le stencil… Non, pas tellement. La gravure, c'est-à-dire, j'avais fait la gravure aussi aux Beaux-Arts.

L.L. : Gravure ? D'épargne ou…

R.V. : Ça m'intéressait pas vraiment... Mais les tout premiers livres ont été faits en gravure.

L.L. : Les tout premiers livres ?

R.V. : De l’« Ateliers de l'agneau », rue de l'agneau ; j'avais une presse de gravure dont j'ai fait des affiches poème, je vais essayer de t'en sortir deux ou trois…

L.L. : Les affiches poème c'était : compo typo et gravure ! Ah, ben quand même ! Ça commence pas par l'offset cette histoire, ni par le stencil, petit coquin !

R.V. : C'est plus compliqué que ça.

L.L. : Au bout d'une heure et demie j'apprends que c'était une autre technique… Alors ça c'est les débuts de l'  «  Atelier », rue de l'agneau. Ah, mais c'est énorme ! OK, donc ça c'est quoi ? C'est une taille-douce ? C'est un gaufrage ?

R.V. : Oui, c'est-à-dire c'est un procédé que j'ai inventé.

L.L. : (Rires) raconte.

R.V. : C'était des plaques qui servaient, carrées comme ça…

L.L. : En quel matériau ?

R.V. : Une sorte de matière plastique dont on se servait dans les salles de bains, j'avais trouvé ça dans un magasin et je m'étais dit « tiens, je vais graver là-dessus. »

L.L. : On est sur un modèle de revue très particulier quand même !

C. Tu veux que je prenne une photo ?

L.L. : Oui c'est important que l'on voit ça, on ne peut pas l’imaginer.

R.V. : Ça c'est des empreintes, je t'expliquerai pour les empreintes après. C'est une sorte de matière plastique et dans mon atelier, rue de l'Agneau, j'avais un vieux poêle qui chauffait, c'était sous les toits, donc plus ou moins en permanence...Et je m'étais aperçu que cette matière-là mollissait, ne fondait pas, et après redevenait bien dure et permettait d’être gravée. Mais pendant qu'elle était un peu molle je pouvais prendre des empreintes dessus. Voilà un exemple.

C. Tu gaufrais!

L.L. : Tu poses dessus et ensuite tu gaufres, tu commences pas faire une espèce de moulage.

R.V. : C'est ça qui t'intéresse !

L.L. : C'est très intéressant. Oui bien sûr que cela m'intéresse au-delà de tout ce que tu peux imaginer.

R.V. : Alors j'ai publié une série de poètes avec cette technique là…

L.L. : Donc, ta revue elle a cette forme là au départ ? C’est étonnant ! Et les lettres ?

R.V. : Les lettres, c’est gravé.

L.L. : Avec quel type de pointes ?

R.V. : Avec un burin.

L.L. : Donc là, on est dans les prémisses techniques.

R.V. : Je voulais, en sortant l'académie, continuer à faire de la gravure parce que j'avais pas fait suffisamment d'expérimentation, j'estimais, pendant que je faisais de la gravure. Donc j’ai continué dans cet atelier après avoir terminé aux Beaux-Arts. Et je n'avais pas envie de graver sur zinc etc. et j'ai trouvé ce procédé, vraiment une découverte.

L.L. : Alors ça, ça a été fait avec...

R.V. : Juste après ma sortie des Beaux-Arts : on avait trouvé cet atelier sous les toits, rue de l'Agneau et j'ai fait toute une série d'illustrations, comme ça, de textes de gens qui parfois, ont mal tourné… Comme cet écrivain qui est devenu… Un petit peu... Un poète du terroir… (rires).

L.L. : C'est pas forcément une destinée très excitante... Ça veut dire que là, une opportunité technique se présente, il y a un atelier disponible, donc tu sautes sur cette opportunité technique pour en faire quelque chose ; donc ce qui est décisif, c'est la chose qui est là et qui t'encourage à t'en emparer…

R.V. : Ça, c'est avant tout ce que tu as vu, avant le « 25 »…

L.L. : Oui, bien sûr, je vois bien et c'est très intéressant de voir le « avant » ! Il y en a eu combien de numéros sous cette forme ?

R.V. : C'est pas un numéro, c'est à chaque fois une gravure à part. Bon, deux sur deux ça…

L.L. : Oui c'est pas beaucoup d'exemplaires (rires).

R.V. : Je pouvais aller jusqu'à une vingtaine, si je voulais, mais c'était expérimental donc j’en faisait pas trop quoi, parce qu'à force ça risquait de se craqueler…

C. Et la couleur comment tu faisais ?

L.L. : Ah oui, la pression sur le plastique.

C. Et la couleur, excuse-moi Robert, comment tu l'as eue ?

R.V. : Alors ça je découpais puis au rouleau je mettais le bleu et je re…

L.L. : Je comprends. Ce qui m'intéresse c'est dans le rapport à la revue et à tout ce que tu as dit sur les premiers qui sont en stencils, c'est que là on est clairement dans l'objet luxueux, l'objet d'artiste type, la gravure…

R.V. : Oui, j'ai voulu… À ce moment-là je continuais mes cours de gravure et je me suis dit que c'est pas cette voie là, l'objet luxueux, l'élitisme de deux exemplaires, trois exemplaires, quatre exemplaires qui me convenait...

L.L. : À ce moment-là tu ne connais pas encore Jacques Izoard...

R.V. : Oh, si !

L.L. : C'est aussi pour voir à quel moment s'articulent et se désarticulent les rapports au boulot, tu vois ? La revue luxueuse, une certaine idée de l'objet aussi, hein.

R.V. : Lui, il passait à l'atelier. Savitzkaya aussi. Mais techniquement, ils n'ont jamais mis la main la pâte, ça les intéressait pas.

L.L. : Ça c'est une chose curieuse qui fait question : à l'époque où toi tu bosses, au fond, les artistes qui se plongent dans des problèmes techniques de ce genre c'est relativement rare, c’est même carrément très rare.

R.V. : Ben, les artistes c'était pas… C'était uniquement des écrivains et des poètes, moi j'étais surtout en relation, au départ, avec des poètes.

L.L. : C'est moi qui formule mal, pour moi un poète ou un écrivain c'est un artiste. Je ne fais mal comprendre, les créateurs, c'est l'impression que ça me donne, répugnent plutôt à s'intéresser aux questions techniques. On est d'accord aujourd'hui les créateurs s’en sont emparés depuis longtemps, enfin ils n'y répugnent pas du tout, ils font leurs choses, ils aiment ça, ils mettent les mains dedans, tout le monde de la micro publication contemporaine…

R.V. : Oui, c'est très différent.

L.L. : ...est fait par les créateurs !

R.V. : à l'époque ça ne les intéresse pas trop.

C. Mon hypothèse, et c'est aussi pour ça qu'il était important de faire ces entretiens, c'est que, peut-être on pouvait pas s'emparer aussi facilement des techniques. Alors que maintenant, c'est peut être plus facile de prendre en charge tout le processus, du papier jusqu'à l'édition. À l'époque de Robert, c'était peut-être plus compliqué de maîtriser tous les points de l'édition.

L.L. : Je pense pas...

C. : Non, mais c'est une question.

L.L. : La mienne, d’hypothèse, c'est que quelques créateurs ont trouvé intéressant de le faire et c'est sous l'exemple et l'impulsion de ces quelques créateurs que tout le reste a bougé. C'est, d'une part, que se sont développés des moyens plus simples, certes, mais les moyens plus simples ils ne viennent pas juste du désir industriel : en gros, les industriels créent des dispositifs simplement quand ils se rendent compte qu'il y a déjà des opportunités d’en faire de l’argent, mais si les machines apparaissent, c'est pas vraiment elles… Même si les machines nous donnent des idées, c'est bien parce que des pionniers ont décidé de produire des choses que se créent ensuite les conditions d'apparition sociale des transformations. Je crois plutôt, moi, dans le fait que l'exemple de quelques créateurs pionniers a donné envie à d'autres créateurs de s'emparer des moyens de production.

L.L. : Mais c'est peut-être les deux, hein ! C’est pas contradictoire !

C. : Mais tu vois tout à l'heure, Robert disait que les éditions « Castor astral » ils étaient assez loin, à côté de Paris…

R.V. : Ils étaient à Pantin et il y en avait un qui était à Bordeaux, Marc Torralba. L'atelier était à Bordeaux au départ.

C. : C'est loin c'est ça que je voulais dire… Je pense que c'est important. Je vais prendre un exemple qui nous parle à tous les deux : par exemple « Identic » c’est à côté chez nous, tu es à Rennes, tu vas as « Identic », il y a un truc de reproduction, c'est facile, tu fournis des choses…

L.L. : Mais non !

C. : … Alors que là il faut aller à l'autre bout…

L.L. : Non non non non. Ce qui est décisif à Rennes ce n'est pas « Identic », c'est une poignée de créateurs qui se sont intéressés à la micro production et qui ont changé « Identic ».

C. : Mais des choses comme « Identic » n'existait pas l'époque de Robert !

L.L. : Mais ça change rien, tu comprends pas ce que je dis.

C. : Aller à l'autre bout de la France, c’est quand même pas pareil.

L.L. : « Identic » est devenu ce que c'est devenu sous l'impulsion des créateurs, ce qui fait que des créateurs viennent désormais de loin. La distance on s'en fout ! La disponibilité, ça existe, mais c'est un point de détail. Ce n'est pas ça qui change le monde ! Ce qui va changer les choses c'est clairement, à chaque fois, deux ou trois activités et ensuite autour de ça se concrétise sous d'autres formes. Mais je ne crois pas du tout en, d'un seul coup… Regarde la risographie par exemple…

R.V. : Lâche ça et regarde celui-ci c'est beaucoup plus intéressant parce que tout le texte a été fait en empreinte de ficelle, un texte de Jacques Izoard.

L.L. : Donc un texte de Jacques Izoard toujours d'après le même processus ?

R.V. : Ça, c'est encore un truc de folie.

L.L. : C'est des petits bouts de ficelle qui t’ont servi à composer le texte, c'est ça ? (Rires) Donc tu as étendu ce que tu as découvert là-bas.

R.V. : Donc c'était vaguement collé sur la plaque. Celle-là a été faite au rouleau, celle-là en creux et je découpais ça. Là aussi il y a peu d'exemplaires Jacques a signé là et tu as un sur neuf. Souvent ça restait à l'état d'expérience par ce que je savais que je pouvais aller plus loin mais à un moment donné, ça craquait.

L.L. : Là je vois les brins d'herbe là, ce sont eux qui sont encrés, à aucun moment cette chose n’a été taillée. Tu as encré directement, je suppose, les brins d'herbe.

R.V. : Oui ça c'est les empreintes de brins de blé et ici c'est en creux et ici au rouleau, et découpé et inséré... Enfin c'est complètement fou !

L.L. : C'est chouette. Ce que je vois c'est que tu fais une découverte, là, c'est complètement intuitif et tu décides…

R.V. : Parfois c'était plus élaboré, ça dépendait des auteurs ; ça c'est vraiment exemplaire. C'est unique. Ça n'a jamais été fait ailleurs… Avec du plastique de salle de bain !

L.L. : C'est chouette parce que on voit que, à la pression, il souffre, il craquelle donc il y a tout ce qui travaille dans le matériau qui est visible…

R.V. : Ç a, tu aimes bien !

L.L. : J'aime bien, oui, parce que ça devient sensible en fait, la réalité du matériau, sa présence et du coup aussi, tout ton travail physique dedans, dans la chose, apparaît à cet endroit-là. Il y a une sorte de poétique du matériau qui travaille avec toi et c'est vraiment fascinant. Et les effets de bruine c'est des projections que tu as fait en plus ? Les effets de piqûre ?

R.V. : Oui, c'est avec du sel, saupoudré sur de la colle ou je sais plus quoi.

L.L. : Ah oui, je vois.

R.V. : Je crois. C'est vieux, hein.

L.L. : Alors je ne sais plus si j'ai encore d'autres questions. Je crois que je me suis moi-même assommé de mes propres questions. (Rires)

R.V. : Oh, mais tu me remettras tout ça en ordre sans problème ! En tout cas ça c'est vraiment exemplaire du début : le rapport illustration et poésie.

L.L. : Oui c'est une seule et même chose…

R.V. : D’une manière artisanale... c'est pas de la sérigraphie c'est de la varlezerie !

L.L. : C’est une varlezerie qui tient compte de la propriété physique des matériaux... Et ce qui est intéressant, c'est qu'après avoir fait ces expériences là, tu te sens pas obligé, quand tu changes de dispositif ou d'outils, de retrouver ce que tu as fait là : tu changes. Et du coup tu tires d’un nouveau dispositif sa singularité...

R.V. : J'ai changé d'atelier entre-temps ! Parce que c'était plus ou moins loué cet atelier, c'était un atelier sous les toits d'un peintre un peu connu à Liège — Crommelynck, qu'il s'appelait — et bon, il y avait cette presse à gravure, quand on l’a loué ; et je me suis dit que j'allais faire des expériences de gravure. J'avais pas envie de chipoter avec de l'acide et tout ça, comme à l'académie, je me suis inventé ma propre expérimentation avec la machine qui était très rudimentaire : quatre bras une plaque…

L.L. : Du coup, quand tu fais la version au stencil, que tu l’abordes de façon frontale quelques années après... Le stencil a des limites techniques sur lesquelles tu viens rapidement buter : jamais tu es tenté d'enrichir ce dispositif éditorial par d'autres trucs ?

R.V. : Mais ce n'était plus possible !

L.L. : Mais essayer de trouver, ailleurs, des moyens de faire quelque chose de similaire, ça ne te tente pas ? Non, tu es dans une nouvelle situation ?

R.V. : Je suis passé à autre chose.

L.L. : Tu t'adaptes à la nouvelle situation technique… Bon, très bien, remarquable intelligence éditoriale.

Jo : L'inconstance est une constante chez Robert.

(Rires)

L.L. : Eh bien parfait. Merci Robert, je crois que moi-même je suis au bout de mes propres forces.

R.V. : Je crois qu'on a été un peu à l'envers, on a fait le retour.

L.L. : On a vu beaucoup de choses, et c'est très bien.


1. Les ateliers de l’Agneau ont été fondés par Jacques Izoard et Robert Varlez officiellement en 1974, même si les activités ont commencé un peu avant. Ils tirent leur nom du lieu de l’atelier, sis à Liège rue de l’Agneau.

2. C’était un procédé a bain pour faire aussi bien des BAT papier que des typons pour produire des plaques (et accessoirement des écrans de sérigraphie). Le principe est d’insoler un papier sensible sur un banc de reproduction (le papier est sensible à la lumière blanche, mais pas a la lumière rouge) puis de le passer dans la machine remplie d'un bain de développement, en contact avec un support de réception (qui peut être un papier ou un film transparent). Après quelques secondes d'attente on sépare les deux feuilles sorties ensemble de la machine après passage dans le bain, obtenant un film ou un papier de la prise de vue.

3. LPI : linéature, valeur de précision d’une trame en nombre de lignes par pouce

4. l’Anthologie 80 est une somme présentant le travail poétique et son champ éditorial en France et en Belgique ; elle présente 144 auteurs, nés après 1930, des peintres et des photographes, des éditeurs, des revues.

5. Sur la presse offset, c’est un caoutchouc toilé, enroulé sur un cylindre, qui transfère l'impression de la plaque sur le papier.

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