Il y avait eu, dans la loggia des lansquieri,
(sur la piazza della Signoria de Firenze), le sang, dans un flot arrêté,
se figeant en jaillissant du cou de Méduse, disloquée, dont
les jambes ramassées en arrière la jettent en vrac comme
un sac de chair : de ce jet que le bronze de Cellini renvoie à
la mer ondulante, naîtront dans un instant Pégase et Chrysaor,
ici créatures anadyomènes. Et pourtant, dans la mort saisie
par Cellini, Méduse redevient cette femme aux membres harmonieux
(que la brisure ne brise pas) qu’Athena avait rendue invisible ;
Cellini fait jaillir du cou de Méduse la chevelure qui fut le coeur
de son martyre après avoir été l’objet de son
orgueil...
Il y avait eu le Saint Esprit, trace, caresse de peinture blanche à
la gorge du père trinitaire de Masaccio, à Santa Maria Novella,
qui avait été pour moi une première rencontre avec
cette manière tragique et profonde - à laquelle, depuis,
j’ai été souvent confronté - de représenter
l’intégration de la Passion dans le projet divin...
Il y avait eu aussi l’incroyable avant-plan chargé de fruits,
de guirlandes, du Palazzo Pitti (Firenze) aux fresques d’un baroque
dégueulant de détails de Francesco Salviati: les guirlandes,
motifs habituels d’une simple grammaire décorative, venaient
ici à la peinture, renvoyant celle-ci (une scène historique
dont j’oublie la storia) à la surface indéchiffrable
; c’était un étrange détour de la profondeur,
de la hiérarchie des éléments peints, du cadre, comme
le serait la substitution d’une représentation académique
de la flêche d’un arc à une flêche de signalisation
routière. Et si le motif de moulure avait atteint la peinture,
où allait alors la peinture? Jetée dans une dimension nouvelle,
on pouvait ne la regarder que comme jeu de lignes, couleurs, formes agencées,
en négligeant désormais la notion de figuration qui était
alors piégée dans la dimension des motifs. Ces guirlandes
agissaient comme les clefs de la nouvelle dimension offerte à la
peinture. |