À gauche, le défunt agenouillé
derrière lequel se tient, debout, son saint protecteur. Au centre
du pluteus - marque d’un axe, d’une pliure historique et
formelle - une crucifixion, vers laquelle leurs regards sont tournés.
À droite, ce qui semble être une résurrection (la
pierre est abîmée, noircie par endroits et très
érodée en d’autres). La distinction entre les effigies
s’opère entre l’histoire testamentaire d’une
part et, d’autre part, ceux devant lesquels, pour lesquels, elle
se déroule (le défunt de la chapelle et son saint intercesseur
réclamant au Christ Mort le Salut); les artistes ont apporté
d’innombrables solutions plastiques à la promiscuité
de divers espaces historiques dans le même espace pictural ou
sculptural (l’ange de la visitation, par exemple - que Marie ne
voit pas mais que nous voyons - qui implique le spectateur dans l’espace
pictural comme ultime couche narrative, le fermant), et voici celle
que propose notre lapidaire de St Pierre : il y a un avant et un après
du Testament, un trajet entre témoins et rédimés,
entre les vivants et le Jugement Dernier. Si, donc, les éléments
relevant de l’histoire sainte et ceux devant lesquels elle se
déroule sont gravés de la même main dans la même
pierre, l’axe historique de la Passion (ici représentée
dans sa terrible apothéose, la crucifixion, qui ouvre désormais
l’écriture infinie du Livre) la coupure que fait l’incarnation;
le Livre porte témoignage, et les chrétiens portent à
la fois témoignage du Livre par l’étude et de la
Passion par l’imitation dans leur chair. Dans notre bas-relief
la proximité du texte est encore très vive, et même
nettement démonstrative : sa primauté sur les images ne
fait pas, comme aux livres enluminés, le cadre cloisonnant dans
lequel elles peuvent se développer et lui renvoyer un écho
illustratif, exégétique ou métaphorique, mais il
transparait sous l’image de pierre : le texte saint ne dicte pas
seulement les propriétés, les caractères, la nature
des éléments composant l’histoire ou articulant
entre eux l’espace de sa dialectisation, mais il dirige aussi
leur enchaînement, leur organisation dans l’espace comme
dans la narration. L’image, n’est ici qu’une des formes
de son dépli (comme, par exemple, la phrase de Flaubert sera
quelques siècles plus tard le dépli d’une image,
déroulant celle-ci dans le sillon d’une phrase, parcourant
les objet comme autant de panoramas linéaires ; ou encore comme
ce corps déplié interminablement vers le ruban dans l’ouverture
à «Économie libidinale» de Lyotard); c’est
un léger empâtement de pierre qui enracine les scènes
saintes (crucifixion et résurrection) dans le texte, un ruban
déroulé qui fait au cadre un cadre, de cette partie sculptée
le spectacle de l’autre.
|