Louvain, Musée Vander Kelen Mertens - La collection fantôme
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Découpant la clarté du mur du fond, une trouée sombre avale le regard ; elle semble contenir un fatras si incroyable qu’il me faut assez vite vérifier que ma vue ne me trahit pas, que je déchiffre bien les réseaux de lignes et de plans qui fragmentent ce rectangle d’ombre violacé...
C’est une pièce assez longue, aux murs tendus d’un tissu lavande profond, saturé, une salle faiblement éclairée, dont le contenu est peu descriptible ; on y quitte le musée pour y toucher à ces accumulations outrancières par lesquelles les cinéastes populaires signifient au spectateur que le héros a atteint le trésor des pirates ou le tombeau du pharaon: deux immenses coffres de verre dont le fin périmètre transparent semble juguler avec difficulté la charge replète bornent péniblement une profusion de statues de bois peints ou bruts. Et derrière les cubes de verres chargés se dessinent encore, dans les rares interstices, d’autres silhouettes de factures diverses imbriquées presque sans respiration, courtes citations de frise en haut et bas relief, ronde-bosses murales, retables; il me faut quelques minutes d’adaptation, en arrêt, le souffle retenu, pour me faire à l’idée que nous allons passer ici les prochaines heures ; s’il n’est pas déjà trop tard.
Nous nous demandons tout simplement si nous aurons les moyens physiques et intellectuels de nous placer à la hauteur d’une telle foison d’oeuvres ou, plus banalement, si nous aurons assez de temps à lui consacrer (évidemment, la question n’exige pas ce genre de situation : le temps, devant les oeuvres s’invente avec elles, ce qui les rend, de fait, inépuisables). Il n’y a pour nous plus aucun doute : même saisie dans la furtivité d’un regard général, cette collection nous assure la rencontre d’oeuvres captivantes qui nous attendent dans cet excès, pliant l’excès sur l’excès dans un espace qui d’un coup vient de s’étendre à une échelle galactique. Et ces rencontres possibles épuisent d’avance notre petite après-midi impartie à leur aménagement, ce qui reste de notre petite après-midi, ce qui reste de notre petit tour en Belgique. Je comprends assez mal et je m’énerve de la médiocre publicité faite à cette collection, sentiment qui ira croissant à mesure de cette visite.

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