Louvain, Musée Vander Kelen Mertens - La collection fantôme
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Une forme étrange d’angoisse, que je connais, que j’ai éprouvée dans cet état exactement, à chaque fois que se présentait une collection mal évaluée, sous-estimée, dont l’ampleur menaçait de «rivaliser averc le temps de ma jouissance», c’est-à dire, un état superstieux et suffoquant provoqué par une échelle inattendue, impromptue, de la joie. Devant ce type de situation, la crainte qui me fait battre violemment les tempes est une forme paniquée de «perte a priori»; cette inquiétude imbécile est de nature accumulative, proche de la gourmandise ou de l’entassement de valeurs sans soucis de conserver les modalités de leur temps ou de leur pouvoir d’échange ; et pourtant, comment un plaisir impossible à prendre sans qu’il devienne déplaisir pourrait-il entamer un plaisir déjà pris, le réduire? J’essaie de me calmer et de considérer qu’une oeuvre rencontrée sur cent est une réussite. Je tiens donc la distance, je force la flânerie que tout parait interdire ici: dans cette salle du musée communal de Leuven, un esprit fébrile a voulu outrepasser la fièvre accumulatrice des expostions aux Salons du XVIIIème, celle des cabinets de curiosité du XIXème, rassemblant toute la collection d’un musée dans la guérite du gardien...
La pièce s’offre à nous dans sa plus grande longueur, le regard butant à gauche et à droite sur ces longs coffres de verre — surélevés par des tribunes de même couleur que les murs et hautes d’un mètre environ — formant un double cortège à une allée centrale, et s’achevant sur une estrade de la hauteur d’une marche: elle longe le mur du fond, profonde d’une mètre cinquante, et présente sur toute la largeur de la pièce une scène étrange et composite dont l’inventaire abaisse le regard : des saints de bois, des scènes complexes caracolant de la plus grande rugosité au plus subtil agrément, des figures allongées, agenouillées, des silhouettes naines ceinturant d’une gavotte figée la tête d’une de géante, toute une production sculpturale de deux ou trois siècles, stupéfiante, comme l’est tout cet incroyable éventail gothique et renaissant qui, autour de nous, engorge notre champ de vision.

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