Entre-temps, Philippe De Jonckheere, 1998.




C'était le plein été. Depuis deux ou trois ans déjà, j'ai curieusement contracté l'angoisse légère de ne pas suffisamment profiter des fruits rouges de l'été. Ce matin J'avais été particulièrement conscient de cette semi urgence, aussi avais-je acheté des pèches en nombre. De retour du petit marchand de quatre saisons de la London road, je constatai avec joie que mon facteur était non seulement passé, mais de plus ses mains avaient été chargées d'une lettre de Françoise. C’était une très belle lettre, toute faite d'exaspération celle même de l’été passé à la ville - décrite avec minutie, avec très peu de verbes, et dans laquelle il était question du plaisir passablement sadique qui consistait à massacrer en l'écrasant une pèche bien mure. Un peu par coïncidence, de la main gauche je déballais les fruits qui se déversaient de leur papier marron pour s'amonceler dans un saladier. J'eus envie de faire une photographie des pèches, en les rendant les plus tentantes possible, d'envoyer la photographie à Françoise avec la légende suivante: en pensant a qui en particulier? Je fis la photographie, en regardant __ avec un émerveillement d'enfant jamais démenti, toujours accompagné d'une belle impatience enfantine, elle aussi, le polaroid monter, je pesai le pour et le contre de cette légende sarcastique, sur le moment je la jugeai de mauvais goût aussi j’écartais le polaroid distraitement.

Plus tard je repensai à cette petite plaisanterie et son charme reprit grâce à mes yeux, je décidai de l'envoyer, malgré tout. Le désordre régnant sans partage dans l'atelier rendit mes recherches du polaroid infructueuses, je repris donc l'appareil qui lui était resté en compagnie des pèches et je pris une nouvelle photographie fermement résolu cette fois à envoyer cette photographie, la plaisanterie fûsse-t-elle d'un goût douteux. Naturellement tandis que j'écrivais l'adresse de Françoise sur une enveloppe, j'apercus un coin du premier polaroid sous une pile de papiers divers. Je comparais les deux images, le cadrage était resté assez constant de même que la lumière, je n'avais donc pas mis très longtemps a changer d'avis, suffisamment de temps cependant pour manger une des pèches.

Je changeai une dernière fois d'avis, j'envoyais la photographie à Françoise sans légende.

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