Entre-temps, Philippe De jonckheere, 1998.




Je reportais jusqu'au lendemain de ramasser tous les éclats de verre, voulant sans doute prolonger la longévité de cet ensemble dont je continuais d'admirer la beauté. Pieds nus je faisais d'amples détours pour éviter de me couper.

J'ai toujours eu une sainte horreur d'hémophile de me couper. Je me suis coupé une fois très profondément en faisant la vaisselle tandis que mon cothurne avait laissé un verre brisé sous un pile de vaisselle sale. Tout était alors enseveli sous la mousse de la vaisselle et une eau devenue très sombre et grasse. Chaque fois que je fais désormais la vaisselle je repense à cette coupure, telle une douleur ancienne, comme un-cul-de jatte ou un manchot se souviennent de douleurs anciennes dans des membres disparus depuis.

Le lendemain, je fus particulièrement précautionneux en ramassant les éclats de verre, certains avaient de longues formes de sabres, je les mis de côté, leur beauté leur épargnant le sort réservé aux autres éclats, qui pris individuellement n'avaient pour eux mêmes aucune beauté. Je fis attention pendant tout le ramassage et fus très soulagé de ne m’être aucunement coupé.

J'enchaînai cette campagne de nettoyage avec la vaisselle, et, tellement soulagé de m’être acquitté du ramassage des éclats de verre sans anicroche, ni coupure, je plongeai, une fois n’était pas coutume, les mains gaillardement et avec délice dans l'eau tiède et mousseuse de l'évier. Un rayon de soleil sur l’évier redevenu vacant vint souligner ma satisfaction de la corvée accomplie. Je pris une photographie de l’évier vide et luisant. Reposant l'appareil, je me démangeai l'oeil droit, et ce faisant je ressentis d'un coup une vive piqûre à l'index, retirant mon doigt et clignant doucement de l'oeil, je constatai avec déplaisir que je m’étais enfoncé une écharde de verre dans l'index. J'allais précipitamment à l’évier pour m'en débarrasser et pris de panique J'allai m'inspecter devant un miroir ayant peur de m’être blessé aux yeux.

De nouveau soulagé, que la prunelle de mes yeux n'ait rien perdu de sa valeur, et qu'elle était intacte, je retournai a l’évier, y vit le tout petit éclat de verre, de la taille d'une écharde, submergé dans sa tâche de sang, le reste de l’évier était toujours immaculé. J'allai pour faire une nouvelle photographie et en portant l'appareil à mes yeux, un subit reflet de lumière attira mon attention sur de minuscules poussières de verre qui s'étaient fichées dans l'œilleton de mon appareil.

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