ERSTENES
Bolochine

Les aventures de Bolochine furent publiées ainsi:
La Parole Vaine N°1:     Bolochine?
La Parole Vaine N°2:     Bolochine!
La Parole Vaine N°3:     Bolochine.
La Parole Vaine N°4    La colonie littéraire.
La suite de ce premier polyptique est Perceval, signée Bolochine, et publiée dans les N°7, 8 et 12 de La Parole Vaine.

BOLOCHINE I

 PREMIERE PARTIE : BOLOCHINE ?
 
 
 CHAPITRE I : UN BLESSE
 
 a balle avait vrillé.

         - Bolochine t'avait pourtant prévenu.
        Le message de Bolochine. Fallait le retrouver. La blessure, une moulure arrainée marchands d'armes, la regardai. Le tueur était parti. Il m'avait bien eu. Le message de Bolochine, une contraction de bol et de grolleau, un soûlard. Son message imbibé de tâches et une écriture d'encre avinée. C'était illisible. M'avait prévenu. La balle s'était enfoncée, en fuite vers des organes essentiels. Se décider à crever, à se tordre, le pouce au trou. Retenir le giclement sanguin, respirer, mesurer ces pertes de poids. De l'eau se déverse au creux de la paume, imaginer les sauts de brochets remontant les doigts, cascadant ce trou. A se nourrir de plancton pulmonaire.  Se souvenir qu'il s'appelait aussi chine. Rien de plus simple pour passer inaperçu que d'habiter, prétendre, en Chine. Un personnage codé, des messages brouillés; il venait témoigner derrière un masque vidéo, la voix déformée. Habitait en Chine. Une grille à ses joues. Image coupée au menton. Devait être marqué par le menton, mais comme on ne le voyait jamais. Bon. Personnage/chiffre numérique. Trouvez le fameux citron vert qu'apparaisse cette écriture de droite à gauche, renverser le papier, le lire face à la glace. Envoyez quelqu'un?
 

        L'équipe numéro cinq de l'agence au marché de Bolochine. Prendre l'avion, le train et dix trucks, voire un taxi-brousse. Le voyageur au mal de mer peut s'y rendre. Pas de problème, vrououououououm, tchouffffff, tac tac truck. "Allo Patriiick?.. Je descends du truck, voilà, je remercie le chauffeur et je cours vers les étals de citrons, verts. Vous m'entendez?" Vision trouble, définition inexacte de l'image. Suivre leur avanceée. Ecartez-vous indigènes à tissus affriolants, femmes engrossées, une vie d'homme est en jeu. Reculez, espacez. "J'avance péniblement, dans une grappe humaine, je vais devoir... me... frayer un passage à la machette, voilà... ah, je vais demander à cet autochtone du marché s'il vend des citrons... Mbwana citron?" "Non monsieur, c'est un peu plus loin." "Ah, nous avons eu de la chance, Paul, car cet individu parle très bien le, français... Je vais lui demander où, il a pu, apprendre notre langue... Ah, mais je suis, repoussé, par une masse compacte de sauvages armées, de sacs et, de cabas... Tant pis, Gérard, euffff... Je continue." Vas-y, prends mon temps. Continue. Ma mort est sans danger, au contraire. "Ah, voilà les citrons... verts... oui, ils sont verts. J'en achète un, c'est très difficile, car, il n'accepte pas, mon argent, mais, je vais, essayer, de, marchander. Ma montre?" Le jus de citron recouvre l'écran, une boisson rafraîchissante que Bolochine avait noyé de rhum. Alors, passons le mélange au message, l'encre diluée se dilue à nouveau. Imbibition. "Eh non, Rémi, rien. Ce n'était pas la bonne solution".
 
         M'avait prévenu.
        Le papier à lettre collait au doigt, la main enfoncée, retenir le liquide rouge, s'étalait. Le sol. Une mare s'était formée dans un creux, une malformation. Connards d'ouvriers, incapables de niveler. Remonter dans l'hélicoptère et... le message. Une calligraphie verte, un sigle, un cercle ressort terminé d'un triangle isocèle. C'était là. Bolochine, le retrouver, lui faire payer cette infamie. Ca lui ressemblait trop ces gags.
        Trop de sang perdu. Une vie d'inexactitudes martelées, ces signes comme une queue de porc à déboucher le cerveau. Des organes couleront par ce trou, à suivre, à vider des puanteurs, des champs de clous où s'écroulent les corps. A savoir.
 
 
 

  CHAPITRE II : UNE HISTOIRE
 
           - 'agence prend les choses en main.
 
        Au siége, l'espace quadrillé par les fourmis informatiques cliquèrent et cliquèrent, se consacrèrent au message bolochinesque. Le situer. Au milieu des océans, la mare de sang s'étendait. Bientôt un plongeon. Le regard des fourmis m'évitait, concentré, fixé à l'écran. Insectes lumineux. Je pouvais lire les données dans leurs pupilles. Des recherches tatonnantes. L'Antchouk, maître d'oeuvre, baguette levée vers l'orchestre. Pianotement incertain des insectes. L'Antchouk menaçant, jumelles bloquées à mon flanc. Combien de temps à observer ce vide-sang. Les ouvrières se pressèrent, contre les unes, en files; des prospectrices s'éloignaient des écrans, revenaient à elles, transperçant leurs antennes craniennes de courant. Etendu, percé, dans l'espoir d'un déchiffrage artificiel.
A quel moment m'avait-il prévenu. (J'avais été son adepte:
        - Allez Bolochine, raconte-nous ton histoire.
        - Ouiiii, ton histoire!
        - Bon, d'accord.

        Ce jour-là, un matin, je devais me rendre près de chez moi. Ca commençait par un réveil téléphonique. Décroché. Recouché. Radio. Fermé les yeux. J'étais déjà en retard, la bouche, la salive des bières de la veille. Un petit mal de crâne et plus d'aspirine. La cafetière branchée mixait un café. Café, clope, café. La radio. J'entendais pas grand chose. Il devait être huit heures trente. Le café. Et puis j'allai prendre une douche. Pas longtemps, un petit caprice d'être à l'heure. M'habillai, éteignis la radio. Les clés. Je les avais vus ces clés, les avais déposés, rangés. Le calvaire des clés, c'était tous les matins. Table, bureau, toilettes, cuisine, radio, soulevé papiers et livres, poste télé, déplacé papiers et livres. Sur la porte? Je finis par les retrouver. Le bus. J'aurais pu l'avoir mais j'ai pas couru. Il pleuvait putain. Marché au travers d'une pluie continue et dense. Ni parapluie ni capuche. Arrêt de bus. Fallait attendre. Une cigarette, j'en n'avais plus beaucoup. Quelques potentiels passagers s'installent pour se protéger. Fallait attendre. Toutes les vingt minutes. Fallait qu'il arrive. Il était pas plein, une place au fond. Renversé une ribambelle de mômes avec masques et tubas. bla bla bla bla bla. Le walkman. Une seule cassette. Bon, alors celle-là. Tom Waits. Allez. woooooaaaannn...
        Le trajet défile. Les scolaires débiles niveau piscine, le bus va poursuivre, contourner l'hippodrome. Mélodie gutturale. C'est là? Non. Un arrêt plus loin. Pas très loin. Je descendis, allumai une cigarette et marchai. La pluie toujours, continue. Accélère. Balance la clope et entre. Non, d'abord acheter d'autres cigarettes. Y m'attendront. Trouver du fric.

        Je parcourai, contre ce putain de climat océanique, trempé. Un rond point, une banque, pas de guichet extérieur. "Non monsieur, il n'y a pas de distributeurs". Ben, où? Trouver une autre banque. Arrêt à l'arrêt. "Eh, tu sais pas s'il y a un distributeur de billets?... Non, pas de tickets crétin, de BILLETS, il pose son doigt au centre de la carte, je vais pas faire deux kilomètres!" Bon, il doit y en avoir un plus haut.

        Poissons, canards, à mon aide.
        Aucune banque à l'horizon. Y en avait partout des banques, mais là rien.  Et cette envie de chier. Bon, j'allais reprendre le bus et retourner dans le centre ville, mais cette envie... Trop besoin. Un café. J'entrai, café, toilettes, café. "Vous savez, un distrib auto?" "Oui, bien sûr, en remontant, vers la gauche, vous longez les rails, vers le centre commercial." Payai. Avançai. Longeai. Gouttes énormes frappeuses d'épaule, de cheveux, vêtements de gouttes énormes. Chaussures. Il fallait éviter toutes ces flaques. Pas trop près de la chaussée aux giclées d'automobiles éjaculatrices.
        Et puis j'arrivai au croisement, à la fin des rails. Droit, droite, gauche. C'était sûrement à gauche, mais j'avançai droit. Se couvrir des arbres, des branches feuillues. De plus en plus humide, comme un retour de chiasse le long de la route. Une, puis deux voies. Ce n'était pas par là, aucune envie de revenir. Impossible de grimper le versant extérieur: les batiments commerciaux étaient encerclés de fils et de portails à carte, des camps de marchands. Alors je continuai, la rocade, sur deux palmes. Au bout du kilomètre et demi, un autre rond point, aucun centre commercial, tous derrière moi. Des immeubles. Je continuai. La deux, puis quatre voies. Ma peau avait bu de quoi traverser un désert, la chaussée, une banque sur roulettes, des immeubles. Continuer, m'avait bien dit de continuer.)
 

        Dans le fourmillière de l'agence, l'interminable tic tac des pendules informatiques se ralentit progressivement. Une fourmi avait détourné son faciès du clavier, aussi rayonnante que sa voisine. Enfin du silence. Elle attendit, ramassa l'imprimé acrobatiquement sorti et le porta. Les jumelles attentives de l'Antchouk le poursuivait, à lui, l'amener à lui. J'essayai de nager vers la fourmi, la noyer peut être. Récupérer ce papier. L'insecte coursé chuta, le message volant, le chef de l'agence décolla du fauteuil-lancée de pigeon, le bras, lever le bras. Le papier épais écorcha mes doigts avant l'amérissage d'Antchouk. Le message, c'était bien le message de Bolochine.

        "A commercer au comptant, accumulant, achetant et vendant. Je rends visite au monde, au noir cacao, au planteur banane, au pousseur de blé. Par mes recettes simplistes, tu viendras et reviendras à mon comptoir: alors j'ouvrirai et rouvrirai le livre aux sacrements chiffrés. Tu ne vendras plus, tu donneras et je prendrai ton produit et tes yeux et ton âge et tes raclures d'olivier.
        Descendre ou serrer. Charbonner, boulonner des âmes haineuses hiérarchisées. Béni de tous, produire. Recommencer. Puer, des couleurs intouchables, redescendre. Abrutissement décervelé, organes amincis et reproduire. Miasme, ces bruits martelés, harcèlement sensuel à venir."
 
 

  CHAPITRE III : LE BLESSE EN HELICOPTERE

 
'aérien balai des ailes scoptériques. La poussière du ciel dégagée par les pales à zigouiller tous les poissons ailés. M'avaient glissé sur un brancard, soulevé et déposé dans la morgue du scopter, un endroit sans espoir lors d'un crash. Z'avaient dû nettoyer au détergent le sol d'hémoglobine malade. Parti avec l'agence/voyage, message, reliques, en quête d'une atlantide industrielle.
        Bolochine était passionné par les fonderies, machines à vapeur et pilons. Ces inventeurs du métal en quantité, suceur de force humaine, adeptes ferreux. Ces usines mortes, usines massacres; festival de corps d'acier, groupes exotiques de tombes, matières liquides où se jetèrent les derniers suicidés de l'ère productiviste, protagonistes engrais. Rythme de la déportation du scopter, survol d'océans, aller loin, se cachait loin. Dans un moule à canon. Attraction-gravitation, vers le centre, l'agence possédait les passe-droits pour héliporter ces corps presque vidés, les déposer au cimetière marin. Je devais endiguer ce mouvement. Me restait bien un peu de haine, éviter l'artifice mortifère. M'avait prévenu lors de la signature du contrat. Les Antchouk n'appréciaient pas le perdant. Un tube au bras droit, encore un effort, et frapper.
        Le scopter vacilla.
        Le scopter vacilla, Bolochine.
 
        Enfoncer, profondément, défoncer, une cage thoraxique. Insérer ce pieu, silex roche, crevasser le corps, insérer, fouiller, chercher, pour retirer un coeur. Le déposer, l'offrande, au trépied, préface d'horreur à décompter. Un organe coeur allongé. Le déchirer à nouveau, des doigts ou des dents, mâcher. Recracher à l'autel.
         Je te saisis alors le crâne, l'enserre, je te l'enferre. Mon gant au ciel, à l'océan, à circoncir la cervelle. Pour la répandre, l'essemer, la rejeter. Je regarde ses débris, à ma paume, se mouvoir énergiquement et futilement, vanité et sermon. Levant le bras, sursautant, j'hermétique ma main, et ils sèchent. Ton corps apaisé git, en secousses de coups en pieds, sali, bleui.
 
 

  CHAPITRE IV : L'ATLANTIDE INDUSTRIELLE
 
u centre de l'ancienne France, un creuset Creusot des barbares aux sacrifices enfouis sous les tonnes de fonte. Magasins d'horreurs métalliques, de symétriques canons. Fondre et fondre encore de puissants aciers les armes acolytes des armées de massacres, de combats intrépides, de folles aventures vers l'est, toujours vers l'est, l'espace vital du conquérant occidental. Ne jamais se priver du meurtre collectif, impunité soldatesque. Rangées parallèles d'abrutis, de jouisseurs commandés
d'êtres cultivés par la Campagne des Gaules, la Campagne de Russie, la Blietzkrieg, Dresde ou Nagasaki. Amateurs de bombes à perte de vue satellitaire. Ce feu énergique, bûches à bûches...
        Du scopter, m'accrochai, sa trajectoire plongeante, fallait lacher ce bras. Minutes d'extase volante, air pénétrant, apesanteur. Sous la couche de gaz, le liquide océan, vague tombeau pour blessé en hélicoptère. Explosa au point P de rencontre. Vol. Pales inutiles sécateur d'écume, arrivai à l'eau saline, pénétration proche de l'évanouissement. Coulé comme une brûlure.
Tendu le visage pour embrasser un poisson-dieu. Saliver, une rondelle mystique au fond du regard. Ecrire et raconter, les voyages du début du monde, des errances sans fin, des âges millénaires. Gisant au fond des mers, la divine plaque sculptée, vénérer des caractères et s'absoudre des autres rats gluants. Chanter enfin, chanter en choeur, attendre, cela est.

 

  FIN DE LA PREMIERE PARTIE
 
 

 
BOLOCHINE II
 

 DEUXIEME PARTIE : BOLOCHINE !
 

  CHAPITRE  I:  L'EVEIL DE L'HOMME BLESSE
 
         - lors, la vie sous-marine?

        C'était Bolochine. La question, l'océan, la chute, la noyade. Il m'avait retrouvé. Me réveiller un peu. L'écorce terrestre des profondeurs, ses gigantesques formes, j'avais touché, un bleu à l'épaule. La blessure toujours au flanc. "Impossible à reboucher". M'avait ramené dans son antre, étonnante soucoupe posée sous l'Atlantique. Sur moi, la vie des grands fonds, l'obscurité végétale, immense vitre dépressurisée. "Reposez-vous encore. Ce plongeon vous aura épuisé".
 
         Bolochine avait suivi le vol-catastrophe du scopter, la chute, le corps blessé s'enfouir. "Habits nautiques!". Le robot-racleur de fonds avait glissé hors de l'Atlantide, secouant nageoires et queue mécaniques, lumière optique enclenchée. Filait en direction du plongeur, mach 1 à piles, progression. Il ouvrit son sac récupérateur, enveloppant l'homme pour mieux le couler. Retour supersonique vers l'Atlantide bolochinesque. "Dejà! Mettez-le en surveillance tronique". Il se méfiait de moi, les rayons, les fils, l'espionnait. Derrière son écran, Bolochine cligna des yeux. L'avoir sauvé, dévoilé ainsi son répère à l'agence. Il se sentit par trop sentimental, d'instinct. De toute manière, c'était fait.  Assumer. Il ne se rendrait jamais. Détestait les Antchouk, l'agence, la surface, les fourmis. Le pansement avait rougi, mais l'évacuation sanguine semblait ralentie. Allongé, l'oeil collé au plafond d'eau, j'avais jamais été marin ni sous-marin, vivre à ce niveau négatif, m'envoyait des bouffées délirantes, un peu de rêve.

        L'infirmière me posa un tentacule au front, rester assoupi, ses ventouses aspirantes de sueur. C'était quoi? Une pieuvre, un poulpe? C'était bon, chaud, presque. Un autre bras, une jambe?, descendit au flanc, comme pour remplacer le pansement coagulé. Ne s'arrêta pas en chemin, une autre forme glissa au bril, un petit cercle, suçotant, une courbe, le tentacule en axial à quatre-vingt dix degrés, rencontra la queue pour l'enserrer, commença à baver verticalement. Battements toniques. L'homme blessé laissait faire. Sur moi ces algues submarines volaient d'un coin d'océan à l'autre, des monstres aquatiques les poursuivaient, mâchoire machinalement ouverte, les gobaient. Serra trop fort. Au point, j'ouvris les yeux, immonde pulpante aquatique, infirmière, infirmière!, saisis la poche de plasma qui me ravitaillait, bondis et encagoulai la pieuvre. Ses mouvements glissèrent, lacha le sexe pour me repousser, effort, s'apesantir et étrangler, étouffer l'auxiliaire médicale, tentacules partout. Repoussai derniers spasmes, membranes enfin étendues. Du sang à l'animal froid.
 
         - Alors, le sommeil sous-marin?
        Bolochine.
 
 

   CHAPITRE II  :  LA MACHINERIE DE BOLOCHINE
 
         - t maintenant, notre déjeuner est prêt. Permettez-moi de vous précéder.
à vos ordres. Je suivais Bolochine, franchis la porte, puis une sorte de couloir, une dizaine de mètres, une seconde porte. Salle à manger, sévère mobilier réduit, une table et deux chaises. Bolochine m'indiqua la place que je devais occuper.
        - Asseyez-vous et manger comme un homme qui devrait mourir de faim.
Les plateaux de mer, au goût particulier. Assez mauvais. La plupart de ces mets m'étaient inconnus, nourrissant certes, mais plus je m'en gavais, plus ils étaient infects. Vomir enfin.
        - Et oui, la mer fournit à tous mes besoins. Je regrette la chair des animaux terrestres, et ainsi je gerbe régulièrement la tortue de mer, le requin, les foies de dauphin. Mon cuisinier ne sait pas plus cuisiner les mamelles de cétacés que les fucus de la mer du Nord. Cette mer, nourrice inépuisable me fera recracher éternellement ses produits.
        Bolochine se tut au milieu de ce calvaire gastronomique. Il se calma, me proposa une serviette pour nettoyer mes lèvres aux détritus marins tandis que la serpière tronique poussait les flaques colorées loin de notre vue. Il me tendit un cône "du varech" qui hallucine. Le seul moyen de fuir cette soucoupe posée au fond de l'océan, de grimper aux étoiles, voler.

        - Vous aussi, vous en viendrez à détester les mers. Observez ces animaux marins, ridicules nageoires, organes mous, répugnants regards globuleux. Et monsieur Bolochine, me direz-vous, comment résistons-nous à la pression des Hauts Fonds? Et bien, me répondrez-vous, nous n'y résistons pas. Nous sommes écrasés à chaque instant et à chaque instant nous mourons. Il se foutait complètement de ma gueule. Allez, visitons la production énergétiques des robots volteurs. Eclairage constant, atmosphère reconstituée en éprouvettes par les laborantines anguilles. Monde épuisé d'un Bolochine, cône aux lèvres, toujours ces serpillières troniques. Nous n'arrétions pas de vomir. Faudra sans doute s'y habituer.
        - Au moins vous n'aurez pas longtemps à cracher votre estomac. L'agence ne devrait en effet pas tarder à nous localiser.
Espace fermé, porte ouvrante et rabattante. "Pourquoi un lieu fixe me direz-vous? Mais enfin, pourrions-nous vivre ainsi, éternellement, à gerber notre nourriture, à ne pouvoir observer l'espace que par imagination et monde artificiel? Non. Il faut que l'on me retrouve."
 
         - Capitaine Bolo! Capitaine Bolo!
        C'était l'oeil tronique. Un cri plutôt qu'un appel, un SOS machinesque, pourquoi sauver ces objets malhabiles, toujours sur nos pattes, à gigoter, se plaindre, attendre un conseil ordonné, si possible logique. Logique tronique. à quoi cela pouvait-il ressembler une logique tronique? Un marsouin virtuel, une culotte nénuphar divisée en trente mille points, une forme jamais définitive. "L'apocalypse, capitaine Bolo". L'oeil braillait en code. Bolochine observa le plafond lenticulaire. "Nous n'avons pas le temps de terminer la visite". Au-dessus des mers, les scopters de l'agence avaient entamé un pogo sauvage, réunion aérienne, menace. "Profitons de ce laps de temps pour finir la cave à vin".
         Une porte, un couloir d'une dizaine de mètres, une autre porte. Les alarmes clignotantes figeaient le rouge. Alerte maximale. La cave à vin. Bolochine saisit la première bouteille, la déboucha, goûta et recracha. Il me tendit le millésime, en prit un autre. "Seul endroit à l'abris des robots. En construisant l'Atlantide, je pris soin d'installer un grand nombre de bouteilles pour accompagner mes soirées à venir. Prévoyant. Veuillez-vous installer et partager ma dernière cuite. Les défenses de l'appareil l'auto-protègeront un temps". Si la première gorgée racla mon gosier, la suite, le goulot posé sur la lèvre inférieure.
 
 

   CHAPITRE III : L'ATTAQUE DE L'AGENCE

 
a cave était si bien insonorisée que nous n'entendîmes aucun bruit des infernales machines en phase destructive. En plus, Bolochine avait définitivement éteint l'écran qui ne renvoyait plus qu'une mire sombre. Les Chinon succédaient aux Bordeaux, mais peut être quelques Bourgogne s'étaient-ils glissés parmi le stock de verres vides entassés entre nous. Notre palais était maintenant recouvert d'une particule mauvâtre sur laquelle coulaient les liquides. "Pourquoi décrire une attaque, un conflit, une guerre. C'est toujours la même dérive, des armes à mêmes vocations. Je préfère ces silences, ces odeurs de vigne, ces sensations extratemporelles, quand on ne voit plus rien, ces pensées qui vagabondent. Circuler en un cerveau, à la recherche des outils détraqués". Les murmures des combats se rapprochaient. L'oeil tronique devait essayer de nous contacter pour élaborer un plan final de défense. Bolochine riait. Les fusées débétonnantes plongeaient sans doute et devaient percer
        les parois souples de l'Atlantide, ou peut être étaient-elles renvoyées aussitôt par un mouvement élastique de la matière, pour finir un voyage retour dans un scopter inattentif. Les Antchouk et les appareils troniques de Bolochine, sans merci, chacun pirates des airs-mers. L'agence avait certainement commencé l'encerclement de plongeurs avides, lourdement armés de chaînes, qui matraquaient les vitres.
 
        - Le résultat d'une bonne guerre, c'est toujours son apologie. Alors, une bonne biture, avec crus classés au top, au sommet gustatif, ça ne nous rendra qu'une bonne chiasse, un mal de crâne, un foie débordant. Essayez donc ce petit côteau tunisien, assez rare mais suffisamment épicé pour dissiper vos brûmes... A l'époque de l'Agence, j'avais beaucoup servi l'Agence. Il était certainement temps d'en finir. J'avais échappé à quelques attentats médiocres.
 
         Bolochine. "Je m'étais décidé à en sortir. Fuir. Les axes de circulation étaient bloqués par les travaux. Piéton, je suivais cependant les déviations. Sans doute ce qui m'a sauvé. Déviations, panneaux orangés, aucune machine à graver les couches humaines superposées, m'avaient oublié. Ainsi je poursuivis ma quête. Avançai. Avançai encore. Des kilomètres et des kilomètres. Traversai les édifices immenses où s'entassaient les perclus médicalement administrés. Cette peur de m'être
trompé. Les Antchouk avaient dû faire appel aux techniques troniques, mais je poursuivais. Destination aventureuse". Une première fusée avait embouti le plafond de la cave. L'air salin, puis l'océan s'engouffrèrent et claquèrent sur les cadavres entreposés. La pile mesurait nos épaules. Quelques bouchons flottaient déjà. J'observais Bolochine, imperturbable, lancé déviation scoptérique et lien pédestre. Ses campagnes, m'avait raconté des campagnes. Sa bouche crachait des histoires enchainées, ces mêmes fables qu'il m'avait déversées, un panorama initiatique, cette baignoire s'emplissait, nous évitions dans notre évident état éthylique les barres à mines, les lancées de palets robotiques. La cave était transpercée de toute part. Pollen d'air. Les robots-volteurs finissaient leur travail. J'aperçus encore la voix bolochinesque ânonner quelques incantations.
 
        Pourfendu l'air. Ce côté survie. Cette écorce marine qui s'entrouvait sans se refermer. Ces palmes et fusils délicatement posés à mon front.
 

  FIN DE LA SECONDE PARTIE
 
 

 
BOLOCHINE III
 
 TROISIEME PARTIE : BOLOCHINE.

CHAPITRE I : L'AGONIE DE BOLOCHINE
 
 

nculés d'océan, les plongeurs avides m'ordonnèrent de remonter à la surface: Bolochine absorbait ses derniers crus, un harpon planté sur nos crânes. Signe, chasse au Bol, l'homme blessé obéit. Rictus soumis. Respiration sous-marine en état de marche, ouïes filtrantes. Accompagnés des mâchoires grinçantes, un peu d'anti-rouille, des fusils électriques, des acides aquatiques attaquaient encore les combinaisons adverses.
        - Remontez!
        Remontez ces centaines de mètres cube d'océan, ces centaines de déchets robotiques, scotchés au corps bolochinesque. Les froids du Grand Fond glissèrent au cadavre rigidifié et ensalé. Remontez. Les armes grenouilles au cul, l'aisance comique de mes gestes en nasse. J'avais retrouvé Bolochine, l'Agence m'avait retrouvé... la balle. Une blessure incurable, par balle, émettrice sonde, repérable depuis le scopter équipé des radars troniques. Rions d'Antchouk. Détresse de mon adresse à Bolochine, capitaine Bolo en inertie. La mort. La mort?

        Mes poumons aquatiques recrachaient l'océan, pompant l'oxygène, parois nasales scellées de poils imperméables; être imberbe et posséder une pilosité interne, extrêmes cheveux testiculi barbant d'estomac. Blocs velus. Entre socle terrestre et couche atmosphérique. J'avais croisé /souvent les cités aquatiques mutaient leurs poisseux citoyens apatrides, acteurs d'une nouvelle de Lovecraft: amendes pour avoir uriné sur un parking d'algues jaunes.
        / aux mêmes profondeurs, les flicages systématiques, Antchouk. Remontez plus vite encore, aspiré par cette masse d'air qui surplombe mon bocal d'eau salée. Je percevais déjà la lumière des projecteurs, jetée des scopters, volatiles haïs. Les Antchouk avaient éclairé la Lune.Nous étions éblouis. Gris. Les cliquetis scoptériques continuèrent. Je me bouchai les ouïes, mais bientôt je retirai mes doigts. La forme qui était en face de moi ne remuait plus qu'au rythme des vagues. Je tressaillais d'effroi et, malgré moi, je la regardai. Mes yeux étaient comme collés fixement à elle. Sa tête était inclinée en océan, un bras à demi ployé, inerte. L'autre main. Je me portai vers lui en nageant, m'arrétai, m'appuyai, non, me trainai un peu plus en avant, puis je m'avançai encore; c'était là un atroce parcours, un long et terrible parcours. Enfin, je suis à côté de lui.
        Ma main s'écarta lentement et légèrement de ma poitrine, de quelques centimètres. Je me penchai en avant, murmurai, lui montrer que je voulais la passer sur son front. Les paupières abaissées, la bouche à demi-ouverte: je déboutonnai sa veste. Sa chemise était collée et il n'y avait pas de moyen de l'écarter: elle était fermée par-derrière et il ne restait qu'à la découper. Mon couteau.
        Ce fut tout ce que je pus faire. Nous n'avions qu'à attendre. Je pleurerais aux limites crépusculaires; chaque mouvement houleux semblait le laisser vivant. Je respirai, mais seulement pour peu de temps. Ce que je fais n'a pas de sens.Les acolytes du prisonnier blessé ne remarquaient pas la dévitalisation du corps bolochinesque. La nacelle immobile, et eux, aux premières loges, pouvaient retirer leurs palmes, auraient dû s'en rendre compte et rendre compte, l'avant première du massacre. Bolochine était mort. Mort?
 

CHAPITRE II : LES IMAGES D'AUTREFOIS

        - ndéniablement, c'est une nouvelle.
        Placé en caisson conservatoire, je suivais les nouvelles, de loin, visées par les Antchouk. Le décès de Bol, annoncé au monde. Ebahissement, interrogations, stupeur. Et puis, cet indéniablement, bonne nouvelle. Bien des années s'étaient écoulées, l'homme blessé n'était même pas né. Cet autrefois. La peur aussitôt saisit ceux d'autrefois. Avant les Antchouk, avant l'Agence. Cet autrefois surgissait, alors qu'on croyait. Un acquis. La peur. Les images, de loin, visées par les Antchouk, inondaient le caisson. J'étais imbibé. Archives scellées, dont quelques feuillets mobiles, décompositions d'écran, couleurs lavasses. Les gardiens d'autrefois avaient extrait quelques doses homéopathiques des cimetières enfouis. Ainsi, il y avait eu des morts, des cercueils, des crématorii. J'étais à mon tour figé, aussi rigide que le corps de Bol quand nous avions percé la surface.J'avais géré de nombreux obstacles depuis les rocades autoroutières aux maux de crâne alcoolisé.
        J'avais traversé, croisé, creusé des tranchées aux forcenés, les Antchouk et Bol. Là, flottant, son corps s'était dégagé de mon dos tandis que les plongeurs s'enculaient d'injures; son corps flootait, il avait sans doute des problèmes de spiration, sans doute. Il aurait dû taquiner le harpon qui lui frottait les tympans, blaguer avec les morceaux d'Atlantide comme ces fils d'oeil tronique. Il gardait la face immergée.
        Des problèmes de spiration sans doute.

        - Comme vous le voyez sur ces images, un homme est mort.
        La parleuse, incendiée de flash, tiqua; coincé, ce mot, au bord de la crème répandue à ses lèvres, la crème qui coulait du front au thon. Les écailles de sa peau s'élargissaient, crevassées de trouille, d'incompréhension plus sûrement. A nouveau des images de décès. Un spécialiste thérapeutisa alors de verbes ses interlocuteurs hilares. Effets secondaires. Communication uniformisée. Camisole pour la parleuse. Au delà de l'image et des mots: c'était, si longtemps, écoulé, cette lutte éculée. L'homme blessé ne pouvait se souvenir.
Le regard vide de Bol, à le secouer, à le jouer, jouer encore, il n'avançait plus. Des, de spiration? Non, finalement, aucun. Les Antchouk légistes furent parachutés d'urgence, mais émettre un avis conforme, visé de loin. Qu'était-ce? Il ne venait pas de notre monde, un Bolochine d'outre marine?Cette année là, il n'y eut pas un seul décès sur Terre.
 

CHAPITRE III : LES MASSES

olochine avait creusé sa révolution. Les Antchouk gesticulaient autour de l'homme blessé. Recueillir la rosée d'aveux. Comment avait-il tué Bol?
        Ils explorèrent son dos. L'échine peut-être. Assourdi, l'homme blessé n'avait pas remué le pouce. Cette année là, il n'y eut pas un seul décès sur Terre. Cette année là, il n'était pas encore né pour ne pas mourir. Cette nouvelle fut affichée, commentée, cerclée. Défilés de joie, un évènement à jouïr. Ou bien remettre à jouïr au lendemain. Finalement, à un siècle plus tard. Avant, il fallait se battre, s'égorger, la gorge encore vomissante d'un boeuf bourguignon, poursuivre son oeuvre, sa carrière de tailleur. Pouvoir s'étriper sans en mourir.
        Bol et les hommes avaient raté leur rendez-vous d'histoire, des Antchouk et d'Agence. Devenus mortels en sursis. L'homme blessé sous la torture. Une fourmi l'électrisait, une autre: plongé en foyer tronique, ces glaces à batonnet enfouissant la blessure, froid goulu. Les images continuaient à défiler, ces formes qui perdaient leur sens, destinées à vivre et qui arrétaient leurs avancées sensorielles. La quête de l'être pour sa mort. Depuis cet autrefois, à jouir et finalement seulement combattre.
        -Cet événement est absurde.
        Les Antchouk se réunirent autour du corps bolochinesque. Témoin, j'assistai à l'assemblée. Les réponses fusaient des banquettes impériales et pourpres, les alliances, Bol, Bol!
        L'homme blessé avait beau en appeler à la raison les insectes parcouraient de chocs mexicains son suc. L'émeute secouait l'ivoire de l'Agence, comme scintillements d'étoiles. J'observai l'espace, ce plafond profond, univers d'infini recommencé, ce jour là, l'homme blessé aurait désiré vivre ce jour là. Sans doute le charme de Bol venait de ce savoir, qu'il avait pu mourir. Les attroupements à son corps, exposé, kremlin, à son culte, les églises à Bol se fondaient à tous les coins de rue.Le corps gonflé d'eau. Il aurait fallu contenir le public malade, les estrades surpeuplées, les arbres occupés. Taillez les branches, la gravitation perturbée, taillez la planète. Les Antchouk décidèrent et aussitôt les milliards d'autrefois furent plongés en océan, gémirent, se débattirent. L'homme blessé observait les scènes, absurde?, de meurtres programmés par l'Agence, de loin, les parleurs décrivirent comment se pouvait, un être mourir. Les files attendaient aux plongeoirs déployés d'extrême vitesse, les fourmis intendants circulaient en long et large, ameutaient les récalcitrants, prophètes pathétiques. Les fourmis auxiliaires du pouvoir, les Antchouk, je luttai contre les bolochines d'entraves, cette pièce ascenseur, arriver au dernier départ pour l'espace. La galaxie s'éveillait.
 

CHAPITRE IV : LE PHARE DES BALEINES

'ai beau observer mes pieds, il n'en vient aucune sudation. Et à observer les autres coureurs de fusées, aucun ne traverse plus rapidement l'univers. Le bruit banguesque interrompt parfois la clameur des planétiens qui assistent à mes exploits. Les plans de villes se dispersent entre les arbitres, tous autant subornés que l'opérateur d'Antchouk en chef. Les billets de change circulent.
Je peux personnellement. Je n'ai jamais entendu propos aussi complexe que ce je peux personnellement, que ce comité de rédaction obligeant les services annexes à se taire, le licenciement de la parole si proche, des Antchouk encore. Aucune revue militaire ne se tiendra pacifiquement derrière ses murs, elle sortira. La terreur alchimique.
        Il va falloir choisir la colonie littéraire la plus solaire.


 
BOLOCHINE IV

QUATRIEME PARTIE : LA COLONIE LITTERAIRE
 
CHAPITRE I : LITTERATURE
 

'avaient attendu les fourmis, m'avaient veillé, long du voyage, plombé le corps.
La fusée s'était  enfoncée en mes entrailles, tueuse de fourmis, transport inter-organique, avait défoncé mes trailles,  paroles tenues, bien hautes, voix forte, fuir la mortelle Terre, planète à cris. M'avaient enfermé dans  la cage à autrefois, poudre explosive au talon, mèche allumée. Les thorax gonflés, s'élever à la  littéraire colonie; le soleil ouvrit son hydrogène pour accueillir le jet.

        Avais abandonné l'homme blessé sur la piste d'envol. Il sentait cette aspiration à la rupture.  Inutile de compliquer le divorce en propos baveux, en serpentins et roucoulades verbales. Avais  quitté l'homme blessé, le laisser à son existence funérailles, son adoration culte de Bolochine. Son  regard suivait la randonnée galactique que j'avais entreprise. Le soleil ouvrait son réceptacle tandis  que la boussole tronique cherchait encore le nord de l'espace. Outils usagés, s'en défaire. Les fourmis  et les Antchouk y grilleraient leurs derniers cylindres. Je n'aurais donc pas à oublier le point de  partance.

        -Bienvenue en colonie. Mais...z'êtes blessé ?

        Accueil abscon des lectrices solaires.

        Non, je n'étais pas blessé. La circulation galaxiale avait éprouvé l'estomac et quelques infusions  de manuscrits y pourvoiraient. Lamentations muselées. Les bataillons de lecteurs armés de lourds  écrans cernaient la cage intersidérale. La quarantaine d'imprimeries. Territoire en inutiles voyageurs,  déchiffreurs de lettres empoisonnées, la mise à l'écart. La colonie s'entrouvrait, s'enfermait derrière  ses indigestes papiers, cristaux d'éruption créatrice. La manivelle faisait défiler à regret les cartons  d'invitation littérale, d'inanité solitaire, d'art sans doute. Les exclus de la cagnotte labélisée.

        Le passage des feux solaires avait constitué le point crucial du voyage. J'en avais alors profité  pour me débarasser des caisses de compagnons, pour asolir en solitaire d'exclusion, "Vous arrivez de  Terre ?", assoupir l'interlocuteur, ses verres de contact fissurés. Des mots de grossière diplomatie  affleuraient sa bouche institutionnalisée. çà allait être une hécatombe. Je sortis du moule  interplanétaire.
La saveur du cortex animal. Des segments se déchirèrent à même le visage. La cession  commença, en culbutes, acoquinades et sermons, la sensible défloration solaire du scripte voisin. Je  m'en voulus de ce choix, pas d'échantillon gratuit; il était empli de fadeurs littéraires et versatiles  morales. Continuai la macération réductrice d'intempestifs festivals de mots. Il éructait sans arrêt,  ameutant les cortèges valets, entourage, mille ans d'artisanat. Mes surnoms bout à bout essoufflèrent  le vilain, caviardant à tour de bras les infants du lectorat, les postures de pédicure l'épuisèrent enfin.
 

CHAPITRE DEUX : LA COLONIE

'arrivai à pénétrer la colonie. L'incroyable silence othéqual. Des sarrasins me sifflèrent un chant  de gestes âgeux; poursuivre l'allée qui mène au coffre. Assis, l'asthmatique en coursive, le combat des  lecteurs d'écran reprit. Des fumeurs à moufle se courbèrent devant l'envol d'une rangée de livres.  Mariés concordaux, ils établirent leur campement à quelques lieues du chevalier au lion. J'avais  encore des difficultés à retourner mes dominis. Les coloniaux avaient planifié leur ennui littéraire,  un jeu à thé continu. Les lectures publiques résonnèrent enfin sur la plaine écrite à la main. Des  caractères survolèrent le campement qu'il aurait fallu prendre d'assaut verbal. Tenir le masque.

        Le lecteur solaire avance masqué. Bon, tant mieux, puisqu'après tout je n'étais pas venu pour le  connaître, et tant que je ne l'avais pas rencontré, ce masque lui seyait très bien.

        Les lecteurs d'écran s'attroupèrent. Des morceaux choisis les enivraient. Sommeiller. Berceuses  que ces voix, muses en route du désordre, sirènes mâlifiées, califat de mes nuits, rites en corps. Des  terrains vagues à pacifier.

        Aux temps d'adoration siniesque, la colonie farandolait, sises les maigres budgets universels.  Sans doute fallait-il continuer la traversée des carreaux, au but avoué, quantifier la linéarité des  signes et puis, calibrer l'encre à la main.
Le verbe bien haut, l'homme à lunettes, son territoire cérébral bâclé, des histoires des histoires  que diable!, la lectrice solaire hululait derrière sa table ronde. Les places étaient numérotées, alphabet  littéraire, elle avait des gestes vigoureux, interrompant des interlocuteurs imaginaires. Dévote des  idées. Elle relevait toutes les majuscules, se jetait à fond de syllabes, galvanisée. Son assistance avait  fui depuis de nombreuses heures solaires qu'elle manifestait encore sa vigueur. Du suspens enfin, il  nous faut des histoires avec du suspens. "Et nous ouvrons ce soir une rubrique... oui, c'est mon  premier invité... Votre liberté est-elle donc d'insuffler ou de cesser de vous adresser à ce lectorat?
        -Eh  vaï, eh vaï c'est l'heure. L'homme a son hymne, sa civilisation, se crispe, réveille-toi.
        Personne ne  l'écoutait; les gens refusaient de l'écouter. Ils ont brûlé des hommes; ils ont gazé des hommes : ...Oui,  j'entends bien, mais la volonté n'est pas dite explicitement, là." J'essayai habilement de contourner le  maudit lieu, mais son ogreux regard cathodique m'harponna. L'épaule de l'homme à lunettes était  définitivement brisée. Il saisit le câble optique et remonta à la lectrice, chevauchant les barricades de  revues. "Quand vous évoquez les clichés littéraires,... Comme des prismes, des passoires, des mirages  ou des leurres. Vous pensez à qui?" S'amoncelèrent ces lectures au coeur même de la colonie, ces  faveurs d'insoumis, ces fadeurs déjà piétinées. Il parvint à s'attabler. Le verbe, bien haut, tenir ce  verbe. "Parlez dans le micro." Le signal de contournement de la colonie. Les Antchouk avaient dû  repéré ma place de stationnement.

        Quitter cette table. "Pourquoi tant de phrases et d'omissions verbales? Cette chasse à cour,  pourquoi? Votre invitation à la lecture n'est-elle qu'un appel à la joie? -Eh vaï, eh vaï c'est toi  l'homme qu'on va brûler. Il faut te rebiffer, il faut casser cette immunité dans laquelle tu tiens tes  élus? Vaï, vaï, c'est cet inconnu que tu dois croire. Le peuple du feu ne pouvait croire qu'on allait  l'incendier. Tu me fais rire de ton inconstance, de ton infidélité à une quelconque croyance. Tu me  fais rire, mais c'est toi qui crèves. Eh vaï, celui là criait toujours, et toujours d'autres ne voulaient pas  rester. Ils préféraient se faire tirer dessus? Vaï, vaï, il aurait fallu fuir: ...Non, non, le lecteur est un  épicurien." Ensuite, suicides et noyades de nos ennemis. L'homme à lunettes sauta sur la femme  solaire. Il n'y avait pas de jeu littéraire, sans labeur, de villégiature grecque. Les joueurs seraient  noyés, et l'homme trancha de ses incisives le crâne pour y nettoyer les quelques réflexions en devenir.  Elles y étaient enconconnées, tuer le cocon, répandre le pesticide. Les autres invités tapèrent des  mains, rythmaient le massacre.

        Je laissai derrière moi le corps aux coprophages, m'élançai, l'homme à lunettes avait bien du  mal à me suivre, le coffre, sa tabagie de position, caracoler en tête de la course. Les indices de la  certitude des lecteurs d'écran, leur apathie dévoreuse d'espace solaire, cette virgule même, mon  emplacement de parking occupé par un autre, mettre le feu; je dérivai entre les bouées, tenir la tête  de course, quitte à tricher, à tirer les boulets de canon sur les moralistes maladifs en haut des  tourelles, la pierre ne durait guère plus que le papier. Les disquettes fondraient au soleil et les  masques à écran crèveraient.

        Les lunettes de l'homme tombèrent, s'écrasèrent. Au moment inopportun. Perceval avait hissé sa  courte stature sur l'étrier, rabattu son heaume, levé sa lance. Il la dressa, la pointe luisante. Il  chevaucha, ma direction, le trot s'accélérait. Perceval hurlait à la mort, derrière son armure, un corps  difforme. J'attaquai la porte du coffre, l'ouvris et l'autre ne put que briser sa lance. Après le clash, ce  fut le silence. Du pont d'entrance à la table ronde, du tournoi de cour aux jouxtes verbales, profitant  du silence, l'homme myope saisit le manuscrit et commença à le lire. Les fondations mêmes, les  fondations littéraires s'ouvraient aux troupes d'Antchouk. La colonie était envahie, mais l'homme  lisait et les neurones s'entre-déchiraient, Bol!
 

CHAPITRE III :  BOL !

es fourmis avaient passé toutes les chaînes en or trouvées sur les lecteurs d'écran et m'en  avaient affublé. Comme si j'allais sauter hors de la colonie solaire. Le grand chambardement. J'avais  à quitter ce dernier corps, cette paire de lunettes me tapait sur les nerfs. J'avais juste eu le temps de  lire les premières phrases, le premier manuscrit de Bol! Celui que tous les Antchouk s'étaient mis en  quête.

        "Parlons des hommes d'autrefois, cela vaut mieux. Oui, m'est avis qu'homme courtois mort  vaut mieux que vilain en vie! C'est pour cela qu'il me plaît de raconter une histoire digne d'être  écoutée..."

        Quand les lettres se sont ouvertes,... Les Antchouk ne pourraient pas me retirer ces premières  phrases. C'était le début, et la jouïssance, l'unique jouïssance des actes fondateurs. Ne pas dénaturer.  Bol! nous criait souvent de ne pas dénaturer le mouvement ni l'adresse. Il racontait comment il était  parvenu à contourner le pouvoir des Antchouk, leur attitude populiste de louanges toujours, de  vénération de celui qui lit. Il n'avait jamais de mépris pour l'invisible, car il sentait que celui-là le  poursuivrait, à courir les rues. J'avais réussi les examens de passage de l'Agence, on m'avait confié à  Bol! Je n'y étais pour rien s'il fallait terminer le voyage sur cette colonie, si les vaisseaux des  Antchouk avaient détruit les pistes organiques asolaires. L'irruption de la force lectrice, alors que  Chrétien s'adressait à l'auditoire. Voilà la langue, perdue car écrite, conservée car écrite. Alors c'était  l'histoire qui s'était perdue, et la littérature qui s'était écrite. Le joueur est jouïsseur. Malade ou  maladif, les passages du scripte avaient flagellé l'acteur, il était incapable de parler, de transcrire les  mots. Comment alors aurait-il pu les lire. Les fourmis essayaient les masques à lire.

        Bol! continuait à tromper les mystérieux voyeurs, ceux qui l'avaient engagé et poursuivi. Il avait  échappé aux producteurs de ventilation, aux imprimeurs de caractères et volaient les leurres de  l'Agence. Ventrus les leurres. Majuscule l'identifiant. Bol! quitta les Antchouk en chagrin et s'en va  droit là où il savait qu'ils l'avaient prié de se poster afin de voir la bataille sans en rien perdre.  Devant le hublot, il était inutile de continuer à citer les autres. De toute manière, l'agence avait le  manuscrit en mains propres et s'apprêtait à l'isoler, à le cloisonner. Un bon coup d'hydrogène. Les  fourmis m'emmenèrent vers ce bon coup d'hydrogène: il n'était plus nécessaire de résister, ni de fuir,  ni d'escalader les étoiles. Un bon coup d'hydrogène, c'était moi qui le réclamait. Purement  technique, l'opération aseptisait la mort. Juste un bon coup d'hydrogène. Et si ça marchait, c'était  s'envoler vers la guerre aux esprits.

        Bol! Ni la tronique ni la virtuelle n'arriveraient à terminer ici le roman. On ne veut mensonge  ajouter. On ne veut conter davantage ni emmener les lecteurs de la Parole Vaine vers ce monde écrit.
 

FIN.