PREMIERE PARTIE : BOLOCHINE ?
CHAPITRE I : UN BLESSE
a
balle avait vrillé.
- Bolochine
t'avait pourtant prévenu.
Le message de Bolochine. Fallait
le retrouver. La blessure, une moulure arrainée marchands d'armes, la
regardai. Le tueur était parti. Il m'avait bien eu. Le message de Bolochine,
une contraction de bol et de grolleau, un soûlard. Son message imbibé
de tâches et une écriture d'encre avinée. C'était
illisible. M'avait prévenu. La balle s'était enfoncée,
en fuite vers des organes essentiels. Se décider à crever, à
se tordre, le pouce au trou. Retenir le giclement sanguin, respirer, mesurer
ces pertes de poids. De l'eau se déverse au creux de la paume, imaginer
les sauts de brochets remontant les doigts, cascadant ce trou. A se nourrir
de plancton pulmonaire. Se souvenir qu'il s'appelait aussi chine. Rien
de plus simple pour passer inaperçu que d'habiter, prétendre,
en Chine. Un personnage codé, des messages brouillés; il venait
témoigner derrière un masque vidéo, la voix déformée.
Habitait en Chine. Une grille à ses joues. Image coupée au menton.
Devait être marqué par le menton, mais comme on ne le voyait jamais.
Bon. Personnage/chiffre numérique. Trouvez le fameux citron vert qu'apparaisse
cette écriture de droite à gauche, renverser le papier, le lire
face à la glace. Envoyez quelqu'un?
L'équipe numéro
cinq de l'agence au marché de Bolochine. Prendre l'avion, le train et
dix trucks, voire un taxi-brousse. Le voyageur au mal de mer peut s'y rendre.
Pas de problème, vrououououououm, tchouffffff, tac tac truck. "Allo Patriiick?..
Je descends du truck, voilà, je remercie le chauffeur et je cours vers
les étals de citrons, verts. Vous m'entendez?" Vision trouble, définition
inexacte de l'image. Suivre leur avanceée. Ecartez-vous indigènes
à tissus affriolants, femmes engrossées, une vie d'homme est en
jeu. Reculez, espacez. "J'avance péniblement, dans une grappe humaine,
je vais devoir... me... frayer un passage à la machette, voilà...
ah, je vais demander à cet autochtone du marché s'il vend des
citrons... Mbwana citron?" "Non monsieur, c'est un peu plus loin." "Ah, nous
avons eu de la chance, Paul, car cet individu parle très bien le, français...
Je vais lui demander où, il a pu, apprendre notre langue... Ah, mais
je suis, repoussé, par une masse compacte de sauvages armées,
de sacs et, de cabas... Tant pis, Gérard, euffff... Je continue." Vas-y,
prends mon temps. Continue. Ma mort est sans danger, au contraire. "Ah, voilà
les citrons... verts... oui, ils sont verts. J'en achète un, c'est très
difficile, car, il n'accepte pas, mon argent, mais, je vais, essayer, de, marchander.
Ma montre?" Le jus de citron recouvre l'écran, une boisson rafraîchissante
que Bolochine avait noyé de rhum. Alors, passons le mélange au
message, l'encre diluée se dilue à nouveau. Imbibition. "Eh non,
Rémi, rien. Ce n'était pas la bonne solution".
M'avait prévenu.
Le papier à lettre collait
au doigt, la main enfoncée, retenir le liquide rouge, s'étalait.
Le sol. Une mare s'était formée dans un creux, une malformation.
Connards d'ouvriers, incapables de niveler. Remonter dans l'hélicoptère
et... le message. Une calligraphie verte, un sigle, un cercle ressort terminé
d'un triangle isocèle. C'était là. Bolochine, le retrouver,
lui faire payer cette infamie. Ca lui ressemblait trop ces gags.
Trop de sang perdu. Une vie d'inexactitudes
martelées, ces signes comme une queue de porc à déboucher
le cerveau. Des organes couleront par ce trou, à suivre, à vider
des puanteurs, des champs de clous où s'écroulent les corps. A
savoir.
CHAPITRE II : UNE HISTOIRE
- 'agence
prend les choses en main.
Au siége, l'espace quadrillé
par les fourmis informatiques cliquèrent et cliquèrent, se consacrèrent
au message bolochinesque. Le situer. Au milieu des océans, la mare de
sang s'étendait. Bientôt un plongeon. Le regard des fourmis m'évitait,
concentré, fixé à l'écran. Insectes lumineux. Je
pouvais lire les données dans leurs pupilles. Des recherches tatonnantes.
L'Antchouk, maître d'oeuvre, baguette levée vers l'orchestre. Pianotement
incertain des insectes. L'Antchouk menaçant, jumelles bloquées
à mon flanc. Combien de temps à observer ce vide-sang. Les ouvrières
se pressèrent, contre les unes, en files; des prospectrices s'éloignaient
des écrans, revenaient à elles, transperçant leurs antennes
craniennes de courant. Etendu, percé, dans l'espoir d'un déchiffrage
artificiel.
A quel moment m'avait-il prévenu. (J'avais été son adepte:
- Allez Bolochine, raconte-nous ton
histoire.
- Ouiiii, ton histoire!
- Bon, d'accord.
Ce jour-là,
un matin, je devais me rendre près de chez moi. Ca commençait
par un réveil téléphonique. Décroché. Recouché.
Radio. Fermé les yeux. J'étais déjà en retard, la
bouche, la salive des bières de la veille. Un petit mal de crâne
et plus d'aspirine. La cafetière branchée mixait un café.
Café, clope, café. La radio. J'entendais pas grand chose. Il devait
être huit heures trente. Le café. Et puis j'allai prendre une douche.
Pas longtemps, un petit caprice d'être à l'heure. M'habillai, éteignis
la radio. Les clés. Je les avais vus ces clés, les avais déposés,
rangés. Le calvaire des clés, c'était tous les matins.
Table, bureau, toilettes, cuisine, radio, soulevé papiers et livres,
poste télé, déplacé papiers et livres. Sur la porte?
Je finis par les retrouver. Le bus. J'aurais pu l'avoir mais j'ai pas couru.
Il pleuvait putain. Marché au travers d'une pluie continue et dense.
Ni parapluie ni capuche. Arrêt de bus. Fallait attendre. Une cigarette,
j'en n'avais plus beaucoup. Quelques potentiels passagers s'installent pour
se protéger. Fallait attendre. Toutes les vingt minutes. Fallait qu'il
arrive. Il était pas plein, une place au fond. Renversé une ribambelle
de mômes avec masques et tubas. bla bla bla bla bla. Le walkman. Une seule
cassette. Bon, alors celle-là. Tom Waits. Allez. woooooaaaannn...
Le trajet défile. Les scolaires
débiles niveau piscine, le bus va poursuivre, contourner l'hippodrome.
Mélodie gutturale. C'est là? Non. Un arrêt plus loin. Pas
très loin. Je descendis, allumai une cigarette et marchai. La pluie toujours,
continue. Accélère. Balance la clope et entre. Non, d'abord acheter
d'autres cigarettes. Y m'attendront. Trouver du fric.
Je parcourai, contre ce putain de climat océanique, trempé. Un rond point, une banque, pas de guichet extérieur. "Non monsieur, il n'y a pas de distributeurs". Ben, où? Trouver une autre banque. Arrêt à l'arrêt. "Eh, tu sais pas s'il y a un distributeur de billets?... Non, pas de tickets crétin, de BILLETS, il pose son doigt au centre de la carte, je vais pas faire deux kilomètres!" Bon, il doit y en avoir un plus haut.
Poissons, canards,
à mon aide.
Aucune banque à l'horizon.
Y en avait partout des banques, mais là rien. Et cette envie de
chier. Bon, j'allais reprendre le bus et retourner dans le centre ville, mais
cette envie... Trop besoin. Un café. J'entrai, café, toilettes,
café. "Vous savez, un distrib auto?" "Oui, bien sûr, en remontant,
vers la gauche, vous longez les rails, vers le centre commercial." Payai. Avançai.
Longeai. Gouttes énormes frappeuses d'épaule, de cheveux, vêtements
de gouttes énormes. Chaussures. Il fallait éviter toutes ces flaques.
Pas trop près de la chaussée aux giclées d'automobiles
éjaculatrices.
Et puis j'arrivai au croisement,
à la fin des rails. Droit, droite, gauche. C'était sûrement
à gauche, mais j'avançai droit. Se couvrir des arbres, des branches
feuillues. De plus en plus humide, comme un retour de chiasse le long de la
route. Une, puis deux voies. Ce n'était pas par là, aucune envie
de revenir. Impossible de grimper le versant extérieur: les batiments
commerciaux étaient encerclés de fils et de portails à
carte, des camps de marchands. Alors je continuai, la rocade, sur deux palmes.
Au bout du kilomètre et demi, un autre rond point, aucun centre commercial,
tous derrière moi. Des immeubles. Je continuai. La deux, puis quatre
voies. Ma peau avait bu de quoi traverser un désert, la chaussée,
une banque sur roulettes, des immeubles. Continuer, m'avait bien dit de continuer.)
Dans le fourmillière de l'agence, l'interminable tic tac des pendules informatiques se ralentit progressivement. Une fourmi avait détourné son faciès du clavier, aussi rayonnante que sa voisine. Enfin du silence. Elle attendit, ramassa l'imprimé acrobatiquement sorti et le porta. Les jumelles attentives de l'Antchouk le poursuivait, à lui, l'amener à lui. J'essayai de nager vers la fourmi, la noyer peut être. Récupérer ce papier. L'insecte coursé chuta, le message volant, le chef de l'agence décolla du fauteuil-lancée de pigeon, le bras, lever le bras. Le papier épais écorcha mes doigts avant l'amérissage d'Antchouk. Le message, c'était bien le message de Bolochine.
"A commercer au comptant,
accumulant, achetant et vendant. Je rends visite au monde, au noir cacao, au
planteur banane, au pousseur de blé. Par mes recettes simplistes, tu
viendras et reviendras à mon comptoir: alors j'ouvrirai et rouvrirai
le livre aux sacrements chiffrés. Tu ne vendras plus, tu donneras et
je prendrai ton produit et tes yeux et ton âge et tes raclures d'olivier.
Descendre ou serrer. Charbonner,
boulonner des âmes haineuses hiérarchisées. Béni
de tous, produire. Recommencer. Puer, des couleurs intouchables, redescendre.
Abrutissement décervelé, organes amincis et reproduire. Miasme,
ces bruits martelés, harcèlement sensuel à venir."
CHAPITRE III : LE BLESSE EN HELICOPTERE
'aérien
balai des ailes scoptériques. La poussière du ciel dégagée
par les pales à zigouiller tous les poissons ailés. M'avaient
glissé sur un brancard, soulevé et déposé dans la
morgue du scopter, un endroit sans espoir lors d'un crash. Z'avaient dû
nettoyer au détergent le sol d'hémoglobine malade. Parti avec
l'agence/voyage, message, reliques, en quête d'une atlantide industrielle.
Bolochine était passionné
par les fonderies, machines à vapeur et pilons. Ces inventeurs du métal
en quantité, suceur de force humaine, adeptes ferreux. Ces usines mortes,
usines massacres; festival de corps d'acier, groupes exotiques de tombes, matières
liquides où se jetèrent les derniers suicidés de l'ère
productiviste, protagonistes engrais. Rythme de la déportation du scopter,
survol d'océans, aller loin, se cachait loin. Dans un moule à
canon. Attraction-gravitation, vers le centre, l'agence possédait les
passe-droits pour héliporter ces corps presque vidés, les déposer
au cimetière marin. Je devais endiguer ce mouvement. Me restait bien
un peu de haine, éviter l'artifice mortifère. M'avait prévenu
lors de la signature du contrat. Les Antchouk n'appréciaient pas le perdant.
Un tube au bras droit, encore un effort, et frapper.
Le scopter vacilla.
Le scopter vacilla, Bolochine.
Enfoncer, profondément, défoncer,
une cage thoraxique. Insérer ce pieu, silex roche, crevasser le corps,
insérer, fouiller, chercher, pour retirer un coeur. Le déposer,
l'offrande, au trépied, préface d'horreur à décompter.
Un organe coeur allongé. Le déchirer à nouveau, des doigts
ou des dents, mâcher. Recracher à l'autel.
Je te saisis alors le crâne,
l'enserre, je te l'enferre. Mon gant au ciel, à l'océan, à
circoncir la cervelle. Pour la répandre, l'essemer, la rejeter. Je regarde
ses débris, à ma paume, se mouvoir énergiquement et futilement,
vanité et sermon. Levant le bras, sursautant, j'hermétique ma
main, et ils sèchent. Ton corps apaisé git, en secousses de coups
en pieds, sali, bleui.
CHAPITRE IV : L'ATLANTIDE INDUSTRIELLE
u centre de l'ancienne
France, un creuset Creusot des barbares aux sacrifices enfouis sous les tonnes
de fonte. Magasins d'horreurs métalliques, de symétriques canons.
Fondre et fondre encore de puissants aciers les armes acolytes des armées
de massacres, de combats intrépides, de folles aventures vers l'est,
toujours vers l'est, l'espace vital du conquérant occidental. Ne jamais
se priver du meurtre collectif, impunité soldatesque. Rangées
parallèles d'abrutis, de jouisseurs commandés
d'êtres cultivés par la Campagne des Gaules, la Campagne de Russie,
la Blietzkrieg, Dresde ou Nagasaki. Amateurs de bombes à perte de vue
satellitaire. Ce feu énergique, bûches à bûches...
Du scopter, m'accrochai, sa trajectoire
plongeante, fallait lacher ce bras. Minutes d'extase volante, air pénétrant,
apesanteur. Sous la couche de gaz, le liquide océan, vague tombeau pour
blessé en hélicoptère. Explosa au point P de rencontre.
Vol. Pales inutiles sécateur d'écume, arrivai à l'eau saline,
pénétration proche de l'évanouissement. Coulé comme
une brûlure.
Tendu le visage pour embrasser un poisson-dieu. Saliver, une rondelle mystique
au fond du regard. Ecrire et raconter, les voyages du début du monde,
des errances sans fin, des âges millénaires. Gisant au fond des
mers, la divine plaque sculptée, vénérer des caractères
et s'absoudre des autres rats gluants. Chanter enfin, chanter en choeur, attendre,
cela est.
DEUXIEME PARTIE : BOLOCHINE !
CHAPITRE I: L'EVEIL DE L'HOMME BLESSE
- lors,
la vie sous-marine?
C'était Bolochine.
La question, l'océan, la chute, la noyade. Il m'avait retrouvé.
Me réveiller un peu. L'écorce terrestre des profondeurs, ses gigantesques
formes, j'avais touché, un bleu à l'épaule. La blessure
toujours au flanc. "Impossible à reboucher". M'avait ramené dans
son antre, étonnante soucoupe posée sous l'Atlantique. Sur moi,
la vie des grands fonds, l'obscurité végétale, immense
vitre dépressurisée. "Reposez-vous encore. Ce plongeon vous aura
épuisé".
Bolochine avait suivi le vol-catastrophe
du scopter, la chute, le corps blessé s'enfouir. "Habits nautiques!".
Le robot-racleur de fonds avait glissé hors de l'Atlantide, secouant
nageoires et queue mécaniques, lumière optique enclenchée.
Filait en direction du plongeur, mach 1 à piles, progression. Il ouvrit
son sac récupérateur, enveloppant l'homme pour mieux le couler.
Retour supersonique vers l'Atlantide bolochinesque. "Dejà! Mettez-le
en surveillance tronique". Il se méfiait de moi, les rayons, les fils,
l'espionnait. Derrière son écran, Bolochine cligna des yeux. L'avoir
sauvé, dévoilé ainsi son répère à
l'agence. Il se sentit par trop sentimental, d'instinct. De toute manière,
c'était fait. Assumer. Il ne se rendrait jamais. Détestait
les Antchouk, l'agence, la surface, les fourmis. Le pansement avait rougi, mais
l'évacuation sanguine semblait ralentie. Allongé, l'oeil collé
au plafond d'eau, j'avais jamais été marin ni sous-marin, vivre
à ce niveau négatif, m'envoyait des bouffées délirantes,
un peu de rêve.
L'infirmière
me posa un tentacule au front, rester assoupi, ses ventouses aspirantes de sueur.
C'était quoi? Une pieuvre, un poulpe? C'était bon, chaud, presque.
Un autre bras, une jambe?, descendit au flanc, comme pour remplacer le pansement
coagulé. Ne s'arrêta pas en chemin, une autre forme glissa au bril,
un petit cercle, suçotant, une courbe, le tentacule en axial à
quatre-vingt dix degrés, rencontra la queue pour l'enserrer, commença
à baver verticalement. Battements toniques. L'homme blessé laissait
faire. Sur moi ces algues submarines volaient d'un coin d'océan à
l'autre, des monstres aquatiques les poursuivaient, mâchoire machinalement
ouverte, les gobaient. Serra trop fort. Au point, j'ouvris les yeux, immonde
pulpante aquatique, infirmière, infirmière!, saisis la poche de
plasma qui me ravitaillait, bondis et encagoulai la pieuvre. Ses mouvements
glissèrent, lacha le sexe pour me repousser, effort, s'apesantir et étrangler,
étouffer l'auxiliaire médicale, tentacules partout. Repoussai
derniers spasmes, membranes enfin étendues. Du sang à l'animal
froid.
- Alors, le sommeil sous-marin?
Bolochine.
CHAPITRE II : LA MACHINERIE DE
BOLOCHINE
- t
maintenant, notre déjeuner est prêt. Permettez-moi de vous précéder.
à vos ordres. Je suivais Bolochine, franchis la porte, puis une sorte
de couloir, une dizaine de mètres, une seconde porte. Salle à
manger, sévère mobilier réduit, une table et deux chaises.
Bolochine m'indiqua la place que je devais occuper.
- Asseyez-vous et manger comme un
homme qui devrait mourir de faim.
Les plateaux de mer, au goût particulier. Assez mauvais. La plupart de
ces mets m'étaient inconnus, nourrissant certes, mais plus je m'en gavais,
plus ils étaient infects. Vomir enfin.
- Et oui, la mer fournit à
tous mes besoins. Je regrette la chair des animaux terrestres, et ainsi je gerbe
régulièrement la tortue de mer, le requin, les foies de dauphin.
Mon cuisinier ne sait pas plus cuisiner les mamelles de cétacés
que les fucus de la mer du Nord. Cette mer, nourrice inépuisable me fera
recracher éternellement ses produits.
Bolochine se tut au milieu de ce
calvaire gastronomique. Il se calma, me proposa une serviette pour nettoyer
mes lèvres aux détritus marins tandis que la serpière tronique
poussait les flaques colorées loin de notre vue. Il me tendit un cône
"du varech" qui hallucine. Le seul moyen de fuir cette soucoupe posée
au fond de l'océan, de grimper aux étoiles, voler.
- Vous aussi, vous
en viendrez à détester les mers. Observez ces animaux marins,
ridicules nageoires, organes mous, répugnants regards globuleux. Et monsieur
Bolochine, me direz-vous, comment résistons-nous à la pression
des Hauts Fonds? Et bien, me répondrez-vous, nous n'y résistons
pas. Nous sommes écrasés à chaque instant et à chaque
instant nous mourons. Il se foutait complètement de ma gueule. Allez,
visitons la production énergétiques des robots volteurs. Eclairage
constant, atmosphère reconstituée en éprouvettes par les
laborantines anguilles. Monde épuisé d'un Bolochine, cône
aux lèvres, toujours ces serpillières troniques. Nous n'arrétions
pas de vomir. Faudra sans doute s'y habituer.
- Au moins vous n'aurez pas longtemps
à cracher votre estomac. L'agence ne devrait en effet pas tarder à
nous localiser.
Espace fermé, porte ouvrante et rabattante. "Pourquoi un lieu fixe me
direz-vous? Mais enfin, pourrions-nous vivre ainsi, éternellement, à
gerber notre nourriture, à ne pouvoir observer l'espace que par imagination
et monde artificiel? Non. Il faut que l'on me retrouve."
- Capitaine Bolo! Capitaine
Bolo!
C'était l'oeil tronique. Un
cri plutôt qu'un appel, un SOS machinesque, pourquoi sauver ces objets
malhabiles, toujours sur nos pattes, à gigoter, se plaindre, attendre
un conseil ordonné, si possible logique. Logique tronique. à quoi
cela pouvait-il ressembler une logique tronique? Un marsouin virtuel, une culotte
nénuphar divisée en trente mille points, une forme jamais définitive.
"L'apocalypse, capitaine Bolo". L'oeil braillait en code. Bolochine observa
le plafond lenticulaire. "Nous n'avons pas le temps de terminer la visite".
Au-dessus des mers, les scopters de l'agence avaient entamé un pogo sauvage,
réunion aérienne, menace. "Profitons de ce laps de temps pour
finir la cave à vin".
Une porte, un couloir d'une
dizaine de mètres, une autre porte. Les alarmes clignotantes figeaient
le rouge. Alerte maximale. La cave à vin. Bolochine saisit la première
bouteille, la déboucha, goûta et recracha. Il me tendit le millésime,
en prit un autre. "Seul endroit à l'abris des robots. En construisant
l'Atlantide, je pris soin d'installer un grand nombre de bouteilles pour accompagner
mes soirées à venir. Prévoyant. Veuillez-vous installer
et partager ma dernière cuite. Les défenses de l'appareil l'auto-protègeront
un temps". Si la première gorgée racla mon gosier, la suite, le
goulot posé sur la lèvre inférieure.
CHAPITRE III : L'ATTAQUE DE L'AGENCE
a cave était
si bien insonorisée que nous n'entendîmes aucun bruit des infernales
machines en phase destructive. En plus, Bolochine avait définitivement
éteint l'écran qui ne renvoyait plus qu'une mire sombre. Les Chinon
succédaient aux Bordeaux, mais peut être quelques Bourgogne s'étaient-ils
glissés parmi le stock de verres vides entassés entre nous. Notre
palais était maintenant recouvert d'une particule mauvâtre sur
laquelle coulaient les liquides. "Pourquoi décrire une attaque, un conflit,
une guerre. C'est toujours la même dérive, des armes à mêmes
vocations. Je préfère ces silences, ces odeurs de vigne, ces sensations
extratemporelles, quand on ne voit plus rien, ces pensées qui vagabondent.
Circuler en un cerveau, à la recherche des outils détraqués".
Les murmures des combats se rapprochaient. L'oeil tronique devait essayer de
nous contacter pour élaborer un plan final de défense. Bolochine
riait. Les fusées débétonnantes plongeaient sans doute
et devaient percer
les parois souples de l'Atlantide,
ou peut être étaient-elles renvoyées aussitôt par
un mouvement élastique de la matière, pour finir un voyage retour
dans un scopter inattentif. Les Antchouk et les appareils troniques de Bolochine,
sans merci, chacun pirates des airs-mers. L'agence avait certainement commencé
l'encerclement de plongeurs avides, lourdement armés de chaînes,
qui matraquaient les vitres.
- Le résultat d'une bonne
guerre, c'est toujours son apologie. Alors, une bonne biture, avec crus classés
au top, au sommet gustatif, ça ne nous rendra qu'une bonne chiasse, un
mal de crâne, un foie débordant. Essayez donc ce petit côteau
tunisien, assez rare mais suffisamment épicé pour dissiper vos
brûmes... A l'époque de l'Agence, j'avais beaucoup servi l'Agence.
Il était certainement temps d'en finir. J'avais échappé
à quelques attentats médiocres.
Bolochine. "Je m'étais
décidé à en sortir. Fuir. Les axes de circulation étaient
bloqués par les travaux. Piéton, je suivais cependant les déviations.
Sans doute ce qui m'a sauvé. Déviations, panneaux orangés,
aucune machine à graver les couches humaines superposées, m'avaient
oublié. Ainsi je poursuivis ma quête. Avançai. Avançai
encore. Des kilomètres et des kilomètres. Traversai les édifices
immenses où s'entassaient les perclus médicalement administrés.
Cette peur de m'être
trompé. Les Antchouk avaient dû faire appel aux techniques troniques,
mais je poursuivais. Destination aventureuse". Une première fusée
avait embouti le plafond de la cave. L'air salin, puis l'océan s'engouffrèrent
et claquèrent sur les cadavres entreposés. La pile mesurait nos
épaules. Quelques bouchons flottaient déjà. J'observais
Bolochine, imperturbable, lancé déviation scoptérique et
lien pédestre. Ses campagnes, m'avait raconté des campagnes. Sa
bouche crachait des histoires enchainées, ces mêmes fables qu'il
m'avait déversées, un panorama initiatique, cette baignoire s'emplissait,
nous évitions dans notre évident état éthylique
les barres à mines, les lancées de palets robotiques. La cave
était transpercée de toute part. Pollen d'air. Les robots-volteurs
finissaient leur travail. J'aperçus encore la voix bolochinesque ânonner
quelques incantations.
Pourfendu l'air. Ce côté
survie. Cette écorce marine qui s'entrouvait sans se refermer. Ces palmes
et fusils délicatement posés à mon front.
CHAPITRE I : L'AGONIE DE BOLOCHINE
nculés
d'océan, les plongeurs avides m'ordonnèrent de remonter à
la surface: Bolochine absorbait ses derniers crus, un harpon planté sur
nos crânes. Signe, chasse au Bol, l'homme blessé obéit.
Rictus soumis. Respiration sous-marine en état de marche, ouïes
filtrantes. Accompagnés des mâchoires grinçantes, un peu
d'anti-rouille, des fusils électriques, des acides aquatiques attaquaient
encore les combinaisons adverses.
- Remontez!
Remontez ces centaines de mètres
cube d'océan, ces centaines de déchets robotiques, scotchés
au corps bolochinesque. Les froids du Grand Fond glissèrent au cadavre
rigidifié et ensalé. Remontez. Les armes grenouilles au cul, l'aisance
comique de mes gestes en nasse. J'avais retrouvé Bolochine, l'Agence
m'avait retrouvé... la balle. Une blessure incurable, par balle, émettrice
sonde, repérable depuis le scopter équipé des radars troniques.
Rions d'Antchouk. Détresse de mon adresse à Bolochine, capitaine
Bolo en inertie. La mort. La mort?
Mes poumons aquatiques
recrachaient l'océan, pompant l'oxygène, parois nasales scellées
de poils imperméables; être imberbe et posséder une pilosité
interne, extrêmes cheveux testiculi barbant d'estomac. Blocs velus. Entre
socle terrestre et couche atmosphérique. J'avais croisé /souvent
les cités aquatiques mutaient leurs poisseux citoyens apatrides, acteurs
d'une nouvelle de Lovecraft: amendes pour avoir uriné sur un parking
d'algues jaunes.
/ aux mêmes profondeurs, les
flicages systématiques, Antchouk. Remontez plus vite encore, aspiré
par cette masse d'air qui surplombe mon bocal d'eau salée. Je percevais
déjà la lumière des projecteurs, jetée des scopters,
volatiles haïs. Les Antchouk avaient éclairé la Lune.Nous
étions éblouis. Gris. Les cliquetis scoptériques continuèrent.
Je me bouchai les ouïes, mais bientôt je retirai mes doigts. La forme
qui était en face de moi ne remuait plus qu'au rythme des vagues. Je
tressaillais d'effroi et, malgré moi, je la regardai. Mes yeux étaient
comme collés fixement à elle. Sa tête était inclinée
en océan, un bras à demi ployé, inerte. L'autre main. Je
me portai vers lui en nageant, m'arrétai, m'appuyai, non, me trainai
un peu plus en avant, puis je m'avançai encore; c'était là
un atroce parcours, un long et terrible parcours. Enfin, je suis à côté
de lui.
Ma main s'écarta lentement
et légèrement de ma poitrine, de quelques centimètres.
Je me penchai en avant, murmurai, lui montrer que je voulais la passer sur son
front. Les paupières abaissées, la bouche à demi-ouverte:
je déboutonnai sa veste. Sa chemise était collée et il
n'y avait pas de moyen de l'écarter: elle était fermée
par-derrière et il ne restait qu'à la découper. Mon couteau.
Ce fut tout ce que je pus faire.
Nous n'avions qu'à attendre. Je pleurerais aux limites crépusculaires;
chaque mouvement houleux semblait le laisser vivant. Je respirai, mais seulement
pour peu de temps. Ce que je fais n'a pas de sens.Les acolytes du prisonnier
blessé ne remarquaient pas la dévitalisation du corps bolochinesque.
La nacelle immobile, et eux, aux premières loges, pouvaient retirer leurs
palmes, auraient dû s'en rendre compte et rendre compte, l'avant première
du massacre. Bolochine était mort. Mort?
CHAPITRE II : LES IMAGES D'AUTREFOIS
- ndéniablement,
c'est une nouvelle.
Placé en caisson conservatoire,
je suivais les nouvelles, de loin, visées par les Antchouk. Le décès
de Bol, annoncé au monde. Ebahissement, interrogations, stupeur. Et puis,
cet indéniablement, bonne nouvelle. Bien des années s'étaient
écoulées, l'homme blessé n'était même pas
né. Cet autrefois. La peur aussitôt saisit ceux d'autrefois. Avant
les Antchouk, avant l'Agence. Cet autrefois surgissait, alors qu'on croyait.
Un acquis. La peur. Les images, de loin, visées par les Antchouk, inondaient
le caisson. J'étais imbibé. Archives scellées, dont quelques
feuillets mobiles, décompositions d'écran, couleurs lavasses.
Les gardiens d'autrefois avaient extrait quelques doses homéopathiques
des cimetières enfouis. Ainsi, il y avait eu des morts, des cercueils,
des crématorii. J'étais à mon tour figé, aussi rigide
que le corps de Bol quand nous avions percé la surface.J'avais géré
de nombreux obstacles depuis les rocades autoroutières aux maux de crâne
alcoolisé.
J'avais traversé, croisé,
creusé des tranchées aux forcenés, les Antchouk et Bol.
Là, flottant, son corps s'était dégagé de mon dos
tandis que les plongeurs s'enculaient d'injures; son corps flootait, il avait
sans doute des problèmes de spiration, sans doute. Il aurait dû
taquiner le harpon qui lui frottait les tympans, blaguer avec les morceaux d'Atlantide
comme ces fils d'oeil tronique. Il gardait la face immergée.
Des problèmes de spiration
sans doute.
- Comme vous le voyez
sur ces images, un homme est mort.
La parleuse, incendiée de
flash, tiqua; coincé, ce mot, au bord de la crème répandue
à ses lèvres, la crème qui coulait du front au thon. Les
écailles de sa peau s'élargissaient, crevassées de trouille,
d'incompréhension plus sûrement. A nouveau des images de décès.
Un spécialiste thérapeutisa alors de verbes ses interlocuteurs
hilares. Effets secondaires. Communication uniformisée. Camisole pour
la parleuse. Au delà de l'image et des mots: c'était, si longtemps,
écoulé, cette lutte éculée. L'homme blessé
ne pouvait se souvenir.
Le regard vide de Bol, à le secouer, à le jouer, jouer encore,
il n'avançait plus. Des, de spiration? Non, finalement, aucun. Les Antchouk
légistes furent parachutés d'urgence, mais émettre un avis
conforme, visé de loin. Qu'était-ce? Il ne venait pas de notre
monde, un Bolochine d'outre marine?Cette année là, il n'y eut
pas un seul décès sur Terre.
CHAPITRE III : LES MASSES
olochine
avait creusé sa révolution. Les Antchouk gesticulaient autour
de l'homme blessé. Recueillir la rosée d'aveux. Comment avait-il
tué Bol?
Ils explorèrent son dos. L'échine
peut-être. Assourdi, l'homme blessé n'avait pas remué le
pouce. Cette année là, il n'y eut pas un seul décès
sur Terre. Cette année là, il n'était pas encore né
pour ne pas mourir. Cette nouvelle fut affichée, commentée, cerclée.
Défilés de joie, un évènement à jouïr.
Ou bien remettre à jouïr au lendemain. Finalement, à un siècle
plus tard. Avant, il fallait se battre, s'égorger, la gorge encore vomissante
d'un boeuf bourguignon, poursuivre son oeuvre, sa carrière de tailleur.
Pouvoir s'étriper sans en mourir.
Bol et les hommes avaient raté
leur rendez-vous d'histoire, des Antchouk et d'Agence. Devenus mortels en sursis.
L'homme blessé sous la torture. Une fourmi l'électrisait, une
autre: plongé en foyer tronique, ces glaces à batonnet enfouissant
la blessure, froid goulu. Les images continuaient à défiler, ces
formes qui perdaient leur sens, destinées à vivre et qui arrétaient
leurs avancées sensorielles. La quête de l'être pour sa mort.
Depuis cet autrefois, à jouir et finalement seulement combattre.
-Cet événement est
absurde.
Les Antchouk se réunirent
autour du corps bolochinesque. Témoin, j'assistai à l'assemblée.
Les réponses fusaient des banquettes impériales et pourpres, les
alliances, Bol, Bol!
L'homme blessé avait beau
en appeler à la raison les insectes parcouraient de chocs mexicains son
suc. L'émeute secouait l'ivoire de l'Agence, comme scintillements d'étoiles.
J'observai l'espace, ce plafond profond, univers d'infini recommencé,
ce jour là, l'homme blessé aurait désiré vivre ce
jour là. Sans doute le charme de Bol venait de ce savoir, qu'il avait
pu mourir. Les attroupements à son corps, exposé, kremlin, à
son culte, les églises à Bol se fondaient à tous les coins
de rue.Le corps gonflé d'eau. Il aurait fallu contenir le public malade,
les estrades surpeuplées, les arbres occupés. Taillez les branches,
la gravitation perturbée, taillez la planète. Les Antchouk décidèrent
et aussitôt les milliards d'autrefois furent plongés en océan,
gémirent, se débattirent. L'homme blessé observait les
scènes, absurde?, de meurtres programmés par l'Agence, de loin,
les parleurs décrivirent comment se pouvait, un être mourir. Les
files attendaient aux plongeoirs déployés d'extrême vitesse,
les fourmis intendants circulaient en long et large, ameutaient les récalcitrants,
prophètes pathétiques. Les fourmis auxiliaires du pouvoir, les
Antchouk, je luttai contre les bolochines d'entraves, cette pièce ascenseur,
arriver au dernier départ pour l'espace. La galaxie s'éveillait.
CHAPITRE IV : LE PHARE DES BALEINES
'ai
beau observer mes pieds, il n'en vient aucune sudation. Et à observer
les autres coureurs de fusées, aucun ne traverse plus rapidement l'univers.
Le bruit banguesque interrompt parfois la clameur des planétiens qui
assistent à mes exploits. Les plans de villes se dispersent entre les
arbitres, tous autant subornés que l'opérateur d'Antchouk en chef.
Les billets de change circulent.
Je peux personnellement. Je n'ai jamais entendu propos aussi complexe que ce
je peux personnellement, que ce comité de rédaction obligeant
les services annexes à se taire, le licenciement de la parole si proche,
des Antchouk encore. Aucune revue militaire ne se tiendra pacifiquement derrière
ses murs, elle sortira. La terreur alchimique.
Il va falloir choisir la colonie
littéraire la plus solaire.
QUATRIEME PARTIE : LA COLONIE LITTERAIRE
CHAPITRE I : LITTERATURE
'avaient
attendu les fourmis, m'avaient veillé, long du voyage, plombé
le corps.
La fusée s'était enfoncée en mes entrailles, tueuse
de fourmis, transport inter-organique, avait défoncé mes trailles,
paroles tenues, bien hautes, voix forte, fuir la mortelle Terre, planète
à cris. M'avaient enfermé dans la cage à autrefois,
poudre explosive au talon, mèche allumée. Les thorax gonflés,
s'élever à la littéraire colonie; le soleil ouvrit
son hydrogène pour accueillir le jet.
Avais abandonné l'homme blessé sur la piste d'envol. Il sentait cette aspiration à la rupture. Inutile de compliquer le divorce en propos baveux, en serpentins et roucoulades verbales. Avais quitté l'homme blessé, le laisser à son existence funérailles, son adoration culte de Bolochine. Son regard suivait la randonnée galactique que j'avais entreprise. Le soleil ouvrait son réceptacle tandis que la boussole tronique cherchait encore le nord de l'espace. Outils usagés, s'en défaire. Les fourmis et les Antchouk y grilleraient leurs derniers cylindres. Je n'aurais donc pas à oublier le point de partance.
-Bienvenue en colonie. Mais...z'êtes blessé ?
Accueil abscon des lectrices solaires.
Non, je n'étais pas blessé. La circulation galaxiale avait éprouvé l'estomac et quelques infusions de manuscrits y pourvoiraient. Lamentations muselées. Les bataillons de lecteurs armés de lourds écrans cernaient la cage intersidérale. La quarantaine d'imprimeries. Territoire en inutiles voyageurs, déchiffreurs de lettres empoisonnées, la mise à l'écart. La colonie s'entrouvrait, s'enfermait derrière ses indigestes papiers, cristaux d'éruption créatrice. La manivelle faisait défiler à regret les cartons d'invitation littérale, d'inanité solitaire, d'art sans doute. Les exclus de la cagnotte labélisée.
Le passage des feux
solaires avait constitué le point crucial du voyage. J'en avais alors
profité pour me débarasser des caisses de compagnons, pour
asolir en solitaire d'exclusion, "Vous arrivez de Terre ?", assoupir l'interlocuteur,
ses verres de contact fissurés. Des mots de grossière diplomatie
affleuraient sa bouche institutionnalisée. çà allait être
une hécatombe. Je sortis du moule interplanétaire.
La saveur du cortex animal. Des segments se déchirèrent à
même le visage. La cession commença, en culbutes, acoquinades
et sermons, la sensible défloration solaire du scripte voisin. Je
m'en voulus de ce choix, pas d'échantillon gratuit; il était empli
de fadeurs littéraires et versatiles morales. Continuai la macération
réductrice d'intempestifs festivals de mots. Il éructait sans
arrêt, ameutant les cortèges valets, entourage, mille ans
d'artisanat. Mes surnoms bout à bout essoufflèrent le vilain,
caviardant à tour de bras les infants du lectorat, les postures de pédicure
l'épuisèrent enfin.
CHAPITRE DEUX : LA COLONIE
'arrivai à pénétrer la colonie. L'incroyable silence othéqual. Des sarrasins me sifflèrent un chant de gestes âgeux; poursuivre l'allée qui mène au coffre. Assis, l'asthmatique en coursive, le combat des lecteurs d'écran reprit. Des fumeurs à moufle se courbèrent devant l'envol d'une rangée de livres. Mariés concordaux, ils établirent leur campement à quelques lieues du chevalier au lion. J'avais encore des difficultés à retourner mes dominis. Les coloniaux avaient planifié leur ennui littéraire, un jeu à thé continu. Les lectures publiques résonnèrent enfin sur la plaine écrite à la main. Des caractères survolèrent le campement qu'il aurait fallu prendre d'assaut verbal. Tenir le masque.
Le lecteur solaire avance masqué. Bon, tant mieux, puisqu'après tout je n'étais pas venu pour le connaître, et tant que je ne l'avais pas rencontré, ce masque lui seyait très bien.
Les lecteurs d'écran s'attroupèrent. Des morceaux choisis les enivraient. Sommeiller. Berceuses que ces voix, muses en route du désordre, sirènes mâlifiées, califat de mes nuits, rites en corps. Des terrains vagues à pacifier.
Aux temps d'adoration
siniesque, la colonie farandolait, sises les maigres budgets universels.
Sans doute fallait-il continuer la traversée des carreaux, au but avoué,
quantifier la linéarité des signes et puis, calibrer l'encre
à la main.
Le verbe bien haut, l'homme à lunettes, son territoire cérébral
bâclé, des histoires des histoires que diable!, la lectrice
solaire hululait derrière sa table ronde. Les places étaient numérotées,
alphabet littéraire, elle avait des gestes vigoureux, interrompant
des interlocuteurs imaginaires. Dévote des idées. Elle relevait
toutes les majuscules, se jetait à fond de syllabes, galvanisée.
Son assistance avait fui depuis de nombreuses heures solaires qu'elle
manifestait encore sa vigueur. Du suspens enfin, il nous faut des histoires
avec du suspens. "Et nous ouvrons ce soir une rubrique... oui, c'est mon
premier invité... Votre liberté est-elle donc d'insuffler ou de
cesser de vous adresser à ce lectorat?
-Eh vaï, eh vaï c'est
l'heure. L'homme a son hymne, sa civilisation, se crispe, réveille-toi.
Personne ne l'écoutait;
les gens refusaient de l'écouter. Ils ont brûlé des hommes;
ils ont gazé des hommes : ...Oui, j'entends bien, mais la volonté
n'est pas dite explicitement, là." J'essayai habilement de contourner
le maudit lieu, mais son ogreux regard cathodique m'harponna. L'épaule
de l'homme à lunettes était définitivement brisée.
Il saisit le câble optique et remonta à la lectrice, chevauchant
les barricades de revues. "Quand vous évoquez les clichés
littéraires,... Comme des prismes, des passoires, des mirages ou
des leurres. Vous pensez à qui?" S'amoncelèrent ces lectures au
coeur même de la colonie, ces faveurs d'insoumis, ces fadeurs déjà
piétinées. Il parvint à s'attabler. Le verbe, bien haut,
tenir ce verbe. "Parlez dans le micro." Le signal de contournement de
la colonie. Les Antchouk avaient dû repéré ma place
de stationnement.
Quitter cette table. "Pourquoi tant de phrases et d'omissions verbales? Cette chasse à cour, pourquoi? Votre invitation à la lecture n'est-elle qu'un appel à la joie? -Eh vaï, eh vaï c'est toi l'homme qu'on va brûler. Il faut te rebiffer, il faut casser cette immunité dans laquelle tu tiens tes élus? Vaï, vaï, c'est cet inconnu que tu dois croire. Le peuple du feu ne pouvait croire qu'on allait l'incendier. Tu me fais rire de ton inconstance, de ton infidélité à une quelconque croyance. Tu me fais rire, mais c'est toi qui crèves. Eh vaï, celui là criait toujours, et toujours d'autres ne voulaient pas rester. Ils préféraient se faire tirer dessus? Vaï, vaï, il aurait fallu fuir: ...Non, non, le lecteur est un épicurien." Ensuite, suicides et noyades de nos ennemis. L'homme à lunettes sauta sur la femme solaire. Il n'y avait pas de jeu littéraire, sans labeur, de villégiature grecque. Les joueurs seraient noyés, et l'homme trancha de ses incisives le crâne pour y nettoyer les quelques réflexions en devenir. Elles y étaient enconconnées, tuer le cocon, répandre le pesticide. Les autres invités tapèrent des mains, rythmaient le massacre.
Je laissai derrière moi le corps aux coprophages, m'élançai, l'homme à lunettes avait bien du mal à me suivre, le coffre, sa tabagie de position, caracoler en tête de la course. Les indices de la certitude des lecteurs d'écran, leur apathie dévoreuse d'espace solaire, cette virgule même, mon emplacement de parking occupé par un autre, mettre le feu; je dérivai entre les bouées, tenir la tête de course, quitte à tricher, à tirer les boulets de canon sur les moralistes maladifs en haut des tourelles, la pierre ne durait guère plus que le papier. Les disquettes fondraient au soleil et les masques à écran crèveraient.
Les lunettes de l'homme
tombèrent, s'écrasèrent. Au moment inopportun. Perceval
avait hissé sa courte stature sur l'étrier, rabattu son
heaume, levé sa lance. Il la dressa, la pointe luisante. Il chevaucha,
ma direction, le trot s'accélérait. Perceval hurlait à
la mort, derrière son armure, un corps difforme. J'attaquai la
porte du coffre, l'ouvris et l'autre ne put que briser sa lance. Après
le clash, ce fut le silence. Du pont d'entrance à la table ronde,
du tournoi de cour aux jouxtes verbales, profitant du silence, l'homme
myope saisit le manuscrit et commença à le lire. Les fondations
mêmes, les fondations littéraires s'ouvraient aux troupes
d'Antchouk. La colonie était envahie, mais l'homme lisait et les
neurones s'entre-déchiraient, Bol!
CHAPITRE III : BOL !
es fourmis avaient passé toutes les chaînes en or trouvées sur les lecteurs d'écran et m'en avaient affublé. Comme si j'allais sauter hors de la colonie solaire. Le grand chambardement. J'avais à quitter ce dernier corps, cette paire de lunettes me tapait sur les nerfs. J'avais juste eu le temps de lire les premières phrases, le premier manuscrit de Bol! Celui que tous les Antchouk s'étaient mis en quête.
"Parlons des hommes d'autrefois, cela vaut mieux. Oui, m'est avis qu'homme courtois mort vaut mieux que vilain en vie! C'est pour cela qu'il me plaît de raconter une histoire digne d'être écoutée..."
Quand les lettres se sont ouvertes,... Les Antchouk ne pourraient pas me retirer ces premières phrases. C'était le début, et la jouïssance, l'unique jouïssance des actes fondateurs. Ne pas dénaturer. Bol! nous criait souvent de ne pas dénaturer le mouvement ni l'adresse. Il racontait comment il était parvenu à contourner le pouvoir des Antchouk, leur attitude populiste de louanges toujours, de vénération de celui qui lit. Il n'avait jamais de mépris pour l'invisible, car il sentait que celui-là le poursuivrait, à courir les rues. J'avais réussi les examens de passage de l'Agence, on m'avait confié à Bol! Je n'y étais pour rien s'il fallait terminer le voyage sur cette colonie, si les vaisseaux des Antchouk avaient détruit les pistes organiques asolaires. L'irruption de la force lectrice, alors que Chrétien s'adressait à l'auditoire. Voilà la langue, perdue car écrite, conservée car écrite. Alors c'était l'histoire qui s'était perdue, et la littérature qui s'était écrite. Le joueur est jouïsseur. Malade ou maladif, les passages du scripte avaient flagellé l'acteur, il était incapable de parler, de transcrire les mots. Comment alors aurait-il pu les lire. Les fourmis essayaient les masques à lire.
Bol! continuait à tromper les mystérieux voyeurs, ceux qui l'avaient engagé et poursuivi. Il avait échappé aux producteurs de ventilation, aux imprimeurs de caractères et volaient les leurres de l'Agence. Ventrus les leurres. Majuscule l'identifiant. Bol! quitta les Antchouk en chagrin et s'en va droit là où il savait qu'ils l'avaient prié de se poster afin de voir la bataille sans en rien perdre. Devant le hublot, il était inutile de continuer à citer les autres. De toute manière, l'agence avait le manuscrit en mains propres et s'apprêtait à l'isoler, à le cloisonner. Un bon coup d'hydrogène. Les fourmis m'emmenèrent vers ce bon coup d'hydrogène: il n'était plus nécessaire de résister, ni de fuir, ni d'escalader les étoiles. Un bon coup d'hydrogène, c'était moi qui le réclamait. Purement technique, l'opération aseptisait la mort. Juste un bon coup d'hydrogène. Et si ça marchait, c'était s'envoler vers la guerre aux esprits.
Bol! Ni la tronique
ni la virtuelle n'arriveraient à terminer ici le roman. On ne veut mensonge
ajouter. On ne veut conter davantage ni emmener les lecteurs de la Parole Vaine
vers ce monde écrit.
La Parole Vaine N°1: Bolochine?
La Parole Vaine N°2: Bolochine!
La Parole Vaine N°3: Bolochine.
La Parole Vaine N°4: La colonie littéraire.
La suite de ce premier polyptique est Perceval, signée Bolochine, et publiée dans les N°7, 8 et 12 de La Parole Vaine.