L.L. De MARS
Selon I
La porte basse

Ce texte fut  publié pour la première fois en 1992 aux éditions K' De M. Jugé franchement obscur par ses rares lecteurs, il fut entièrement réécrit en 1996 pour le N°8 de La Parole Vaine. Il fut publié en deux partie, la seconde "La lèvre pelée" (liée ici en fin de texte) ayant été donnée dans le N°11 de la revue

audite veille enfumée et bien entendu maudit réveil deux colonnes de cendre dans la poitrine un bloc de boeuf congelé dans l'estomac, en guise d'estomac, je me dirige à la pointe d'un jour comme il me l'a demandé, entre immeubles ensablés, pour rejoindre la porte basse; premières notes, casting:
- Celui qui me parlait
-Votre serviteur, secrétaire bien malgré lui
-L'homme du meuble (du panorama)
-Une poignée d'anges
-Une assemblée de conjurés
-La Bête
-Les cinq avatars relayés... Du beau monde, beau travail en perspective, en route!
 
 

( A
 
 

'est au pied de la porte basse qui ouvre cette ville -cité qui s'effondrera ientôt (devenue inconvenante, coupable) qui se pliera comme une carte, onjointement à l'éloignement de sa parole, qui l'accompagnera dans sa évastation- c'est donc ici que, protégé des insinuations du sable dans sa bouche uverte (ces lames insidieuses ruinant notre mobilité, poissant nos narines), il écide de livrer à notre désoeuvrement la dernière partie de l'histoire, 'achèvement de ce qui nous fut révélé.
C'est ici même que s'ouvre pour la dernière fois un livre que tous accusent d'être la source de notre terrassement. Un livre que nul n'a lu à temps et qu'il n'est plus temps de lire, sinon pour évaluer le désastre. C'est sous la porte que le soc de la charrue s'est soulevé un jour pour donner à l'étymologie du temple un sillon dans la cité. Je sais maintenant qu'il sera presque impossible de lire out cela, que ça va être pénible, oui vraiment très pénible, que le sentiment de ésordre, de vertige qu'il vaut mieux ne pas s'infliger inutilement, va 'emporter sur tout le reste, mais que faire? Oublier cette affaire? Parler autrement? Mon Dieu! Autant coudre ses lèvres et chasser l'homme...
 
         Le meuble (que chaque étape de son récit vouera au Panorama), enlisé dans les lampées de dunes, babiole signée entre l'origine et les conséquences du texte, laminé par les attaques du vent et de sa charge, n'offre plus au regard que deux angles et l'équerre d'un tiroir; nous savons déjà les cinq noms que celui qui me parlait, pour les présentations coutumières, accordait aux
 
         Ici, abasourdis par les sifflements des nuées ocres et perles et brillantes persistances des micas, il ne m'est plus permis d'entendre, car Sa Voix est un Sifflement parmi les sifflements; tant les saccades de son flot bavard et ce tressage assourdissant de souffle continu où elles s'emmaillent semblent issus de la même incompréhensible gorge. Voici à peu près:
 
         (ce que je n'entendis pas:)

elui Qui me Parlait Se Leva d'entre  les anges, parmi lesquels Il S'Était Dissimulé ; il fallait ici, une fois encore des images, des intercesseurs, parce que nous avions semble-t'il oublié jusqu'à la nécessité de notre prière; trois d'entre eux se dirigèrent vers Lui, les mains chargées de fléaux
 
         courroucé, sans doute, par l'intrusion dans le texte d'une esquille de détail, d'un parasite, qui heurtait son soucis de démonstration, fichu de gloire teintée sur un Monde inaccessible et encore à démontrer, celui qui me parlait biffa de son index la phrase qu'il allait me lire.

        (Encore, ce que la fine rayure brûlée recouvrait à peine:)
la serrure de l'un des coffres sauta sous le coup de Son Souffle, et il s'en échappa une maigre fumée bleue dans une odeur de fruits trop jeunes; tous s'accordèrent sur le sens du vacarme qui couvrit les convulsions du vent: les vestiges fluets des temples des hommes, leurs statues algébriques, leurs alphabets indéplaçables, leurs langues inaptes à la communion, leurs récoltes, s'étaient écroulés
 
        Puis le vent rafla les feuillets qui poursuivaient la laborieuse élaboration de ces métaphores, dont les codes et la constitution poétique trahissaient des pratiques millénairement distancées par l'usage. J'ajouterai:
 
         (ce que ces feuillets dispersés annonçaient sans aucun doute possible:)
        L'angle ferré du deuxième coffret fit saigner la main de l'ange qui le portait; et, au fil de sa mouillure glissée entre les doigts, ouvrit son corps d'usage: fit voir qu'à l'exemple du coffre, celui-ci était vide. Se couvrant à-demi les yeux levés de la main, l'assemblée des anges pu voir dans le miroir la végétation et les livres des hommes s'enflammer, le métal se tordre et couler en fleuves pour rejoindre les gouffres
 
es lèvres de celui qui me parlait se joignirent définitivement; de la lassitude, ou, peut-être, du désir de maintenir la stabilité de son corps parlant... déchiré entre les multiples temps du récit, sachant encore que le renoncement à la parole est la première marque de la chute du corps; prophétie? Qu'importe, en fait, l'épisode précis qui décide de la forme que prendra l'inassouvissement...
        Il y a ici exactement autant de prophètes que de colonnes pour soutenir le Temple de la Dubitation et de l'Ignominie. Accoutumé à la longanimité d'un auditoire miné par la terreur, il savait ce qui lui en coûterait de ponctuer son récit. Car il était ici pour jouir.
 
         (Ce que le prolongement, la linéarité, imposent de façon évidente au texte, et voici, enfin, l'ouverture :)
Un poudroiement de pollen, bouffa en volutes du dernier des coffres. Appesanti, compacté, il s'épancha en chutant au cours des jambes du troisième ange, rampant jusqu'à couvrir le sang qui nourrissait le sol à ses pieds; se substituant aux reflets sourds des rigoles, le jaune opaque s'infiltra dans les franges granuleuses et gagna peu à peu toute la surface du Monde; les lumières artificielles des homme refusèrent alors toute alimentation, l'électricité fut comprise comme une aberration, et le soleil fut réparti, éclat à éclat, entre les étoiles qui éclairaient le tain du miroir (du miroir?).
Les hommes dispersèrent leurs richesses, et ceux qui n'en avaient jamais possédées, demeurèrent sans bien. Le froid qui résulta de la disparition du soleil cailla le sang des hommes
 
ue savions-nous du dernier état de cette représentation, au juste? Allusive, cette dernière phrase (au passé simple, mais pourtant citée) accusait notre mémoire d'être inapte à la reconstitution... Mais l'heure? La minute? La nano-seconde permise entre l'énonciation et la fabrication du souvenir? Nous savions, à cet instant précis, qu'une méthode de discours était usurpée, que, tout bonnement, ce qui avait été dit -et seul le temps de l'énoncé insistait sur ce point- était de l'ordre de l'attente, insatisfaite, d'une reproduction aberrante du désir de redire le Monde. Nous n'avions pas vu le Monde se faire tant que y nous étions enfermés, et maintenant, il nous faudrait payer en subissant la honte de voir se dérouler l'interminable enchaînement de nos généalogies.

        Mais ici, où s'ouvre la ville émergeant à peine  des courants poudreux qui l'enserrent, une rupture brutale n'affirme cependant pas que le silence ait à régner seul;
 
         Ce qu'il est toujours possible d'écrire:
 
 
 

B)
 

 
elui qui me parlait, le dos creusé, le tissu de son Invraisemblable robe côtelé comme des fuseaux horaires, parle à nouveau, peine; un vrai labeur, dans nos poitrines circule un courant brûlant qui nous interdit toute parole. Chaque inspiration est celle du claquement sec qui gonfle brutalement cette poche neuve dans la poitrine du nouveau-né (plus rien d'alerte dans tout ce qui m'entoure, qui, derrière le sable en trame -mais il faut que je cesse d'en parler- semble fuir tout ce  qui se risque à évoquer un angle: No Move). Endurci, très-à l'aise, il se perpétue dans son infatigable accusation d'infamie, qu'Il tient sans doute pour un exercice de style devant un parterre demeuré de mauvais élèves; mais que pourrait-il faire d'autre que nous mépriser, nous renvoyer à notre confusion, à nos poèmes qui permettaient si bien de ne plus se mêler du langage?.. L'un ou l'autre, jamais les deux. Pauvres de nous. Tout ceci, à force de tissages, de citations (mais qui pourrait lui reprocher d'insister sur notre ignorance, notre analphabétisme?) comprenez-moi bien, toute cette farce dans ce silence chaud où personne ne sait ce qu'il doit attendre, accouche d'un lamentable esperanto de luminosités, de cadrages, de mise en scène...  Je sais qu'il figure encore la pureté, mais je sais que mon péché le dépasse. Et je sais aussi -et mieux encore- que la pureté est une donne païenne lorsqu'elle se glisse parmi les hommes et leur devenir. Pourquoi? Parce qu'elle hait par-dessus tout la jouissance de la transformation.
Tout m'évince
 
         Celui qui me parlait, dit aussi:
        "leur langage perdit toute signification pour eux, et ne fut plus compris que par ceux qui LES lisaient (car il y avait encore des anges, au moins aussi longtemps que la prière n'était pas devenue un don)"
        -Il enchaîne: "Mais ils perdirent l'usage de leurs mains gelées, tombées, pour s'être touché le sexe, ou le pied, devenus glace..." ( je répète alors, je crois, ceci -devenu inintelligible depuis : "qu'ils cessent d'écrire [fondant simultanément usage & nécessité]... qu'ils cessent donc d'écrire. Mais je me suis leurré sur la source même de la haine la plus irréductible, qui fait brûler les livres juste un peu avant les hommes )  - Celui-ci se lève: "Les yeux des hommes et des bêtes qu'ils avaient domestiquées s'empliront de verre, de limaille..."
 
        Le temps du récit nous avait changés: et nous étions désormais pris dans une curieuse maille d'événements, dont chacun annonçait que nous allions perdre la mémoire des précédents; un point de rupture, à chaque fois, étroit relai du savoir et de l'oubli dans la plus serrée des proximités, chasse latérale; et nous souffrions atrocement de cette perte irrémédiable de la volonté, pétrifiés d'horreur devant chaque chose, chaque chose étant devenue subitement indéfinissable, incongrue, chaque chose se présentant sans son nom ni son histoire.
        S'annonçaient ainsi ses provocations suivantes:
 
         "Des parasites portant comme noms les mots que les hommes avaient prononcés par frivolité apparurent; leur corps-même naissait du corps de ces mots que les hommes avaient prononcés sans les comprendre."
"Ces parasites, bruyants et injurieux pénétrèrent le ventre des femmes. Avant qu'elles ne conçussent /& même bien avant, le plus souvent, que l'idée de concevoir ne leur vînt, et même, bien avant qu'elles n'eussent eu pour exemple la génération/ et ces parasites -bruyants et injurieux- firent pourrir leurs enfants, à-priori. Firent aussi pourrir le ventre des femmes. Les hommes ne surent plus le sens du baptême et s'injurièrent, se couvrirent de noms d'insectes. Il crurent longtemps à l'évidence de la venue au monde et de la pérennité."
 
         Prophètes? Certains, dit-on, dictés par Dieu, à quoi bon insister? Mais, le plus souvent, le temps choisi SERA celui de la dubitation, et, je l'ai déjà signalé, de l'inassouvissement... Car Le Livre est un livre d'histoire.
 
        (Calé entre deux miroirs, c'est tout autant le dépit de n'avoir pas la vue suffisamment perçante que ta démultiplication, qui t'attends. J'imaginais souvent que cette situation, cet écho répété inlassablement des représentants plats, ne pouvait conduire qu'à LA lumière. C'était sans compter sur l'orgueil. Tu peux tout aussi bien être le peuple des fourmis. Selon ton degré de myopie. Hmm... Voici que tu sens la proximité de celui que tu pries parfois, et voici que le ping-pong de deux miroirs te donne une métaphore à peu-près satisfaisante: non pas vue de l'esprit, mais justement le seuil où l'esprit s'aveugle; où la vue se brouille, à mesure que la lumière s'atténue, et que s'absorbe l'image au fond de ces deux gorges face à face.)
 
ssis contre un meuble fiché dans le sable (dont rien ne perturbait la circulation en chute - lente - le long de l'avenue, vague volume emporté doucement au gré d'un courant ralenti, entre le figé et le brouillon du fleuve) rejoignant peu à peu l'embouchure de la ville avec ce meuble noir, et le reste des objets lui ayant -je le supposais- eux-aussi appartenus, étuis péniens, fougères séchées, bricoles du culte, estampilles cruciformes, réformes amoureuses; le visage engouffré entre les genoux (cuisses plaquées contre la poitrine, presque, à l'étouffement), un homme, de ceux dont la langue s'est perdue, beuglait -à son ventre?- ceci  (parasité par le chuintement des nappes):
 
        «Tout ce qui se voit se tue... N'acceptant pas d'être tenue en laisse par la mort, l'humanité devra suivre une inavouable morale du suicide. Elle est le produit de ce suicide pas encore accompli; elle flottera infectement dans les réseaux des morts, se rengorgera d'avoir pu les revoir, et laissera à l'abandon les vivants. Elle tue Dieu même, si elle le voit»
Plus bas, crispé, semblait-t'il (mais le flux vaporeux du sable m'empêchait de voir son visage autrement que diminué, amoindri, en piqûres, tramage, et qu'il venait de relever): il évoquait des divinités archaïques, encombrantes, hellènes pour la plupart: il les présentaient affaiblies par leurs visites trop peu espacées parmi les produits maladifs de leurs homoncules névrosés, insaisissables par leurs ahurissantes démonstrations, leurs créations imperfectibles; Jocaste, Asterion, Endymion, Dédale...
 
         Il releva la tête, plus violemment, et rauque, balança: «J'achève mes phrases.» Nous pouvions deviner qu'au registre du panorama, celui qui me parlait avait laissé une place pour la comédie, et qu'il y avait aliéné cet homme; il n'aurait plus la paix:
 
         hérissement des dunes, silences approximatifs, hérissement/ etc...
 
 
 

C)
 
 

elui qui me parlait me dit, une fois encore, que: je sais ce que je ne dois pas ou ne peux pas voir, heureux ceux qui croient, etc..., que je ne vois pas autre chose qu'un prélèvement minuscule de ce que je sais etc... Horrible travers de la ballade qui fait se fondre éthique et esthétique... Comme mon oeil pense trop (?) etc...
        (Bah! Je pense, moi,  qu'il me reste un temps infini à perdre au cours de ses mises à l'épreuve tatillonnes: il m'inquiète, lorsque ses inquisitions lancinantes parmi mes comportements de lecture, veulent foutre à sac mes manières d'archiviste, de kabbaliste par-dessus la jambe, de bookmaker culturel, entre Torah et linguistique, n'importe quoi pour ne pas décroire. M'en fous, la question n'est pas "que suis-je?", bien entendu, mais "où, où suis-je exactement?". Et, si je suis seul, et comment pourrais-je mieux le savoir qu'en étant AVEC lui?, je ne p
 
        ( Il tend à me faire passer pour un scrutateur sans foi aux yeux de ceux qui recueillent par ma bouche ses propres litanies: mais les limites entre lesquelles je sais qu'Il Dit vrai, ne sont pas les limites par lesquelles Il pourrait m'infliger de le devenir. Escroc simoniaque à la solde des anges, moi? Il ne veut rien savoir de l'origine irrationnelle de ma raison; peu m'importe qu'Il m'Ait choisi, peu m'importe en vérité la qualité de ma prière, si j'ai pu vous faire aimez Dieu... )
 CELUI-CI Se Préoccupe désormais de fourmis (Tiens donc!), il fouille (et précise):
 
        "1)a. Parce que le corps des hommes était devenu un hôte indigne pour elle, chaque âme se vit offrir une pierre pour demeure, un galet; elle y était accompagnée du 1/3 de l'appareil de souffrance du corps qui l'abritait, du 1/3 de l'appareil politique militaire et médical de ce corps, du 1/3 de sa trahison.
         1)b. Lorsque  l' empreinte d'une bête (ou bien la chute d'une feuille) venait à marquer l'une de ces pierres, l'homme dont elle recelait la connaissance voyait ses dents se casser.
        1)c. Si le vent perturbait l'immobilité d'une de ces pierres, l'homme qu'elle clôturait perdait le sommeil et hurlait, brisé au sol, de fatigue.
        1)d. Quand une pierre était enveloppée de la merde d'un animal, un homme sentait son foie gonfler en caressant son abdomen; & il ne voyait plus désormais que l'intérieur de son propre crâne.
 Chaque pierre est appelée à disparaître dans l'eau.
L'immersion de l'une d'elles s'accompagnait de la mort d'un homme.
         2) Lorsque les hommes étaient éprouvés par le désir de toucher le corps d'autres hommes, ils ressentaient clairement sous le glissement des couches de la chair, la rigidité de l'état de mort; de leur chair EN MOUVEMENT.

                Ou plus exactement:
        ils percevaient, scellé dans chacun de leurs gestes, l'ajustement des articulations; sous la mollesse des peaux, la fibreuse superposition des muscles, le mécanisme, et, sous ses doigts, lorsqu'un homme touchait l'extrémité de ses seins, ses jambes, ce qui le ravissait, c'est (ENFIN) le sentiment d'un toucher de la mort."
 

n insecte posé sur la manche d'une chemise (diptère) soumis aux mouvements de la manche, elle, aux bruissements du vent/ +un insecte posé sur UNE maille d'1 lacis de cordes/ + un insecte posé sur la poignée mince (juste ce que le modernisme de son moule lui inflige de minimum utilitaire) d'une porte/ + un insecte posé à l'endroit même où: IL NE FAUT PAS!
sous peine qu'il m'agace +...
        Et les muscles tendus, un ensemble d'hommes incohérents et braillards pourchassent en se heurtant comme des jouets une nuée de mouches fausses et écrites;
        ma terreur se préoccupe en fait assez peu de précision, se désencombre des délices que pourtant me procure habituellement la surenchère des détails; une simple tache d'encre suffit à convoquer ce qu'il lui faut de l'insecte pour
tous,
        rassemblés aux parois horizontales -au sol, damiers, planches ajustées- aux parois horizontales -zether, aux rencaissements des plafonds, poutrelles que gonflent d'autres insectes- aux parois verticales -crépis-: je suis moi-même tiraillé au coeur d'un livre en expansion, j'entend redoubler ma voix par des cercles continus d'écriture concentrique, dans le vacarme des bourdonnements mêlés, mais je sais aussi, qu'en lieu et place de mon ventre se trouve le génome de ma propre inscription, cocasse parleur en exergue du Monde, qui dès qu'il voit, ne se sait plus; relire, biffer, balancer des feuillets de ma biographie, voulant que ce soit vrai, que des éclats, des actes irréparables, quelques inconséquences rendant incompréhensible l'ensemble, partent eux-aussi, avec le papier... je ne veux plus qu'on m'ait surpris hésitant.
        La mémoire continue, imperturbable, du silence contre l'animal fait langage (l'abandon de ses cuirasses usées):  +l'immémorial guerrier délivrant de sous ses coques -chitine- un réseau de fasces, cartographiées de nervures, élytres de sillons fluviaux, interroge son gigantesque bourreau sur la nécessité de ses métamorphoses afin de mieux lui piquer la joue
        et sous l'élytre, annèle
        encore sa gangue articulée,
 
         Celui qui me croit, mais qui n'aura pas clairement vu, comme moi-même
(&, dans l'environnement, -écrasant des insectes au gré de ses gesticulations- l'homme à nouveau flanqué au meuble, tressaillant aux rotules, cuisses crampées, croyant éviter ainsi de glisser comme glisse ce sable où s'enfouissent ses pieds à les rendre illisibles)
j'ai pu le voir, à savoir:
 se soulever les ongles -les cinq ongles, comme des couvercles, des orteils du pied droit- de celui qui me parlait:
de sous chacun d'entre eux sortit un être semblable à lui-même, et il affirma: que les ongles de chacune de ces représentations parturieraient à leur tour de cinq odieux calques de lui-même, à leur tour:  un homme de la bouche, un homme des vertèbres, un homme des couilles et des ovaires, un homme de la paume de la main, un homme de l'anus;
 

 
 oici ce qu'affirme l'homme de la paume de celui qui me parlait:
 
 
                "La multiplicité des églises convoitait celle des hommes. Indifférents à l'autonomie de cette surcharge de cultes, les hommes accordaient, sans soucis des liturgies ni du corps de leurs idiomes, leur foi à toutes, tour à tour. Les cartes indiquant la situation de chacun de ces lieux étaient devenues si grouillantes, opaques, que chacun décida d'habiter un temple, ou d'en édifier un à l'endroit même où il avait toujours vécu. Les plus pauvres, et les plus sédentaires, opéraient les métamorphoses minuscules nécessaires à la transformation de leur ancienne habitation laïque en agora prophétique, avec une maniaquerie raffinée; poulpes séchés, pendeloques cruciformes, rameaux, boucles labiales, anneaux, vestiges humains, portraits de sages supposés, sinon de saints, étoiles compliquées d'entrelacs, furent recueillis par tous avec une méticulosité d'entomologiste. Leur bonne volonté à accomplir leur acte de foi sous les meilleurs augures envisageables, les poussait à la fréquentation quotidienne de toutes les églises; hors la leur, bien entendu, rendue impraticable par cette part manquante d'emprise et de stupéfaction effondrée au cours du façonnage laborieux de leur propre cérémonie. L'échafaudage des autels eux-mêmes, leur ôtait tout mystère: il leur fallait ailleurs des autels qui poussent, qui émerveillent, car rien ne leur faisait plus horreur que de piéger dans le sacre la trace de l'homme. Comme si Dieu avait parlé pour des grenouilles."
        ( Comme le nom de Dieu recoupait chacune de leurs phrases, il leur apparut nécessaire de le réserver aux conversations courantes, et d'en créer un second pour un usage liturgique; rien n'étant plus partagé que le trafic des périphrases amoureuses ou religieuses pour qui la définition du Monde est cohérente au Monde; rien n'interdisant plus radicalement la fulgurance de l'amour dans la permanence du verbe ).
 

        Lui est égal. Implaçable dans leur langue, ils durent multiplier les noms de Dieu : ces épiphénomènes bavards des litanies sont désormais oubliés;  ils furent engloutis lors* d'une fraction de l'histoire que l'homme de la paume envisage en en parlant comme d'un fragment couru & maintes fois écrit sans doute, mais qui assurément, pour nous, n'est encore que purement prophétique, à plus forte raison pour celui à qui en est donné ici le commentaire*
                          de la première figure.
 

        "Rien tant que le morcellement n'appela la réalisation de la mesure.
        Il devait advenir un jour que, ne trouvant aucun prolongement de l'identité de leur foi dans ces invocations que dictait, neuves, chaque jour, leur appétit de prières, (ornements, consomptions s'enchaînant), les hommes se confortèrent unanimement en une idée exacte de leur rassemblement;
                    il advint:
        l'effarement, puis la lassitude, & l'urgence de rétrograder devant la panique; ceux-ci se confortèrent en une formulation exclusive de Dieu, prirent en considération exclusive ce qu'ils nommèrent l'universalité de cet état de connaissance de Dieu; ils avaient cru en faisant le chemin inverse de la périphrase, pouvoir revenir à une fonction du mystère; mais puisqu'ils avaient perdu en cours de route le noyau originel de l'ensemble des voix et des corps se donnant dans le nom de Dieu, c'est un arbre sec et unique qui devint leur commémoration du nom; ils avaient volontairement noyé la transcendance dans le paysage de l'immanence... Et perdu toute évaluation de l'immanent dans leur appétit transcendantal...
( dans l'alignement des étoiles... )
Convoqués tous par l'extrême évidence de cette équation, par la singularité et l'unicité de son énoncé qui accusaient l'exactitude de sa résolution, ils pensèrent avoir rejoint l'essence même, puisque leur accord en était le trajet, de l'idée de Dieu; cet accord ne formait désormais plus -psalmodies, murmures, arpèges d'élévations sourdes, récitations exactes- qu'une seule et gigantesque voix; pensant tous avoir fait corps avec Lui."
 

        "Il était inévitable que ce nombre incalculable de corps finisse par oublier l'objet de la confortation d'origine; de quoi auraient-ils pu se soucier? Relégués par l'allégresse générale qui saluait leur inanité, les édifices ne tardèrent pas à s'émietter, charpentes ininterrompues d'éclats, esquilles, pignons rognés, croquis d'après le tableau; on vit alors, désintéressés de l'entretien du culte, les prêtres chercher parmi les décombres d'improbables profanateurs de vestiges, reliques, compissant les organes de l'ancienne sainteté. Il n'y en avait évidemment aucun, ce qui les poussa à payer quelques démunis pour le faire.
Le seul nom, désinvestit, de Dieu, appelait la MESURE de tous les hommes, et de toutes les mesures des hommes; et ceci, était devenu Dieu."
 
 

D)

> O P E R A  <
 
 

e poudroiement ocre du voile/  spontanément effondrable, fichu jeté sur la trame visible /stabilisé, se substituant au cadre -les bosselages soulevant en cannelures, pitons, rubans solides, les grains révélant la moulure d'un miroir;
je m'y penche; m'y vois endormi...
 
            a). Pour l'exemple, imaginons que je sois, moi, son reflet -& moi autonome, agité, y aura-t'il un raison pour qu'il se réveille?   Je subis la persistance -CAR ON NE SE RÊVE JAMAIS VIEILLIR - de son rêve. Miroir chinois où dormait un poisson, qui secouant la pellicule réfléchissante, réveilla l'armée de... de quel côté exactement?
 
            b). Dans un autre cas, envisageable, par exemple, pour ses rondeurs poétiques, picturales surtout, j'aurais peut-être perçu une autre résistance: dans le miroir, un visage de femme de traits  plus âgés que l'âge ne le permet, nourris de la fadeur des miens, mais rien d'EXAGÉRÉ dans les sinuosités de sa vieillesse, rien... d'exemplaire; image horrible du désavoir absolu rongé par le rire d'une vieille femme, terreur du retour, pont des sexes et des âges. Premier échelon du deuxième stade du miroir: le trucage et la métaphore. L'autobiographie.

            c). Tout autre cas, plus ou moins rôdé par l'usure mythologique, par l'usage littéraire: absence de reflet, visage de défunt impensable, visage lisse comme la paume d'une main (Borges), visage de la mort... etc,  afin de produire le même recul brutal, la même intensité dans l'effroi, eurent peut-être bien valu, sans doute, ces artifices protéiques... mais
 
        je retiendrais cependant, pour l'attraction que provoque la mollesse cireuse, régulière en vérité comme un os sculpté bambara, le visage de la vieille.
        Et ce rire qui secoue le rideau souple à son menton.
 
oici,
se levant d'entre ceux dont le corps de Celui Qui me Parlait était le siège, ce que l'homme des vertèbres affirme à son tour:
 
         (il prend la précaution de dissimuler ses intentions les plus scandaleusement visibles dans la fiction, et il nous prévient -je m'exprime mal: il agit comme si toutes ses informations étaient d'un ordre performatif, comme si nous n'avions pas été DÉJÀ victimes du désastre qui s'écrit maintenant, qui SEMBLE être en cours d'écriture, il louvoie lui-aussi, mais ceci, pour mon ordre, est itéré, plus avant dans le texte, aux périphéries du langage exhibé; j'ai été duplicement tenu au courant: nous sommes déjà au fond de la trappe historique, et il sait que nous le savons; les camps, les chambres, les trains et le commentaire, tout ceci a trouvé l'ensemble des catégories du discours pour les accueillir et les administrer (les éteindre); peu lui importe, il circule parmi les bestioles typographiques avec l'aisance de celui pour qui un champ de bataille ne peut pas être le champ d'une défaite, la bataille étant nécessairement réussie:
        la solidification: à chacun des mots qu'il prononce, il soigne et organise son silence, gère aisément cette ossification, sculpture et art du trou; je veux dire (pour la toile, qui graduellement se tend, s'orne de glacis plus ou moins enlevés, voit s'endurcir les couches successives, dont la transparence de chacune distribue aux autres une nouvelle lisibilité, jeu de l'inattendu imperceptible, vous l'aviez vu? Et maintenant? Moirage, figures fantômes! Bonneteau visuel qui consacre l'art du cinéma, du sifflet, du ballon; de la surprise) : comme un burin, véritablement, en fait, asservissant plus violemment la métaphore au dispositif scénique -chaque mot martèle sa bouche, l'accommode au prestige pompeux de l'oracle, la pierraille, pour le faire -finalement- taire:
sa bouche EST l'idole de sa bouche; son calcul joue contre lui? C'est inexact; NOUS sommes en jeu, et si je suis ici en mesure de l'énoncer, c'est tout simplement que les rênes du récits tressent les miens depuis toujours, que mon maigre pouvoir de discernement est rêvé avec le reste du décor...
        Il s'assure, racle sa gorge empoussiérée. L'homme des vertèbres, est une possibilité, ni la meilleure ni la pire, mais aucun texte ne saurait s'en passer. Et votre petit scribe studieux prend en note le cours du récit:
 

"La figure suivante est la bête du miroir.
re-velum:
        il était impossible de voir conjointement la tête centrale et les autres, celle-ci étant la clef de résolution du cryptage des autres;
        quel que soit l'angle sous lequel on l'apercevait -toujours de face- elle n'était elle-même lisible (nous devrions dire ici: résolue) que lorsque le compte était fait de tous les éléments la composant: ainsi, seule la capacité d'un homme à lui accorder plus ou moins de parties, décidait du temps perdu à la reconnaissance de la bête. Elle pouvait tout aussi bien n'être pas reconnue par celui qui n'en voyait que l'ensemble et être saluée comme une alliée; quantité d'hommes, favorisant par inertie cette alliance infecte, furent à compter au nombre des parties de la bête, ce qui accula les plus avisés à l'illisibilité, donc à la dissimulation (je crois maintenant qu'ils VOULAIENT la bête et la destruction, probablement pour être innocentés, à n'importe quel prix).

        Ses ornements, cornes, écailles, narines, pommettes, se répartissaient exactement autour de son centre, ainsi, même, que les mouvements & la physionomie des autres têtes autour d'elle; point spéculaire axial déterminant selon son degré de clémence, le degré de cruauté -et de régularité des traits- des deux têtes de gauche, le degré d'affliction -les bâillements- des deux têtes de droite. La bête généralisée n'était une bête pour personne, mais chacun craignait la bête, parce que nul n'avait l'esprit de ne pas former ni formuler sa crainte:
        Ainsi,
        le temporal droit de la première tête, en haut, à sa droite, traçait-t'il la partie gauche du maxillaire inférieur de la première tête, en bas, à sa gauche... Le centre? Mouvant, jamais tout-à fait centre puisqu'il était possible à chacun de l'élémentariser, de l'ouvrir, et d'y trouver une figure supplémentaire pour sa peur...
 
        ... le regard des hommes se heurtait, chaque jour, dans le miroir, à la gesticulation incohérente, désordonnée, des cinq têtes de la bêtes.
 

a mémoire des hommes leur fut un jour ravie et retenue enfermée derrière le miroir où habitait la bête. (c'est ici, exactement, qu'intervint enfin pour nous, avec netteté, la proximité du Récit; nous fûmes, seulement là, certains de n'être pas épargnés; notre amnésie n'était plus un hasard et, surtout, il nous était permis de nous représenter l'oubli). Derrière le miroir, duquel ils imaginaient une épaisseur (donc, probablement, un point de rupture, de résistance), les hommes avaient perdu l'image du ciel; ils doutèrent même qu'il puisse s'y étendre encore.
        Les hommes furent accablés pars le produit chaotique de leurs innombrables et abêtissantes mythifications; tout ce qu'ils avaient produit de cultes contrôlables pour tenir les autres hommes hors de Dieu et en leur pouvoir, les éblouissant avec leur propre lumière (leur prétendue propre et présomptueuse lumière, la seule qu'ils pussent admettre, le jeu de la pureté), toute la déraison de cette prétendue lumière devint leur seule économie -misérable- et ce fut le gouvernement du sarcasme de Dieu:
sans qu'ils n'en puissent rien deviner, cette bête était elle-même l'alphabet qui régissait l'ordonnancement de chacune de ces mémoires; son ossature, côte à côte, était constituée de la stratification de ces rancoeurs, bijoux, jalousies, dumping, trahisons, accouplements, holocaustes; et la solidité de cet édifice constituait à son tour l'alphabet de toutes ces mémoires, le même rassemblement qui creusa un jour l'abîme du pauvre coeur des hommes.

        La lettre qui ponctuait l'enfilade des choses rendues usuelles -profitables- par la mémoire, cette dernière lettre du collier, afin qu'elle ne se perdît pas, avait été inscrite au front des hommes (ils se regardaient d'abord en riant, puis s'injuriaient, finissant inévitablement par s'accuser mutuellement d'avoir tracé ces stigmates: le moindre de leurs livres d'histoire leur eût rappelé combien ils se trompaient de lutte, et, paradoxalement avaient entièrement raison: ce sont ces livres-mêmes qui avaient inspiré la cruauté narquoise de la bête.);
mais lorsque la bête commença à épeler le corps même des hommes, lorsque la bête lut les hommes, pour chacun d'eux cette lettre d'achèvement faisait défaut
ou plutôt : elle s'était mêlée aux autres lettres dont les ombres infiltraient toute la peau des hommes...
Ce dont ils étaient dépossédés causant inéluctablement leur incapacité à se savoir dépourvus de quoi que ce soit, les hommes ne devaient pas souffrir du fléau qui les accablait..."

fin de la première partie

SELON II: La Lèvre Pelée