Claude
PELIEU Et
si on faisait encore plus de trous dans les pages
Ces deux textes courts ont été publié dans La Parole Vaine N°13. Pour faciliter la gestion du site, nous avons choisi de les regrouper sur cette même page, sous un seul titre. De nombreuse références au Cut-Up sont disponibles sur notre site à CETTE PAGE. Venez consultez les pages consacrées au travail de collagiste de Claude Pélieu |
"A man learns something even by being hanged "
Henry Ford
pour Benoît Delaune
En avril Allen nous
quittait. Quelques mois plus tôt Tim Leary. Le 2 août, WSB s’éteignait
au Lawrence Memorial Hospital, Kansas. Une étole de mélancolie
se mêle aux couleurs du crépuscule, enveloppant une nova errante.
LE TOUT ÇA D'UN INSTANT.
Intense collaboration pour aboutir
au hasard, El Hombre Invisible et le môme de Frisco étiolés
par les choses de la vie.
Chez lui, à Londres, nous
nous mettions aux fenêtres, fumant en silence, regardant les pigeons,
les piafs et les nuages.
Parfois nous allions prendre quelques
verres au Club, the Old Gentlemen, près d’une galerie spécialisée
dans la vente de gravures anciennes, et souvent nous nous enivrâmes dans
la lumière du crépuscule nacré.
8 Duke Street, St. James --- le minuscule appartement était peint en bleu, un bleudéprime, hypercool, afin de mettre les visiteurs mal à l’aise --- un assistant au regard sournois passait l’aspirateur ou allait chercher des plats cuisinés. Mary préparait les cocktails, corrigeait des jeux d’épreuves. Miles prenait des photos ou travaillait sur les Archives.
Tout demeure intact
dans nos mémoires.
William terminait LES GARÇONS
SAUVAGES, remaniait LES DERNIERS MOTS DE DUTCH SCHULTZ pour Grove Press.
Allen préparait déjà
son retour aux EtatsUnis.
Les Archives furent vendues. William,
malgré tout, demeurait dans le besoin.
Dans la touffeur de l’été qui plombe Chenango Valley je pense aux déjeuners et aux dîners, toujours dans des lieux invraisemblables. Trouver un restaurant islandais !... tout danse devant mes yeux, scripts, contrescripts, collages, scrapbooks, fanzines, mouvances, dérives, télévisionados, bricoles, déchets, épandages de bribes & de "marques", fragments, rebuts, punk-rock --London, New York-- le scripteur explose et se liquéfie sur une pile de BD apocalyptiques. Freejazz, TrashDance, le Syndicat des Films, le Syndicat du Crime, la machine de contrôle, la Factory, Hollywood, le Bunker, le Mudd Club, Max’s Kansas City-- c’était écrit, comme ça, pop poems, cut ups, fold ins, dream machines, mixage, et sur l’écran les pages d’ici & de nulle part. Tard dans la soirée l’écrivain américain grommelait : "Maya, Maya it’s all showbiz".
Il n’y a pas d’époque
mythique.
Baratin de profs, de critiques. Thérapeutiques
aveugles. WSB a su profiter de la vague PunkTechno, des films, de la Pub, des
galeries à la mode, de tout ça --j’avais noté ça
dans la nuit écarlate de NO NEW YORK, dans le grenierstudio de l’Hôtel
Chelsea-- "que des drogués qui s’enculent dans les dernières lueurs
du crépuscule", la lumière coupa BLEU, lotus flottant sur les
eaux du fleuve américain, effaçant les discours des pouvoirs qui
tuent. Fumée ZigZag audessus des policiers morts. La chute de l’Amérique,
la fin de la guerre froide, etc.
NOVA BROADCAST, l’Etoile Morte, le môme Juicy Fruit, l’algèbre cool, "et rien que des pédés qui se déchirent les veines d’un bout à l’autre... les plus écœurantes pédales amerloques assises au bar de l’Ange Exterminateur" --au commencement était le cut up, au commencement de quoi, connard ?-- à défaut d’y croire la parole du cœur, de l’âme, du corps, parce qu’au commencement c’était dans l’air et dans la tête de quelques uns, Trocchi, Nuttal, Weissner, Ploog, Fauser, Breger, Lebel, Green, un saut périlleux dans la fricassée d’arcsenciel, et un pas de jitterburg devant le juke-box d’hydrogène.
WSB, l’œil qui voyage
et qui écoute derrière les lignes ennemies. L’œil nomade de la
caméra pénètre avec jouissance dans la collure-éternité.
Arrêt sur image : défonce
à la méthadone après avoir séché une demi
bouteille de gin, sourire niais flottant dans les siècles des siècles
avec les événements futurs du monde virtuel. The Blade Runner,
The Running Man -----WSB, paix, silence, sagesse, solitude. Il pourrait
dire comme Han Shan : "Pourquoi écrire ? Pourquoi ne pas écrire
? --" puis il dit : "Ecoute, y’a du fric à faire avec la scène
punk... les tshirts, les cravates, la Pub, les Ovnis, la drouille alternative,
et toute cette merde", il ajoute : "S’faire chier à peindre ? Les galéristes
ont fait faillite! Incompétents fellateurs!... Allah n’aime pas les poètes,
ni Platon, ni Clinton, ni Chirac... évidemment baratin tout prêt
pour les journalistes, mais faut jamais leur dire la vérité"--
WSB a toujours dit, souriant, à travers les mosaïques d’images de
Time Square & de Piccadilly Circus qu’il était mort.
A bord du vaisseau
spatial Bad Mary piloté par Annie-la-Pipeuse il épaule,
vise le centre comme un archer, tire, ne manque jamais la cible.
WSB avant tout, avant rien, plein
de rêves clairs, terrifiants, dérivant sur le fleuve d’étoiles.
Je transpire. Je ne
suis plus triste.
Je souris en écrivant.
Je me souviens d’un soir où
nous dînâmes chez un avocat marron qui vivait dans les appartements
de sa Grâcieuse Majesté. Nous nous ramassâmes une pétée
à la Smirnoff 100° après avoir fumé le hash que Brion
nous avait offert la veille. WSB piqua une tête dans la soupe aux lentilles
et essuya ses lunettes avec une tranche de mie de pain.
C’est comme ça que je l’aimais
le plus, seul, débarrassé d’un entourage peu savoureux. Maître
Absolu à bord du Titanic, murmurant :
"Bande de gouines la résurrection
est en vous!... Nixon a sauvé le dollar, l’enfoiré entrera dans
l’Histoire par la grande porte... il a bousillé le caractère sacré
de la présidence."
Nous avons travaillé
avec lui et sans lui.
C’était cool.
Eté 97, New
York State, la machine explose, la Nova durcit, le Ticket Mou survole Terra
Incognita. Police-Image & CyberGestapo sur l’avant-scène éclatée
de la rue du Silence.
Effaçant les mots au commencement
de quoi ?
"Nous sommes là pour partir."
"OK, mais où ? Sous ce putain
de ciel de merde partir, ne jamais revenir."
Si longtemps assis à ses côtés,
charmés par son étonnante lucidité coupée en facettes,
éblouis par ses explosions d’images, transpercés par les clous
d’émeraude de son humour, toujours étonnés par sa politesse
et sa générosité --lisant pour une ombre dans le vaste
ciel du Kansas, effaçant symboles & concepts d’identité, partir,
ne jamais revenir-- WSB, rien de plus, rien de moins, à travers un nuage,
souligné, en slow motion, dans cet après-midi coloré
d'août, TRAVERSEZ LA CHAMBRE GRISE, ÉCOUTEZ MES DERNIERS MOTS N’IMPORTE
QUEL MONDE, taggé sur un nuage.
Souvenirs, souvenirs de l’empire des morts.WSB, étoile filante qui brillera mille ans après sa disparition. "Le miroir parfait de son époque" dit JG Ballard, surgissant d’entre les pages du Guardian à bord d’une camionnette banalisée.
Séquences-syncopes. Poussières années-lumière.
Poussières be-bop-a-lula.
Poussières-beat generation.
Poussières au bout des mots ou il y a toujours quelqu’un de mort ou de vivant, ou qui fait semblant.
Poussières sur la table aux crevés.
Poussières crachées sur vos tombes.
Poussières du vieux rêve américain.
Poussières d’arc-en-ciel.
Poussières abonnées au soleil.
Poussières qui prennent une forme écrite.
Par exemple une lettre ; Phil Morin, ce matin, postée à Tenerife : "Du volcan s’échappe une coulée de lave figée, terre calcinée, presque noire, comme une tache d’encre."
Bien sûr, plus d’un mois après le départ de WSB, j'ai reçu la tartouille française, ouh lala! sauve qui peut!... "flashorgasmecomplotdope & rock'n'roll", tout ça bidon dispersé dans quotidiens & hebdos. Quelle tristesse!... sans parler des regards sournois du côté de Joe Brainard & de Ray Johnson. Bon. OK. C'est cool. Nous avons l’habitude.
"WSB ne rêve
plus, WSB rêve encore", c’est ce que disent les uns et les autres en se
grattant ce qui leur reste de baba.
WSB s’est éteint parce que
tout bêtement son cœur s’est arrêté de battre. Et comme dans
le flux d’une peinture d’Errò ou d’une épidémie de Joël
Hubaut la beauté s’est assise et a pleuré. Dans les rues de l'océan
les images sexy ressemblent aux étoiles à mille branches. Les
Muses, affalées sur leurs Himalayas de culottes crades, commencent à
gémir. Pop-Stars & trous du cul, groupies & losers,
Symphonie Pour Un Blue Jean Crade.
Les ruses de l'information, les arnaques
des tabloïds & de l’Industrie Culturelle, tout ça en fondu enchaîné
dans le magma des anciennes catastrophes.
Et
on retrouve ce vieux rocker, hébété, enculé
jusqu’à l’os, grattant une guitare pourrie devant un feu de bois dans
le désert de Gobi. Alors WSB dit :
"Ça t’apprendra enculé
de ta race pourrie à faire l’artiste, moi faut que j’gagne ma vie."
La vraie vie est une boîte
aux lettres pleine à craquer, pas ce putain de courrier électronique
qui pue jusqu’au ciel aussi, entre deux rôts d’entre-deux-ou-trois guerres,
nous entendons les soupirs de la pédale absolue expulsée des chiottes
d’un uniprix ---la "vraie vie", ils s’en gargarisent dans leurs deux-pièces-cuisines
& à la cantoche du campus--- sans parler du FLASH-ORGASME-COMPLOT,
et on mélange tout, de la resucée piquée ici et là,
on raconte ce qu’on a entendu, anecdotes, bribes de conversations, ragots, fables
pitoyables, et on prétend avoir côtoyé WSB, avoir fait Zazendanslemétro
avec Ginsberg, tapé sur le bide de Mick Jagger, et puis d’autres parlent
de l’idéologie des beatniks, d’une génération qui n’a jamais
existé, on réduit cette époque à quelques noms,
papes, chefs de file, leaders, on s’aveugle délibérément
et pour toujours.
Moi, personnellement, j’m’en branle.
(Je n’ai même pas eu la patience de lire ces articles. Pour Allen, Anatole Bosquet du Figaro s’est distingué. Cette vieille greluche-indic doit avoir un fion de 9 centimètres de diamètre. Ici, George WillSuper Nerd, de Newsweek, fit de même.)
Les agents publics
de la Nomenklatura ressortent tout ce qu’ils ont glané au fil des ans.
Ça schlingue le vieux placard à balais. Ils mentent bien sûr.
Tu parles si je les connais leurs rendezvous, leurs défonces, leurs entretiens
"Peuvent aller se battre la queue au terminal de l’aéroport" ah, voilà
le Smicard universitaire, le Rmiste céleste, le directeur de collection,
le commissaire aux affaires culturelles libre-service macro-micro, le service
n’est pas compris donc dans l’état actuel des choses pas de commission
pour l’agent très spécial que nous avons surnommé le Chacal.
La grande mouille, le ministre de la Culture leur remet des décorations,
la muse glamoureuse sort des vieilles affiches de cinéma des années
50 et se barbouille du jus vert qui lui coule du con. La vieille Europe vacille,
l’Amérique devient sénile. On ne pénètre pas comme
ça dans les quartiers mal famés de l’intelligence.
J’peux plus cloper ni fumer de pétards.
Où est-elle la clef des champs
?
La chimie de l’âme en jachères
je connais.
Dieu cligne de l’œil, ramasse ses
billes, vous refile un ticket passe-partout, et puis plus rien.
Le pauvre Kurt Cobain s’est flingué
connement alors que WSB lui disait : "Fiston tu ferais mieux de dresser une
liste des enfoirés que tu peux pas blairer et les allumer au fusil à
canon scié."
Kurt n’a pas écouté.
Courtney a ramassé ses dominos
et est devenue une belle dame de cœur.
Poussières
d’années-lumière.
Poussières de l’oubli.
Poussières de vie & de
mort.
Poussières de silence.
Tout se transforme en poussière,
même l’eau de toilette de Marcel Duchamp, les chorus de Parker & de
Kerouac, les syncopes de Monk, les mantras d’Allen.
Poussières d’écriture
blanche & invisible.
Poussières de la rue du Silence
& de la rue d’Amour.
Poussières dans le bleunoir
piqueté d’étoiles.
Poussières d’aéroports
& d’hôpitaux.
Ce jour-là, après le
coup de téléphone de Pam & les flashes télévisés,
ce fut un jour sans bruit, sans silence.