La revue TXT a été fondée en 1969 par de jeunes écrivains, venus de la « poésie » et dont l’objectif principal était d’en finir avec le rituel « poétique » alors dominant : queues de la comète surréaliste, flonflons « engagés » style action poétique, increvables intermittences du cœur lyrique, — en bref : la sempiternelle « magie hasardeuse » (Artaud) sans rapport avec les exigences d’un traitement moderne (post-freudien, post-structuraliste) des questions de langage et d’investissement, dans sa langue, du sujet qui écrit. D’où, dans la double foulée de l’explosion idéologique de Mai 68 et des propositions théoriques développées alors autour de la revue Tel Quel, la publication de textes (E. Clémens, Ch. Prigent, J.P. Verheggen, J.L. Steinmetz) qui cherchaient à faire surgir, au travers de la forme « poétique », la violence d’une écriture dite « carnavalesque » qui marquera très vite la trace spécifique des écrivains « txt » : exploitation des ressources du jeu phonétique (lapsus, calembours, anagrammes), éclatement typographiques (dans la reprise du « Coup de dé » mallarméen), travail à base de cut-up, ready-made, détournement malaxé de slogans politiques ou publicitaires, pluralité des lectures, textes ouverts à la poussée sonore des instances inconscientes.
D’où aussi des numéros spéciaux consacrés à une réflexion plus théorique sur la question de la « poésie », ses implications philosophiques et son fonctionnement dans la culture moderne : TXT N°3-4, sur l’œuvre de Francis Ponge, l’un des principaux « précurseurs » de ce type de questionnement (avec des textes de F. Ponge lui-même, de Ph. Sollers, de Denis Roche, etc.) ; TXT N°6-7, série d’études sur le travail de Denis Roche (responsable, à l’époque, d’une opération d’envergure sur la déconstruction de la formalité poétique et de ses bases idéologiques) : ce numéro comprend, entre autres, des textes de D. Roche lui-même, de H. Damisch, de Daniel Busto, E. Sanguinetti, Ch. Prigent, etc.
Liée activement aux aventures de l’avant-gardisme français dans les années 70, TXT traverse ensuite une phase de radicalisation politique et théorique. La plupart de ses membres militent dans des organisations de tendance « maoïste », tout en poursuivant un travail sur les questions artistiques, qui se traduit entre autres par la publication de bulletins d’agit-prop locale (« TXT-Belgique », « TXT-Rennes »), l’organisation d’expositions de peintres avant-gardistes (les membres du groupe Support-Surface : Dezeuze, Saytour, Viallat, etc.), la défense, dans la presse nationale (« Politique-Hebdo », etc.), des publications de l’avant-garde littéraire (Guyotat, D. Roche, Sollers, etc.). La revue cesse de paraître pendant deux ans, mais le travail d’écriture se poursuit. L’action et le débat politiques portent les écrivains de TXT à théâtraliser l’instance du stéréotype politique et l’affleurement, dans la langue « littéraire », des langues dites « basses » (argotiques, dialectales, pulsionnelles, populaires). Epuisée par des contradictions dont la question de l’invention « artistique » sera le symptôme le plus aigu (avant même que se concrétise la déconfiture de l’extrême-gauche française), la phase d’activisme politique cessera bientôt. Un numéro (8), intitulé « Babil des classes dangereuses », donnera alors corps à ces expériences d’écriture : réflexions, à partir de Maïakovski (dont ce n° publie 30 pages inédites), sur le rapport avant-gardisme politique/avant-gardisme artistique, publication de textes de fictions animés par ce surgissement des langues « basses » : « Le Babil des classes dangereuses », de Valère Novarina, « Oeuf-Glotte » de Christian Prigent, « Tableau rouge », de Jean-Pierre Verheggen.
TXT est alors édité par Christian Bourgois, qui publie simultanément une « Collection TXT », dirigée par Ch. Prigent, et où paraîtront entre autres « Le Degré Zorro de l’Ecriture », de Jean-Pierre Verheggen, « Power-/Powder », de Christian Prigent, « La Lutte des morts », de V. Novarina et un volume de textes inédits du grand poète russe Vélimir Khlebnikov : « La Création verbale ». La revue publie alors un dossier consacré à cet écrivain, précisément préoccupé par le jeu de l’oralité pulsionnelle dans l’écrit (la langue « zaoum »), et, contre tout formalisme, par le souci de voir l’écrit répondre à ce qu’Antonin Artaud appelait « les colères errantes de l’époque » : « L’art a pour devoir social de donner issue aux angoisses de son époque. L’artiste qui n’a pas abrité au fond de son cœur le cœur de son époque, l’artiste qui ignore qu’il est un bouc émissaire, que son devoir est d’aimanter, d’attirer, de faire tomber sur ses épaules les colères errantes de l’époque pour la décharger de son mal-être psychologique, celui-là n’est pas un artiste » (ce texte figurait au dos de couverture de TXT N°9). Les n°s suivants s’efforcent de répondre à cette exigence : « L’écrit, le caca » (TXT N°10), travail autour de la question du fonctionnement de l’analité dans l’écriture et la peinture (avec des inédits d’Artaud, Freud, Burroughs, Viallat, etc.) ; « Le Poids de la langue » (avec des dossiers e.e-.cummings, Gertrude Stein, et l’arrivée de nouveaux collaborateurs comme G.G. Lemaire, C. Minière, J. Demarcq) ; « L’Acteur » (sur le travail de V. Novarina, avec une large enquête sur « l’organe d’écriture »). Les membres de TXT continuent parallèlement à collaborer à d’autres revues comme « Tel Quel », « Critique », « Art Press », « Spirales », etc… Et le rapport avec la peinture se fait de plus en plus étroit : collaboration régulière à TXT d’artistes comme Philippe Boutibonnes et Daniel Busto ; création de la collection Muro Torto, alliant textes et travaux de peintres ; livre de C. Prigent sur Claude Viallat ; publication de textes et dessins de peintres : Daniel Dezeuze, Jean-Louis Vila, Jean Clareboudt, Mathias Pérez, Pierre Buraglio…
Plus récemment, et contre la rumeur de mode intellectuelle qui voudrait que c’en soit fini des « avant-gardes », que la guerre des signes soit éteinte, que la communauté intellectuelle se resserre autour de son désir de soumission au code dominant des grands médias et aux fantasmes d’animation culturelle du nouveau pouvoir politique, TXT propose au contraire de faire insister cette guerre, dans la pensée et l’écriture. D’où des numéros comme « Au delà du principe d’avant-garde », « La Poésie c’est à dire l’écriture », « IntrAduction aux étrangers », qui posent plus que jamais la question de l’invention stylistique, des « grandes irrégularités de langage », d’une langue pour toucher à l’inconscient et poursuivre, dans la certitude que « toute langue est étrangère », la tradition de cruauté carnavalesque de Rabelais, Jarry, Artaud, Khlebnikov. Parallèlement, les membres de TXT interviennent fréquemment en public pour des « lectures » de textes qui ont pour but de manifester, dans l’écrit, le surgissement du son, de la voix, des portées scandées du style comme rupture, chant, litanie excentrée.