Écouter et lire Adorno
deux conférences en français


merci à Raphaël Badawi pour le repiquage des flux,
à Maëlig C. et Claude Grunspan pour les scans et
corrections du texte publié et surtout à Thomas Deville
pour les retranscriptions des conférences.

 

 

  1. 1963 L'industrie Culturelle, mp3

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  2. sept 1967 L'art et les arts, mp3
    (rencontres internationales de Genève)

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3. L'art et les arts - publication

Theodor Adorno - 1966

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Ce texte a été co-traduit par Jean Lauxerois et Peter Szendy
in L'art et les arts coll. Arts & esthétique éd. Desclée de Brouwer, janvier 2002.
Merci à Maëlig C. et Claude G. pour le scan et la correction

Dans l'évolution la plus récente, les frontières entre les genres artistiques fluent les unes dans les autres, ou plus précisément : leurs lignes de démarcation s'effrangent. Certaines techniques musicales ont, de toute évidence, été suscitées par des techniques picturales, que ce soit par ce qu'on appelle l'informel ou par la construction du type Mondrian. Dans bien des cas, la musique tend au graphisme par sa notation. Non seulement cette notation devient ici semblable à des figures graphiques autonomes, mais plus encore, c'est son essence graphique qui prend une certaine indépendance face à la composition. Là où c'est le plus frappant, c'est peut-être dans les œuvres de l'Italien Sylvano Bussotti, qui est venu à la musique par les arts graphiques. Des techniques spécifiquement musicales, comme la sérielle, ont influencé, en tant que principe de construction, la narration moderne (notamment celle de Hans G. Helms), compensant ainsi le retrait du contenu narratif. La peinture, quant à elle, ne veut plus désormais se contenter de la surface. Qu'elle ait renoncé à l'illusion de la perspective la pousse à son tour dans l'espace : pensons à Nesch, ou aux constructions proliférantes de Bernhard Schulze. Avec les mobiles de Calder, si la sculpture cesse d'être en repos dans toutes ses parties, ce n'est désormais plus, comme dans sa phase impressionniste, en imitant le mouvement; elle voudrait, selon le principe aléatoire de la harpe éolienne, se temporaliser elle-même, au moins en partie. Par ailleurs, du fait de leur interchangeabilité ou de leur permutabilité, les sections musicales perdent un peu du caractère contraignant de leur succession chronologique : elles renoncent à leur similitude avec des relations causales. De même, les sculpteurs ne respectent plus cette frontière entre sculpture et architecture qui paraît aller de soi au vu de la différence entre le fonctionnel et le non-fonctionnel ; tout récemment, Fritz Wotruba m'a fait remarquer que nombre de ses sculptures deviennent des constructions quasi architectoniques (il se référait expressément à Scharoun), en un processus qui s'amorce avec des rudiments de figure humaine, et au cours duquel l'objet se perd de plus en plus. C'est en homme habitué à référer les expériences esthétiques au domaine qui lui est le plus familier, la musique, que je relève pareils phénomènes, avec l'arbitraire de l'observation toute fraîche ; ce n'est pas à moi de les classer. Mais il y a une telle variété et une telle insistance dans ce phénomène qu'il faudrait être aveugle pour ne pas soupçonner là les symptômes d'une tendance puissante. Il faut la saisir, et si possible, interpréter le processus d'effrangement.

Sa violence est la plus grande là où il jaillit du genre artistique lui-même, de manière effectivement immanente. Certes, inutile de nier que certains louchent d'un côté ou d'un autre. Quand des compositions vont chercher leur titre chez Klee, on suspectera qu'elles sont d'essence décorative, donc le contraire de cette modernité à laquelle elles cherchent à coller par de tels intitulés. Toutefois, pareilles propensions ne méritent assurément pas le dénigrement auquel se plaisent ceux qui sont rompus à l'exercice de l'indignation contre un prétendu snobisme. Ce sont les immobilistes qui parlent plus volontiers de suiveurs. En vérité, ils visent les précurseurs. L'immunité contre l'esprit du temps n'est pas, en tant que telle, un mérite. Elle témoigne rarement d'une résistance, le plus souvent d'un provincialisme ; même dans la pâle figure de l'imitation, il y a quelque chose qui pousse à être moderne, voire une parcelle de force productive.

Mais avec la tendance à l'effrangement, on a affaire à bien plus qu'à de l'ostentation ou qu'à cette synthèse suspecte dont les survivances, qui se présentent au nom de l'œuvre d'art totale, ont de quoi effrayer ; si les happenings se veulent des œuvres d'art totales, c'est uniquement en tant qu'oeuvres absolument anti-art. Ainsi, en musique, la juxtaposition par touches des valeurs — évoquant de manière frappante des procédés — doit être dérivée du principe de la mélodie de timbres, c'est-à-dire du principe de l'intégration du timbre comme élément constitutif, et non de l'imitation d'effets picturaux. Il y a bientôt soixante ans, Webern écrivit des pièces où la note est un point sonore, critiquant ainsi cette vaine lubie qui laisse si facilement accroire que, dans l'extension musicale, il se passerait quelque chose. Et les notations graphiques, dans l'invention desquelles le ludisme a sa part bien légitime, correspondent au besoin de fixer les événements musicaux de manière plus flexible, et donc plus précise, qu'avec les signes usuels, étalonnés pour la tonalité ; ou inversement, elles visent parfois à ménager un peu d'espace pour l'improvisation dans la restitution. Dans tous les cas, on obéit donc là à des desiderata d'ordre strictement musical. Il ne devrait pas être trop difficile de reconnaître que la plupart des phénomènes d'effrangement obéissent à des motivations immanentes du même ordre. Si je ne m'abuse, ceux qui spatialisent la peinture cherchent un équivalent au principe d'organisation formelle qui s'est perdu au moment où la peinture s'est dotée de la perspective. De manière analogue, certaines innovations musicales, négligeant ce que le fonds traditionnel avait prévu et sélectionné d'avance au titre de musique, tiennent au fait que l'harmonie, dimension de la profondeur, s'est perdue, ainsi les types formels qui lui appartiennent. Ce qui fait sauter les barrières des frontières entre les genres, c'est le mouvement de forces historiques qui se sont éveillées à l'intérieur des frontières et les ont finalement submergées.

Ce processus joue vraisemblablement un rôle considérable dans l'antagonisme entre l'art contemporain le plus avancé et ce qu'on appelle le grand public. Lorsqu'on porte atteinte aux frontières, l'angoisse de défense face au mêlé se réveille facilement. Ce dispositif a trouvé son expression pathogène dans le culte national-socialiste de la race pure et dans ses invectives contre l'hybride. Tout ce qui ne s'en tient pas à la discipline de territoires établis une fois pour toutes passe pour indocile et décadent, alors que l'origine de ces territoires n'est pas naturelle mais bien historique, et que certains d'entre eux sont aussi tard venus que l'a été l'émancipation définitive de la sculpture vis-à-vis de l'architecture, à laquelle elle s'était trouvée pour la dernière fois réunie dans le baroque. Face à des évolutions qu'on estime inconciliables avec le genre artistique au sein duquel elles sont advenues, il y a une forme normale de résistance qui est familière au musicien ; c'est la question : « Est-ce encore de la musique ? » Elle était depuis longtemps reprise en chœur, tandis que la musique suivait son cours, réglé par une législation certes modifiée, mais indubitablement immanente. Cette question petite-bourgeoise (« Est-ce encore ? »), l'avant-garde la prend aujourd'hui au mot. On y répond parfois par une musique qui, en effet, ne se veut plus musique. Ainsi, tel quatuor à cordes du compositeur italien Franco Donatoni est exclusivement un montage des bruits produits par les quatre instruments. Les Atmosphères de György Ligeti, riches de significations et fortement configurées, ne connaissent plus de sonorités individuées, susceptibles d'être distinguées au sens traditionnel. Ionisation d'Edgar Varèse, une oeuvre qui a déjà plusieurs décennies, était une préfiguration de telles entreprises ; préfiguration, car malgré l'abandon presque total des hauteurs déterminées, l'impression musicale produite restait encore relativement traditionnelle, du fait des procédés rythmiques. Les genres artistiques semblent se réjouir d'une sorte de promiscuité, qui transgresse les tabous civilisés.

Toutefois, alors même que le brouillage des catégories artistiques bien rangées donne des angoisses quant à la civilisation, cette tendance, à l'insu des angoissés eux-mêmes, coopère au mouvement de la raison et de la civilisation dont l'art a toujours participé. En 1938, un professeur associé à l'Université de Graz, du nom d'Othmar Sterzinger, a publié un livre, Fondements de la psychologie de l'art, qu'il dédiait « aux amis des arts ». L'attendrissement tout philistin de ce pluriel éclaire la chose : il s'agit d'une pluralité de marchandises qui, étalées de la cuisine au salon devant le spectateur contemplatif, seront d'ailleurs effectivement passées en revue et savourées dans le livre. Vu la formule en style d'éloge funèbre (feu le bourgeois aurait été un ami des arts et les aurait encouragés), on comprend l'impatience de l'art face à une multiplicité de cette espèce. En règle générale, elle accompagne l'idée tout aussi détestable de la jouissance esthétique qui, dans le domaine d'élection de Sterzinger, fête ses pauvres orgies de répétition entêtée. L'art ne voudrait plus avoir à faire avec des amis si délicats, au-delà de ce qu'imposent les contraintes matérielles ; my music is not lovely, grogna Schönberg à Hollywood lorsqu'un grand manitou de l'industrie du film, qui ne connaissait pas sa musique, voulut lui faire un compliment. L'art congédie son élément culinaire ; cet élément est devenu inconciliable avec l'élément spirituel, lorsqu'il a perdu son innocence, celle du temps où il ne faisait qu'un avec la composition — composition dont l'euphonie avait fini par être une fonction dans le progrès de la maîtrise du matériau. Entre-temps, l'élément culinaire — l'excitation sensible — s'est séparé pour devenir but en soi, pour être rationnellement et indépendamment planifié : dès lors, l'art se révolte contre toute dépendance à l'égard de matériaux donnés d'avance, qui font obstacle à l'autonomie de la configuration. Dépendance qui se reflète dans la classification de l'art selon les arts. Car au flou des éléments de l'excitation sensible correspond la dispersion des matériaux.

La grande philosophie — Hegel et Schopenhauer chacun à sa manière — a fait l'épreuve de cette pluralité hétérogène, et tenté la synthèse théorique de la juxtaposition ; Schopenhauer, dans un système hiérarchique couronné par la musique ; Hegel, dans un système historico-dialectique qui devait s'accomplir dans la poésie. Ce fut insuffisant dans les deux cas. Manifestement, l'importance des oeuvres d'art n'obéit pas à l'échelle de valeurs propre aux systèmes de leurs différents genres. Elle ne dépend ni de la position du genre dans la hiérarchie, ni — comme d'ailleurs le classique qu'était Hegel s'est bien gardé de le prétendre — de sa position au sein d'un processus d'évolution où l'ultérieur serait ipso facto le meilleur. Il serait aussi faux d'en faire un principe général que d'affirmer le contraire. La synthèse philosophique par l'idée d'art, qui voudrait dépasser l'immature juxtaposition des genres, est orientée par des jugements qui lui échappent, comme celui de Hegel sur la musique ou celui de Schopenhauer réservant une niche à la peinture d'histoire. Pour autant, la loi du mouvement de l'art lui-même s'approche d'une telle synthèse. Le livre de Kandinsky, Du spirituel dans l'art, dont le titre formulait tant bien que mal le programme latent des expressionnistes, fut le premier à le consigner. Ce n'est pas un hasard si, au lieu d'une symbiose ou d'un agglomérat des arts, c'est ici la réciprocité technique qui entre en jeu pour une efficace prétendument renforcée.

Le triomphe de la spiritualisation dans l'art, que Hegel avait anticipé dans la construction de ce qu'il avait appelé l'œuvre d'art romantique, fut pourtant une victoire à la Pyrrhus, comme tous les triomphes. Le manifeste de Kandinsky a beau faire dans la grande pensée, il n'hésite pas à recourir aux documents apocryphes, jusqu'à s'abaisser au niveau de Rudolf Steiner et de l'imposture de la Blawatzky1. Pour justifier son idée du spirituel dans l'art, Kandinsky accueille à bras ouverts tout ce qui, à l'époque, en appelait à l'Esprit contre le positivisme – il accueille même les esprits. Il ne s'agit pas là de tout mettre sur le compte de la seule désorientation théorique de l'artiste. Ils étaient et sont encore nombreux à ressentir, dans la pratique de leur métier, la nécessité d'une apologétique de nature théorique. C'est l'évidence perdue de leurs objets et de leurs procédures qui les engage dans des réflexions qu'ils ne maîtrisent pas toujours. Cultivés à demi, c'est pêle-mêle qu'ils se servent là où ils peuvent. Mais il y a plus ici qu' insuffisances subjectives de la pensée. Car si l'écrit de Kandinsky fixe fidèlement l'expérience du moment, la teneur même de cette expérience a aussi, outre sa vérité, son équivoque. D'où la nécessité de l'étayer avec de l'équivoque. L'Esprit qui, dans l'art, ne trouve plus à se satisfaire dans l'apparition sensible, s'autonomise. C'est inéluctable, et chacun peut le vérifier, aujourd'hui comme il y a cinquante ans, en voyant que « ça ne marche plus », lorsqu'il tombe sur des oeuvres d'art qui visent à complaire au sensible, si authentiques soient-elles. Mais une telle autonomisation, légitime et inéluctable, pose presque inévitablement l'Esprit comme séparé (Hegel aurait dit abstrait) face aux matériaux et procédures des œuvres. L'Esprit leur est ainsi ajouté, comme il l'était autrefois dans les allégories. Quant à savoir quel est le sensible qui a une signification spirituelle – s'agissant par exemple de la valeur symbolique des couleurs –, quant à savoir ce qu'est cette signification, c'est non sans paradoxe la convention qui en décide, c'est-à-dire précisément la catégorie contre laquelle le mouvement de l'art moderne dans son ensemble s'est le plus fortement révolté. Cela se confirme par les liens transversaux que l'art radical a entretenus à ses débuts avec les arts décoratifs. Des couleurs, des sonorités, que sais-je encore, prétendument signifiantes en elles-mêmes, jouent ici un rôle trouble. Les œuvres d'art qui, avec raison, dévalorisent l'excitation sensible, ont pourtant besoin d'éléments qui portent le sensible pour, selon le mot de Cézanne, se réaliser. Plus elles persévèrent, avec conséquence et sans arrière-pensée, dans leur spiritualisation, plus elles s'éloignent de ce qu'il y aurait à spiritualiser. L'esprit de ces œuvres, pour ainsi dire, flotte au-dessus d'elles : entre lui et les éléments qui le portent, il y a la béance des gouffres. Le primat de la cohésion, que le principe de construction met en oeuvre dans le matériau, se renverse quand l'esprit domine le matériau, et cet esprit – l'esprit du sens immanent – se perd.

Depuis, tout art fait l'épreuve de cette aporie, et l'art le plus sérieux dans la douleur la plus grande. La spiritualisation, le fait de disposer rationnellement des procédures, semble évacuer l'esprit en tant que teneur même de l'affaire. Ce qui tendait à spiritualiser le matériau aboutit au matériau nu, pur et simple étant; dans les évolutions les plus récentes, c'est d'ailleurs ce que certaines écoles, comme celle de John Cage en musique, ont expressément réclamé. Cet esprit que Kandinsky et, de façon assurément analogue, le Schönberg de la période expressionniste ont âprement défendu pour sa vérité immaculée et sans métaphore (même chez Schönberg, cela n'allait pas sans une théosophie qui, pour ainsi dire, cite l'esprit à comparaître dans l'existence), cet esprit n'engage à rien, et c'est justement pourquoi il est glorifié pour lui-même : « Tu dois croire à l'esprit ! »

Pour autant, les genres artistiques singuliers s'efforcent d'aller vers leur généralisation concrète, vers une idée de l'art, tout simplement. Mais la musique permettra d'éclaircir ce point. Schönberg est celui qui a le plus fortement contribué à l'unification des dimensions compositionnelles, par son procédé intégratif qui les incluait toutes. Cette unification, il l'a formulée en concevant une théorie de la cohésion musicale. Il s'agissait de soumettre à celle-ci tous les éléments particuliers du travail musical ; pour lui, pareille théorie était ni plus ni moins théorie de la composition. Sous le primat de la cohésion, on peut subsumer, de manière éclairante, les évolutions de la musique au cours des vingt dernières années. En suivant, consciemment ou non, le programme de Schönberg, elles ont porté atteinte à ce qui, jusqu'alors et chez lui encore, valait pour musical. Il unifiait virtuellement tout ce que l'histoire objective et non encore réfléchie de la musique, avait produit comme moyens de former des connexions, au profit de l'oeuvre organisée en soi de part en part. Mais, confrontés à la norme de la finalité artistique, ces moyens, quant à eux, se sont bien vite révélés aléatoires, limités – cas particuliers de la cohésion musicale générale : ainsi, à l'intérieur de l'oeuvre de Schönberg encore, la tonalité s'est révélée être un cas particulier de formes de cohésion mélodico-harmonique auxquelles il pouvait avoir recours de temps à autre. D'une portée incommensurable fut alors, après Schönberg, le pas consistant à libérer de ses présupposés hérités le concept de « cohésion » auquel il était parvenu, et de le libérer ainsi de tout ce qui avait sédimenté dans le concept de « musical ». La musique était devenue allergique même à ces moyens de former des connexions que sont l'atonalité libre et la technique dodécaphonique, dans lesquelles elle tentait, d'une ouïe aiguisée, de débusquer les traces de cette tonalité qui s'y trouvait niée : la musique donnait ainsi libre champ au concept de cohésion, indépendamment de ses configurations limitées que l'ouïe avait depuis longtemps incorporées. Tout le travail de Stockhausen peut être appréhendé comme la tentative de faire l'épreuve des possibilités d'une cohésion musicale au sein d'un continuum multidimensionnel. Une telle souveraineté, qui permet de fonder la cohésion sur une multiplicité incommensurable de dimensions, crée de l'intérieur la liaison de la musique avec le visuel, avec l'architecture, la sculpture et la peinture. Plus les moyens dont dispose chaque genre artistique pour former des connexions s'élargissent au-delà du fonds hérité, et pour ainsi dire se formalisent, plus les genres sont alors soumis à un identique (einem Identischen).

Certes, l'exigence que soient unifiés en l'art les genres artistiques – exigence dont on trouve la préfiguration dans les procédés intégratifs à l'intérieur de genre singulier – est plus ancienne que la modernité. C'est Robert Schumann qui a forgé cette sentence : l'esthétique d'un art est aussi celle des autres . Il l'entendait à la romantique, avec en pointe l'idée que la musique avait à donner une âme à ses éléments architectoniques, devenus formules toutes faites dès lors très choquants; elle devait devenir poétique, ainsi que l'était Beethoven qui valait, aux yeux de la génération suivante, comme compositeur de poèmes symphoniques. Au contraire de ce qui a lieu avec l'effrangement moderne, l'accent était mis sur la subjectivité. Les oeuvres d'art devenaient l'empreinte d'une âme – celle-ci ne coïncidant aucunement avec la singularité du compositeur –, elles devenaient la langue du Moi s'exprimant librement ; c'est cela qui rapprochait les arts les uns des autres. Il serait facile de montrer à quel point tous les genres étaient semblablement transis du souffle de l'âme. Mais leurs frontières n'en ont quasiment pas été dérangées pour autant. Elles sont restées ce qu'elles étaient, et ce décalage n'est pas le moindre des motifs critiques aux yeux de l'évolution la plus récente. Ce qu'il y a de problématique dans la prévalence de l'aspect esthétique – en tant que transi d'âme – sur ses moyens, se donne à lire au mieux dans cette catégorie caractéristique : la Stimmung. A partir d'un certain point – le rejet du néoromantisme et de l'impressionnisme –, c'est contre elle que s'est tournée la modernité. Il y avait bien quelque chose d'irritant dans le mou et le fluant de la Stimmung : mais ce n'était pas tant ce narcissisme que les réactionnaires, amateurs d'un art bien nourrissant, reprochent à la différenciation au processus de laquelle ils sont incapables de participer ; c'était plutôt une composante de l'objectivité de la chose, c'est-à-dire un manque de résistance au cœur de sa composition interne. Là où la composition recherche la Stimmung dans une autocélébration informe, l'altérité est l'élément qui fait défaut. Il faut à l'art, pour qu'il devienne art, quelque chose qui lui est hétérogène. Sinon, le processus qu'est chaque oeuvre d'art, en elle-même et selon sa teneur, n'aurait aucune prise et se déroulerait en soi, à vide. L'opposition de l'œuvre d'art à la sphère de l'objet devient productive, l'œuvre devient authentique uniquement là où elle porte à terme cette opposition de façon immanente, là où elle s'objective à même ce qu'elle consume en elle. Aucune oeuvre d'art, fût-elle la plus subjective, ne s'absorbe dans le sujet qui la constitue, elle et sa teneur. Chaque oeuvre a des matériaux qui, hétérogènes, font face au sujet, et des procédés qui dérivent autant des matériaux que de la subjectivité ; sa teneur de vérité ne s'épuise pas dans celle-ci, elle est bien plutôt redevable à une objectivation qui requiert certes le sujet comme son exécutant, mais qui, grâce à la relation immanente à cet autre, indique un au-delà du sujet.

La composante alors mise en jeu, c'est l'irréductible, le qualitativement multiple. Elle s'oppose à tout principe d'unité, et même à celui des genres artistiques, par la force de ce qu'ils expriment. Négligent-elles cela, alors les oeuvres d'art tombent facilement dans cette généralité esthétique que l'on peut observer dans les productions des gens qui, comme on dit, ont un don artistique, mais on ne sait pas pour quoi précisément et en particulier. Des artistes de très haut niveau, dont le talent n'était pas lié de manière univoque à un matériau donné, tels Richard Wagner, Alban Berg et peut-être aussi Paul Klee, ont eu bien raison de mettre leur énergie à laisser la généralité esthétique s'engloutir dans la spécificité du matériau. Pourtant, cette généralité se maintient en même temps tel un éther, telle une forme résistante qui ne trouve pas son compte dans la raideur trop réaliste de la discipline matériale. Si l'art, tant qu'il se satisfait d'une généralité esthétique, reste dans l'orbite du dilettantisme, à l'inverse l'art duquel toute trace d'un tel éther (c'est-à-dire tout simplement le fait d'être artiste) a été bannie, se dessèche en artisanat de béotien. Ce n'est pas pour rien que les partisans du mouvement dit de Volksmusik ou Jugendmusik se sont fortement irrités de la phrase de Schumann. Si l'esthétique de l'unité se précipite bien trop vite au-delà de ce qui est hétérogène à l'œuvre et dans l'œuvre (chez Schumann, ce malheureux processus s'accroît jusqu'à devenir, en tant qu'expression du malheur, une qualité esthétique de sa musique), l'exigence inverse, celle d'une légitimité qui soit issue du matériau et qui prenne les choses en main, est celle d'une légitimité qui s'autoproclame. Elle crée, pour les éléments hétérogènes de l'œuvre d'art et pour ses pratiques non filtrées par la subjectivité, le simulacre d'une teneur de vérité qu'en soi ils n'ont pas.

Le conflit entre l'art et les arts ne saurait être tranché par un jugement d'autorité en faveur du premier ou des seconds. Même dans la phase du romantisme tardif, les arts se sont soustraits à l'unification plane que l'on professait alors au nom du vouloir stylistique – car le Jugendstil n'était pas autre chose. On le sait, le rapport que les grands poètes néoromantiques comme George et Hofmannsthal eurent aux arts plastiques ne fut pas une réussite. Ils ont considéré qu'ils étaient en affinité élective avec les peintres symbolistes, comme Burne-Jones, Puvis de Chavannes ou Böcklin, et à l'intention des impressionnistes, George n'a pas reculé devant ce mot très Guillaume II : « méchants barbouilleurs ». Ils n'ont pas vu que leur poétique était mieux prise en charge par les techniques de l'impressionisme que dans des thèmes comme l'initiation à la source mystique, si décriée par la suite. La faute n'en était pas à une obnubilation littéraire, ou à une ignorance provinciale de ce qui se tramait à Paris. Il y a bien des poèmes de George dont l'imagerie est indéniablement proche de cette peinture symboliste si fatale. Mais du fait que les meilleurs d'entre eux trouvent leur force spécifique d'évidence dans la langue, et non dans la représentation optique, ils entrent dans un ordre totalement différent. Si l'on traduisait en peinture les paysages d'automne du cycle Après la vendange, ce serait du kitsch. Tandis que dans leur figure langagière, où les mots qui disent la couleur ont tout autre valeur que les couleurs présentes en chair et en os sur la toile, certains de ses poèmes défient le suranné. De telles valeurs sont ce qui, dans la poésie, la relie à la musique. La différence essentielle, quant à leur teneur, entre des genres artistiques par ailleurs très semblables dans leurs thèmes (et leurs strates associatives), c'est la musique qui la donne le plus nettement à remarquer. Certains aspects de l'expression brahmsienne : la ballade vieille-allemande, l'armure du chevalier, l'obnubilation courtoise, seuls peuvent les contester ceux dont la capacité musicale réussirait à se passer d'un tel supplément extramusical, sans lequel en fait, il n'y a pourtant pas de musicalité. Mais puisque ces éléments de l'expression brahmsienne ne sont ni chosifiés sur la toile ni exprimés avec la balourdise du verbe, puisqu'ils ne font que scintiller avant de disparaître aussitôt, ils échappent à la sphère du pléthorique. Aucune critique ne saurait décider du statut des oeuvres sur la base de ferments d'expression aussi fugaces : car jamais ils ne font saillie, désajointés et grossièrement matériels, hors de la composition. Ils se dissolvent bien plutôt dans le pur déploiement de celle-ci — langue musicale magnifiquement façonnée de part en part. Cette langue s'enflamme au contact de ces éléments hétérogènes sans jamais s'y réduire ni s'abaisser à leur niveau. Si les grandes oeuvres d'art doivent avoir de la chance pour devenir telles, alors la chance de Brahms fut que ses ballades devinrent musique, et non poèmes. Le même (das Gleiche), que les arts visent comme leur quoi, devient autre selon le comment de cette visée. Leur teneur est le rapport du quoi et du comment. Ils deviennent art grâce à leur teneur. Celle-ci a besoin de leur comment, de leur langue particulière ; à ce qui viserait une globalité plus large que le genre, elle échapperait par dissolution.

Ceux qui tentent de trancher de manière définitive la question de la priorité de l'art ou des arts en faveur du premier ou des seconds, sont le plus souvent des conservateurs en matière de culture. Car leur intérêt est de rapporter l'art à des invariants qui, ouvertement ou implicitement forgés sur des modèles passés, servent à la diffamation de ce qui est présent et à venir. Partout, la pensée conservatrice, pleinement réactionnaire, incline aux alternatives entre le bon grain et l'ivraie, elle recule d'effroi devant l'idée de la contradiction objective au sein des phénomènes. La dialectique est décriée comme sorcellerie sophistique, sans que la moindre place soit concédée à la possibilité de son fundamentum in re. En Allemagne, celui qui plaide le plus résolument pour une différence qualitative entre les arts — au point de ne quasiment plus admettre de concept d'art —, c'est Rudolf Borchardt ; bien qu'enclin à un archaïsme extrême, il a payé son tribut à Hegel dans un essai sur Benedetto Croce, où il fait pourtant montre d'une incompréhension radicale. Croyant à tort que c'est seulement avec Croce que Hegel, au-delà des querelles d'écoles, aurait fait époque, Borchardt n'a pas remarqué que Croce a dépouillé la philosophie hégélienne de son moment véritablement dialectique, devenu moment mort : il l'a nivelée en la réduisant au concept d'évolution qui était monnaie courante autour de 1900 et à la juxtaposition paisible du différent. Quant à l'intention de Borchardt, consignée dans son essai Über den Dichter und das Dichterische2, aucune dialectique ne vient l'affecter. Invoquant Herder, il voudrait — l'entendant comme langue originaire transcendante aux arts et « faculté de voyance » — mettre le poétique hors de portée de tout art. Des catégories comme l'intouchable, l'immunité divine, l'exception, la sanctification, seraient propres à la poésie et à elle seule. En une fresque historique, Borchardt dessine à grands traits le conflit toujours plus aigu entre le poétique et le monde profane. La parole est à l'irrationalisme:

Oubliez votre aisthesis, oubliez votre intelligence : le poétique ne leur est pas accessible. L'artistique peut bien leur être accessible. La littérature peut l'être aussi. Mais là où le poétique entre aujourd'hui en scène parmi vous, il s'agit, comme dans les Jours de Solon et d'Amon, d'une totalité intégrale dans laquelle se trouvent la loi, la religion, la musique, dans laquelle finalement se trouvent presque autant la formule magique que la vie vivante, bref, un tout-en-tout, une encyclopédie du monde, radicalement différente de l'encyclopédie scientifique du monde3.

Impossible de rejeter l'objection suivante: quel rapport une telle totalité encyclopédique entretient avec les arcanes borchardtiens? Borchardt poursuit:

Chaque ingenium poétique lui donne une nouvelle naissance, et elle en tire le voeu de retrouver figure, de se transporter jusqu'à vous, comme aux époques passées ; sous la forme temporelle du passé et du futur, sans présent. Elle est, comme autrefois, prédiction du futur, en elle, il y a aussi bien le futur que le jour éternel de la création : non pas en tant que révolution politique, comme les intellectuels le prétendent, mais bien en tant que retour à Dieu des enfants de Dieu, comme dans les jours anciens où le poète allait avec sa couronne et son bâton4.

Borchardt visait à rien de moins qu'à l'apothéose non métaphorique de la poésie, il visait à « laisser advenir, avec la réserve de la pudeur et une crainte respectueuse, la chose si admirable qui peut avoir encore demeure et séjour entre vous et parmi vous : le divin en ses formes propres. Attendez la révélation, et ne lui prêtez pas la main5». Or c'est là, selon Borchardt, ce qui précisément se produirait dans les autres arts, donc dans les arts plastiques. Avec une naïveté forcée, il cherche à

[...] se replacer une fois encore dans la situation de l'homme originaire, face auquel se tient d'un côté le poète, tel que j'ai tenté de le décrire, et de l'autre, l'artiste – sculpteur ou peintre. L'artiste, vous pouvez le voir au travail, vous êtes à côté de lui, vous observez comme il crée, il fond le bronze et le travaille à la lime, comme il dessine, et vous établissez clairement ce que peut bien être ce qu'il donne à voir : il modèle, et vous établissez clairement ce d'après quoi il modèle ou ce dont il prépare le modèle. Le principe d'identité d'abord, puis le regard esthétique forment leurs combinaisons selon les catégories de l'adéquat, du semblable, du beau. Néanmoins, ce qui m'importe, c'est ceci : aux yeux de l'homme naïf et originaire, le peintre ou le sculpteur est quelqu'un qui possède un métier, [...] et quelqu'un dont le travail, lorsque vous êtes à ses côtés et que vous l'observez, suscite chez l'observateur naïf une admiration étonnée, une joyeuse approbation, sans jamais être une énigme. Car vous voyez bien comment il produit son oeuvre. S'agissant du poète, au contraire, vous ne voyez pas comment. Personne ne l'a vu. Il manque dans les arts du sensible, aux yeux des Grecs et de l'homme des origines, tout ce que je viens d'énoncer devant vous : il manque le mystère, il manque le problème. Et même lorsqu'on avait affaire à des virtuosités de très haut niveau, d'un niveau toujours plus haut, ce qui leur manquait, c'était l'ivresse, c'était cette conscience qu'il y avait quelque chose de transcendant. La muse des arts plastiques ne s'appelle pas muse, elle s'appelle technè. Ce qui lui manque, c'est la démonie, l'incalculable6.

Le pathos est un peu faisandé, qui s'élève contre le monde désenchanté et réifié. La rhétorique ne résiste pas si l'on s'en tient obstinément aux phénomènes. Que les genres artistiques historiquement issus de l'artisanat soient dépourvus de la violence souveraine, de la capacité de donner une expression à l'extrême, seul peut le prétendre celui qui voudrait assigner une fois pour toutes à l'artisanat ce qui un jour a surgi comme artisanat ; seul peut le prétendre celui qui est aveugle à l'invisible dans le visible. Le faire, dans sa visibilité, ne coïncide pas avec la teneur de vérité esthétique, et l'on peut aussi lire par-dessus l'épaule du poète qui écrit. L'énigme, que Borchardt réserve à la seule poésie, est la marque de tout art qui dit, sans le dire pour autant, ce qu'il dit. Sans doute y avait-il déjà présent, à l'origine de l'art plastique, dans le pouvoir mimétique, justement cet élément qui contrarie la rationalité constructrice, cet élément dont la parole émane de la sculpture archaïque; il est absolument certain que l'art plastique, précisément avec le progrès de la technè, se l'est accaparé. L'opposition borchardtienne entre l'art plastique comme technè et la poésie n'est pas pertinente, car le médium de l'art plastique est aussi ce dont Borchardt voudrait l'éloigner: il est langue; sans parler du fait que la musique ne cadre tout simplement pas avec son schéma dichotomique.

Par ailleurs, les traits techniques — artistiques au sens strict où il l'entend — sont tout autant ceux de la poésie et contribuent de manière décisive à l'accomplir. Il est inconcevable qu'un virtuose de la langue comme Borchardt — dont le plaidoyer pour la poésie a bien dû être pro domo — ait pu y être aveugle, et qu'il ait pu, tel un compositeur d'opérette pris d'un audacieux enthousiasme pour Mozart, tout reporter sur l'inspiration. Il a traduit en allemand Pindare, Dante et — avec quelle maîtrise — Swinburne. Voudrait-il donc refuser au poète lyrique dorien ce tour de main qu'il nomme, avec une coquetterie archaïsante, banausisch7? L'œuvre du Florentin, grosse de connaissances pratiques et d'allégories, n'est-elle pour lui qu'ivresse ? N'a-t-il aucune oreille pour les composantes techniques, séparées de leur matériau et le maîtrisant par là même, dans les vers musicaux de Swinburne? Le colosse de la poésie, que la force suggestive de Borchardt fait apparaître comme par enchantement, est, selon le proverbe, un colosse aux pieds d'argile. Il n'est qu'une blague. La pléthore d'associations et d'oppositions est une tromperie sophistique : cet objet que Borchardt qualifie de sérieux entre tous, cet objet dont il aurait quelque chose à dire, dès qu'il est pris un tant soit peu au sérieux, se rit de toute tentative de fixer de manière définitive, pour ainsi dire ontologique, les genres artistiques les uns par rapport aux autres.

La position contraire, dans ce débat, à celle de Borchardt, la position de Martin Heidegger, n'est certes pas moins ontologique, même si, précisément comme telle, elle est plus réfléchie. De fait, les commentaires de Heidegger sur Hölderlin contiennent des passages qui, en s'appuyant sur les propres vers de Hölderlin, reconnaissent au poète, en tant qu'il est le fondateur, une prérogative semblable à celle que lui attribue Borchardt ; tous deux y ont été incités par l'école de George. Mais, en comparaison de l'artiste, Heidegger aspire beaucoup plus fortement à l'unité — ainsi le veut le concept de l'être qui est au centre de sa pensée. Sa théorie de l'être, qui veut que l'être soit toujours déjà dans le monde et qu'il soit transcendance jusque dans l'étant, lui interdit de sous-évaluer la technique : il en était déjà ainsi de son ancien parti pris métaphysique pour l'artisanat, modèle premier, dans Être et temps, de l'être-à-portée-de-la-main (Zuhandenheit). Si Borchardt amalgame l'art et la religion ; s'il escamote l'élément de sécularisation qui, dans l'œuvre d'art, est constitutif, le texte de Heidegger sur « l'origine de l'œuvre d'art », dans Holzwege, a, lui, le mérite de décrire sobrement la choséité de l'objet dont, comme le dit Heidegger avec ironie et à juste titre, même le fameux vécu esthétique ne parvient pas à s'approcher. La choséité et l'unité --- celle de la ratio qui, certes, disparaît dans le concept heideggérien de l'être — s'entr'appartiennent. Mais Heidegger fait un pas au-delà, jusqu'à cette proposition inacceptable pour Borchardt selon laquelle tout art est par essence de l'ordre du poétique (Dichtung), et selon laquelle, dès lors, l'art de bâtir, l'art de l'image et du son doivent être reconduits à la poésie (Poesie)8. L'arbitraire de cette proposition ne lui échappe pas, dans la mesure où elle se réfère aux arts réels comme à quelque chose d'ontique, pour reprendre sa terminologie. Il se tire d'embarras par l'ontologisation de l'artistique en tant que « projection éclaircissante de la vérité ». Ce serait là le poétique au sens large, la poésie n'en serait qu'une des guises. Au contraire de Borchardt, qui oeuvre pourtant dans la langue, Heidegger a expressément mis en avant que la langue marque tout art de son empreinte. Néanmoins, cette ontologisation escamote ce par quoi diffèrent les arts : le lien qui les rapporte à leurs matériaux devient subalterne. Il ne reste, après soustraction de ces derniers, que quelque chose d'extrêmement indéterminé, quoi que puisse en dire Heidegger. Cette indétermination passe dans la métaphysique heideggérienne de l'art sous la forme d'une tautologie : l'origine de l'œuvre d'art, dit-il avec emphase, c'est l'art. Comme toujours chez Heidegger, l'origine ne doit pas s'entendre au sens d'une genèse temporelle, mais au sens de la provenance de l'essence des oeuvres d'art. Dans cette théorie heideggérienne de l'origine, rien ne vient s'ajouter, rien ne peut s'ajouter à ce qui a jailli d'origine : sinon, il serait entaché par ce Dasein que le concept sublime d'origine voudrait précisément reléguer loin de soi. L'élément d'unité de l'art, ce qui dans l'art est proprement art, Heidegger le sauve au prix du silence respectueux que garde la théorie devant ce qu'il pourrait être. Si cet élément devient invisible avec la volte de Borchardt vers la sphère théologique en tant que seule sphère authentiquement poétique, chez Heidegger, il s'évanouit dans la pure essentialité, vide de contenu. Comme s'il était sous la pression de la pluralité qui se révolte là contre, l'élément esthétique de l'unité se racornit et devient semblable à ce que Heidegger dit de l'être : il n'est finalement rien d'autre et rien de plus que lui-même, purement et simplement. Or, l'art ne s'obtient pas par une distillation qui produirait ou son unité pure, ou la multiplicité pure des arts.

Ce qu'il faut congédier en tout cas, c'est la logique naïve selon laquelle l'art serait simplement le concept subsumant les arts, un genre qui les contiendrait comme ses espèces. Ce schéma est anéanti à même la non-homogénéité de ce qui est ainsi subsumé. Le concept subsumant perd de vue non seulement l'accident, mais encore l'essence. Il suffira de rappeler qu'il y a une différence essentielle, au moins pour la rétrospection historique, entre, d'une part, les espèces de l'art auxquelles l'image donne ou a donné son empreinte et qui continuent de manière latente à vivre sur cet héritage — ce sont les arts de l'imitation ou de la représentation —, et d'autre part, les arts qui se sont d'emblée soustraits à cette empreinte de l'image, arts sur lesquels elle n'a été greffée que peu à peu, de manière intermittente et toujours précaire, comme la musique. De plus, il règne une différence qualitative entre la poésie – qui requiert des concepts et qui, même dans sa figure la plus radicale, n'est pas totalement affranchie de l'élément conceptuel – et les espèces non conceptuelles de l'art. Certes, la musique justement, aussi longtemps qu'elle utilisait le médium prédonné de la tonalité, était dotée de composantes analogues au concept : les quelques types d'accords tonals et leurs dérivés, qui constituent comme des pions harmoniques et mélodiques. Néanmoins, ceux-ci ne furent jamais les unités marquantes de ce qu'ils auraient subsumé ; ils ne « signifiaient » pas non plus à la manière dont le concept signifie ses phénomènes ; ils pouvaient seulement, de manière analogue aux concepts, être mis en jeu comme un élément identique doté d'une fonction d'identité. Des différences comme celles-là, qui ouvrent sur des perspectives abyssales, attestent en tout cas qu'il n'y a pas, entre ce qu'on appelle les arts, un continuum qui autoriserait à penser le tout en un concept dont l'unité ne souffre d'aucune discontinuité. Sans qu'ils le sachent, les arts s'effrangent peut-être aussi pour abolir cette absence de dénominateur commun à ce qui a cours sous le même nom.

Ceci devrait s'éclairer par comparaison avec un phénomène musical et son développement : l'orchestre n'est pas un tout qui aurait en soi sa complétude, ce n'est pas un continuum de tous les timbres possibles, car entre ces timbres on perçoit des béances. L'électronique voulait certes, à l'origine, produire cette homogénéité de l'orchestre qui jusqu'à ce jour fait défaut, même si elle parvint rapidement à la conscience de sa différence d'avec toutes les sources sonores traditionnelles, et ainsi sacrifia le paradigme de l'orchestre intégral. On peut, sans forcer, comparer le rapport de l'art aux arts et celui de l'orchestre, tel qu'il s'est formé historiquement, à ses instruments ; l'art est aussi peu le concept des arts que l'orchestre est le spectre des timbres. Néanmoins, le concept d'art a sa vérité – et dans l'orchestre aussi il y a l'idée de la totalité des couleurs comme telos de son évolution. Face aux arts, l'art est en formation, potentiellement contenu dans chaque art singulier, dans la mesure où chaque art doit s'efforcer de se libérer de l'aléatoire de ses éléments quasi naturels en les traversant. Une telle idée de l'art dans les arts n'est toutefois pas positive, rien qui soit en eux simplement là présent: elle doit être exclusivement appréhendée comme négation. Si l'on ne s'en tient pas à un concept classificatoire et vide, c'est seulement de manière négative que l'on obtient ce qui unit les types d'art quant au contenu: tous se démarquent de la réalité empirique, tous tendent à la formation d'une sphère qui s'oppose qualitativement à cette réalité-là ; historiquement, les types d'art sécularisent la sphère magique et sacrée. Tous requièrent des éléments issus de la réalité empirique dont ils s'éloignent ; et pourtant leurs réalisations tombent à leur tour dans l'empirie. Voilà qui conditionne la double position de l'art envers ses genres. Vu la part inextinguible qu'il prend à l'empirie, l'art n'existe que dans les arts, dont le rapport discontinu les uns aux autres est prescrit par l'empirie extra-artistique. En revanche, en tant qu'antithèse de l'empirie, l'art est un. Son essence dialectique réside en ceci : il n'accomplit son mouvement vers l'unité qu'en traversant la pluralité. Sinon, ce mouvement resterait abstrait et impuissant. Le rapport de l'art à la strate empirique est essentiel à l'art lui-même. S'il l'outrepasse, ce qu'il tient pour son esprit lui reste extérieur, comme la première matière venue ; ce n'est qu'au cœur de la strate empirique que l'esprit prend teneur. La constellation que forment l'art et les arts habite l'art lui-même. L'esprit s'étend entre deux pôles : une composante rationnelle fondatrice d'unité et une composante diffuse, mimétique. Aucun de ces deux pôles ne doit être isolé ; et l'art ne doit pas être réduit à l'un des deux, ni même à leur dualisme.

Il y aurait par ailleurs trop de naïveté dans l'idée d'un passage des arts à l'art tel qu'il n'inclurait pas en lui ce que la teneur peut avoir de non-esthétique. L'histoire de l'art récent est dans une large mesure celle de la perte du sens métaphysique, selon une logique irrévocable. S'il est certain que les genres artistiques, selon les lois de leurs mouvements propres, ne veulent pas en rester à leurs zones respectives, il est tout aussi sûr que c'est en liaison étroite avec cette perte du sens que se sont développées les impulsions des artistes presque spontanément accordés à cette tendance. Les artistes font de cette perte leur cause, ils voudraient, selon leur innervation propre, aller droit jusqu'à elle. Que la théorie esthétique trouve le mot qui convient pour cela, ou, cas le plus fréquent, qu'elle se prenne la tête à deux mains en clopinant derrière l'évolution dépend pour beaucoup du regard qu'elle porte au coeur de ce qui, dans l'esprit artistique, sabote le sens de l'art.

Certes, ils sont nombreux à se fier à une tendance qui les décharge de leur propre effort, et qui leur promet un substitut à cette sécurité que, tout au long de la modernité, l'art a mise à mal en s'émancipant de ses types et de ses schemata. On ne peut s'empêcher de faire l'analogie avec le positivisme logique du saxon, qui refoule la philosophie : un renoncement complet à tout sens, voire à l'idée même de vérité, procure manifestement un sentiment de certitude absolue et libérée du doute, même si cette certitude n'a plus aucun contenu.

Mais cela ne dit pas tout de cette ivresse de dégrisement insatiable, pour laquelle le terme d'absurde est entre-temps passé dans l'usage comme une formule magique – conscience de sa propre contradiction, conscience de l'esprit en tant qu' organe de l'absence de sens. L'expérience de cet absurde s'étend à nombre de phénomènes de la culture de masse contemporaine ; il serait infructueux de s'interroger sur leur sens puisque, précisément, ils se rebellent contre le concept de sens et contre l'affirmation que l'existence est dotée de sens. Il n'est pas rare que dans le domaine esthétique, tout en haut et tout en bas, les extrêmes se touchent. Le prétendu sens de la vie, l'art l'a mis en fiction durant des siècles et l'a martelé dans la tête des hommes ; à ses origines, même la modernité n'en a pas douté, et ce jusqu'au seuil de ce qui advient aujourd'hui. L'oeuvre d'art en elle-même dotée de sens, déterminée par l'esprit en chacune de ses composantes, était complice de l'essence affirmative de la culture, selon la formule de Herbert Marcuse. Dans la mesure où l'art était aussi d'une certaine manière une image-reflet (Abbild), sa cohésion, par l'apparence de sa nécessité, a confirmé la plénitude du sens de ce que l'image avait à refléter – même si cette réalité pouvait devenir tragique, ou si elle pouvait être dénoncée pour sa laideur. Si l'on congédie aujourd'hui le sens que peut avoir l'esthétique, c'est aussi que l'on congédie la capacité externe et interne qu'ont les oeuvres d'art de refléter en image. Hostile à un idéal d'harmonie qui présuppose pour ainsi dire comme caution du sens des relations ordonnées à l'intérieur des genres, l'effrangement des arts voudrait échapper à l'empêtrement idéologique de l'art, qui l'atteint en tant qu'art, en tant que sphère autarcique de l'esprit, jusqu'au coeur de sa constitution. C'est comme si les genres artistiques, en niant les contours fermes de leur figure, grignotaient le concept même de l'art. Le phénomène originaire de l'effrangement de l'art, on le trouve dans le principe du montage, qui s'est imposé avant la Première Guerre mondiale avec l'explosion cubiste et, certes indépendamment de celle-ci, chez des expérimentateurs comme Schwitters, puis dans le dadaïsme et le surréalisme. Mais que fait le montage, sinon perturber le sens des oeuvres d'art par une invasion de fragments issus de la réalité empirique — invasion soustraite à la législation du sens —, et du même coup infliger un démenti au sens ? L'effrangement des genres artistiques accompagne presque toujours la prise que les configurations ont sur la réalité extra-esthétique. Et c'est justement cette prise qui est strictement opposée au principe de la mise en reflet (Abbildung) de cette réalité extra-esthétique. Plus un genre laisse entrer en soi ce que son continuum immanent ne contient pas en lui-même, plus il participe à ce qui lui est étranger, à ce qui est de l'ordre de la chose, au lieu de l'imiter. Il devient virtuellement une chose parmi les choses, il devient ce dont nous ne savons pas ce que c'est.

Un tel non-savoir confère de l'expression à ce qu’à l’art d’inéluctable. Même la perte de son sens que l’art fait sienne comme s’il voulait se détruire ou se maintenir en vie par une sorte d’antidote, même cette perte de sens ne peut rester son dernier mot, quoi qu'il en ait. Le non-savoir propre à l'œuvre d'art qui emphatise l'absurde, celle de Beckett, souligne le point d'indifférence entre le sens et sa négation ; et celui qui y lirait un sens d'une rassurante positivité commettrait assurément un sacrilège contre cette indifférence. Néanmoins, il est impossible de penser une oeuvre d'art qui, tout en intégrant en soi l'hétérogène et en se tournant contre la cohésion propre de son sens, ne produise pas malgré tout un sens. Le sens métaphysique et le sens esthétique ne font pas immédiatement un, pas plus aujourd'hui qu'auparavant. Les realia étrangers au sens qui, lors du procès d'effrangement, ont atterri dans le champ des oeuvres d'art, ces realia sont potentiellement sauvés comme dotés d'un sens, en même temps qu'ils heurtent de plein fouet le sens traditionnel des oeuvres d'art. Une négation conséquente du sens que peut avoir l'esthétique ne serait possible que par l'abolition de l'art. Les oeuvres d'art significatives de la période la plus récente sont le rêve cauchemardesque d'une telle abolition, tandis qu'en même temps et par leur existence même, elles se hérissent contre le fait d'être abolies : comme si avec la fin de l'art, c'était celle de l'humanité qui menaçait — humanité dont la souffrance réclame l'art, et un art qui ne gomme ni n'adoucisse cette souffrance. Cet art rêve pour l'humanité le rêve anticipe de son déclin, afin qu'elle s'éveille, reste maîtresse d'elle-même et survive.

La négativité du concept d'art a trait au contenu de l'art. C'est sa constitution propre qui interdit, et non l'impuissance des idées à son sujet, sa définition ; son principe le plus intime, le principe d'utopie, se révolte contre le principe de définition maîtrisant la nature. L'art peut fort bien ne pas demeurer ce qu'il fut un jour. A quel point son rapport à ses genres s'en trouve du même coup dynamisé, on peut s'en rendre compte avec le plus récent d'entre eux: le cinéma. La question est embarrassée, de savoir si le cinéma est ou n'est pas de l'art. D'un côté, comme Benjamin l'a vu le premier dans son travail sur L'oeuvre d'art à l'ère de sa reproductibilité technique, le cinéma s'approche au plus près de lui-même là où il exclut sans ménagement l'attribut de l'aura (l'apparence d'une transcendance cautionnée par la cohésion) qui s'attachait à tout art d'avant le cinéma ; autrement dit, là où d'une manière à peine soupçonnée par la peinture et la littérature réalistes, il renonce aux éléments symboliques et vecteurs de sens. Siegfried Kracauer en a tiré la conclusion que le cinéma, en tant qu'il est une sorte de sauvetage du monde chosal extra-esthétique, n'est esthétiquement possible que s'il répudie le principe de stylisation, par l'immersion non intentionnelle de la caméra dans l'état brut de l'étant dont l'ordre précède toute subjectivité. Mais un tel refus, quant à lui, en tant qu'a priori de la configuration filmique, est derechef un principe esthétique de stylisation. Même dans l'ascèse la plus radicale à l'égard de l'aura et de l'intention subjective, le procédé filmique — purement selon sa technique, c'est-à-dire par le scénario, la photographie, le point de vue de la caméra, le montage — remplit la chose d'éléments qui sont inévitablement vecteurs de sens ; de manière d'ailleurs analogue aux procédés qui, en musique ou en peinture, visent à laisser saillir le matériau dans sa nudité, et le préforment précisément par cette entreprise. Au moment où, de par sa législation immanente, il voudrait rejeter ce qu'il y a d'art en lui — presque comme si cela contredisait son principe artistique —, le cinéma, dans cette rébellion même, est encore de l'art, et il élargit le champ de l'art. Une telle contradiction, que le cinéma ne peut pas purement assumer, vu qu'il dépend du profit, est l'élément vital de tout art proprement moderne. Les phénomènes d'effrangement des genres doivent bien s'en inspirer en secret. En cela au moins (une absence de sens ostentatoire n'exprime certes pas sans autre forme de procès l'absence de sens de l'existence, ni ne la configure), les happenings sont exemplaires. Ils s'en remettent sans frein au désir nostalgique que l'art devienne une réalité sui generis, en allant contre son principe de stylisation et contre ce qui apparente ce principe à l'image qui le caractérise. C'est précisément par là qu'ils sont en guerre ouverte, jusqu'au télescopage, avec la réalité empirique à laquelle ils voudraient ressembler. Restant, comme des clowns, étrangers aux fins de cette vie réelle qui les accueille, les happenings en sont avant tout la parodie — et ils pratiquent celle-ci sans équivoque, pour ainsi dire comme parodie des mass-media.

L'effrangement des arts est un faux déclin de l'art. Que l'art porte inévitablement la marque de l'apparence est un scandale au regard de la surpuissance de la sphère économico-politique, qui tourne encore en dérision l'apparence esthétique en tant qu'elle est idée, parce que cette sphère ne permet plus de voir comment la teneur esthétique devient réalité concrète. Cette apparence est de moins en moins compatible avec le principe d'une maîtrise rationnelle du matériau, auquel elle était liée tout au long de l'histoire de l'art. Tandis que la situation n'admet plus l'art — c'est ce que visait la phrase sur l'impossibilité des poèmes après Auschwitz —, elle a pourtant besoin d'un art qui soit à elle. Car la réalité dénuée d'images est devenue le parfait antipode de cette condition d'où l'image serait abolie et dans laquelle l'art disparaîtrait, une fois comblée l'utopie qui se chiffre comme un secret dans chaque oeuvre d'art. D'un tel déclin, l'art n'est pas capable de par lui-même. C'est pourquoi les arts se rongent les uns les autres.

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Notes

  1. Kandinsky évoque et cite en effet R. Steiner et H.P. Blawatzky dans Du spirituel dans l'art, au chapitre intitulé « Tournant spirituel ». R. Steiner (1861-1925) fut le fondateur et le doctrinaire de l'Anthroposophie et de la Théosophie. S'inspirant de l'œuvre de Goethe, il voulut ouvrir « un chemin de connaissance qui tente de conduire du spirituel dans l'homme au spirituel dans l'univers ». H. P Blawatsky, à la même époque, et au retour d'un long séjour en Inde, fut une des grandes représentantes de ce courant théosophique (N.d.T.) , figure centrale à la fois des cercles ésotériques et des mouvements antisémites de la fin du XIX (cf. «Le XIXe siècle à travers les âges» de Philippe Murray (N.d.Terrier)
  2. « Du poète et du poétique ».
  3. Rudolf Borchardt, Prosa, I, hrsg. von Maria Luise Borchardt, Stuttgart, 1957, p. 69.
  4. Ibid., p. 69 et sq.
  5. Ibid., p. 69
  6. Ibid., p. 46 et sq
  7. Du grec banausos : « artisan", « rustre », « grossier »... (N.d.T.)
  8. Cf. Martin Heidegger, Holzwege, seconde édition, Francfort-sur-le-Main, 1950, p. 60.


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Pages Roses (Dr C. et L.L.d.M.)

ipso facto / par le fait même

fundamentum in re / Expression utilisée en métaphysique scolastique pour désigner les conceptions forgées à partir des sensations. Traditionnellement, on oppose les conceptions cum fundamentum in re, fondées sur les perceptions des sens, et les conceptions sine fondamentum in re, conceptions fondées sur des spéculations strictement immatérielles.

aisthesis / esthétique

ingenium / intelligence, talent, l'esprit (côté puissance créatrice). Notion probablement plus processuelle qu'essentialiste.

pro domo / pour sa propre cause

ratio / comme raison, issu du lat. ratio, -onis, nom tiré du supin ratum du v. reri «compter» et «penser», par extension «être d'avis, croire». De là sont apparus les sens de: faculté de calculer, de réfléchir, le jugement, la méthode, la doctrine. (http://www.intermonde.net/bourgo/Latin/Latinismes.html#lacrima)

telos / finalité en tant qu'elle se donne avec son champ de finalité

schemata / peut-être à rapprocher de la cartographie céleste

realia / le réel, côté champ d'immanence. Monde dans sa consistance (façon de parler) sensible, perceptible. Pas encore tombé dans l'abîme du langage, ahahaha

a priori / par un raisonnement antérieur à l'expérience

sui generis / Expression provenant de la jurisprudence latine et utilisée en doctrine juridique pour désigner les situations juridiques n'ayant pas de taxinomie existante. Par extension, évènement ou fait qui impose qu'on créé pour lui une catégorie nouvelle ou particulière. Plus banalement : incomparable