Stéphane Batsal (1966) Une partie du texte qui suit cette présentation (Bruits de réserve) a été publiée dans le N°13 de la Parole Vaine; l'intégralité, présentée ici, est inédite. Stéphane Batsal est un écrivain aussi prolifique que souterrain, sa place parmi nous s'imposait. Il a déjà publié ses textes dans de très nombreuses micro-publications comme "T.T.C", ou "Le Jardin ouvrier". La longueur de ce texte nous oblige a scinder ce document en deux parties. Découvrez le travail de plasticien de Stéphane Batsal (Collages, cibles, reliquaires). Découvrez le dossier consacré à la censure d'un texte de Stéphane Batsal par Edgar. Découvrez le roman écrit à deux mains avec L.L.De Mars, Moteur ou les Augures
Bio-Biblio Vit
et
travaille à |
Drôle de peur que ces lignes'en ai parlé une fois de ces œufs sous ma table, et aussi des cartes tracées à la surface, des plans. Je crois que c'est dans un texte de l'Auto-biografille de Louis Le Poulpe ; dont j'ai aidé Louis à la retranscription des séances. Ou peut-être est-ce dans le truc pour Céline. En réalité j'en vois un peu partout des œufs, entre autres visions — ou hallucinations, ça dépend ce qu'on entend dans le délire. ça a commencé comment, je ne sais plus, ne l'ai jamais su — tu t'en doutes non — ; t'écrirais-je si je le savais ?
ne pas donner mais faire
de l'effet
drôle de poule
drôle de phénomène
étrange distance que tous ces œufs qui fendillent l'écriture,
sans que le noir même n'hésite.
Tout juste la peur qui vit sa démangeaison.
alors elle a brutalement
claqué le chambranle et de ses doigts les marques ont signifié
— les marques — à mon visage que c'était sa nouvelle signature
les marques pouvant provoquer une irritation de la peau et que ce qu'elle écrirait
maintenant serait rouge bien plus rouge encore que les tampons imbibés
pendant au dessus de la porte pour éloigner les mauvais bébés
les mauvaises grâces les mauvais œufs et sans même avoir eu le temps
de parler des gouffres inconnus de dire,
mais, les tampons accrochés au chassis les horloges pendues ont alors
entamé un balancement régulier se sont mises au même rythme
à battre et dans l'optique d'un changement de situation sentant l'écliptique
douce de la masturbation et les allers rapides de la masturbation et le 666
beat de la masturbation de la porte ma joue s'est décollée et
à la porte sans jouissure j'ai sonné la décharge
'était
juste après qu'on se soit quittés avec Milena. Il faut exorciser,
tu vois. Et aujourd'hui je recommence, en faisant une flambée de toutes
mes éditions de Peau d’Ane.
Tu devines que c'est Louise que j'évoque
avec ce conte. Tout est si mystérieux, lointain et étrange avec
elle, et ce n'est pas l'inceste comme tu me l'as dit hier qui fait l'étrangeté
de cette relation. Pour les autres il y a peut-être un inceste, pas pour
nous — en tous cas pour moi. C'est ce que je t'ai dit hier à La Moule
Rieuse, enfin je crois, avec le vin j'ai dû dire d'autres choses j'imagine.
Ce qui me tue, et je te l'ai répété cent fois hier, c'est
que Louise braque cette idée aujourd'hui pour tout arrêter entre
nous. Restons frère et sœur, elle dit. Alors que nous n'avons jamais
cessé de l'être. Si je ne baise ni avec mes frères ni avec
mes sœurs, je le fais avec qui ? ma mère ? J'ai d'autres chats à
fouetter !
œufs
deep,
j'y reviens tu vois, à l'aide de ma sacrée logique (sacrée
pour « deep », et logique complexe !). Il fallait que j'accroche
ces tampons pleins d'œufs morts à la porte d'entrée. Ce que j'ai
fait, Milena les a laissés, et aujourd'hui encore de parfaites horloges
les habitent. Elle a cru que c'était une œuvre, un tableau — à
cause de l'encadrement, une installation ! Drôle d'idée. Je me
protége juste des démons, des dieux. Tout de même, je l'ai
laissée croire au truc d'artiste, ainsi l'exorcisme a pris tout son temps
pour agir.
Tu vois, même à toi
je n'ai pas encore tout raconté.
Je viens d'en retrouver un
d'œuf, un qui n'est pas mort. Tu dois l'avoir vers toi ce texte, au moins la
première version, après Milena c'est bien toi qui a lu le brut.
Depuis un moment c'est vers Louise que passait tout ce que j'ai de plus brut,
et la distance qu'elle a toujours voulu garder n'a pas empêché
que se fassent des ponts. Des ponts fragiles, où on ne sait pas où
mettre le pied, des ponts sans fin ni rampe. Des déserts.
Tout le temps il faut que quelqu'un
lise quand on écrit, même autre chose que ce qui se prépare
— quelque chose qui est déjà prêt sûrement mais, toutefois,
que l'on cherche à atteindre — ; des lettres — des études de marché
—, des listes de courses — des plans de survie —, des œufs urgents — des lignes
de fuite — ; cassés du jour.
Alors, ce texte, il ne doit pas être
très loin, il s'appelle « Daisy », je l'ai écrit
l'année dernière, en décembre ou janvier, quand on traînait
avec Laurent et Onnen après les lectures à l'Elsa. Je trouve que
la voix de Laurent y résonne, tu me diras ça.
Elle était bizarre cette période, non ? C'était l'hiver,
et j'ai aujourd'hui l'impression de n'y avoir croisé que des choses noires,
des silhouettes noires et des gestes flous. Du noir, mais pas du sombre, nous
n'étions pas sombres. On voulait bien voir le monde, donner un peu d'air
à notre réserve naturelle ! C'est étrange, rien d'autre
n'apparaît que du noir et du gris, les seules couleurs dont je me souvienne
occupaient un rectangle exhibant une publicité pour les poulets de Janzé.
Pourtant je ne sens rien qui ressemble
à de la tristesse. Aucune image d'acte ayant pu exister durant cette
période ne se forme, juste un manteau noir, un manteau gris, un escalier,
un porte-manteaux, et Onnen, qui de trois-quarts ressemble à ma sœur.
C'était la coiffure aussi qui faisait ça, quand j'ai vu Onnen
il y a trois jours, je n'ai pas retrouvé Louise, en revanche, j'ai pensé
qu'elle lui avait ressemblé.
Elle n'a pas changé ma sœur,
j'ai pourtant tenté des tas de trucs (j'ai eu beaucoup d'inspirations),
et même si elle a vécu des moments hors de ses habitudes elle n'a
rien changé de sa ligne de conduite ; je suis admiratif, même si
ça me semble un peu rigide. Sur ce terrain, au sein de cette relation
duo-duelle, Louise serait plutôt fleurétiste qu'épéiste
; quand elle se fend elle reprend tout de suite ses appuis de garde et n'insiste
pas dans l'attaque comme on peut le faire à l'épée.
Est-ce à Louise que
je pensais le plus souvent quand je voyais Onnen ? Après tout, cette
période, c'était juste deux mois après qu'une plus grande
fissure se soit ouverte entre elle et moi. Là où j'ai vraiment
craqué.
Lié à tout ce noir que je vois d'ici, d'aujourd'hui, ça
ne te rappelle pas quelqu'un ? Tu connais les rapports de Louise avec cette
couleur... L'œil de Madame...
C'est dur de ne pas vouloir,
de ne pas tendre vers elle ma langue. Elle est muette, je parle — ma langue
déroule son parchemin — à l'intention de Louise — mais qui est
Louise, où est-elle située. Lui écrire ; je ne me force
pas ; il faut de la force ; pas trop. D'ordinaire, les poètes ne sont-ils
pas sous les balcons ? J'ai pourtant l'impression d'un déplacement entre
ces deux surfaces. Je serais monté à l'étage. A l'abri,
pour le moins, des pots de fleurs glissant de la muse. Toutefois, je n'oublie
pas les étages supérieurs, leurs géraniums.
Si peu de prénoms ! si peu
de lignes et tout devenu déjà si flou ! Tu connais mes yeux...
et tu sais aussi que je suis très bien situé pour voir le flou
dans cette histoire.
Dans quelque eau que je nage l'eau
se trouble. Et moi en sa compagnie.
st-ce autre chose qu'un œuf ? — Oui.Daisypleinement malentendant penêtre cette entreprise de démolition désire Daisy love Daisy délire sauve désir ne mange pas de nid de larves lire des couches de gaz de désordres son nom c'est
Daisy ne mange pas de craie procède en deça de toute écliptique au dedans de tout corps déduit du désir des doigts pressant ses yeux ne mange pas son nom c'est
Daisy bouche cousue nez bouché y'a pas de mode perdu de problématique d d dense d Daisy durcit le balancement des doubles s'agglutinent indécidables profondeurs de champs meubles de
désir ne mange pas d'encre sans condition perce dés perç'oir Daisy percevoir Daisy apercevoir désirer d troue des plans désoriente son nom c'est
Daisy se confondre au mur ne mange pas fuit en ligne Daisy trait détourne Daisy lierre pas d'assiette pas de ventre décentre intensément sans attendre identité déboutée sans attendre, y'a pas de tenue de camouflage de masque sur un modèle de Daisy non, son nom c'est
Daisy accélère peignant vite un monde mouvements sur Daisy dédale dégouline jusqu'au sang de lenteur fuite Daisy pas faim ne démolit pas d'œuf abandonne avec désir son estomac-dieu, Daisy
déjà digéré l'Ancien Déploiement des organes du dedans du corps de
Daisy vide en une seule dose durement emmenée par une section froide de despotes musclés et tendus, ne mangent pas Daisy foutent Domine Estomac Domine Tuyau Domine Anus dans Frigidaire, se font Daisy comme se font une ligne cours Daisy cours déchire file Daisy désire Daisy précipité d'amour d'œuf
Beaucoup de verbes non ? dans ce paragraphe,
Battre le faire,
Le faire battre,
Le faire dégager,
Dégager le faire,
Touchez !
ici le monde s'en va bien il
elle s'en va bien cymbales glissent
rails il est affolé d'avancer la voix
elle s'en va comme de l'an 40 jusqu'à la salle de bains où elle
romantise sans cesse la voix dure pleine langue il est tentaculaire
il arrive sa arrive bite à la main, triangulaire, elle dit tout ce
qu'elle a vu d'un seul coup des trous dans des trous dans des champs soudain
/dans des milieux/ il parle elle prend ce qu'il dit dans la bouche ventouses
après ventouses à tous ses désirs elle se tait lentement
et suce soudain fossile suçant du temps suçant un fossile léchant
les couilles il est impossible à avaler elle le surnomme /dimension/
de la chair de milliards de chair dans la bouche remachée de bites
elle surprend il s'ouvre bête au sol écarte
encore ses oisillons sont des sphincters il a ce qu'il dit
dans la bouche la bave de baise-moi provoque la céramique en haut
de la raie pointe la vulve rumine dans la fissure
elle sort et sa langue est
dure après des lèvres et des lèvres
salive à son tour sur la bouche à fossettes, et fondent les
muscles sous le liquide elle sort une langue
dure après des lèvres et des lèvres
elle érige un tribunal clitoridien transparaît après deux
lèvres puissance deux lèvres il
elle s'en va bien devient
trou trou trou anus aux coups de clitoris.
j'un œuf
tú eggs
(walking) on very thin ice
nous pondons
vœufs
les œufs conjuguent les œufs dans le même panier.
u
sais, je n'en mange plus maintenant. Rarement. En tous cas je les fais cuire
avant. Gober un œuf tu te rends compte. C'est dangereux d'avaler comme ça
autant d'intensités. Gober un acide, rigolade... Mais un œuf ! Déjà
il faut pencher la nuque en arrière. On ne voit plus que le ciel. Il
passe entièrement dans la bouche, puis dans le corps. Tout le ciel, et
la terre aussi, on ne sait pas où on met les pieds en gobant un œuf.
On se met à tourner au bord du monde. On est un funambule sur l'écliptique.
On n'est pas en dehors, toujours relié par les micro-gravités.
On est aux environs ; la frange. C'est là qu'on cherche l'équilibre.
Dedans est trop à l'intérieur, dehors trop extérieur. Je
n'aime pas ce qu'il y a dans la bouche, on peut dire ce qu'on veut sur les lèvres
; ce que j'aime c'est la fissure qui existe et s'étend dans un sourire.
Louise sourit souvent. Franck sourit peu. Mes avant-bras s'appuient sur la bordure
de la table. A l'escrime, on n'est ni assis ni debout, on est assis sur ses
jambes. Sur le bord de certaines lignes vivent des objets. A la lisière
des bois il y a des champignons. Il y a la grande fêlure entre la route
et la forêt. Louise ne veut pas se promener avec moi au bord. Elle croit
que les autres vont disparaître. Comment est-ce possible ? Comment pourrais-je
tenir au bord ? Ma sœur reste dans la forêt. Elle veut que je demeure
au bord, seul, avec mes oreilles pointues et mes yeux de loup. Louise veut me
voir hurler à la Lune. Elle veut me regarder crier dans la posture de
gober un œuf. C'est dangereux de faire ça avec la Lune. Et puis, à
force, la nuque fait souffrir. On en a plein la nuque de gober la Lune. On est
plein. La moelle dégouline du corps, elle a la lumière de la Lune
et s'insinue partout où on habite. C'est une lumière qui ne traverse
plus rien tu vois. Elle se moque des objets, dit halo au téléphone.
Elle éclaire le loup qui hurle. Je vois, j'entends.
Heureusement, il y a quelques
endroits protégés. Des objets, des dessins, qu'elle ne peut toucher,
la formule magique que tu m'as apprise. J'ai besoin de ça parce que ce
n'est pas naturel chez moi la protection. J'ai besoin de ces choses pour tenir
au bord. J'installe des pièges pour destabiliser mon équilibre.
Après je ne me souviens plus où ils sont, comment ils agissent.
C'est long de tous les retrouver.
Tu sais, ma sœur adore Peau d’Ane.
Quand on était mômes déjà on lisait souvent cette
histoire ensemble. Les parents doivent encore avoir ce livre chez eux, mais
je ne les vois plus. Quand elle va chez eux Louise doit encore regarder ce livre.
Elle aime bien ça vivre dans ce qu'elle a vécu auparavant. Louise
ne veut pas voir aujourd'hui. Elle ne regarde qu'une partie du monstre ; comme
moi des fragments de Louise. Ici, depuis cet été passé
à Aix-en-Provence, j'ai entassé beaucoup de versions de ce conte.
Il m'inspire, je lui écris.
Peau d'Ane s'est enfuie du royaume
à la lumière de la Lune. Je me suis aperçu de ça
il y a peu de temps — c'est ce que j'ai décidé. C'est ce qui m'a
amené, comme je t'ai dit hier, à virer toute cette lumière
moelleuse de chez moi. Je voulais t'en parler à La Moule Rieuse de ma
façon de procéder, mais c'est au moment où Franck qui ne
sourit pas est passé. J'ai oublié ensuite avec cette bouteille
de vin qu'il a commandée.
Ces temps-ci, je réunis
tous mes livres de Peau d’Ane. Je les approche de la baignoire-sabot qu'on a
ramenée de la benne à ordures l'année dernière.
Elle est toujours dans le salon, à l'endroit où on l'a déposée
cette nuit-là. C'est étrange, lorsqu'on entre où j'habite,
on s'étonne de croiser une baignoire dans son champ de vision. Pourtant,
il en est en pleine campagne, dans d'autres champs, qui ne font naître
aucune bizarrerie ; on n'en parle jamais. Plutôt que dans un pré,
n'est-elle pas plus proche, dans cette pièce, de la vérité
; de la salle de bain ?
Elle est bien placée là,
dans le salon, comme un meuble, débranchée des murs. Comme un
coffre sans couvercle dont le contenu circule, change, exhibant tous ses secrets,
refaisant sans cesse la forme d'un plus grand.
C'est le soir que je m'occupe des livres. Au fond du ciel noir il y a beaucoup
d'étoiles lorsque je passe le long de la fenêtre. J'ai encore trouvé
deux éditions de Peau d’Ane il y a quatre jours : un petit format, fins
de quelques pages, sous la coupelle de la balance à peser se trouvant
dans la chambre, et dans la cuisine, un plus large servant d'étagère
près du réchaud. Dessus il y avait le sel, le poivre, d'autres
épices, l'huile, le pot de fer contre le mur de terre avec à l'intérieur
le fouet, les cuillères en bois.
J'ai posé les livres avec les autres, sur l'à-plat de la
baignoire-sabot, où se posent les fesses. Tous feux éteints dans
la pièce, je me suis installé près du trou d'émail.
Le premier livre de la pile, je ne le lis pas. Je l'enflamme et le pose au fond
du coffre dur. Lis une autre version à sa lumière.
Certaines images de Peau d’Ane ressemblent
de très près à Louise. Aucune de celles où elle
revêt la peau de l'animal, plutôt celles qui suivent les questions,
après les risques, après la bague que les doigts de ma sœur, ne
gonflant jamais, feront glisser au bon endroit, dans la bonne pâte, au
bon moment. En revanche, je n'ai pas trouvé un âne qui me ressemble.
Tout au moins dans les premières versions dont j'ai déjà
nourri les flammes. J'ai déjà brûlé huit volumes.
Parfois, je m'attarde sur un dessin
du début, où les pièces font l'âne. La lumière
du feu éclaire le doute des traits de mon visage. Je pense à Jupiter,
à l'âne sorti de sa Cuisse. Je débouche du long tunnel de
ma pensée, au trou du cul de l'âne. Imagine ; je me vois en Louis
! En multiples Louis. En concevant ainsi les trous, on ne peut choisir entre
l'or et la merde. On part d'une autre voie. On circule au bord. Les beaux livres
de Peau d’Ane partent en fumée. Louise part en fumée. On tousse
et ouvre la fenêtre. Les flammes montent. La fumée est moins épaisse
dans la pièce. Le ruban s'échappe sans panache. Les ânes
gris s'envolent. Les ânes qui disaient ne pas être le bon âne
aux yeux de Louise sautent dans le vide plein d'air. Je me découvre en
Louis. C'est bien de vider les os de la moelle.
Une fois, la semaine dernière, après l'escrime, j'ai ouvert
sur un voisin. Il a dit : toute cette fumée est si triste pour le quartier,
arrêtez de faire de la cendre. Ce n'est pas triste. Comment appelle-t-on
les animaux qui mangent leurs propres cendres, j'ai répondu ? Comme un
parfum, Peau d'Ane a envahi tout mon appartement, et ensorcelle encore certains
endroits. Il faut brûler chacun de ces ouvrages qui se sont glissés
dans chaque intimité des pièces, qui créent des espaces
et produisent des milieux où Louise propage encore de la distance.
Ensuite j'ai repris mon feu, où
une page entière de forêt brûlait. Les feuilles craquaient,
les flammes voulaient s'étendre aux tranches des livres enchevêtrés
à l'étage de la baignoire. Le feu qui vient de la peau des silex,
fait des dessins sur les murs des grottes, le feu qui allume la cigarette que
je fume à l'instant.
Un jour Louise m'a écrit.
Tu sais qu'elle ne fait rien, qu'elle ne veut rien faire, tout lui est dû,
et rien ne semble assez grand pour elle. Si elle fait un mouvement c'est qu'elle
y trouve quelque chose d'amusant, et que ça ne l'éloigne pas trop
de son monde. C'est à force de vivre dans un milieu protégé.
Et puis, c'est sa nature ; secrète, toute en protection, préserver
l'homogénéité de son monde. Elle semble si légère
et pourtant elle impose des limites strictes à la lune qu'elle habite.
On ne peut pas y pénétrer facilement. Elle s'ouvre naturellement,
et si on n'agit pas, ne pense pas dans la même direction, Louise se referme
aussi simplement.
Dans cette lettre, ma sœur disait
qu'il lui faudrait posséder, comme dans le conte, un âne duquel
tombe des pièces lorsqu'on tire sur sa queue. J'abuse finalement en écrivant
qu'elle ne fait rien ; Louise irait jusqu'à faire ce geste sur cette
partie de l'animal. Toutefois, il ne lui viendrait pas à l'idée
de fuir en se faisant la peau de l'âne. ça m'a agacé. Je
lui ai parlé de la richesse, de la Poule aux Œufs d'Or, où une
relation existe entre le trésor extérieur et le trésor
intérieur. ça circule. On voit l'or dans la Poule, on sent autre
chose ; le désir. Dans Peau d’Ane, l'or fascine, aveugle, on ne voit
plus l'âne ; plus rien — où est le sang, le corps ? Où est
le corps de Louise ?
Elle m'a écrit ensuite qu'elle
était d'accord avec moi. Mais c'était juste une phrase, des mots,
en post scriptum de sa réponse. ça n'a pas calmé mon agacement.
E nsuite je ne voulais plus donner,
écrire. Fini la ponte qu'elle m'inspirait. Il fallait que je l'oublie
un moment. J'étais triste. Pire ; les objets, mon corps, n'avaient plus
de limites. J'avais besoin d'une nouvelle organisation. Me protéger un
minimum. Je n'ai pas de peau, pas de coquille ; tout est là qui s'écoule.
Les seuls systèmes que j'accepte sont ceux que je crée. Ils sont
faits de mes obsessions. Ils les unissent en un seul système. Tout ça
fait partie de mon univers, je cherche sa cosmogonie. Mais ce n'est pas quelque
chose d'isolé, mon ventre n'est pas ouvert ; il s'ouvre.
fin juillet
la jeune fille travaille depuis
quelques jours dans le supermarché. Peu aimable, pas très souriante,
avec insistance. Sur le badge, contre sa poitrine : Nicole
mi-août
le jeune homme passe fréquemment
à la caisse de Nicole pour payer les produits qu'il a choisis. La jeune
fille ne change pas son attitude. Le jeune homme vient souvent dans le magasin
aussi, 1 à 2 fois par jour. Toutefois, il ne harcèle pas la
jeune fille de sa présence, en passant sans cesse au point où
elle travaille ; il n'est jamais très loin tout de même. Toutes
les caissières sont tournées dans le même sens, le tapis
roulant arrive par leur droite, cesse de rouler juste devant elles, reprend
le glissement à leur gauche. Le jeune homme, lorsqu'il décide
de ne pas s'approcher de Nicole, passe face à elle, deux ou trois caisses
plus loin.
Pendant cette période, le jeune homme laisse glisser des mots, peu,
la jeune fille est plus souriante à son passage
entre le 20 et le
30 août
il y a le grand sourire de Nicole
qui prononce « bonjour Monsieur ». Monsieur ! la machoire du jeune
homme tombe un peu, ses yeux s'ouvrent en grand ; les corps vitrés
s'éclairent. Puis c'est la pomme d'Adam — de « Monsieur »
— qui s'occupe de faire le mouvement, le geste. La jeune fille lui donne son
compte, le jeune homme prend le ticket, s'éloigne. « Au revoir
» avec les yeux dedans, et toutes ces choses agréables, prononce
Nicole
le 2 septembre
au matin, Monsieur passe à
une caisse très éloignée de celle de Nicole. Il y a beaucoup
de monde dans l'espace qui les sépare. En étirant la nuque comme
ça, sans cesser de bouger et de tourner la tête, de contourner
les silhouettes, de tenter d'amener son regard plus loin, Monsieur va se faire
repérer. Le jeune homme cesse de scruter ; même lorsqu'il s'approche
de Nicole dont la caisse est située près de la sortie du magasin.
En début d'après-midi,
Monsieur s'approche rapidement de la caisse où Nicole est installée.
Il n'y a pas de client, pourtant la jeune fille enregistre des articles, elle
salue en souriant. Tous les deux attendent. Nicole dresse son dos, en restant
assise, elle porte ses yeux vers le fond du supermarché en bougeant
les lèvres. Le trou de la bouche de Monsieur s'élargit aussi
parfois. Une petite dame arrive, elle semble être sur un nuage, ailleurs.
Monsieur lui demande si elle ne les avait pas oubliés, Nicole et lui
? La Petite Dame reste muette, un peu dans les vappes. Le jeune homme fait
gentiment de l'humour, il joue avec la femme, qui ne semble pas vouloir participer.
Non, vraiment ailleurs la Petite Dame. Nicole est la seule spectatrice, elle
rit.
Les yeux.
Monsieur est du côté
de la caisse où les achats s'entassent, la Petite Dame range ses commissions.
Monsieur saisit les anses du sac en plastique, en s'éloignant du tapis
noir conseille à la femme de ne pas oublier le petit paquet, là,
en insistant avec son humour on dirait. Deux ou trois pas plus loin, Monsieur
se retourne, s'expose, Nicole regarde, il y a le sourire qui vient doucement
vers lui. Monsieur a le sien aussi, alors qu'il approche de la sortie, le
sourire s'élargit à mesure que les portes automatiques s'écartent.
le 4 septembre
au matin, Monsieur se fait doubler
par un engin débordant de victuailles, au moment où il arrive
à la caisse de Nicole. Il ne peut raisonnablement, sans se faire repérer,
demeurer là, alors que la caisse juste derrière celle où
travaille Nicole étale son tapis vide. Monsieur se déplace,
il jette un œil, paie, sort.
A midi trente, Monsieur est sur
la plate-forme entre les deux rangées d'immeubles qui surplombent le
supermarché. Il est assis, il lit, ses yeux dépassent nettement
la ligne supérieure du livre. Nicole sort d'un mur, traverse la plate-forme,
elle disparaît à l'angle d'une vitrine. Monsieur est assez loin,
il est là juste pour voir. Nicole. De loin. Le livre claque.
La foule, dans le surpermarché,
en fin d'après-midi, Monsieur en est. Il se tient debout vers la caisse
numéro 1, Nicole travaille à la 3. Entre eux, les gens sont
compactés et glissent par à-coups le long du tapis roulant devant
lequel elle est assise. Il y a l'espace vide autour de la caisse 2 ; il étend
la séparation entre eux. Monsieur décroche légèrement
la nuque, son corps avance, recule un peu. A un moment il y a le grand sourire
de Nicole ; les yeux. De là-bas, la jeune fille souhaite le bonjour
au jeune homme. Monsieur sourit maladroitement, ses lèvres remuent
de manière chaotique, rien ne sort vraiment de sa bouche. Nicole a
parlé fort, Monsieur va se faire repérer si ça continue.
Il conserve un sourire, bien qu'il n'apprécie pas trop qu'on le hèle
on dirait. Toutefois, Monsieur est content, ça se voit. Vous voyez
?
le 5 septembre
peu après 11 heures Monsieur
passe le chambranle de la porte à ouverture automatique. Nicole pousse
une haute pile de paniers en plastique rouge. Monsieur passe derrière
la jeune fille, qui s'éloigne vers le fond du magasin et disparaît
par la double porte molle et transparente. Monsieur paie, s'en va.
A midi trente, le jeune homme s'assied
à la table la plus proche du mur où est apparue Nicole, la veille.
Il est installé au bout de la terrasse du café, en face et un
peu en diagonale de la porte jaune qui se découpe dans le mur. Monsieur
est situé à une vingtaine de mètres du battant. La porte
s'ouvre, Nicole marche, longe le mur, elle appuie sur le bouton de l'ascenseur
qui mène au parking souterrain. Tout de suite elle se remet à
marcher, elle traverse la plate-forme maintenant, passe l'angle que forment
les deux vitrines, elle s'enfonce dans l'escalier vers le sous-sol.
Malgré le soleil doux, Monsieur
engloutit la menthe à l'eau. Il se lève, s'éloigne.
A 18 heures Monsieur longe l'alignement
des caisses, et aperçoit Nicole. Il fait son marché, se place
caisse 3, dans la file. La jeune fille travaille juste devant, à la
4. Monsieur regarde facilement. La boîte d'aliments pour chats avance
avec le tapis, Monsieur la prend, la déplace en regardant du côté
du visage de Nicole, discrètement. Il épie. Il recule encore
la boîte de conserve qui veut s'éloigner vers le lecteur de code-barre,
on dirait qu'il cherche à ce qu'elle soit située dans le champ
de vision de Nicole, et qu'il aimerait bien que la jeune fille s'intéresse
à ce qu'il achète. On dirait que Monsieur aime le silence, qu'il
fait plus facilement des gestes qu'il ne parle. Le jeune homme trace des signes
avec son corps et l'objet en métal, fait le spectacle muet sur le tapis
noir. Monsieur laisse aller les signaux, c'est le moment d'emballer la camelote.
Nicole dit bonjour, pas trop bruyamment. Monsieur se saisit du sac blanc.
Les yeux, le sourire, face à
lui.
Vous avez noté que deux
midis se sont succédés en voyant disparaître Nicole dans
le parking souterrain. Il est 19 h 30 lorsque l'épaule de Monsieur
se cale contre le montant d'un panneau de signalisation. Il est situé
non loin d'une des sorties du parc de stationnement. Il y a deux autres issues
qui débouchent de dessous la plate-forme, mais il faut bien que Monsieur
choisisse, vous comprenez. Il est là — les yeux dirigés vers
le trou noir. Il roule et fume une cigarette. S'éloigne à 19
h 45
le 6 septembre
A 11 heures Monsieur marche sur
la plate-forme. Il relève les épaules en arrivant devant le
supermarché, redresse le buste. Monsieur longe la longue vitrine du
magasin, se tenant bien droit, il ralentit un peu sans que ne cesse le mouvement
de ses jambes à l'approche des portes automatiques de sortie du supermarché.
Le mouvement incessant des êtres humains conserve les portes ouvertes,
les caisses sont toutes proches, il y a celle où Nicole est assise.
Monsieur continue à marcher, menton sur l'épaule, le long de
l'étendue vitrée. Il se dématérialise à
l'angle du magasin.
A 16 heures, M. est immobile entre
les consoles basses au bout des tapis. Nicole passe les articles devant le
lecteur — de codes-barres. Elle porte sa petite bouche qui ne sourit pas.
M. passe au lecteur, Nicole souhaite, en souriant. C'est un sourire de surface,
qui ne s'élève pas jusqu'aux yeux. Enfin, on ne sait pas trop...
C'est à cause de M., qui s'éloigne, avec le sac en plastique
; on ne voit pas beaucoup, on voit juste M. en train de se demander ce qu'il
a bien pu acheter, ce qu'il peut bien y avoir là, dans le sac en plastique.
jeudi 7 septembre
A 11 heures M. passe la porte automatique.
Il regarde la colonne de caissières alignées, un peu en retrait,
tout au long de la vitrine. Nicole n'est pas là. Il regarde en l'air,
vers les numéros de caisse illuminés, cherche à voir
si une des petites pancartes lumineuses indique « dernier client avant
fermeture ». On dirait qu'il sait que, parfois, lorsque cette inscription
est illuminée, c'est que la caissière s'est absentée
juste le temps d'une pause. La phrase n'est éclairée nulle part.
Il y a juste les chiffres qui brillent, les caissières dessous, sans
Nicole.
M. marche sur la plate-forme avec
une bouteille en plastique à la main.
vendredi 8 septembre
M. se déplace en bordure
des caisses à 11 h 15. Nicole est assise, elle porte les cheveux courts
aujourd'hui. M. passe en se tournant vers la jeune fille dont des mèches
de cheveux s'échappent de l'élastique qui les serre sur la nuque.
Il patiente devant le tapis roulant. Nicole n'est pas très souriante.
Ses lèvres ont bien quelques velléités, mais se resserrent
aussitôt. La jeune fille parvient même à une bouche minuscule
avec deux plis tendus qui partent de chaque commissure. Elle s'anime au moment
où M. se présente devant elle. Elle s'éclaire. Son visage
se transforme. Nicole conserve cette nouvelle figure.
Il y a la grosse loupe qu'utilise
les caissières pour voir dans les sacs des clients entre les deux caisses.
Elle s'élève le long du lecteur de codes-barres, M. pose la
main sur le haut de la grosse loupe à hauteur des yeux de Nicole. Qui
regarde la main. Rien de particulier ne s'exprime sur son visage, mais la
jeune fille ne perd pas la bonne humeur qui est née en même temps
que M. apparaissait. Il prend son compte, le glisse dans le sac.
M. accompagne son départ
d'un coup d'œil. La jeune fille déplace ses yeux des marchandises dont
elle repère les barres verticales jusqu'au lecteur de codes. M. lance
sans le lâcher le sac en plastique devant lui, les portes automatiques
s'écartent sans que ses jambes n'aient à ralentir leur cadence.
A 18 h 40, M. est debout le long de la caisse qui succède à
celle de Nicole, dans la longue rangée. La jeune fille travaille, M.
regarde, M. s'éloigne.
samedi 9 septembre
M. passe les portes de l'entrée
du magasin, et tourne immédiatement les yeux vers la succession de
caisses. Nicole est placée tout au fond, à la dernière.
M. marche dans le magasin avec ses achats. Il se déplace dans la grande
allée, celle qui s'étend au bout des rayons et parallèlement
à l'allée longeant la série de caisses. Les rayons de
produits s'allongent perpendiculairement entre les deux allées, le
regard de M. fait de même en s'élançant dans l'espace
qu'ils laissent entre eux, jusqu'aux caisses. Un peu avant d'arriver au fond
du magasin il y a l'enfilade où Nicole apparaît tout au bout.
M. vire brusquement. Il prend le chemin de la caisse maintenant, il brise
le fil en tendant sa poitrine en avant, pose les articles sur le tapis noir
qui accroche et tire rapidement les achats vers le lecteur de codes. Nicole
regarde le jeune homme, sourit, sa bouche se met à bouger, celle de
M. aussi. Les lèvres de la jeune fille continuent à remuer,
elle regarde le jeune homme dont la bouche s'ouvre parfois. Il y a la jeune
fille qui travaille à l'autre caisse, le dos tourné à
Nicole, qui se retourne, et dont les traits du visage se déplacent.
M. paie, elle continue les mouvements
sur sa figure tournée vers lui. Le jeune homme tient le sac blanc à
la main, la jeune fille dirige ses yeux vers lui, ainsi que ses lèvres
qui se lancent doucement en avant, reviennent, s'écartent, changent
la forme de sa bouche à chaque instant, son visage se transforme sans
cesse. Un homme attend au départ du tapis roulant, Nicole semble l'ignorer.
M. s'éloigne. La jeune fille
ouvre la bouche sans sourire à l'homme qui s'avance devant elle.
A 16 heures, M. passe à une caisse très éloignée
de celle où travaille Nicole. Il y a l'échange de regard lointain.
M. prend de la distance sans cesser des yeux du côté de Nicole
dont il s'approche en allant vers la sortie. Les portes s'ouvrent, rien ne
s'éveille sur le visage du jeune homme.
lundi 11 septembre
A 11 h 15 M. marche au soleil,
passe dans l'ombre, entre dans le supermarché, se sert, débouche
des rayons sur l'allée. Il est devant la caisse 8, où œuvre
Nicole. Deux clients le devancent. La caisse 9, dans le dos de le jeune femme,
ouvre. M. tourne la tête à l'opposé, vers les numéros
inférieurs. Il reste un moment ainsi, les yeux perdus, là-bas,
dans le rayon patisserie.
Lentement, sa nuque pivote vers
la caisse de Nicole, puis le globe de ses yeux prolonge seul le mouvement
du côté de la caisse fraîchement ouverte. Il n'y a pas
encore de client, alors que l'homme paie, et qu'une femme attend juste devant
lui. M. hésite sur ses jambes ; son corps a un léger mouvement,
comme s'il voulait se déplacer caisse 9. M. sourit — ça se voit
sur son visage, lorsque la cliente s'infiltre entre le tapis roulant et lui.
Le jeune homme coupe son élan, fait un pas, sans que le sourire ne
lâche sa bouche, s'approche du clavier et de Nicole. Il s'incline un
peu, ses lèvres bougent, celles de la jeune fille font des mouvements
aussi. M. se tourne et marche en tendant la main vers un rayon. Alors qu'il
s'éloigne à l'intérieur du magasin Nicole bouge encore
la bouche, son index montre une allée, sa tête remue de haut
en bas.
M. surgit du rayon en petite foulée,
un article en mains. Il est devant la paroi en plastique dur et transparent,
qui s'élève et se courbe au dessus du clavier. Nicole et M.
sourient en se regardant. Le bip du code-barre sort du lecteur. M bouge les
lèvres, les doigts creusent dans le porte-monnaie. Nicole dit quelque
chose, sûrement, parce que le trou noir entre les mâchoires s'élargit,
se ferme, plusieurs fois de suite et que le bas du visage du jeune homme s'occupe
ensuite de la même manière. M. sourit, Nicole sourit. Ils sont
contents.
La jeune femme est bien trop loin d'où M. est situé à
17 h 15. Nicole est absorbée par la caisse 11 tandis que le jeune homme
s'extrait du passage entre la caisse 1 et le tapis roulant de la 2. M. marche,
le regard au sol, et, comme par magie, au moment même où il relève
les yeux les deux pans de la porte glissent et s'écartent. M. conserve
le sourire du magicien en sortant.
date
M. arrive devant Nicole à
heure. Il dépose le paquet de farine, les œufs, la levure (beaucoup
de levure), la levure, la bouteille de lait, la belle motte de beurre bien
frais, le sucre, la bouteille de champagne en verre transparent et au fond
plat, tout ça sur le tapis noir.
– Et le moule ? s'étonne
la jeune fille.
– et la bague ? rétorque
M.
– quel âne ! rit Nicole
– sacrée vieille peau !
rit M.
e
texte me fait rire. Je ne ris pas tout au long de la lecture. C'est la distance
de M, et celle de la forme d'écriture qui la supporte, qui m'amène
à sourire ; elle paraît infranchissable ; une succession de murs.
Un rire, un sourire à distance d'ailleurs. Un rire intérieur,
pas une exposition de bonne humeur, de légèreté. Suis-je
le seul à être animé de ce sentiment à propos de
ce texte ? Relevé de conte a inspiré de la tristesse à
Christophe. C'est vrai qu'au fond il y en a de la tristesse — monotonie du constat.
Et — si on peut parler là d'actes — la façon d'agir de M est désolante,
absurde. Tous ces agissements ne sont que des absences d'actes, du concret sans
cesse repoussé. Est-ce tout du long un constat du désir qui anime
M qui s'inscrit ? Désir coupé, mouvement obstrué ; on passe
un doigt dans la file de fourmis qui traverse le chemin ; on rend le flux malade
; regardons la façon dont la colonne procède pour se guérir
de l'obstacle grouillant.
ça finit avec le désir
en tous cas. Il y a tout pour l'appareil d'un gâteau, tout pour faire
pousser une pâte. Même la peau. La vieille peau, qui ramène
au conte, à l'amour. Il y a là tout pour commencer. En réalité,
c'est une histoire qui ne veut pas commencer, pas finir. Une histoire qui ne
se fait pas. On constate une absence de faits, et finalement M est prêt
à faire. Il est sans cesse sur le point de faire quelque chose. Et le
bégaiement est coupé soudainement par un potentiel de pâte.
J'ai le sens des contraires.
Il y a beaucoup de décalages. Constat-conte, désir-distance, faire-absence
de faits, la fin est un œuf, lenteur répétitivité du corps
du texte-intensité brutale de la fin... Bien que — encore — Relevé
de Conte ne soit pas quelque chose d'achevé. S'il est dans cette zone
du livre, il s'articule aussi essentiellement à Extérieur. Bruit.
et Bruit de Surfaces. C'est un fil qui s'échappe d'eux et qui vient percer
les mailles d'ici.
Tu sais George, je te parle
de ça, mais il ne faut pas l'éventer ; quand on écrit,
il ne faut pas parler de ses maladies, de ses amours, de ses doutes. Les écrivains
— les romanciers ? — ne parlent pas de ça. Ils dépassent leur
laideur, et c'est profondément beau. Que crois-tu que ça donne
lorsqu'on déguise le mensonge même ? Au sein de quel cercle fou
procède-t-on?
ien
entendu, que je m'éloigne a fait se rapprocher Louise. Je t'ai dit :
le tango. Cette danse ne satisfait pas totalement ma passion, mais de son côté
ma sœur semble vivre la sienne pleinement dans ce duo-duel. Nos parents se sont
toujours étonnés de cette différence entre nous. C'était
la même chose lorsqu'on était môme.
Enfin, je ne sais pas si Louise a
déjà été traversée par la passion. Elle en
a peur, ne dit-elle pas qu'elle ne veut pas y « sombrer ». Elle
s'en protège, c'est une jeune fille raisonnable. Elle protège
vivement — à corps perdu ! — ses défenses. Elle affirme qu'une
passion peut se vivre sereinement dans la distance et la légèreté.
En réalité, elle a vécu des passions éphémères.
Elle a toujours fait son caprice, rencontré du consentement.
Ce n'est pas qu'elle soit effrayée
tout compte fait. Simplement, elle ne comprend pas qu'un être soit inspiré
longuement ; tant de forces sur le même nœud. Louise, selon le modèle
de son vécu, ne croit pas qu'un tel attachement puisse durer. La lenteur
pourtant a aussi son intensité, et si l'on conserve, ne perd pas — comme
je le dis au début de cette lettre — cet amour de frère et sœur,
la violence et l'étouffement que d'aucuns font découler de cet
envoûtement n'existe pas.
Le degré de force de la lumière ne change pas lorsqu'on se déplace,
lorsqu'on ne reste pas immobile dans des limites. On peut tout enlever à
la passion sauf l'intensité. Trop concentré pour Louise ; je suis
myope ; tout ce que mes yeux voient, mon regard le fait converger vers ma passion.
Qui a de bons anticorps ; ils agglutinent, et ensemble chassent le corps du
désordre ; le reconduit à la frontière ; politique de l'amour
et de la haine ; je suis aussi un ministre de l'intérieur, dont la fonction
est de conserver, consolider le centre. Cette politique — ces rythmes — définit
la ligne de conduite.
e
vis beaucoup mieux la passion des objets. Ils me sauvent la vie. Ce sont eux
qui prolongent mes relations avec le monde et les autres. Ils ne sont pas juste
ici pour me faire délirer en détournant l'utilité à
laquelle on les réduit. Avec moi les objets deviennent des trucs bizarres,
on nous reconnaît rarement. Pourtant c'est bien leur étrangeté
que je fais remonter en surface. L'étrangeté que j'y vois.
Je suis myope. Dans chaque orbite vit un œil de poisson.
Tu sais, les choses décident
pour moi, les événements — une fourmi marche sur une feuille de
pissenlit —, les objets, les absences d'actes. Ou, je ne décide pas sans
elles. Elles s'expriment bien. Les choses montrent, aux alentours ou à
moi-même, ce que je ne sais pas représenter. Les choses entrent
en relation, accélèrent, je suis. J'ai de grandes jambes, tout
à coup elles changent de chemin. Après avoir vécu dans
ma chair puis, lentement, éliminé toutes les possibilités,
un plan apparaît ; plan que je connaissais déjà, mais pas
plus qu'un de ceux que j'étouffais lentement ; plan qu'alors un seul
possible déplace. De la spontanéité par élimination...
Mes jambes soudaines, voilà une manière de dérouter les
démons.
Un morceau de papier avec quelque
chose d'écrit dessus, imprimé ou manuscrit, peut changer ma vision
d'une idée. Un objet que je trouve, la lune apparaissant à tel
moment peut changer ma vie. Il faut piéger les démons tu comprends,
qu'ils ne sachent pas ce qu'on décide de faire à l'instant où
on agit, ou qu'on tranche pour ne rien faire.
Souvent on me dit ; et le libre arbitre
? Eh bien je prend celui de dire que ce sont les choses qui me décident
à agir ! Peut-être aussi est-ce que je choisis celui de mentir
en disant ça... Et, lorsqu'on prend une décision, c'est toujours
en relation avec quelque chose. Au moins une ; qu'est-ce qui t'a décidé,
on dit. Et on répond. Bien souvent en n'exposant une raison, une. Mais
combien de choses, d'objets, événements, agissent ? N'en existent-ils
pas qui agissent depuis des années, avec lenteur, et qui participent
à une décision? Des choses invisibles, notre équipe de
nuit dont le souffle n'est jamais exhaustif.
Jamais seul... on se retrouve toujours
avec soi-même... et aussi avec les choses qui connectent, les longues
colonnes de pèlerins qui se croisent, les gestes qui se rencontrent,
les objets qui articulent les mots d'une autre langue.
En bord de haie de cet épais
système, où tout arrive, où il est conseillé de
ne pas déplacer sa nuque seule — qui se noierait, à force, sous
le poids de l'épaississement —, c'est tout le corps qu'il faut déplacer
pour ne pas perdre pieds, en bordure de cette mécanique d'enchevêtrement,
j'ai sûrement écrit ce texte :
il dit sa langue à
elle et dit, mon œil, en réalité il entend — Tiens ! Une ornière
— c'est ce qu'il croise d'autres déjà emboîtent le pas de
ce qui — Tiens ! oh, là-bas... — bute
et pisse à la forme, multiplie
— Moïse a encore laissé sa porte ouverte —, il les voisins baisent
toujours pendant l'essorage de la machine, il se distend quand elle fouette
et fouille des nappes, quand ils remontent c'est noirs qu'ils sont. Il ne rit
pas et enlève son casque — Tiens, un qui n'a jamais vu la mer —, plonge
ailleurs, s'en va de la pire espèce, d'autres arrivent en dépliant
des troubles, des déserts de crabes, leur langue passe entre les pores,
aucun n'est à genoux et même si ça glisse — Tiens-moi ça
deux s'condes — ils avancent, avancent tous et se croisent à l'air lisse,
malgré un terrain miné de codes marchent, certains, dans la merde,
du côté du pied où l'oreille siffle, interprétation
de faux-chevalier, signes haut la main — y'a quoi dans sa bouteille à
lui ? — cet autre sous un balcon, intensité fossile, qui secoue ses strates
et qu'une tribu passe, en ligne, et là ce point en vitesse sur un visage
en fuite, cathartique, babillage au canon, pas rassuré — t'as vu ce truc
? — noïaque dans un champ un autre, remonté de l'ombre, se lave,
se lave, se lape, les yeux pleins de dormi au retour de sa turne, et les voisins
qui se nappent toujours, essorent et ne rient pas quand Moïse déplie
deux s'condes d'intensité assurée sept fois
— Dessine-moi un cygne.
a
fait du monde, tu ne trouves pas !
J'étais chez Eric, un matin, dans la cuisine, assis à la table
en bois quand j'ai fait ça. La table était collée au mur,
sous un de ces anciens réfrigérateurs qui s'accrochent aux parois
; placé juste au dessus de ma tête, il pointait ma fontanelle ;
la marque, Damoclès sûrement ; « si tu n'écris pas,
tu mangeras » ! La même table qui était Quai-d'Auchel, dans
la maison, tu te souviens j'imagine. Elle est en bois, je l'aime beaucoup cette
table, le bois, la taille du plateau, sa hauteur (à cause des grandes
jambes encore). J'ai mangé et écrit dessus souvent déjà,
Quai-d'Auchel justement, quand on habitait ensemble avec Eric, pendant deux
mois je crois bien. Jardin, grillades, pastis, herbe...
Une fois, dans ce lieu, en plein
soleil, j'écrivais à Louise. Quelque chose avait changé,
sans que j'en sois conscient, mais je vois aujourd'hui que je ne lui aurais
pas écrit ainsi avant l'été, avant qu'on passe ces quinze
jours dans le même voisinage.
ça faisait très longtemps qu'on ne s'était pas retrouvé
seuls ma sœur et moi, si proches, il y avait toujours les parents, et aussi
Milena ces dernières années. Il y a bien eu l'année précédente
— où mon regard étonné a croisé les seins de Louise,
ainsi que son sourire, qui n'est pas une simple manifestation de son apparence,
un accessoire de son visage, mais l'essence même, avec ses yeux, de son
charme — cette année, alors que Milena était repartie plus tôt
à Rennes, mais rien de ce voisinage à deux ne s'était encore
créé parmi le plus vaste existant autour de nous dans la grande
maison près d'Aix-en-Provence.
C'est l'année suivante que
le rapprochement entre nous a eu lieu. Comme quelque chose émergeant
lentement des profondeurs, et qui commençait peut-être à
s'inscrire à la surface de nos yeux. Mais on ne savait rien — je sentais
bien quelque chose, Louise non — et ce n'était peut-être encore
que nos profondeurs qui s'approchaient, qui poussaient en battant plus fort,
sans que rien en réalité ne se dessine.
C'est après le séjour
à Aix que j'ai senti ça, pas pendant. Pendant, on était
dans le mouvement, des pans de vie se déplaçaient dans l'ombre.
Il n'y avait encore que légèreté apparente, mais c'est
partout que la complicité s'installait, dans tous les gestes et les actes
du quotidien. Au sein de ce lieu et parmi les autres, partout une fissure s'ouvrait
qui se noircissait de ce que notre proximité faisait naître — des
œufs sûrement, et si les œufs ne passent pas dans une fissure j'arrête
d'écrire immédiatement. Tout ça se faisait facilement,
sans qu'un de nous ne force sur un geste, une situation. On se retrouvait, Louise
et moi, comme lorsqu'on était môme ; seulement, si nos yeux étaient
les mêmes, notre regard avait changé. C'est ça qui créait
l'étrangeté.
Je te l'ai dit plus haut : je vois
ça avec recul. Toutefois, il y a quelques semaines encore rien de tout
cela n'était comme des souvenirs, comme des trucs fixes, qui ne vivent
que par le passé... Souviens-toi, tu pensais que je devais prendre ces
souvenirs et oublier ma sœur. Mais justement, ce n'était pas des réminiscences,
en moi tout continuait à pousser, à s'étendre, à
se fêler, comme au fond des tasses de porcelaine, où se propagent
d'infinis réseaux de racines. Tout cela allait vers elle ; un seul possible
; unique mais ouvert à d'autres espaces. Louise n'est pas un point, un
but ; c'est une idée plutôt. Les filles sont juste des idées.
Malgré l'innocence qu'elle
met en avant — et justement parce qu'elle la fait valoir — je me dis que Louise
aussi a dû se poser des questions, me voir différemment, voir avec
surprise notre voisinage devenir quelque chose d'autre, à la suite de
cet été-là. Depuis cette période, de mon côté,
combien de fois je m'étais retrouvé dansant dans la cuisine avec
elle comme ce jour où on a préparé un chili ensemble ?
Eh bien je n'avais jamais cessé de danser depuis ! Je sais comment toi
tu voyais cette danse qui me secouait : un peu lourde, à cause du goudron
qui me couvrait, un peu niaise, à cause des plumes que je décollais
un peu beaucoup à la folie... et un peu pied tendre à cause du
pistolet que Louise tenait dirigé en direction de mes appuis. Sans jamais
avoir danser auparavant je vois que je dansais parfaitement le tango avec Louise.
C'est comme ça que je le vois. Je ne savais que cette danse, et la danser
avec cette partenaire.
Après ces premiers pas
le retour à Rennes était bizarre, et quand j'ai accueilli Rozenn
sur le quai, j'ai senti tout de suite que quelque chose allait se produire ;
que quelque chose était déjà lancé. Les quais de
gares sont des lieux idéals pour les meurtres, pour le geste ultime des
tueurs, à cet endroit tous les blocages, s'il en subsiste, s'écroulent
et c'est le plus naturellement du monde que la plaie mortelle s'ouvre au couteau.
Le lendemain, on l'a passé
dans la maison, chez Eric. Je trouvais tout fade entre Rozenn et moi (logique
non ? après ce qui venait de se passer sur le quai). Après la
nuit je l'ai accompagnée à un bus, le 1, et tout ça a été
bien triste.
Elle, avait bien senti quelque chose aussi ; en début de soirée,
elle a fait une crise de tétanie. Ou pire, ça durait, ça
durait. Le téléphone. Expliquer le chemin jusqu'ici au standard
d'Urgence Médecin. L'attente près d'elle ; j'étais déjà
si loin. Et je continuais à m'éloigner, la sonnette, le médecin.
Qui ne pouvait rien, bien entendu. La rassurer, prendre un chèque, au
revoir. Ensuite un peu de tendresse, qui s'est durcie, et Rozenn se détendait.
Il faisait froid, on a décidé d'avoir plus chaud. Du sexe, peu
de désir de mon côté. Elle a dit, c'est tout !? J'avais
pourtant pas l'habitude de m'acharner. Elle sentait bien que quelque chose n'allait
pas. Ailleurs j'étais. Je pensais. Je pensais c'est cassé ? tordu
? fêlé ? Comment faire quoi ? Puis le matin. J'ai tout fait pour
qu'elle m'énerve ; ainsi j'ai eu la force de lui parler. Le midi, j'ai
dit : écoute... voilà.
On a longé La Vilaine, bien
sûr le gris, le ciel couvert, et l'eau, de quelle couleur tu crois ; putain.
La ligne 1, l'arrêt près de la poste, le muret sous la vitrine,
la tête entre les genoux. Les pleurs. Chier.
Les jours suivants, triste j'étais,
pas bien du tout, impossible de faire de jolies phrases, des phrases qui s'écoulent,
tu vois. Pas honte ; j'aurais eu honte d'avoir laissé traîner ce
non j'en veux plus, ce oui vas-t-en, de le laisser stagner. Honte si j'avais
laissé le couteau du quai de la gare dans la plaie, si j'avais laissé
piétiner la rouille. ça t'étonne que j'aie récupéré
la lame ? Lorsque j'avais dit non, elle : menteur ! les lettres, les mots dedans...
Menteur ! Menteur, ça m'allait bien.
Heureusement il y avait Eric, la maison, le jardin, le soleil, et la table
que j'aime bien et que j'avais transportée dehors ce jour-là.
J'avais envie d'écrire. Quoi ? je ne savais pas. Ce fut une lettre à
Louise, cette lettre que j'ai sentie si différente de celles qui précédaient
mon séjour à Aix-en-Provence. Mais rien encore de la force qui
a plus tard agi jusqu'au sein de nos échanges écrits ne transparaissait
(je voulais dire échanges épistolaires... mais je ne veux pas
te rappeler, même de façon légère, goudron, plumes
et pistolet).
u
vas dire ; où sont les œufs ? je ne vois qu'une table.
Je t'ai dit au début de cette lettre qu'ils étaient liés.
Il y a même un œuf qui a été pondu sur plusieurs tables.
Un œuf où il a fallu pousser. Un œuf difficile, un accouchement pénible,
un sale œuf pas obéissant, fait par un sculpteur mal poli. Il ne tient
pas en boîte.
Il est né de plusieurs tables de bars, après une nuit blanche
bien glauque. Là, tu vas le lire bien tapé, sans ratures apparentes
— elles sont dans le texte, avec les mots qui se suivent, séparés
par un espace régulier. Mais il était écrit sur plusieurs
bouts de papier trouvés près de moi. Sur les versos, et sur les
rectos autour du texte imprimé. Parfois même le stylo partait pour
encadrer un fragment du texte déjà écrit et le ramener
dans celui qui se faisait. Toute la journée dans Rennes, à marcher,
à me cacher derrière les vitres, au bord des bars et au bord des
rues, sur leur tranche ; on peut aussi écrire sur la tranche.
Le temps bouché, les vitres
d'eau, les tasses de café, les verres de bière ne suffisaient
pas ; il fallait que j'écrive encore, il fallait l'écriture pour
cacher ma honte d'écrire. En public, comme ça, alors que le temps
de mon voisin était le même que le mien, identique pour les passants
dans la rue ou aux tables voisines ; alors que j'étais, moi aussi, un
homme.
Je marchais, vite, lentement, à d'autres rythmes, m'arrêtais à
une table, un peu, plus longtemps, j'écrivais vite ou ça bloquait,
écrivais vite où ça bloquait, assis, debout, je repartais,
mes fesses allaient se poser au bord d'une autre chaise, mes lèvres d'un
autre récipient.
Pas étonnant que la boîte
de vitesses de cet œuf déconne :
c'est quoi, à part, d'abord, la nuit et tous les corps bangs répétitifs et l'ivresse qui colle la fièvre s'intensifie oreilles fronts, bobines défilées, potentiels mous c'est quoi, à part, aussi, la bruine qui, qui fouille, l'eau bien en chair, chaleur et tension, cartilage, qu'est-ce que c'est encore que ce lendemain, où muter encore l'ennui vers des femmes, et se traîner encore de bidonvilles de blessés graves en rayonnantes trompettes de tissu gris c'est quoi, à part, encore, découper des rondelles dans la machine, l'intégration à la diète, le coup de nuque, de semence, c'est quoi grilles nous aimons vos cuisses, partout, à plat-ventre et en boue de lime, suer encore, animal de vitres, bêtes à miroirs, s'écouler encore sous peine de chair, et le palais c'est quoi, encore, ce palais raboté par de la langue, hein, qu'est-ce que c'est encore que cette histoire, cette prise de mots, cette induction qui limaille, où se secoue du vide, c'est quoi, falloir, ne pas, surtout, se cacher, se rire, marcher hors de sa cabane, et la distribution, « à vos lots ! », à corps perdus dans la possession, obsession, laisser faire, se clouer au choix, là, encore un, une, erreur, chien-chien, c'est quoi, à part un soleil avachi et tiens bouffe encore de la rougissante planète, l'ange à la benne, fourrager ses ailes c'est quoi, à part, se jouer d'un anneau avec un Mercure qui bande, là, rouge en pointe, degrés de forces, sûrement pas un coup de soleil, une bordure, de vache à la limite, panse à ce qui se digère, c'est encore qui, quoi, chier, l'âme à vif, les longs paquets d'eau de la bouche, à part laisser venir l'image, lacérer, cliquer, c'est quoi un viseur, un canon de trop dans la gueule, liquider encore, apode désaxé, et les grands axes, hein, c'est quoi, l'asphalte intestinal, la chaussée rousse, avoir encore les sphincters mal léchés, et clitoridiens, et paniqués, jouer encore les gros pitres, les premières rages, éclore oui, là grouille avant la mouche, se taper encore de l'immigration de nids de clous en nids de clous, et la main dans tout ça c'est quoi, qui coule, qui quoi, à table, la génétique de la bouche, qui malaxe, qui pétrin, qui calibre les trous noirs, appuie là-dessus enfonce c'est de la pure c'est quoi, à part, soigner par imposition référentielle, de la main bien noire et pas coupée, bien blanche, bien rouge, bien verte, bien tendue, de la pelouse de viande, c'est quoi à part, dépaver aveugle, ventripotent tout c'qui s'flasque, c'est quoi aller devenir ailleurs, encore, comme un seul œuf, intensifier les jarrets, recentrer quelques ventres, pâte à la main, toute l'équipe y travaille c'est quoi, à part, se faire dépanner dans le couloir, de la courroie à la louche, resserrer les boulons de la vanne à vide, si c'est pas d'la vague ça c'est quoi, la nuit dont nous déferlons, la parité transmoléculaire de cette musique d'eau noire, l'espace, effaçable, c'est quoi diffuser, encore, de l'endosmose à perpétuité, du sommeil panique, du coin en boîte, nix, pas de rêve, ou debout, pas de chiffon gras qui dégorge, plutôt de la relation de ferraille, goudron, ciseau, pas pour, et que ça pilonne c'est quoi, à part, aller tremper dans des sales affaires, à récidive de forge, sodomiser l'eau surtout à l'aube, c'est quoi hein, un carénage, à rebrousse-phallus, de l'arrache-pitbull, comment ça se fait, qui quoi, et attaquer à la souche, et mordre dans les accoudoirs c'est quoi, à part, un liquide rouge métal, qui fréquente la fièvre, et joue encore à touche-titille avec la langue, c'est quoi rire, encore, se rire de ce truc dégueulasse enserrant les os de notre essence, & « shame shame shame shame shame shame shame, shame on you... », la viande avinée du masque, théâtre ordinaire, sac à vie, t'es pas assez quoi t'es trop qui, hein, c'est quoi, cette correction de nuit, ce sommeil pondu, carne diurne, uppercut répétitif, exo, exo, exo, à dehors-mamelles, simuler encore l'immuable, étudier chirurgicalement des dessous et se jeter des yeux, là, dans les œufs qui s'en écoulent, des œufs rouges frottements, à force de viens, et suinter, encore, de vagins saccadés c'est quoi, ces tampons encreurs, retenues d'animaux morts, dépression de bouche, langue précisément hésitante apapo agaga monmon pu tentatives, tensions, jets, c'est quoi, à part, encore, une autre, ciselure, pâlir penaud désirant dans un coin gras, des déserts pleins les pattes, des pinardiers pleins les têtes hydrocéphales, hoqueter pendant qu'il est encore trop tôt, bégayer vite avant d'éructer le chou ruminé des mots, c'est quoi cramoisi de désir, noir, à part se nicher encore au rai d'une porte, au ras d'une morte, dehors sans toi, avec l'autre bovin involontaire, secouer la verticalité de tous les sens, la bite d'un dieu transexuellement transmissible, c'est quoi, fifilles, piler, hacher du sable, à part, de l'oreille totale, de la transhumance psychotique, donner la papatte au croc du vide, aller, encore, à la bête avant que la marmite ne vienne à toi
'est
un camion d'œufs ce sac, un semi-remorque sans paroi. Il dévale une pente
à 37°, tracté par le petit trait clignotant sur l'écran
bleu de Word 5,5. Malgré la forte dénivellation c'est le moteur
qui emmène en tirant. Ce n'est pas une histoire de frein à main
édenté avec la sueur qui colle les cheveux sur le front. Les mains
tiennent le volant sans aucune tension. Aucun véhicule n'arrive de face
en criant ahh-tension, les virages sont parfaitement négociés,
les mensonges contrôlés précisément, les blondes
assises à côté du chauffeur sourient tranquillement, un
pied posé juste sous la vitre. Si tu veux, elles portent une jupe courte
dépassant la mi-cuisse, et si tu veux vraiment de la moiteur c'est à
cause de ça que les mains du chauffeur commencent à glisser sur
le volant maintenant. Ses doigts tapotent sur le cercle par dessus le rythme
du moteur clignotant ; word-word-word fait le moteur. Il déroule son
film dans le pare-brise en prolongeant le drum-bass de ses doigts. La pente
continue aussi, du genou des blondes le néon clignotant rougit en descendant
l'intérieur de la cuisse, s'appuie sur l'ourlet, la ligne de la jupe
; la ligne 16. Il adore être comme ça dans son camion bleu avec
toutes les floridiennes dans la cabine, sur le siège passager. Ligne
18 maintenant, le trait vient de descendre, rougit, clignote, le camion fonce,
le trait longe l'ourlet ; qu'est qui passe là-dessous ?
Ce n'est qu'un chat, essaie de te
calmer, penses à ceux qui n'ont ni PC ni Word 5,5... Le trait est revenu
sur le bord maintenant, à cause de l'idée d'effacer, il descend
encore, le bord de la jupe est plus bas à l'intérieur des cuisses,
l'inconnu maintenant se situe ligne 23, on descend encore, plus profondément,
la puissance deux des lèvres esce n'est qu'un chat encore, les chats
continuent d'arriver, la sueur perle sur le front du chauffeur, les rayons du
soleil percent la vitre, ils font pousser les floridiennes dans la cabine, elles
déferlent sur la plage juste sous le pare-brise, les grandes vagues de
chaleur frappent le camion qui roule. Le chauffeur, ses doigts se déplacent
régulièrement maintenant sur le haut du volant, ainsi que le petit
trait de Word 5,5 qui longe la ligne 28 au bas de l'écran, il glisse
sur la crête de la vague grise, il est entré dans le rouleau maintenant,
il se joue de l'écume, le bruit est un mélange de souffle et de
moteur, très puissant, il débouche du tube avant que la vague
ne l'enferme, ne l'écrase, revient sur la crête, il glisse, fait
des figures, des sauts. C'est le spot de la page 25 ; de hautes vagues, très
longues. C'est très rapide à cet endroit, le camion dévale
toujours sans tension, sans problème de frein à main. Les champs
qu'on traverse sont de rochers, de pins, la mer apparaît parfois, les
champs de pins n'ont pas d'autre végétation que ces arbres, l'aigle
survole, la chaleur traverse les champs, avec des retenues aux limites des forêts
de pins, des blocages court-circuitant la vague brûlante, il y a le grésillement
qui éblouit, frappe le pare-brise, un point noir apparaît loin
sur la route, les blondes sont descendues, le chauffeur est seul dans le camion
bleu, le point noir tombe comme la nuit, il s'étend comme la lumière,
il est si large qu'il encercle dans son bel horizon plein, il s'élève
au milieu de la route en souriant ; c'est Louise. C'est ma sœur qui fait des
signes. Dis-moi que ce n'est pas vrai George ! J'étais donc en train
de fuir ? Et le glissement sur la vague, les blondes de la cabine bleue, les
chats des lignes 20 et 24, le déplacement des ourlets, le moteur...
Changer de vitre. Il faut vite déplacer
cette vitre. Je garde le camion. Change de vague.
out
près de l'éclair, le tonnerre. Il claque très fort, fait
énormément de bruit, il explose à l'intérieur de
notre corps. C'est de notre corps que l'éclair est parti, qu'il a fait
son long creux dans le réel, et l'éclair est revenu donner la
lumière transformée au corps, la lumière qui est devenue
bruit.
Alors, durant un long instant — un
instant —, on a la conscience claire d'être en train d'exploser. C'est
sûrement le plus long moment de la vie où l'on a la conscience
de l'explosion incessante de notre être. C'est à dire ici, au moment
où je raconte que cela se passe. On ne se demande pas ce qu'on va devenir
dans le monde, il devient seul, c'est le nôtre. Il n'y a pas de sentiments,
de début, de fin, de haut, de bas, il y a juste le sensible qui traverse,
qui pousse, se déplace. On est dedans. N'est-ce pas ce qu'on dit : «
tu es dedans. Tu as le doigt dessus » ? On a le doigt sur quelque chose,
doux piège de la roue dentée. Douce conscience de gouffre. Sans
perversité, sans choc sans jeu de contraires. Sans même que la
souffrance soit aimée et travaillée, à la table dans l'étau
blanc.
La lumière — le bruit — se fait, sans dire force, sans écrire
faim. On est en train d'exploser, et déjà le silence est là.
Qui ne dit rien, ne contenant rien. Je continue à écrire qu'il
est vidé de tout. C'est un drôle de jeu que cette souffrance !
Le silence est ici, conjugué au temps de l'explosion. Il n'y a pas autour,
il n'y a pas dedans. Il y a le silence qui se répand, sans que rien ne
succède à rien. Il n'y a pas de blocs de temps, pas d'intensité
ni de centre. Le silence est plein de lignes de mire qui font très mal
au point, c'est la guerre qui se continue à l'infini, en petites explosions
d'invisible, de silence très blanc, immaculé. Tout est là,
pleinement. Tout devient silence.
Puis, le caoutchouc se colle, et s'arrache de l'asphalte mouillé, comme
s'il est frais comme s'il n'y a pas encore de tâches de poussière,
les voitures roulent, on est à peu près sûr qu'il y a de
la fumée, de la vapeur, qu'il y a au moins quelque chose pour qu'on lui
écrive, quelque chose à l'intention de l'odeur et du flou ; il
y a le moteur du frigo qui se met à tourner, puis les rideaux de pluie
claquent de plus en plus fort, de plus en plus mais pas pour qu'on l'écrive
; il y a le bruit de plus en plus, les rideaux battent le sol qui se met en
marche, le sol brusque qui tombe en tirant l'épaisse couverture d'eau
à lui.
Il y a la lumière, le bruit.
L'eau tombe sur le silence. On explose encore, mais on ne sait pas. L'étendue
blanche sillonne sans relâche. L'explosion se déplace sur sa peau
qui est le silence. La trame du silence de mailles.
Il y a la fenêtre que l'éclair
traverse. La surface plane de la fenêtre, le tracé des gouttes,
le plan des rues, des arbres sur les maisons, des choses, des hommes, des femmes,
toute cette volonté de silence que la lumière traverse. Tout cela
est provisoire, instable, il y a beaucoup de doute, alors le tonnerre frappe
et souligne le silence. La lumière traverse. Le silence tient.
Il y a la fenêtre la fenêtre
la fenêtre la fenêtre la fenêtre, cela fait une longue bande,
une vieille bande, que l'on a encore jamais entendue claquer, claquer, se disloquer,
se disloquer. C'est comme s'il n'y a qu'une seule fenêtre, mais si l'on
ferme les yeux — si l'on bâti le mur orbe des paupières — on sent
que défilent beaucoup d'images. Dans chaque fenêtre qui passe,
passe la lumière, il y a le silence de la fin dans chaque carré
que l'éclair traverse sans cesse. On peut l'entendre qui claque, qui
claque, qui claque, il y a bien ces bruits, mais tout le temps la musique de
fond est là, le sang froid qui bat l'harmonie, rappelant le silence à
la surface.
Alors il rampe sur le sable transparent
qui tient. Le réseau s'étale. Il fait la peau de la fenêtre.
Par endroits, des petites réserves de lumières s'accrochent ;
le silence se ramifie. On est étrangement attiré par la forme
qui s'enfonce mais le silence est très attaché à la surface
aussi, et il continue de s'étendre. On peut avoir l'impression, qu'il
bute, qu'il, et, se cogne aux petites réserves de lumières, et
que tous ces mouvements font beaucoup de bruit, comme des gribouillages de surface,
des babillages qui n'ont pas de sens. Mais lentement, les lignes se superposent,
les cartes s'éclairent et, sur ce plan, se redessine le silence en ordre
éclatant. Avec lenteur, la matière du silence devient la forme
du silence, comme la vitesse la matière des trous.
On explose encore mais on ne sait pas que l'on est parfaitement placé.
On a le silence dans la peau, l'ombre à part, le silence devient le doute
de la lumière
'est
à Perros-Guirec que ça s'est fait. Tu te souviens ? J'ai l'impression
de l'avoir écrit dans l'intervalle de temps entre le tonnerre et l'éclair.
Pourtant le texte semble calme, lent. La lenteur a bien son intensité.
En réalité je l'ai
continué à Mortagne-au-Perche, chez Jean-Pierre et Erika. Souvent,
on repart de là-bas très inspiré. On bouillonne pendant
le voyage de retour, déborde à l'arrivée. Cette fois c'est
sur place que ça a déclenché. La veille au soir on parlait
du chaos, du pendule multiple qu'il a conçu, du fameux pistolet en bois
de ses 10 ans qu'il avait sorti après qu'on l'ait désarmé
de sa première arme. De quoi encore ? des mathématiciens du chaos
qui sont les seuls scientifiques semblant s'intéresser à son travail.
On ne parlait pas des bouteilles qu'on buvait ! Mais la table en bois est très
grande. C'est une vieille table de ferme où passent beaucoup de choses.
C'est le nœud de la maison. On y passe des heures. Les deux bancs durs sans
dossiers ne chassent pas nos fesses. Même pas les miennes, faites de si
peu de gras et dont on pourrait penser qu'elles sont plantées dans le
bois. Avec ces bancs c'est l'équilibre qui est en jeu. On est pas à
l'abandon contre un dossier de chaise, on ne fuit pas contre le sol.
Crois-tu que la vague peut
encore être amenée ici ? Celle qui apparaît plus haut et
sur laquelle on surfe. On glisse sur l'équilibre. On est sans cesse sur
le bord assis sur les bancs qui longent la table. La vague, ici, tu trouves
ça un peu gros peut-être... Pourtant lorsque je me tiens accroupi
sur la planche épaisse, est-ce que je ne me retrouve pas dans la posture
des surfers ? Plié dans le rouleau de la vague qui se plie ?
Image, métaphore ? Trop simple.
Je préfère encore que tu dises que je délire. Que je fais
du n'importe quoi (délire, désordre, ne sont-ils pas réduits
dans le langage à « n'importe quoi » ? De la chair en tas,
un bordel sans os ; « allo, la boucherie Sans-Nom ? Non... c'est le Capitaine...
», le ministre du Plan) ; dire que je fais de la politique du délire
! avec, pour ne pas tourner en rond, une remontée de l'ombre au sein
de mon existence. C'est ce qui donne ces choses étranges autour de moi,
qui semblent venir de moi, et cette chose qu'on trouve bizarre, sans cesse en
train de marcher à travers la ville, perchée sur ses grandes jambes,
seule, avec son nœud, au centre.
C'était durant un week-end,
ou après, le lundi matin, j'ai repris mon cahier et j'ai continué
cette histoire avec l'éclair. Beaucoup de choses étaient passées
par mon nœud, dont on s'inquiète, au centre ville.
Avec Jean-Pierre, j'ai aussi
appris à jouer aux cartes. Au poker. Sans jetons, sans rectangles cartonnés.
La partie a duré des mois. Et c'est à lui que je la dédie.
Le chien des émois
commence par commence par trie et classe et commence par repère et corne appelle-la quand tu es prêt, à toi la donne, joue au poker avec ta mère, distribue, à toi de faire, fais les cartes, triche, truque, joue au poker avec ta mère, occupe toi de la cartographie donne, à toi la donne, surprends-la avec ta propre cartographie du pouvoir, bluffe, les cartes sont lourdes hein ?, surtout avec une main à deux doigts !, ne lâche pas, ne la, joue au poker avec ta mère, lâche pas les cartes, tu la, tu les, tiens, tu les as faites, à toi la donne, tu sais où sont les as, triche, truque, bluffe, glisse, ta manche, oublie pas ta manche, les as, fais glisser un as, un roi, complète ta main c'est tout, joue au poker avec ta mère, impose ton jeu, fais le jeu, fais les cartes, la donne, la laisse pas se lever, déstabilise ses doigts, prends les fils, les commandes, la main, truque, regarde ils tremblent là, tu reconnais la carte, la carte cornée, tu transpires, hein ? mais tu souris déjà tu bandes allez, laisse-toi aller, et joue d'abord, joue au poker avec ta mère, agis sous cape tu riras sous ta langue plus tard, les dieux sont avec toi et ils sont plus que tes doigts allez, joue joue au poker avec ta mère, trop tôt pour un banco, laisse tomber ce pistolet tu es ridicule, paris, fais monter les enchères, enlève ton cœur du centre de la table, mets pas tes organes sur le tapis, mise pas sur ton émotivité, fais des singeries plutôt, bluffe, truque, triche, glisse ta monnaie de singe joue, joue au poker avec ta mère, à toi la donne, écarte un peu tes jetons tu vois plus le tapis tellement tu en as, manipule, tu la vois la fêlure dans sa banque, allez joue, tu la tiens elle tente martingale sur martingale sur, surenchéris, elle adore que tu la fasses perdre, fais la payer, fais péter sa banque, c'est un jeu éducatif oublie pas, allez joue, éduque ta mère, joue au poker avec elle, cache ton jeu, lui explique pas ta façon de jouer, te justifie pas quand tu abats ta main, dissimule, étends ton ombre, triche, fraude, montre pas ta main moite et essuie-la discrètement, contrôle, elle aussi a les mains humides, tu vois, et les aisselles le ventre et l’entrecuisses, elle commence à aimer ça, elle aime perdre avec toi comme adversaire, n'arrête pas, relance, allez, joue au poker, à toi la donne, y a pas de goudron qui tienne, pas de plume, allez prends ton jeu, regarde le sien, regarde les cornes et les pliures, elle en a quatre dont tu connais la valeur, tu la tiens, joue encore, refuse de faire voir allez, joue au poker avec ta mère, blinde, étale, ramasse allez poker, à toi de lancer, c'est la nouvelle règle, à toi la donne, sans cesse, triche, bluffe, arrête pas de donner, fais l'innocent au carré, aux mains pleines, allez c'était pour rire relance, joue, reprends les rênes, facile, attaque, elle se lève là, refuse, c'est pas dans la cuisine que ça sent le brûlé, truque, mens, allez joue au poker avec ta mère, qu'elle paie pour voir, surenchéris, y'a pas d'chéri, c'est toi l'shériff, montre-lui, éduque-la, go go go on allez joue, garde ton jeu, te précipite pas, sois patient, triche, manipule, qu'elle décolle sa jambe du pied de table elle fait trembler tes piles de jetons, bien joué, superbe coup, quel athlète, allez vas-s'y t'endors pas, continue, joue au poker avec ta mère, donne, laisse la venir, elle s'inquiète là, sa frange regarde sa frange de cheveux, ahahah, elle tient en l'air toute seule, la sueur oui, et la main qui soutient sa tête, allez tiens-lui justement, la quitte pas des yeux, allez joue, tu le sens son coup, c'est téléphoné ! demande à voir oui, étale, et paf le carré, oui, oui, vite ramasse, pas qu'elle voit la sixième, allez bats c'est chaud, maîtrise, bien, bien, non, t'as raison, elle peut pas distribuer avec sa main de fièvre, à toi la donne, joue au poker avec ta mère, encore, allez, arrête pas, éh ! éh ! éh là ! t'as vu ça, évite qu'elle recommence ce coup, ça la fait pas rire en tous cas que tu l'aies repérée, fais tourner le jeu maintenant, à toi la donne, hésite pas, fais circuler joue, joue au poker avec cette femme, prends le temps, alors... comment tu trouves... une quinte en main, et simuler l'hésitation... ahhh... ça change hein... quinte d'as ! tu vois, tu sais jouer au poker... pour une première... un carré d'as et un as... quatre et son ombre... alors, cette partie, comment tu trouves... profonde... ahhh... étale
endant
ce temps, pendant ce duo-duel si enrichissant... Louise restait secrète,
muette. Je sentais pourtant qu'au delà de son silence, elle voulait exprimer
quelque chose. Elle l'a fait d'ailleurs, mais toujours en gardant une distance
de sécurité, en préservant l'unité de son secret,
en bonne Vierge lunaire. Je voulais briser cette distance ; j'ai déjà
tendance à repousser le désir, sans cesse, alors, en ajoutant,
comme elle le faisait, des intervalles, des pauses, des fentes, des pores, Louise
grandissait encore, s'étendait, en ajoutant des dunes à l'œuf,
je me perdais, je ne savais plus où était mon désir, sans
peau, ni cesse, je me jetais à l'œuf, m'écoulais. Mais rien de
concret ne se faisait, et je demeurais dans le cercle fou du désir et
de la distance.
Entraîné à la
survie — et nouvellement au poker —, un plan est apparu. Je me suis dit, il
faut lui faire connaître une autre bouche. Une bouche sensuelle, épaisse,
rationnellement excitante, une bouche de magazine en papier glacé. Une
bouche proche de moi, qui parlait de ce que je pouvais donner. Une bouche qui
ne ressemble pas à celle de Louise, que j'adore. Je suis profondément
épris de cette embouchure. Jamais une autre bouche ne m'a autant fasciné.
A ce moment j'aimais son apparence, et ce qu'elle laissait deviner de sa profondeur.
Plus tard, je n'ai pas été déçu lorsqu'elle est
entrée en relation avec mon corps. Non pas que, par là, je cherchais
quelque chose, mais il y a eu comme un degré de franchi. J'aime sa bouche
encore aujourd'hui, avec et sans l'expérience, elle est devenue une sorte
de soleil. ça ne me fait pas peur d'avoir le soleil dans les yeux.
C'est étrange de découvrir
quelqu'un qu'on connaît depuis longtemps, puis de découvrir chaque
partie de son corps, trouver la magie qui a changé notre regard au sein
des territoires qui donnent une forme à un corps.
Mais tu me connais, tu sais qu'en
fait d'organisation une idée me devient vite une obsession. Si je voulais
lui faire connaître une autre bouche, il m'était nécessaire
de bien connaître cette bouche auparavant. C'est à dire la faire.
Je ne connais pas d'autres moyens pour être capable de parler.
A cet période, j'avais rencontré
une jeune fille qui s'appelle Eva Charme — incroyable ce nom et ce prénom.
C'est elle qui m'a inspiré. Eva ! si elle voyait la bouche que je lui
ai faite... elle me la ferait avaler. Elle m'a donné la force, c'est
tout (ce qui n'enlève rien à son charme, à son nom !).
Degrés de forces, déblocages, vitesses, il y a ce qui déclenche
; ce qui se passe après peut n'avoir aucun rapport ; lorsqu'une idée
émerge, poussée par une force d'inspiration, un objet, ce n'est
pas que l'on voit ou sent tout à coup une tonne de métaphores
qui vont étendre et développer l'idée à partir et
en compagnie de cette force, qui nous fait faire. Simplement quelque chose s'ouvre,
qui passait dans le couloir mou ; on traverse.
Voilà comment j'en suis
arrivé à écrire la bouche d'Eva. Apprendre à la
connaître. En parler ensuite à Louise. Encore déclencher.
Ne pas rester planté, immobile avec ma tête d'autruche dans le
ventre. Ce ventre que j'ai, si gourmand de chutes.
Je n'en ai rien fait ! Je n'ai pas
parlé de la bouche Eva. Celle de Louise est restée muette. Mon
ventre a seulement digéré un gouffre. Le temps que je secoue mon
échine, ensuite, un autre précipice était là, plus
large, plus abrupt, au bord plus proche du soleil, plus effilé et fondant
au noir dans la chair.
Les bouches que j'ai rencontrées
à ce moment-là, à Aix, m'ont été si insupportables
qu'en bon sale gosse je l'ai écrit dans mon cahier d'écolier.
Avec peu de ratures.
'est
la bouche que l'on remarque tout de suite dans le visage. Les lèvres
épaisses, celle du bas un peu plus large. Il y a de légères
gerçures. Des petites stries, mais les deux lèvres sont presque
lisses. Elles n'ont pas la peau arrachée, déchirée par
les trous d'angoisse.
Elle est là toute naturelle
la bouche d'Eva. Toute naturelle pour un pervers comme moi. Elle est là
comme une table, sans nappe, sans rien qui traîne, il y a juste le papier
blanc. Les nécroses sont invisibles. Sur la bouche, sur le papier, on
ne sait plus. Peut-être en grattant, en soulevant la couche supérieure
on verrait apparaître tout le noir qu'on a mis dans la bouche, le papier,
depuis... depuis qu'on ne sait plus. Et puis, on ne sait même pas pour
les couches ; et déjà on parle...
En tous cas tout cela est très
blanc comme la peau. Pas de rouge, de noir, de vert, de rose, pas de couleur
ajoutée. Juste la couleur d'Eva. Les couleurs qu'on peint sur sa surface
ne sont pas là pour souligner une forme. Elle est si profonde qu'on ne
peut pas faire n'importe quoi. Ce serait noyer le poisson, oublier la fissure
entre les lèvres, si fine, ou l'entr'ouverture, un peu plus noire. Ce
serait comme la recoudre que d'étaler de cette pâte de couleur,
comme faire une photo de magazine, un beau cliché. Ce serait se protéger
de l'inconnu où elle nous emmène, et dire que c'est une bouche
comme celle là que l'on doit aimer, pas une autre, une bouche peinte
avec ce maquillage-là, et puis au dessous on y marquerait sûrement
pourquoi c'est celle-là et pas une autre qui doit plaire ; parce que
le rouge tient toute une journée ; que le vert ne coule pas même
en pleine canicule ; que le jaune ne s'efface pas même au contact serré
d'autres lèvres — que l'on dirait « masculines », parce que
les bouches des femmes embrassent les lèvres masculines dans les magazines
où les clichés sont beaux, faits pour plaire ; on peut les trouver
laids mais le rouge de la page suivante dirait que ce rouge-là s'enlève
facilement au coton ; que le vert ne durcit pas par grand froid ; que le jaune
se nettoie facilement sur les chemises blanches des hommes qui vivent avec la
femme qui porte l'autre marque sur la bouche ; celle de la page précédente
— on voit très bien comment est cette femme là d'ailleurs : elle
ressemble à celle qui est autour du maquillage de bouche.
Tout cela serait très moral
! Et on avait beau chercher où était marqué clairement
le rouge à lèvres qui laisserait les longs fils de couleur, les
longues lignes qui auraient tracé la carte à la surface de la
peau réapparaissant lentement au sortir de la bouche glissante, on avait
beau chercher la matière qui dessinerait exactement les traits sur le
sexe de l'homme, on ne trouvait pas.
On serait devenu un peu claustrophobe
avec ces clichés de bouches. On serait monté au rez-de-chaussée,
et, les portes fermées, élevé dans la cage, enfermé,
avec pour seule lumière celle des fissures commençant par des
« a », des « in », intraversables, impossibles, intransperçables,
apénétrables, aquelquechose. Des lumières électriques
de couloirs, de halls de murs orbes, en longues fentes verticales qui s'écrasent
jusqu'au noir de l'étage supérieur. Qui continue à venir.
On serait dit : comment revenir à
la bouche d'Eva. Comment retrouver la bouche d'Eva qui n'était rien de
tout cela. Comment une telle bouche avait pu nous amener à baisser les
bras si bas. Nos antérieurs étaient devenus si longs qu'ils touchaient
la terre ; comment notre nuque était-elle devenue si lourde, notre dos
si courbé, notre cou de taureau, comment était-on devenu ce singe
à esprit humain. Il semblait que l'on soit souffrant.
On avait sûrement tenté
de se soigner comme il ne fallait pas le faire. On allait même plus loin
dans sa maladie. On s'y enfonçait exactement. Ce qu'il fallait c'était
trouver la porte de la clinique, puis la bonne salle d'opérations. La
bonne table. Il fallait, des frissons de la chair passer aux vibrations de la
peau. On avait bien sali, choisi le scalpel le plus édenté, le
plus rongé par la rouille, les gants percés, les tabliers les
moins verts, les tabliers qui tenaient grâce aux tâches noires,
aux traces cassantes ; on portait des tabliers rouges en matière plastique
blanche et des vestes à petits carreaux bleu et blanc. Je vous demande
quelque chose : qu'avait-on, à l'horizontal, sur le haut de l'oreille
?
Et l'acier, l'aluminium, le plan
argenté avec toutes les rayures si fines, les courbes aussi douces que
le scalpel frais qui attend nos doigts, on avait précisément calculé
l'angle qu'il faisait avec la vitre inclinée, on avait prévu les
reflets ; et tout autour, le carrelage.
On avait la plaie — se posait en
victime ? Sans même encore voir les mots. Sans le mouvement. Sans que
les lèvres ne se déplacent. Sans que la langue ne passe. Je suis
en train de vider quelque chose qui s'emplit sans cesse. Je ne sais pas ce que
c'est, ni à qui je parle. On sent quelque chose de flou. C'est la bouche
d'Eva qui remue. Ce sont les commissures qui m'emmènent au premier étage.
Je vois qu'elle sourit, on voit son sourire, nous la sentons souriant. Tous
avec moi ! Oublions ces dents, allons emplir ce trou accueillant, mes frères
! Interprétons ensemble ! On sent que c'est une avance, que l'on va aller
plus loin, on ne peut plus reculer, on aime terriblement ce trouble, on sent
le début de l'émulsion, sans aller trop loin on mélange
la chair, on ne comprend plus rien de la peau, plonge dans le tartare avec les
yeux, on interprète la viande ; ce qu'il faut c'est emplir ce sourire,
vite, vite il faut aller aussi vite que le trou, devenir aussi rapide que le
silence dont on procédait avant de faire apparaître devant les
yeux tous les objets, les corps, avant de mourir en eux si lentement, mais pas
plus rapidement, pas plus doucement que le soleil, pas plus que les lentes explosions
de la vitre, ni aussi rapidement ni aussi lentement, pas trop, il faut que ce
soit comme un murmure, que cela nous ramène à la bouche, doucement.
Point de bâti.
n
avait trouvé la fente. Mais les ourlets étaient trop lâches
pour que ce soit la bouche d'Eva. Comme celle d'Eva cette bouche là ne
parlait pas. Mais il semblait qu'elle se taisait par réaction aux autres
bouches qui clapotaient dans l'entourage. Il y avait l'épaisseur qui
ressemblait, rien d'autre. Peut-être qu'on la voyait dans un miroir. On
ne savait pas trop. Il aurait fallu qu'elle parle, alors peut-être qu'on
aurait vu quelque chose se former.
La bouche qui était muette
se mordait les lèvres. Elle n'arrachait pas de morceaux ; simplement,
une des lèvres s'insérait entre les deux maxillaires un peu serrés
et se laissait glisser le long de l'émail coupant. Au bout de la course
les dents s'entrechoquaient doucement. Il n'y avait pas d'ordre établi
dans l'étirement, il y avait la lèvre inférieure que l'on
voyait légèrement enserrée, puis, à un autre moment
c'était l'autre lèvre. Mais entre les deux instants on ne savait
pas ce qui se passait, tout pouvait arriver ; on écrivait, alors on ne
pouvait pas voir, on ne pouvait pas entendre, ni sentir. On ne possédait
pas les objets qui avaient ces fonctions. La seule possibilité à
ce moment était qu'en soi on devenait ces sens même, en train de
faire quelque chose.
Et puis ce n'était pas vraiment
une possibilité. Juste une possibilité d'EXPLICATION. C'est la
sensibilité qui voisinait là. C'était le sensible qui s'exprimait.
La lumière passait au travers et il y avait l'image qui changeait sans
cesse. Il y avait le silence de la bouche que l'on voyait, qui se mordait la
lèvre, puis l'autre lèvre. Le silence se retenait de parler, la
bouche retenait les mots qu'il était si difficile de prononcer dans une
langue que toutes les autres bouches allaient comprendre. C'était difficile,
il fallait faire beaucoup d'efforts.
Parmi les autres bouches qui se tendaient vers la fissure immobile — la fissure
d'où il semblait qu'il n'y avait rien derrière, d'où rien
ne sortirait jamais —, il y avait dans ces bouches les demandes inexprimées,
les questions qu'on évitait. Et cela pesait encore.
Comment faire. Comment trouver les
mots qui ne sont pas rongés jusqu'au centre de l'os. Comment faire pour
ne pas habiter ces mots très blancs, avec leurs galeries de capillaires
nettoyées, et le soleil si présent qui casse dans les yeux, invisible,
au milieu du ciel, avec la nuque qui n'a pas beaucoup d'ampleur dans le mouvement.
Ces mots où la mort est entrée à l'intérieur et
écrase leur surface.
Les mots s'usent très vite et après on ne peut plus rien faire
avec eux. Auparavant pourtant, ce sont eux qui dirigent, eux qui manipulent.
Puis ils meurent. Ils ne veulent plus rien dire. Il n'y a rien à dire.
On ne sent plus rien. Les mots ne sentent plus rien. Comment alors faire bouger
ces replis de peau, faire vibrer les cordes, apprendre à nager, à
articuler ? Faire la liste de ses membres. Comment répondre à
une telle demande ?
Ce sont les mots très connus
que je ne comprend pas. Ceux que tout le monde utilise en même temps.
Ils sortent de la télévision par exemple, et ils deviennent une
ritournelle. Mais ils sont criés si fort, on vide tellement sa bouche
avec eux, que c'est comme si on s'acharnait contre eux pour leur faire mal et
les tuer. Pourtant tout le monde les comprend, saisit leur sens. Le seul sens
que je trouve à ces mots c'est qu'ils vont du ventre à la bouche
vers une autre bouche et un autre ventre. Ils n'expriment pas. Ils servent à
avaler. Ils communiquent de l'habile. Je vois seule une direction avec eux.
Ce sont des mots qui se digèrent, se malaxent, qu'on trempe dans l'acide,
et après que l'on envoie dans la bouche de quelqu'un d'autre. C'est la
mort destinée à être avalée. C'est comme si deux
estomacs discutaient entre eux sans se soucier du reste du corps.
Je ne sais pas trop
ce que je n'aime pas dans cette histoire :
les mots de la fin
les bouches-estomacs qui les cuisent trop fort
les mots qui se laissent tuer, facilement en apparence.
lors,
la bouche qu'on vient de découvrir est muette. Il y a la fente, qui n'est
pas totalement immobile, qui bouge peu. Elle s'entrouvre, mais pour elle seule.
Il y a un léger souffle. On croit qu'il y a un changement. Parfois on
sent qu'il va émerger quelque chose, alors, à ce moment, tous
les yeux plongent dans la bouche, tous les globes tentent de forcer le passage
dans la fissure qui s'agrandit lentement. Mais il y a beaucoup trop d'yeux d'un
coup pour cette seule bouche. Et toutes ces choses sphériques tournent,
se cognent, il y a des détonations contre le palais, le trou des pupilles
ronge les syllabes qui sont en train de se lier, elles sucent toute la salive
sur la langue, contre les joues, déjà tous les yeux cherchent
à analyser ce qui se trouve ici, et qui n'a encore rien découvert
du monde.
Après, les yeux deviennent
rectangulaires, carrés, avec les angles très nets, biseautés.
On se regarde dedans et la réverbération est comme un piège
qui ne serait pas dans le bon sens. Ces yeux là font peur car ils ont
tous une idée derrière la tête.
Tout cela vide la bouche qui est toute pleine des reflets ronds de la lumière
qu'ont tracés les yeux en se déplaçant. Alors, si on a
été assez fort pour conserver un fragment, une escarboucle, lorsqu'enfin
quelque chose va vers l'extérieur, c'est une espèce de pâtée,
de bouillie, et personne ne comprend. Ni même la bouche elle-même
qui est devenue un hachoir et qui a laissé passer le hachis à
travers les grilles que les yeux ont installées. La bouillie coule. La
bouche s'est laissée piéger, elle est devenue le trou dans l'émail
qui fuit en faisant un bruit de tuyau.