Olivia BLONDEL (1970) Plasticienne, Olivia Blondel développe un travail singulier et tenace -qu'on pourrait très rapidement définir ainsi- de collagiste. Ce travail est plus longuement abordé aux pages qui lui sont consacrées à l'index PLASTICIENS. Ses rares textes sont satellites à son travail d'atelier, à l'exception de son essai sur Ricardo BOFILL, bien que le choix de cet architecte soit au coeur de la critique du post-modernisme intrinsèque à ses "toiles".
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Se consacrer à l'exercice d'une portraitisation est un engagement aux multiples prétextes - soit. Je m'en tiens pourtant à l'adresse d'une vocation particulière, au risque même d'en confier le mensonge : si le portrait ressort d'une attention particulière que l'auteur semble vouer à son modèle, l'intransigeance de cette occupation augure un transfert d'un genre singulier ; car celui qui signe le portrait, en ne manquant pas d'évincer le nom du visage figuré, s'emploie précisément à ne plus supporter la finitude d'un nom. L'auteur alors se dédie, pour mieux se dédouaner d'une généalogie accaparante.
La teneur de la confidence
s'apprécie à mesure puisqu'il s'agit d'aller à rebours
d'une pratique picturale du portrait, préalablement investie par l'appareillage
photographique : si les moments constitutifs d'une peinture en programment l'avènement,
c'est sur eux qu'il convient de fixer notre attention.
Perdons alors un peu de ce temps,
là où s'amorce son embrasure, déportée sur papier
sensible, pour mieux en épier la syncope photographiée.
Car voici un procédé
digne de confiance....
dont les instances contiennent en
germe ses outrages, à l'incompétence faussement naïve jusque
dans sa capitalisation à ne dévoiler d'un homme qu'un corps relevé
de toute immunité.
Objectif 'oeil de ma mémoire',
'témoin irrécusable', 'portraitiste de l'âme'... mais photographie
concupiscente, picoreuse d'éternité, , ambassadrice de magie rose
et d'idéologies, pourvoyeuse de mythes, truquages dont l'imagerie n'est
jamais qu'une représentation, une figurale présence, candide jusqu'à
feindre d'ignorer l'absence de ce qu'elle inscrit.
Et pourtant, le portrait
s'y trouve engagé : l'individu devient personne, fossilisé en
instant de pose, entre deux dates, deux heures, deux fractions.
La personne achevée par la
permanence de l'état civil. A l'individualité remise en place,
réajustée au protocole social qui lui enseigne le rôle à
tenir. Immuable masque de la 'persona' 1,
au visage désavoué pour l'espèce, faciès renié
pour l'exemple d'une identité normée, nommée.
Individu absent et sans voix, muet
et fixe.
Désubstantialisé.
C'est ici emboiter le pas à l'hypocrisie de la photographie, lorsqu'elle se limite à l'outrecuidance de la mimésis. Son ambiguité s'accorde ainsi à ses présomptions de réel, dont l'image artificielle impose l'acte de foi relative à sa prétendue transparence. L'évidente transparence... de l'homme seul ? Justement non. De l'individu qui, solitaire, devient image solidaire. Une représentation apathique en forme de temoignage inconsistant.
La fonction que l'on
accorde à la photographie (évidemment crée de toutes pièces,
pour l'activer d'une logique utilitaire, en guise de mémoire plurielle)
incite toutefois à ne pas s'y aveugler, tout graphein éclairé
qu'elle soit, et, à y voir de plus près, l'étymologie de
représentation en invoque l'injure : rendre présent.
Rendre présent un absent à
son image . Le convoquer à cette requête en laisse deviner les
résonnances.
La photographie n'ayant d'autre intention que de montrer du vivant n'en propose jamais que le spectre. Spectrographie en forme d'invocation, réduite à l'immobilité foncière de sa mécanique, par saisie du terme dans l'éternité, vouant l'homme qu'elle fixe au plus mortel silence ; et la ruse est telle que loin de se satisfaire de son mutisme, le cliché s'inscrit en obscur subside d'une identité dont il se reserve la mémoire...
Alors débute
la quête d'une perpétuité fantasmagorique : la conservation
des restes, formalisée en ruines glorieuses, cultivant ses reliques imagées.
Ce type d'iconolâtrie, arborant une prédilection pour la photo-souvenir,
parachève de reléguer l'individu à sa stricte commémoration.
Mourir apaisé...et laisser enfin l'image du cher disparu.
De fait, la capture photographique
est promesse d'épitaphe. Le vivant devient un survivant, dont le
souvenir instrumenté en aménage la survie. Le champ de tir est
dégagé en vue de l'ultime barbarie : toute visée objective
ruine l'indivisible.
Individu brisé dans
son insécable solitude, hors-sujet réfléchi en exil, mis
en suspens, forçé à être dans le projet d'un autre(en
l'occurence de celui qui décide d'en réaliser le portrait)..
dépossédé.
Si le cliché
photographique se montre impuissant à filtrer la singularité inenvisageable
(inachevée ; inachevable...?) d'un homme, la capacité technique
de reproduction du phénomène ne manque pas d'encrer son visage
d'une autoritaire ubiquité. Désormais reproductible reflet, dont
le discernement est une double imposture : l'inconvenante image s'encadre d'un
autre nom.
La photographie est déjà
une trouée vers la portraitisation, avant toute intervention picturale.
N'en incombe à la photocopie d'en élargir la brèche : les
duplicatas permettent l'agrandissement immédiat des visages et
les rapprochent un peu plus d'une carence déïctique. Surpris
par une abstraction évacuant tout POURTRAICT 5, détail,
1994.contexte, les visages, extirpés de leur durée, sont dès
lors maintenus en icônes flottantes. Spoliés de toute privacy,
à l'intimité exhibée virant au drame.
Drama ouvragé, où le
peintre terminera de sacrifier le sujet au caractère de la peinture,
du graphe.
Ce n'est pas pour autant décider
que la peinture comblera les lacunes de la photographie. Relativement à
l'intention vaine d'une portraitisation de l'âme, la peinture n'y
sera pas plus authentique, ni plus noble. Comme si, par magie, l'inconcevable
pouvait se matérialiser en quintessence visible par le biais technique
d'une représentation ! Mais c'est peut-être là qu'est l'imperfection
: partant d'une photographie appliquée à la ressemblance d'un
visage, le portrait avorté n'est-il pas précisément celui
qui s'attarde au strict reflet de son modèle ?
"Il y a des ulcères sur lesquels on porte irrésistiblement
la main, au risque d'aggraver le mal, et que l'on gratte avec volupté." 2
Visages refaits d'une
couche de peinture, aux traits doublés d'écorchures, dont l'entaille
graphique est incapable d'ôter le masque sinon pour exposer le support
papier : dernière allégorie d'une futilité de rétention.
Le papier est aussi destiné à pourrir.
Ne peut-on voir en cet acharnement
une manie d'éxaspération, en pleine conscience des injures du
procédé ? L'activité de grattages (parasitage en creu)
décharge les plaies silencieuses, cuttérisées, d'une défiguration
basculant de la souvenance à l'effacement.Effacement jusqu'au nom. Car
le portrait cristallise l'ingratitude de son auteur. Son ouvrage s'énonce
en lieu de transit, d'un nom au nom, en regard d'une signature qui n'en finit
pas de se renommer...
...puisque l'impact de la signature
s'exerce à interdire toute distinction entre l'image et le signe ; autrement
dit, et jusque dans ses silences, le nom est la matière de l'oeuvre.
Il est, au-delà du monogramme, l'entière conception d'une idiomatique
présence, qui se rebaptisera à chaque accomplissement. Car
les règles de l'activité procèdent d'un retour du jeu sur
lui-même, au terme des spéculations les plus diverses : cette
diversité-là, qui promet la néantisation du nom propre.
J'ébauche ici
la reconduction du problème abordé ; à savoir que
l'auteur qui s'octroie la liberté d'une mise en oeuvre, poussant le harcèlement
jusqu'à l'appropriation outrageuse, agit explicitement pour ne
plus souffrir que son nom - impropre - le désigne à la permanence
d'une anthroponymie conclusive.
L'individu qui oeuvre aspire implicitement
à enrayer la sclérose de la 'persona'.
Se signer, c'est viser l'unique.
Mais la dénomination
expresse de l'auteur, où la signature concourt à ce qu'il prétend
s'approprier, ressort d'une mise en abîme. D'abord, par ses manières
de citation (qu'elles soient ou non littérales), puis par sa vocation
à se proposer au regard d'un tiers.
Son travail s'actualise en regard
d'une préférence à laquelle il emboîte le pas en
la tenant à distance : la performance doit parfois sa décision
à une autre qui lui prééxiste, retenue pour de singulières
raisons (encore qu'il faille nuancer...et se souvenir qu'une peinture exemplaire
contentée d'un remâchage incontinent se destine à la pire
des liquéfactions...). Bref. Il n'est pas question de contredire l'émancipation
primordiale au caractère de l'oeuvre, qui formule une anticipation sur
les contingences du possible, mais dont l'hypothèse déborde vraisemblablement
des cadres qui ont pu servir son engendrement.
Le peintre s'incorpore lui-même
à ses affinités sélectives, aux antécédents
qui le font agir. Aussi, citer pour l'hommage, en toute activité, n'est-ce
pas reconnaître sa dette, afin de ne plus uniquement se demander "qu'est-ce
que je peins ?", mais aussi "qui me fait peindre ?", "à qui je peins
?" 3.
Intrigue aux multiples
rebondissements, car l'hommage signé pourrait bien se teinter d'une volonté
implicite de liquidation du trouble provoqué par celui auquel l'auteur
se dédie.
C'est pourquoi une réalisation
tient de la dédicace : elle suggère ses éventuelles ascendances
mais surtout sa qualité de don. Une dédicace est une adresse
offerte à la considération d'une audience inconnue, un appel sollicitant
une réponse. Un manque.
Une intrigue plastique n'appartient
plus alors qu'à sa monstration dont le sens extrait repose sur les regards
de la tierce personne. Les itinéraires de l'oeil sont souvent les symptômes
d'un décapage déchargeant son acuité : accapareur
de premier ordre, pulvérisateur de données dont les déchiffrements
dérivent d'une atomisation posant ses mines en traînées
de poudre (celles-là mêmes qui entraînent l'infini décalage
de ses consummations). Au peintre désormais d'être l'individu dépossédé
de sa production. Car le regard du fameux tiers, celui de l'autre, achève
de l'y oublier.
Son implication prend soin de tenir
le peintre à l'écart, en deçà du produit de sa participation.
Ultime débordement de l'auteur
s'intégrant à l'ouvrage et cependant supprimé lui-même,
par aveu de son abandon aux restes tracés, archivés, de son propre
caviardage.
C'est que le je réclame
la participation du il (le tu n'est que complaisance).
Pour sûr, le
mythe grammatical de la première personne ne s'y retrouvera pas.
La postérité de la
confidence n'est jamais qu'une autre étape de sa mise à mort...
"Le texte 'second',
celui qui fatalement fait référence à l'autre, le cite,
l'exploite, le parasite, le déchiffre, c'est sans doute la minuscule
parcelle détachée de l'autre, le rejeton, le nain métonymique,
le bouffon du grand texte antérieur qui lui aurait déclaré
la guerre en langue.
Et pourtant, c'est aussi un autre
ensemble, tout autre, plus grand et plus puissant que le grand puissant qu'il
entraîne et réinscrit ailleurs, dans une autre chaine, pour défier,
avec son ascendant, la généalogie même."