1°: Se refaire la bouche
voir
tenté le dialogue, qu'il s'agisse de celui s'inscrivant au coeur d'une
fiction romanesque ou, plus usuellement, celui qui a fini par donner ses formes
au théâtre, c'est s'être une fois confronté à
un projet aberrant, une pratique aux règles impossibles à suivre...
affolante pratique qui, dans la plupart des cas, refuse à la voix, aux
voix, leur multiplicité, pour justifier d'une inconcevable planification,
homogénéisation de ce qu'il reste à écrire, (quand
il n'en est pas la victime) ceci sous le coup inévitable de LA VOIX MAJEURE
: le petit territoire langagier, lieu d'échanges unilatéraux (
qui n'impose rien à la langue d'usage, à sa quasi-permanence,
mais y puise la matière qui y est inutilisable pour sa propre économie
) miné, malgré tous les efforts illusionnés de l'auteur
pour lui échapper, pour le recomposer, à l'exercice totalitaire
du style ( pierre définitive );
il me faut succintement étayer cette sanction d'unilatéralité
des échanges entre inscription et langue d'usage: que celle qui s'inscrit
soit pétrie de l'usuelle au point de lui être soumise dans toutes
ses formations est finalement un mal qu'amoindrirons les technologies de l'écriture
-et nous pouvons en cela nous appuyer sur elles- mais qu'on n'imagine pas que
le change soit offert entre celle, coutumière, qui tisse les conversations
ou, bonnement, l'économie du dialogue, et celle qui nous concerne ici,
sous peine de soutenir la fonction ésotérico-religieuse du démiurge
écrivant (!), Mister Hors-Langage, Hagioscribe (!)... il faudra aussi
souligner combien la hiérarchie du savoir condamne celui-ci à
s'écrire, car la langue cultivée, outrepassant les devoirs de
l'usage, est immédiatement soupçonnable, d'un aspect plus ou moins
crapuleux...
'enseignement que l'on soutire au silence des bibliothèques ne servira qu'elles-mêmes et, vassalisé aux aléas du discours alentour -à son histoire & ses métamorphoses apathiques- celui du livre devra se rengorger, et taire ses propres avatars avant d'être absorbé par lui. L'autre part des formulations de nos malheureux tacticiens sera le fruit d'un nombre incalculable d'efforts, développements de trésors d'ingéniosité, de simulations maladroites, pour les soumettre à ce que l'on croit devoir respecter, des règles de la crédibilité vériste aux règles incongrues et normatives du genre... le reste sera mort ou figé dans la langue de celui qui aura cru au simulacre, qui n'a qu'une bouche là où il en désigne mille... On essaiera alors de puiser dans ce que l'on croit connaître des multiples idiomes qui font ce phéromone étranger, nourrissant nos fantasmagories de tribus, de circonstances, on croira se soucier du respect de leurs formes, là où l'on se sera seulement plié aux habitudes caricaturales qu'en ont donné les prédécesseurs, on fera jongler les manières (cf: Barthes in Le degré zéro de l'écriture )...
ais
l'on n'aura, hélas, que le même inamovible souffle à proposer;
épuisé, floué, éloigné à jamais de
la protéiformité des idiolectes qui se croisent dans le cadres
des vies, on créera un artefact invivable de personnalités hybrides,
monstrueuses, accumulation de glaises éparses autour de notre propre
pétrification, que l'on pense faisant illusion de distinction, d'hétérogénéité,
mais qui ne propose qu'une seule trajectoire, sous la forme appauvrie d'un réseau
d'effets, d'accents toniques plus ou moins convaincants.
2° : CUT
a
voix en mille, éclatée, la sienne même s'y confondant, infiltrée
d'innombrables voyages incertains, profusion dans LA BANK-MEMO, insinuations
fragmentaires de l'ensemble du monde, bavard, surinformation volontaire &
salutaire, absorbant à son gré les parasitages, ne se contentant
pas de clouer la langue d'usage propre en embrassant toutes les autres, mais
plantant là, par la même occasion, le fil ininterrompu de la fiction,
l'enchaînement linéaire, téléologique (aux finalités
& aux démonstrations nécessairement restreintes à l'échelle
d'une idiosyncrasie) des propositions:
le Bank-Writing peut ignorer jusqu'à la moitié des connaissances
véhiculées par le fruit de son pillage, les effets en seront finalement
la naissance de la trajectoire écrivante la plus proche de la boulimie
mnémonique & de son fonctionnement usuel, erratique et de mauvaise
foi...
L'extrait suivant d'un work- in-progress
, ÉPHÈSE, fournira ici une formulation plus précise de
cet aspect de la BANK-MEMO que je veux souligner, en m'évitant un type
d'écriture qui m'est pénible et me rend souvent maladroit:
«Écorchée,
la tendre pellicule du Monde ne semble rien devoir enseigner à Éphèse
que ce qui lui est à chaque fois le Monde; ceci avec une violence telle
que toute précédente image de l'écorce s'annihile, et avec
elle, un véritable monde déjà voué à l'oubli:
l'enfouissement est à Éphèse une archéologie immédiate
du secret, de l'opacité, mais un archivage primmordial, surtout, de la
couleur; ocre, rouge, sienne, sépia, recelée sous d'innombrables
épaisseurs, voilà la nature même des découvertes,
selon cette femme appliquée qui ne veut rien savoir de la lumière
ni de ses effets. Clarté et obscurité en sont les uniques pôles,
charnières d'un opercule qui divise les hommes, taraudant pour eux le
Monde, ou leur refusant son éclat.
Une breloque minérale n'est
rien autre que crayeuse, ou brunâtre, ceci immuablement, et ce qu'elle
emprisonne, engangue, est une seconde concrétion dont la pelure éclate,
se révèle, pour peu que l'on creuse...
Alors, la nuit est la faiblesse des yeux fatigués d'Éphèse,
et il lui faudra attendre un tissu nouveau pour retendre le ciel et repousser
ce menteur albédo qui étouffe la réalité patiente,
attendant, inchangée, d'être perceptible.
L'homogénéité
assourdie de cette parade pelliculaire du ciel ordonne momentanément
aux paupières de se clore, pour préserver les globes à
vif de l'emprise qui fera mentir le Monde jusqu'à l'expulsion de sa prochaine
exuvie... Cette apparente réduction du Monde à un oignon capital
s'accomplira en fait, par la suite, dans l'évocation d'un nombre épouvantable
de concentricités, rayonismes, juxtapositions, rhizomes, dont l'ultime
effraction naissante -architecture odieuse et insultante nous dérobant
puis recrachant comme une insulte le corps d'Éphèse et de ces
lignes qui la tissent- est le miroir, bien entendu; nous renvoyant sans cesse
tant aux investigations infinies d'Éphèse traversant la terre
du regard, faisant s'effondrer les parois du dédale dont elle ne veut
accepter les règles d'errance, qu'au Zim-Zum d'un miroir se retranchant
de lui-même pour céder une portion de sa lacune à un autre
lui faisant face, cet étouffant exosquelette spéculaire du Globe
est le dernier avatar d'un Monde qui offrirait plus de mirages de ses roches
qu'il n'embrasse de déserts.
Des effets immédiats de
cette surface qui recueille inlassablement toutes les questions d'Éphèse
sans lui octroyer la moindre parcelle d'exactitude, sans lui soumettre d'autre
réponse que sa perte parmi ses multiples corps, elle aura tiré
la représentation d'un appareil satisfaisant pour se rendre mémorable
à elle-même: un peu plus élucidable qu'une sphère
seconde de condensation qui tiendrait lieu de voûte céleste aux
hommes, les renvoyant sans cesse à leur échelle, leur agitation,
Éphèse envisage donc la réalisation d'un mécanisme
sans faille, se substituant au ciel, constitué d'un enchevêtrements
géodésique de tubulures souples et interminables, sans plus aucun
orifice discernable entre les mailles de leur trame ténue, au travers
du fatras d'objectifs, micros, digitalizers sonores, qui y sont fixés
en grappes, faisant rayonner sans la moindre défaillance un réseau
de faisceaux conjonctifs, dont l'imperméable capture, au sol, abreuve
récepteurs, écrans, frame grabbers, vidéo-tapes, bandes
magnétiques & graveurs digitaux, repérant et enregistrant
tout ce qui puisse être humainement ou entomologiquement considéré,
simultanément au Monde, rivalisant avec lui, échafaudant et figurant
enfin son histoire, une enveloppe de forages, fouinements jusqu'à l'exiguïté
des infinies querelles ou réconciliations, des infimes accouplements,
des coups de pieds au chien, susceptible d'assimiler et transmettre en pure
perte, l'inutilisable avalanche des moindres renseignements événementiels
à la première surface;
et cet impensable oeil introspectif qui ne tarderait pas à voir les
hommes s'asseoir définitivement pour contempler, inlassables, l'image
de leur immobilité, Éphèse le considère comme seule
possible mémoire; une représentation totale et simultanée
à la présentation, ceci afin d'échapper définitivement
à toute forme de parcellisation de la connaissance, aux os égarés
des paléontologues, à la surévaluation du signe qui se
fait trop rare, à son actualisation conditionnelle dans l'Histoire du
moment, afin d'échapper au bras brisé d'un tronc introuvable issu
de la statuaire incomplète d'un sculpteur prolifique né en siècle
qui dut en connaître beaucoup d'autres mais dont le nom s'est perdu.
Oeil introspectif au sommet de
sa gloire, l'apothéose inculte, par surcharge.
Mais, plus invaginé dans
notre méthode, ce Monde à côté du Monde -ces vies
parallèles- a déjà trouvé son interrogation dans
l'écriture supplémentaire... probablement née du redoublement
d'Endymion dans cette sorte de Mort qui fut, plus que son sommeil, la description
de celui-ci par le premier miroir sans reflet... soumis à la langue,
au panorama typographique, le Monde s'y trouve supplanté au coeur de
l'appareil spirituel qui sert à l'approcher. Interminable descriptif
de ce qui, déjà, est à proximité, l'écriture
supplémentaire et, pour peu que l'on se prête au jeu du solipsisme,
le cheminement de toute écriture, qui est le produit du monde qu'elle
a produit un jour, dans lequel elle se surprend, se voit surprise par lui dans
sa nudité et lui lâche ses chiens.
Derrière elle, l'accroc
est recousu.* »
3°:TRACTATUS-POST-HISTORICUS
a
génération d'unités coexistantes mais disjointes (celles-là
même le plus souvent qui tentent le rassemblement illusoire de l'usage
& de l'inscripit au nom de la spéculation/démonstration -scientifique/journalistique,
et qui sont ramenées ici, dans la BANK à leur essence:
le maximum d'aspect informatif -leur
seul poids ÉTANT ce par quoi ils se définissent eux-mêmes-pour
le minimum d'information), unités brassées dans un même
corpus mais interchangeables, parlant partout à la même hauteur,
cette recomposition à l'infini d'Expérience(s) autorise aussi
l'évacuation de celle(s)-ci, de l'autorité, de la propriété
du discours: aussi illusoire, vaine, que pourrait-être l'idée d'un
récit s'auto-écrivant, livré à lui-même /à
la sauvagerie/ (ramenant une fois de plus le Cut-Writing au degrÓ de
l'écriture automate), on peut cependant saluer pour une fois (même
si la cutterisation n'est que le premier pas d'une enfilade de technologies
scripturantes) une écriture désencombrée de l'arrogance
du voyageur, celle du rescapé, ou bien celle du rhéteur, claires
conditions de l'Expérience et de sa souveraineté scandaleuse,
ici condamnées.
L'évènement n'est pas,
dans le Cut, asservi au désir de le voir surgir opportunément
au coeur de la fiction qui doit l'accueillir, désir sur lequel elle a
bâti sa nécessité, mais bien au brouhaha dont il est issu,
qu'il rejoint encore pour s'y perdre, et à la confusion qui fait le monde...
à l'instar de la musique dodécaphonique en tout point également
proche du centre...
La mimésis qui finit par rassembler
le produit de l'écrit-cut et le monde, n'est pas tant issue de ce désir
-romanesque-de lui renvoyer infiniment la balle en lui disputant la part du
discours, que d'une technologie de l'écriture qui, elle, renvoie directement
à sa constitution, à notre position dans cette constitution: il
n'est pas étonnant alors de constater cette spécularité,
si l'on conçoit que ce sont leurs trajets respectifs qui les réunissent
en un même projet, et non les objets qu'ils produisent : eux, ne vaudront
que pour ultime témoignage, et en eux, s'opérera ce constat...
e roman
est une parodie du cut-up...
*Note du webmestre, 2003: Tout ceci a pris un tour extrêmement ordinaire et propulse ce pauvre texte dans les intrigues de l'actualité. Évidemment, depuis 1993, Internet (la double-bande du monde indifférencié) et la télé dite réalité (les caméras invaginées) ont fait éclore des millions de petites Éphèse...