Loïc Largier, note sur le texte de Ooolong
Ainsi de l’annonce laconique faite par le présentateur de la cérémonie des Alph’Arts en 2003 lorsqu’il remporte le prix du meilleur album : « Chris Ware bien sûr ! »(1) comme s’il ne pouvait y avoir d’autre choix légitime que celui-ci, d’évidence et de raison donc.
Parce que Chris Ware c’est, reporté dans l’aujourd’hui de la bande dessinée, celle qui se cherche en tant que forme propre, et tente de s’inscrire en autonomie dans le champ, disons pour l’instant comme littérature (« La littérature n’est pas plus un genre que la bande dessinée », Jean-François Savang, « Le récitatif contre le récit », Pré carré 6, p. 33), la figure mythique de l’auteur. Celui qui, fort de l’héritage « d’une tradition [de la bande dessinée] parmi les plus brillantes » (Jacques Samson et Benoît Peeters, Chris Ware ; La bande dessinée réinventée, p. 5) connaissant son histoire sur le bout des doigts et vouant « une admiration immodérée à de lointains inventeurs de la bande dessinée » (Ibid., p. 5) a forgé longuement ses armes par une « pratique exigeante et formatrice du comic strip » (Ibid., p. 5) dans les tréfonds de la presse, invisiblement, patiemment, avant d’émerger en pleine lumière au faîte de ses moyens techniques par la création d’une « œuvre d’une inventivité exceptionnelle » (Ibid., p. 5) se doublant d’une défense acharnée de l’objet livre imprimé « pourtant une technologie dont le futur paraît à certains bien menacé. » (Ibid., p. 5)
Filiation naturelle avec l’histoire de la bande dessinée, travail patient dans les méandres de la création industrielle de comic strips puis surgissement comme auteur véritablement ainsi qu’ardent défenseur du livre imprimé toujours en train de mourir, il n’en faut pas plus pour construire la légende Chris Ware, homme dont la timidité et l’absence de confiance en soi, en tout cas dès qu’il s’agit de relations sociales, finissent de structurer la figure auteur de bande dessinée, amalgamant tous les fantasmes qui peuvent y être joints « Enfant, j’imagine que vous passiez beaucoup de temps à dessiner ?
— Oui, je ne sortais pas beaucoup. » (Ibid., p. 40)