note de Loïc Largier à propos de la note de Julien Meunier sur le texte de 0olong

Ne pas décider trop vite entre l’abstrait et le concret, ou imaginer la possibilité que ce soit les deux en même temps, abstrait et concret. En exemple, ce qui se produit au sujet des visages à partir du Acme Novelty n°19.
Si ce livre et Lindt, le Acme Novelty n°20, ne se suivent pas directement (on change de personnage, on raconte une autre histoire), on peut y trouver tout de même une forme de continuité.

Julien Meunier.


Les visages chez Chris Ware. Précisons : les visages dans les Acme Novelty Library : les visages dans l’histoire de Jimmy Corrigan (jusqu’au A.N.L. numéro 14). Jusqu’à cette rencontre entre Jimmy Corrigan et son père, jusqu’à ce que celui-ci meure, disparaisse, très peu de temps après leurs retrouvailles — point d’orgue dramatique : les retrouvailles avec le père si longtemps toujours absent tournent court, les retrouvailles (on n’en attendait pas moins) ne pouvant se révéler que d’une brièveté telle qu’elles rendent impossible le rattrapage affectif que l’on en espère. De ce moment, de cette rencontre entre Jimmy le jeune et Jimmy le vieux, les visages alors se montrent, se découvrent quand bien même certains resteront quasiment obturés — une seule exception, celui de la mère. Alors qu’avant, souvent cachés, coupés, hors-champ par le cadre de la case, ils étaient obstrués, bouchés, par un objet, une parole via une bulle recouverts, une mèche de cheveux souvent couvrant les yeux, parfois vus de dos.

Les visages apparaissent progressivement bien qu’encore des lunettes puissent servir à invisibiliser, à différer l’identification d’un visage pourtant bien présent, ou à le banaliser — un visage et non pas « le ». La mort du père — sa rencontre avait pourtant déjà suffi à ouvrir les yeux sur le monde autour — débloque.

 

 

L’absence trop présente bloquant tout, la présence retrouvée rend moins vive celle-ci mais elle déçoit. Avoir perdu sa vie à attendre « ça », ce père-là, « ça » se prétendant « le père » sans qu’il ne soit possible d’en être véritablement sûr et certain. Les visages apparaissent-ils parce que le monde s’ouvre ? Mais cette ouverture au monde coïncide tant avec la rencontre du père qu’elle ne peut que m’être suspecte dans le projet de Chris Ware. Trop psychologiquement lisible, je ne sais pas qu’en faire.

Surtout, c’est ma difficulté à envisager la projection nécessaire à la construction d’un tel mouvement graphique qui me laisse coi. Penser que ce type a, dès le début, prévu cette apparition progressive des visages des autres coïncidant avec l’invention du père, me semble le geste insignifiant d’une puissance narrative à l’œuvre et d’une pensée globale d’un projet, qui s’étale pourtant sur un peu moins d’une dizaine d’année, que je suis bien en peine de concevoir et d’envisager.



(1) http://www.dailymotion.com/video/xpjtg_comix-chris-ware_news à 01:01