Qu' est-ce que la BD ?

« La bande-dessinée peut être éducative »

par Antoine Roux

 

Livre publié en janvier 1970, par les Éditions de l’école. Ces deux pages de définition de la bande dessinée visiblement soutenues par les plus hautes ambitions spéculatives et pédagogiques, exposaient déjà à leur parution un assez extraordinaire concentré d’inepties. Mais ce tissu de divagations historiques, d’hypothèses bâties sur des nuées, d’analyses puériles et d’a priori, est encore plus chatoyant en 2017 alors que ses motifs grossiers barbouillent encore la pensée d’un nombre assez considérable de spécialistes. Cette attirance néfaste de l’idiotie par l’idiotie agglutine autour de notre discipline, depuis un temps infini, tous ceux qui prétendent trouver en elle jeunesse et légèreté et qui en vérité l’y condamnent en repoussant le plus loin possible d’elle toute autre forme de lecture, toutes autres catégories de lecteurs. Gageons qu’elle a encore de nombreuses années devant elle et qu’elle nous survivra. Inévitablement. En attendant le jour de notre requiem, réjouissons-nous d’un petit brin de lecture.

Dépot légal : 01/1970 — Achev. impr. : 06/1982 — ISBN : 2-211-98000-7

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Une définition liminaire ne paraît pas inutile, pour bien cerner le phénomène. Il est en effet agaçant d’entendre parler de B.D. à propos d’Altamira ou des bas-reliefs égyptiens!... Il convient de situer exactement la B.D. à l’intérieur d’une catégorie plus vaste, celle de la narration figurée, laquelle peut être peinte, sculptée, gravée, dessinée aussi bien qu’imprimée ou photographiée. Par exemple, il faut la distinguer nettement du romanphoto (sans dynamisme) et du dessin animé (d’un dynamisme tout différent)…

 

 

 

La bande dessinée

ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas


Qu’est donc à proprement parler la bande dessinée ? C’est en faisant appel à la fois au mode de diffusion, au but poursuivi et à la technique de narration que nous arriverons à une définition correcte.

1 La bande dessinée est d’abord chose imprimée et diffusée à des milliers d’exemplaires ; elle fait partie de ces mass média tant à la mode, (les sculptures de la colonne Trajane, bien que vues par des centaines de milliers d’yeux n’en restent pas moins qu’un phénomène voisin). C’est un objet bon marché, susceptible d’être collectionné et échangé, jeté au bout d’un certain temps sauf cas exceptionnel, puis recherché, longtemps après, par des collectionneurs nostalgiques.

2 La bande dessinée est un récit à fin essentiellement distractive au départ, la partie informative étant secondaire et plus ou moins involontaire : c’est à partir de ce but ludique, orienté d’abord vers l’humour, que les Américains ont baptisé le genre tout entier, les Comics, ou Funnies.

 

 

3 La bande dessinée est un enchaînement d’images, et un enchaînement serré : une vie de Napoléon en 5 images n’est pas une bande dessinée, n’en déplaise à « l’Education Nationale » (n°15 -16 du 29/4/65); par contre, la tapisserie de la Reine Mathilde en serait une n’étaient les restrictions 1 et 2…

4 La bande dessinée est un récit rythmé, si l’on veut une définition encore plus orthodoxe : soumis à une interruption quotidienne ou hebdomadaire, entraînant un certain suspense. Les spécialistes de la B.D. la séparent ainsi des « comic books » aux récits complets ; nous n’irons pas jusque là dans l’exclusive ! Le caractère suivant servira davantage de critère.

5 La bande dessinée inclut un texte dans ses images, texte qui se distingue par sa parcimonie et qu’englobent le plus souvent les fameuses bulles — les pédants disent les ectoplasmes ou encore les phylactères, en souvenir des compositions graphiques du Moyen-Âge et de la Renaissance (elles-mêmes dérivées des pratiques hébraïques de la prière). Le système qui a longtemps prévalu en France d’un texte sous-jacent, que les images ne faisaient qu’illustrer (Le Sapeur Camember, Les Pieds Nickelés, Bécassine), n’est pas à proprement parler de la bande dessinée. Aussi nos amis italiens appellent les B.D. des fumetti, pour bien mettre l’accent sur le rôle de ces « petits nuages » dans le complexe « logo-iconographique » (que l’on se rassure : je me servirai très peu souvent de mots aussi rébarbatifs !)

6 Ceci étant rappelé, on signalera enfin que la B.D. à bulles est historiquement un phénomène américain destiné en priorité aux adultes : on peut situer très précisément dans le temps l’apparition des premières B.D. « complètes » aux années 1896-1897.

 

 

• Le dimanche 16 février 1896 apparaissait dans le « World » de New York un marmot aux oreilles en feuilles de chou, qui allait devenir très vite célèbre sous le nom de « Yellow Kid », et que rejoignirent bien vite d’autres garnements.

• Le dimanche 12 décembre 1897, le « New York American » offrait à ses lecteurs en page 8 de son supplément illustré « une splendeur polychrome auprès de laquelle l’arc-en-ciel ressemble à un tuyau de plomb », une attraction inédite les Katzenjammers Kids (Pim, pam, poum). Les réalisations antérieures ne sont que la « préhistoire » de la B.D. Lorsque les B.D. made in U.S.A. gagnèrent l’Europe, elles y rencontrèrent les histoires à légendes pour enfants, du type « image d’Epinal » : elles furent considérées en conséquence comme un type de récit destiné avant tout aux enfants. Grave méprise qui a longtemps pesé sur le développement de la bande dessinée, mais qui a permis, par ailleurs, l’éclosion d’une bande dessinée pour les jeunes typiquement européenne, après la deuxième guerre mondiale surtout. À côté de la simple traduction des bandes venues d’outre-Atlantique, il se produisit alors une osmose des productions françaises et belges, avec l’appoint de dessinateurs espagnols venus travailler en France (dont le principal est José Cabrera Arnal créateur de Pif-le-Chien) : Hergé, Edgar P. Jacobs, Jacques Martin, Paul Cuvelier, Willy van der Steen pour le journal Tintin ; Franquin, Maurice de Bévère, Joseph Gillain, Sirius,Victor Hubinon. Will pour le journal Spirou, créent des héros et des bandes qui donnent à la production européenne pour enfants cette habileté du récit et cette maîtrise graphique que les grands créateurs de la B.D. avaient su faire prévaloir aux U.S.A. Depuis, les maîtres ont fait école, entretenant un certain style du graphisme et du scénario, à côté des nombreuses éditions d’origine américaine qui nous reviennent via Milan, et sans oublier le toutvenant des mensuels, fourni par d’anonymes dessinateurs besogneux.