Asemic walks (Hartmut Abendschein, Timglaset, 2020)

par Alexandra Achard

Petite, les cartes m’offraient à chaque rencontre une perception candide de l’espace, libre des conventions utiles à leurs manipulations, une projection réduite et soumise à mon seul imaginaire. Partant, cette vision despotique de ces objets fut confortée, de longue année durant, par l’idée que la carte avait cela de plus honnête que l’histoire de n’être propre qu’à la vision de son auteur — autant de vues du monde, de balades, de récits ouverts et accueillants. Elles ont pour moi toujours primé sur les histoires. Le domaine des représentations de l’espace dépassait alors celui de la représentation du temps, tant il n’avait pas les défauts de s’imposer au présent et de se prendre pour la réalité qu’il esquisse. Mon choix était fait : j’errerai donc dans ces projections d’espaces sans règles ni obligations.

 

Je découvrirai plus tard les enjeux du non-représenté, de l’arbitraire des cadres, des hiérarchies concentriques, des injonctions légendées, des types de cartes, de leurs usages et des manipulations qu’ils permettent ; que les représentations de l’espace ne sont pas limitées au dessiné et que celles du temps ne doivent rien à l’écrit ; que la carte n’était que moyen politique dont il me fallait préalablement cerner la finalité pour m’y plonger sans en subir l’arbitraire. Plus rien de la confiance en cet inconnu portant au crayon les magiques distorsions d’échelle, mais toujours la fascination pour les mondes qu’elles rendent accessibles.

 

Il me reste aujourd’hui une chose de ce regard naïf : l’amour du voyage silencieux, de la fuite permise par chaque représentation graphique libre des espaces qu’elles figurent. Comme des secrets, propres à chaque lecteur : ce pas, ce trajet et cette distance, cette rencontre, ce départ et sûrement cet adieu. Des lieux de souvenir où la place du réel n’a plus lieu, où ne restent que les points sensibles du passage. Une collision des mythes et des rêves, teintés d’autant de réel que d’imaginaire, qui par couches successives de vie, façonne les hommes et les inscrit dans le temps. C’est précisément ce par-delà le temps présent qu’esquisse Hartmut Abendschein. Des instant vécus, des lieux ou que sais-je, qui s’offrent comme autant de points de départ dans la quête de souvenirs, voyage intemporel dans la fragmentation d’une mémoire, avec toutes ses absences et ses zones grises. Celles de l’auteur mais plus encore les nôtres, car si chaque lecteur est invité à superposer les pages de ce livre à d’autres représentations cartographiques, ce sont les siennes qu’il reconnaîtra dans chacun des 50 instants suspendus et superposés de cette bande temporelle. Comme le socle de notre histoire, car nous ne sommes que la somme de nos trajets où le temps n’est rien d’autre que le lieu et l’espace des présents.