SUR 2280 — SORACIP, AUTOUR DE.
(un dessin de Jérôme Puigros-Puigener)
par Loïc LARGIER
En imaginant que les images parlent d’elles-mêmes, ce qui se trouve ci-contre relèverait alors d’une tentative ou plutôt d’un essai de critique visuelle. Il faut pourtant bien les tenir : s’exerce ici un essai cartographique. Comme une carte, c’est une mise en relation d’éléments les uns avec les autres afin d’y circuler ; une composition. Il ne s’agit pas tant de dire que l’image (le dessin) de Jérôme Puigros-Puigener 2280 — Soracip(1) quelque chose à voir avec ces autres images quea de souligner et mettre en lien ce qui s’agite en elles, entre elles. Ce choix aurait pu être tout autre, et peut-être lui opposera-t-on de procéder trop fortement du champ de l’art, formulant à sa suite une vaine tentative de légitimation de ce dessin et, in extenso, de la bande dessinée, rejouant ainsi le débat sur les degrés de culture. Je suppose pourtant qu’il n’en a pas besoin et que ces images, que j’aime, sont donc les formes qui me semblent au mieux pour discuter avec le travail de Jérôme Puigros-Puigener, son dessin. C’est une cosmogonie imaginaire mise en place ici, ce vers où me renvoie Soracip. Celui-ci, tel un centre désaxé, appelle à lui ces autres images. Une image n’est jamais seule. Elle est toujours accompagnée par une autre, puis une autre qui en appelle encore une autre et ainsi de suite. On pourrait faire un livre de ces appels, un livre entièrement d’images afin d’essayer de clarifier notre situation avec une seule d’entre elles. Certains l’ont fait. Une image est un monde. Si l’on imaginait toutes les images assemblées qui, comme celle de Jérôme, ont à voir avec la grille moderniste(2), on n’en sortirait pas. Il faut stopper arbitrairement le débit de paroles des images entre elles. Canaliser une image par d’autres, c’est aussi lui laisser tout un champ libre, ouvert, celui des images absentes. C’est faire signe vers un autre, vers d’autres espaces. Peut-être est-ce cela la narration. Quand le champ des possibles est tant ouvert que le refermer l’ouvre encore. Soracip a cette capacité de n’être réduit à rien de ce qui l’entoure et d’être pourtant dedans. Réduire la béance produite ne fait qu’en augmenter la puissance puisqu’on sait bien que cela est insuffisant. Mais il faut bien commencer par un point. Ce dessin est un mésusage de la langue (si on veut bien que l’image soit un langage ; rien n’est moins sûr). En tout cas elle est un mésusage de l’image (dans le bons sens du terme). Elle en est un mésusage car provoquant un bégaiement quand s’essaie son épuisement par la parole. À voir ici comment je m’emploie à ne rien dire sur ce travail depuis le début de ce texte tout en ne faisant qu’en parler. Ça tombe toujours à côté. Ça ne fait que tourner autour. On n’en termine jamais de dire ce qui, dans l’image, fait image et sens, ce qui, dans le dessin, fait image, etc. Irréductible, l’image ne se fond pas dans le langage. Alors dans les autres images ? Cela produit-il du discours sur ? Image/dessin ? Voilà une question qui m’intéresse, m’incluant dans cette réflexion, incluant mon travail aussi, car insoluble. Dans cette image qui semble en être une, il m’apparaît pourtant que Jérôme Puigros-Puigener avant tout dessine. Il ne s’agit pas d’entendre ici dessiner comme formation/formalisation d’une image par un ensemble de traits, mais bien de dessiner — ce que j’espère aussi faire ici avec la composition qui sert de point de départ à ce texte —, c’est-à-dire un geste. Coller des petits carrés côte à côte (pour simplifier), c’est déjà du dessin. C’est un geste qui relève d’une pratique de dessin et non pas seulement d’une pratique de l’image. Jérôme dans ce cas ne fait que ce geste (il faut voir la vidéo qu’il a récemment publiée, donnant à voir par bribes ce que son travail dévoile(3)). Il désordonne en cases pour recomposer, et non pas décomposer. Il re-dessine. Il fait une bande dessinée. Le dessin est un mode de compréhension de l’image. Redessiner une image, c’est tenter de la comprendre en l’incluant dans cette compréhension. En engageant sa série de re-dessins (qu’il nomme « reconstructions »), Jérôme Puigros-Puigener me semble provoquer la bande dessinée. Un affront, qui est aussi une conséquence.
Jérôme Puigros-Puigener, « 2280 — Soracip », 2013, <iwanthabeas.over-blog.org> // Etienne Chambaud, « La danse », 2009, Beaux-Arts magazine (BAM), n° 330, décembre 2011, p. 86 // Raymond Hains, « Image hypnagogique », Pierre Leguillon (dir.), J’ai la mémoire qui planche. Raymond Hains, Paris, Ed. du centre Pompidou, 2001, p. 34 // Jacques Villeglé, « Quai des célestins », 1965, BAM, n° 285, mars 2008, p. 116 // Marcel Duchamp, « Nu descendant un escalier n° 2 », 1912, Pontus Hulten (dir.), Futurisme et futurismes, Paris, Le chemin vert, 1986, p. 281 // François Morellet, « Reflets dans l’eau déformés par le spectateur », 1964, BAM, n° 322, avril 2011, p. 126 // Ewan Gibbs, « Dallas », 2011, Vitamine D2. Nouvelles perspectives en dessin, Paris, Phaidon, 2013, p. 109 // Giacomo Balla, « Lignes en mouvement + successions dynamiques. Vol d’hirondelles », 1913, Pontus Hulten (dir.), op. cit., p. 96 // Bryon Gysin et William Burroughs, <wordpress.com/2012/04/16/burroughs23/> // David Hockney, « Toile inachevée dans photographie(s) achevée(s) », 1982, David Hockney. Rétrospective, Paris, Nathan Image, 1989, p. 218 // Roland Flexner, « Untitled », 2010, Vitamine D. Nouvelles perspectives en dessin, Paris, Phaidon, 2006, p. 110 // D.-L. Alvarez, « 00 », 2003, ibid., p. 13 // Victor Vasarely, « Métagalaxie », 1959-1961, Art press, n° 399, avril 2013 // Johannes Döring, « Living room », 2007, Art press 2. L’art en images, images de l’artiste, n° 24, février/mars/avril 2012, p. 32 // Pierre Faucheux, « Affiche de l’exposition L’écart absolu », décembre 1965, Figuration narrative. Paris 1960-1972, Paris, RMN/Centre Pompidou, 2008, p. 100.