QU’EST-CE QUE LA BANDE DESSINÉE ?

Gérard Blanchard, Histoire de la bande dessinée, Marabout université, 1969

Texte déniché par Alexandra ACHARD

 

LE PHÉNOMÈNE « BANDE DESSINÉE »

En France, Astérix et Cléopâtre, l’album de Goscinny (« rédacteur ») et d’Uderzo (dessinateur), a dépassé le tirage des Goncourt, son contemporain. Des statistiques déjà anciennes comptaient dans notre pays 180 titres de journaux pour enfants, contre 60 pour la presse féminine et 8 pour les magazines d’actualité.

24 millions d’exemplaires sont vendus chaque mois, et ce chiffre ne cesse d’augmenter : 50 % des enfants français lisent deux à trois illustrés par semaine, 40 % deux et 5 % à peine un.

Le nombre d’adultes lecteurs de bandes dessinées est considérable, qu’il s’agisse soit de la relecture des « Tintin » de notre enfance, soit des bandes inscrites dans les journaux, soit même de la publicité qui adopte cette forme. L’influence de cet intérêt des adultes pour ce qu’on a appelé « le 9e art » n’est certainement pas étranger à une plus grande qualité du dessin et à l’extension d’un « second degré » de lecture.

Robert Escarpit, professeur à la faculté des Lettres et Sciences humaines de Bordeaux, a écrit dans La Révolution du livre : « Il y a toujours eu une littérature “ lettrée ” comportant des échanges conscients entre certains publics et certains écrivains et, d’autre part, une littérature “ octroyée ” et qui est simplement la consommation anonyme de lecture par des masses dont l’importance et la composition ont varié de siècle en siècle. On commence tout juste à soupçonner l’importance de cette “ sous‑littérature ” à côté de la “ bonne littérature ”. Pourtant leurs liens sont nombreux… La comédie, le roman, la chanson ont été, à certains moments de leur histoire, considérés comme appartenant à la sous‑littérature et ne se sont trouvés promus qu’au moment où se sont trouvés promus leurs lecteurs. Plus récemment, le roman policier a subi une mutation analogue. Il n’est pas absurde de penser qu’un jour la bande dessinée, tant méprisée, tant décriée, accédera à la dignité de genre littéraire, quand ceux qui en font leur lecture habituelle posséderont les moyens intellectuels et matériels, d’une part, de formuler un jugement esthétique sur elle, d’autre part, de faire entendre ce jugement et de participer au jeu littéraire ».