QU’EST-CE QUE LA BANDE DESSINÉE ?

« La bande dessinée » Joseph Llobera & Romain Oltra, Eyrolles 1974

Texte déniché par L.L. DE MARS

 

LA BANDE DESSINÉE, ILLUSTRATION COMMERCIALISÉE

Dessiner une bande dessinée, la vendre à un éditeur, la publier… Les jeunes l’achètent ; mais les jeunes et les adultes la lisent. Ceci est la brève histoire d’une bande dessinée. Mais, combien de dessinateurs lui doivent‑ils un bon niveau de vie et combien lui doivent‑ils un moment de délassement et d’intérêt… !

La bande dessinée — la bonne bande dessinée — est la commercialisation de l’art d’illustrer. Elle sert à narrer un argument, elle crée un suspense, elle offre de l’ambiance en démontrant l’habileté de l’illustrateur dans le maniement de la figure en mouvement…

En tant qu’art mineur, la bande dessinée peut être un moyen de vivre pour le dessinateur. Si elle est bonne, elle jouira de la plus ample diffusion, non seulement dans son propre pays, mais aussi dans d’autres.

Dessiner, encaisser de l’argent pour les dessins, les voir imprimés et vendus… Savoir qu’ils sont regardés et lus. Un processus apparemment simple, n’est‑il pas vrai ? Cependant, cela exige la parfaite possession d’une technique, de l’imagination, une conception visuelle et un sens de l’action. Quelque chose, en définitive, qu’il faut apprendre pour, par le truchement de sa propre personnalité, le rendre sur le papier.

Le dessin de bandes dessinées est actuellement une spécialisation dûment commercialisée de l’illustration à la plume. C’est quelque chose comme une illustration animée. Bien que, dans un certain sens, elle soit antérieure au cinéma, elle doit beaucoup à ce dernier quant à son sens de la continuité, de la planification et des moyens visuels employés pour dramatiser certaines situations déterminées.

Cette modalité particulière du dessin à la plume permet le développement des aptitudes propres à un créateur, bien que de nombreux de ses cultivateurs aient dégénéré du point de vue professionnel vers le dessin facile, dans lequel prédomine l’action traduite visuellement par le mouvement des personnages, les nombreuses bagarres, la prédominance de premiers plans et l’absence d’un fond de sujet formatif.

Produire intéresse seulement ces dessinateurs. Comme il se fait que la production se paie à tant la bande ou page par les maisons d’éditions spécialisées en ce genre, ils négligent la qualité du dessin, le concept de l’image, la composition et la mise en page de chaque tableau… Ils ont recours à des solutions faciles, fuyant toujours, chaque fois que cela est possible, les tableaux complexes, c’est‑à‑dire ces scènes avec ambiance, plans généraux de figures entières, etc. Pour ces dessinateurs qui aiment leurs aises, il résulte plus facile de dessiner une tête et la bulle (1) correspondante que de se documenter pour présenter une scène dans tous ses détails, avec des points de repères qui permettent de situer l’action dans un endroit et une époque déterminés.

Vous ne devez donc pas prendre comme modèle ces créateurs de troisième catégorie qui ne peuvent travailler que pour des maisons d’éditions de type local. Vos aspirations comme dessinateur de bandes dessinées doivent vous inciter à monter plus haut : vers ces postes d’exception qu’occupent aujourd’hui quelques créateurs connus dans le monde entier : américains, anglais, français, espagnols, argentins et italiens, qui ont compris le sens de leur art — chaque tableau, une véritable illustration — et qui ont su renoncer aux gains faciles et immédiats pour pouvoir se placer, un peu plus tard, en une position beaucoup meilleure.

La base d’une bonne bande dessinée.

La bande dessinée est une chose qui requiert une étude détaillée et progressive. La connaissance parfaite de chacune de ses parties vous permettra de donner une expression correcte aux images. Si vous ajoutez ensuite à cela le fond, c’est‑à‑dire l’idée, qui peut être celle du dessinateur lui‑même ou celle d’un bon scénariste, la bande dessinée sera quelque chose de parfait.

Le bon créateur doit tendre, dans la réalisation de ses dessins, à

  1. la connaissance parfaite de la typologie
  2. la connaissance parfaite de l’expression
  3. la connaissance parfaite du mouvement
  4. la connaissance parfaite du découpage
  5. la connaissance parfaite de l’ambiance à leur donner la connaissance parfaite de la continuité.

Il est facile de se rendre compte de tout cela en étudiant les réalisations des créateurs de bandes dessinées de première catégorie, à tel point que même l’intérêt de l’argumentation — ce qu’on appelle habituellement suspense en cinématographie — est réglé de telle manière que chaque bande soit, par elle‑même, un petit échantillon de celui‑ci. Et ce pour une raison très simple : à ses débuts, la bande dessinée se publiait dans les journaux à raison d’une bande par jour.

Il est évident que cet aspect de la bande dessinée correspond au sujet de celle‑ci, ou, plus exactement, à son scénario, petite œuvre maîtresse de l’intrigue. Dans la prochaine leçon, vous pourrez acquérir des connaissances, assez approfondies, sur le scénario de la bande dessinée. Actuellement — comme il se fait que dans la plupart des cas, le créateur de bandes dessinées distribue et planifie uniquement en images ce scénario — , il faudra s’occuper exclusivement de la partie graphique de la bande dessinée. Il est inutile de dire que le bon illustrateur de bandes dessinées doit être un bon dessinateur. Prétendre être créateur de bandes dessinées sans dominer toutes les possibilités du dessin au crayon et le terminer à la plume ou au pinceau, c’est un peu comme si l’on voulait construire une maison en commençant par le toit. Permettez‑moi donc de vous demander… Connaissez‑vous toutes les lois de la perspective applicables au dessin de la figure ? Savez‑vous embloquer parfaitement ? Avez‑vous à la mémoire toutes les normes de la composition ? Vous sentez‑vous parfaitement capable d’évaluer n’importe quel sujet ? Connaissez‑vous à fond la technique du croquis rapide, du portrait, du dessin de figure en mouvement ? Avez‑vous pratiqué la technique de la plume et possédez‑vous l’habileté nécessaire en ce domaine ? Savez‑vous manier le pinceau comme s’il s’agissait d’un crayon ? De nombreuses questions, n’est‑il pas vrai ? Il convient cependant de vous dire que tout cela vous sera nécessaire comme créateur de bandes dessinées. Si vous ne vous sentez pas habile dans toutes ces facettes du dessin, il serait à conseiller de ne pas initier l’étude du dessin des bandes dessinées, mais bien une préparation préliminaire du dessin en général.

UN REGARD RÉTROSPECTIF

Pour nous situer dans l’ambiance, je commencerai par vous faire un peu d’histoire. En réalité, la bande dessinée, telle que nous la connaissons aujourd’hui, est le fruit de la décade des années trente. Cependant, au cours des années antérieures, il se fit quelque chose qui, de loin peut‑être, possède quelque chose de commun avec la bande dessinée. À savoir : les bons mots et les situations en plusieurs phases, les allelujah graphiques, faits bien sûr dans le style et la mentalité de l’époque. Il est très intéressant, croyez‑moi, de jeter un regard en arrière !

On peut dire que la bande dessinée est née avec notre siècle. C’est une création que les années ont perfectionnée et épurée peu à peu, jusqu’à atteindre l’étude de l’expression, la continuité et l’intérêt que les meilleurs créateurs de bandes dessinées nous procurent aujourd’hui dans leurs réalisations.

La chose commença à prendre la forme de bande dessinée le jour où il vint à l’idée d’un dessinateur de développer un bon mot ou situation humoristique en plusieurs phases. L’image devait tout exprimer ; c’était des bons mots muets, c’est‑à‑dire sans y ajouter la bulle, c’est‑à‑dire sans dialogues. Les personnes de plus de quarante ans se souviennent parfaitement de ces dessins, très travaillés à la plume, représentant des figures humaines ridiculisées, avec des mouvements exagérés, qui se publiaient dans les revues de l’époque.

 

NOTES :