1. La réaction ne trouve pas d’insulte assez sentie à l’adresse de P. Guyotat et de son texte. Sur fond(s) du "sacré" du corps social, les pontes et potentats gesticulent, appels à l’abjuration ou exécration. Procès de refoulement mais aussi mise en branle des Appareils d’Etat. En dernière instance, c’est le Capital qui intente procès au prodigue. "L’autorité (père, armée, etc.) a toujours été contrainte pour me condamner, de condamner mon texte", "mon corps appelle la saisie policière" [1]. Proscrire, colloquer, exclure, couper le crédit, fonctions d’expulsion - - - "La vie et l’œuvre de Sade n’auraient donc plus d’autre valeur d’usage que la valeur d’usage vulgaire des excréments, dans lesquels on n’aime le plus souvent que le plaisir rapide (et violent) de les évacuer et de ne plus les voir." [2].
L.I., ni explication ni conclusion d’une lutte, pose les conditions de celle-ci ; d’où un livre "inachevé", mais qui en tant que dossier de deux lignes politiques, verra sa suite se rédiger dans la netteté des deux positions. Déjà voilà les roquets des rackets, P. Morelle (Le Monde), A. Miguel (Clefs pour les arts) [3], de la même clique réactionnaire qui refoule l’avant-garde (voyez la presse sur Archées, Lois, L’Enseignement de la peinture, Cobra, Circus, Supports/Surfaces… [4])
"Au cours de l’histoire, ce qui est nouveau et juste n’est pas souvent reconnu par la majorité des hommes au moment de son apparition et ne peut se développer que dans la lutte à travers des vicissitudes." (Mao Tsé-Toung). Le corps idéaliste rejette, défèque. "La loi est pornographique" (Sollers).
2. Ces notes sur L.I. : pour re-marquer, marteler, redoubler, appuyer les coups. "Du matérialisme ; encore du matérialisme, toujours du matérialisme." POINTS. POINGS.
3. Analyse concrète d’une situation concrète, L.I. articule, enchevêtre, procès de production du texte et lutte des classes, par tous les niveaux de l’instance de la lutte. C’est le dossier de deux lignes, révolutionnaire/réactionnaire, de leur contradiction. "… cette lutte m’a finalement confirmé que mon travail s’inscrivait précisément dans une lutte tout à fait généralisée contre le pouvoir et contre l’idéologie dominante, contre l’idéalisme… C’est en cela qu’on peut rattacher ce texte, Eden, dans sa pratique spécifique, à la lutte des classes, à une pratique politique" [5].
4. Double texte, fiction et reprise théorique ; double censure / double combat. Nous n’en remarquerons ici que les coups de bélier sur ces foyers idéologiques : le géno-texte [6] et le sexe, ébranlés par une pratique, une écriture, qui en produit la brutale confrontation à la lutte des classes.
"Lever le secret de l’écriture, et surtout lier la pratique de l’écriture avec la pratique politique, cela on ne me le pardonne pas." + "Le seul fait qu’il y ait à la fois sexe et communisme déclenche immédiatement un tir de barrage compact" [7]. C’est donc donner à lire les conditions de pénétration de ce travail, l’affrontement incessant écriture/sexe/prolétariat.
5. L’"Intervention aux causeries sur la littérature et l’art" (Yenan 1942) détermine le développement d’une littérature prolétarienne à partir de la lutte et du relevé effectif des contradictions spécifiques où se développe le combat des masses. Ce relevé, P. Guyotat l’a tenu par une pratique militante en littérature, lutte contre la Représentation, et, dans la mesure du développement de cette lutte, appui sur la contradiction dans les divers appareils de production (édition, critique, / interventions orales, écrites, entretiens, ce livre : L.I.) et développement du combat politique : "en se jetant au cœur de la lutte pratique, en étudiant le marxisme et la société, passer graduellement du côté des masses". (Mao Tsé-Toung).
"La motricité est ici polyvalente, généralisée : les formulations syntaxiques et lexicales qui fixent un état, un ’être’ ou un ’avoir’, qui assignent une limite à des énumérations, qui tiendraient à abstraire ou à valoriser un fait, à le métaphoriser, qui seraient seulement utilisées dans le but de communiquer Un Sens, sont évacuées." [8] Toute la justesse d’un tel règlement vise la machinerie de la Représentation, en position dominante dans l’idéologie littéraire avec une double articulation : à l’idéologie de la bourgeoisie et à sa métaphysique logo-ethnocentrique d’une part, en déterminant le fonctionnement de la production et de l’échange de l’objet littéraire, d’autre part. Donc lieu stratégique de première importance. S’y attaquer, c’est porter la politique au poste de commandement (la Représentation aménage, fait le jeu de la bourgeoisie) et l’idéologique au premier poste.
6. La lutte spécifique contre la Représentation exige la déconstruction de l’idéologie du produit littéraire comme valeur d’échange. Elle prend de plein fouet le refoulé de la science du texte, science des rapports entre géno-texte et phéno-texte. L.I. ne produit ni une explication, ni une interprétation, mais la mise en avant du procès de production, du géno-texte, qui, pas plus que le texte ne se conformera à des normes congrues, sinon qu’il se donnera à lire désormais dans ses dimensions intolérables, hétérogènes et en lutte.
rapport de la pratique du langage aux pulsions, par le "scripto-séminalo-gramme", lié à l’envie : "Le texte est une confrontation à la langue, de ma faim organique" [9] --- oralité --- rapport à la mère : "Mon poteau à moi, c’est mon pénis devant quoi j’écris comme on écrit devant sa mère, comme on doit écrire devant elle, contre elle jusqu’au bout" [10], écriture et pratique masturbatoire, rapport corps ("Le texte a sa racine simultanément dans le corps qui agit et dans ce même corps qui écrit" [11]) / écriture et mise en jeu de la castration, par la dialectique incessante entre les trois couches : texte sauvage à l’écriture tremblée ("Le texte sauvage évacue un refoulé sexuellement brut (économiquement prostitutionnel, syntaxiquement rhétorique et linguistiquement argotique" [12]), texte de notes, et texte savant qui a donc pour soubassement deux doubles, dont chacun est travaillé dans sa fonction spécifique d’évacuation et d’enchevêtrement.
donc travail sur la langue en tant que pratique signifiante, procès destructivo-constructif du sujet à travers la langue, avec sa racine dans la prohibition de l’inceste, dans une transgression "qui traverse l’interdit sans le détruire" (voir à ce propos La Matière et sa phrase de Ph. Sollers, et dans L.I. les développements de Th. Réveillé et J. Henric) Guyotat ramasse la transgression de l’interdit de l’écriture et celui de l’inceste par "une pratique masturbatoire interdite en ce qu’elle est, comme l’inceste, immédiatement fondée sur le refus du détour (commercial, d’échange) par un objet étranger au corps propre (auto-érotisme) ou à l’objet primordial (la mère) du stade du miroir…" [13] Où "Le texte s’est écrit comme une lutte contre l’échéance de l’orgasme et contre l’obstacle de la langue, de la rhétorique" [14].
7. La puissance du travail de Guyotat force sur les enchaînements de refoulés : le refoulé de la connaissance du géno-texte se voit déterminé par le refoulé des rapports pulsions/signifiant/signifié, ou rapport sexe/langue. (Guyotat ne prône pas une révolution sexuelle quelconque et en fin de compte lieu de projection fantasmatique, mais développe une connaissance révolutionnaire du sexe, en tant que fondement de tout comportement, de tout acte et de toute langue. "D’où le fait que le sexe se trouve forcément lié dans le texte à la pratique sociale politique d’une part, mais aussi à l’écriture d’autre part, et qu’il dénude en elle le texte comme texte." [15], refoulé lui-même déterminé par le refoulé, celui des articulations sexe /politique ; ce qui déchaîne dans une symétrie touchante les accusations les plus basses ou la qualification du texte de monotonie. Logique de refoulement cohérente à elle-même vu la fonction de l’idéologie de maintien de reproduction de la force de travail : "On est passé de l’’’abject’ et du ’coupable’ au ’pas sérieux’, mais il s’agit du même refoulement." [16] Auquel cas la contradiction s’énonce comme ceci : "Pourquoi le sexe dans sa figuration sociale, ne serait-il pas premièrement analysé dans l’écriture… et deuxièmement lu avec gravité tension" [17] "Et quelle autre classe que celle qui est exploitée dans sa force de travail et dans sa force sexuelle peut opérer ce travail gigantesque, urgent ? " [18].
Sont mises en place les conditions d’une pratique doublement matérialiste de l’écriture, d’une part par un travail contradictoire aux investissements petit-bourgeois sur la langue, le sexe, l’art, sur les pratiques signifiantes ; d’autre part par l’articulation de ce travail à la lutte des masses (développement du matérialisme dialectique simultanément lié au développement du matérialisme historique).
8. "Vous n’écrivez pas pour les ouvriers". Accusation risible à y voir de plus près. Double aveuglement : le premier est ce présupposé que si le texte n’est pas lisible pour la petite-bourgeoisie, à fortiori il ne peut l’être pour la classe ouvrière ; le second se dédouble : appuyé d’abord sur le principe idéal d’une forme universelle de la littérature, il faut lui opposer par conséquent : "Dans le monde d’aujourd’hui toute littérature, toute culture et tout art appartiennent à une classe déterminée et relèvent d’une ligne politique définie. Il n’existe pas dans la réalité, d’art pour l’art, d’art au-dessus des classes, ni d’art qui se développe en dehors de la politique ou indépendamment d’elle." (Mao Tsé-Toung). De là en outre que toute littérature qui se voudrait prolétarienne ne pourrait faire l’économie de l’analyse des contradictions spécifiques de la lutte des classes, ici, maintenant.
Servir les masses exige de tenir compte de l’investissement de celles-ci par l’idéologie bourgeoise, et exige la lutte contre cette idéologie en littérature, comme dans les A.I.E. par un travail militant, journalier. Dans la mesure où l’intervention de Mao Tsé-Toung à Yenan en 1942 expose non un processus uniformisé de la littérature prolétarienne, mais un procès complexifié, contradictoire, il faut se défaire de l’illusion d’une littérature, pour les masses, qui soit une, univoque.
9. Du texte (ou fin de la célébration, du lyrisme, de la représentation, ou "théâtre d’une pratique… contre le langage oppressif qui sert à masquer toutes les réalités, le réel de la lutte, lutte de classe politique justement" [19]) à sa science (occultée et censurée par la lecture fantasmatique de la bourgeoisie, occultée et censurée par le dogmatico-révisionisme du P.C.F. dont la pratique à ce niveau est symptomatique, au même titre que la volonté d’assurer l’ordre : "Plus jamais Mai 1968 !", de la collusion du révisionnisme avec la bourgeoisie, vers une société en-transition-vers-la-collaboration-de-classes-et-la-technocratie-capitaliste-privée-et/ou-d’état ; refoulé des pratiques matérialistes, de la lutte idéologique, du matérialisme dialectique, du communisme), insérée dans la lutte de l’avant-garde, Tel Quel, Mouvement de Juin 71, pensée mao-tsé-toung, "faire avancer la langue pour produire de l’Histoire et non des ’histoires’" [20] ; porter travail et lutte sur tous les fronts, réinscrire les rapports sociaux de production, c’est-à-dire la contradiction principale bourgeoisie/prolétariat ; analyse et radicalisation de l’activité militante, du travail d’écriture (ses conditions économiques, politiques, historiques, marquées) ; adhérer à la ligne chinoise "renouvellement radical du communisme" [21], relance "de ces deux termes - dont je sais, que, contrairement au stéréotype dogmatique sur l’idyllique relation du ’culturel’ à ’la masse’, ils renforceront inépuisablement leur antinomie : le texte extrême à tout prix et le maintien, à tout prix, de mon corps, de ma pensée, dans le camp ouvrier, communiste." [22].
[1] L.I. p. 109.
[2] G. Bataille, Oeuvres complètes, NRF, tome II, p. 56.
[3] Ils rejoignent le vœu implicite de P. Daix (L.I. p. 149 et sq) que Guyotat ait quelque jour à comptabiliser, comme Sade, ses années d’internement.
[4] Archées, de Jacques Henric, Le Seuil, 1969 ; Lois, de Philippe Sollers, Le Seuil, 1972 ; L’Enseignement de la peinture, de Marcelin Pleynet, Le Seuil, 1971 ; Cobra et Circus, revues de l’époque ; Supports /Surfaces, mouvement artistique contemporain de TXT, et avec lequel la revue entretiendra des relations étroites (cf. TXT-20 "La peinture fait écrire" ), ndr.
[5] L.I.p. 51.
[6] Le géno-texte, dans la sémanalyse kristévienne, est (par contraste avec le "phéno-texte") ce qu’on pourrait appeler la "partie immergée" d’un énoncé, qui "pose les opérations logiques propres à la constitution du sujet de l’énonciation". L’étude qu’elle en fait dans certains textes est très liée à la psychanalyse, puisque le géno-texte est le "lieu" d’énonciation "où les signes sont investis par les pulsions" (citations tirées de Sèméiôtikè. Recherches pour une sémanalyse (1969), ndr.
[7] L.I. p. 68.
[8] L.I. p. 117.
[9] L.I. p. 68.
[10] L.I. p. 117.
[11] L.I. p. 45.
[12] L.I. p. 41.
[13] Th. Réveillé, in L.I. p. 121.
[14] L.I. p. 71.
[15] L.I. p. 54.
[16] L.I. p. 62.
[17] L.I.p.49.
[18] L.I.p.49.
[19] L.I. p. 51.
[20] L.I. p. 59.
[21] L.I. p. 138.
[22] L.I. p. 135.