Notre hôte: Tommi Musturi
Le prisonnier du style (et son plan d’évasion) — deuxième partie
Les hérétiques
Les écoles d’art finlandaises conseillent à leurs étudiants de ne pas exposer leurs œuvres dans des cafés ou des restaurants. D’après les enseignants, cela compromettrait leur statut d’artiste, et nuirait à leur « capital artistique ». Une telle hérésie conduit la plupart des auteurs à choisir une plate-forme pour leurs travaux en fonction de ce qu’ils représentent. Tout le monde possède son canal de publication, qu’il s’agisse des hipsters, d’artistes peintres exposant dans les musées, d’artistes pour qui l’art naïf est un mode de vie ou de barbouilleurs locaux. Ce qui les unit c’est la production de contenus uniformisés ainsi que la vision claire sur qui sont les « autres », ceux qui n’appartiennent pas à leur groupe. En cela, ils empruntent beaucoup aux groupes de parole et de soutien. Cependant, tout cela n’a pas beaucoup d’importance. Les musées ressemblent souvent à des cimetières, et le livre d’or d’une galerie locale recueille au mieux cinq signatures par jour. En l’état, cela ne fonctionne pas, et les financements alloués à l’art au niveau national sont gaspillés.
L’artiste doit aller là où l’on ne l’attend pas et où l’on ne veut pas de lui. Il lui est essentiel de dialoguer avec les gens du commun car ce sont eux qui sont confrontés aux problèmes de notre monde. Si la situation l’exige, il faut accepter de rester tout seul et refuser de se contenter d’un entre-soi confortable. Le « capital artistique » est un objectif de l’économie de marché. Il faut l’oublier. Il ne sert à rien.
Nombreux sont les artistes qui couvrent leurs tables d’ouvrages de références visuelles. Les styles sont copiés sans scrupules, que ce soit sur le plan technique ou sémiotique. Il arrive carrément aux professeurs d’encourager leurs étudiants à faire de même. En parallèle, il est impossible d’envisager un scientifique qui fonderait sa pensée sur une unique référence, et ce même quand il travaillerait pour les milieux commerciaux. Il est obligé de s’approprier tout ce qui relève de la vérité qu’il recherche, ainsi que tout ce qui lui est opposé, et de là, il doit formuler sa propre idée sur le phénomène étudié. Cela vaut aussi pour l’artiste, qui doit construire des ponts à partir de sa propre culture et de ses expériences en gardant le cap sur la sagesse. Il n’y a pas si longtemps, les illustrateurs finlandais ont pris la défense des designers de Marimekko qui avaient piraté des images, des styles, voire des illustrations entières pour leurs créations textiles. Selon l’avis général des illustrateurs, c’était « ok ». Alors qu’ils défendaient leur niche avec véhémence, je me suis senti mal : des professionnels du milieu culturel considéraient ces identités formées au fil du temps comme une simple marchandise. Il s’agissait bien de choix délibérés de la part des designers, et je ne trouve pas que c’était « ok ». Chaque auteur sait quand il vole, et le vol est fondamentalement contraire aux intérêts de l’auteur, parce qu’il y apprend peu sinon rien. Au contraire, le but est de chercher en toute occasion à apprendre, de fixer son objectif loin au-delà de ce que l’on peut trouver dans les livres. Il faut prendre du recul par rapport aux influences, mais garder en tête le chemin du retour pour pouvoir venir parler de ses trouvailles. Il est stérile de prétendre que « tout a été déjà fait », ce qui excuserait le plagiat et même le légitimerait. Même si l’espace est courbe, à l’échelle de notre espèce insignifiante, les possibilités d’expression, elles, sont infinies.
Il est typique du XXIe siècle de ne trouver que rarement un véritable contenu sous tous ces styles multiples. Par contenu je veux dire l’envie de communiquer, d’échanger avec quelqu’un sur quelque chose, la capacité à saisir l’essentiel dans un moment éphémère, à présenter une chose sous un angle différent, à créer des convergences surprenantes, à comprendre une vérité fondamentale de la vie et la communiquer à autrui. Sans se soucier de savoir si il aimera ou pas.
L’auteur et son style
Au commencement, pour l’auteur, doit être le contenu. C’est le contenu qui doit orienter l’auteur à choisir la forme qui lui convient le mieux ; il serait vain d’essayer de forcer la musique à prendre la forme d’une bande dessinée, ou d’illustrer un poème quand il faudrait laisser au lecteur le soin de créer ses propres images mentales. Quand la forme apparaît, charge à l’auteur de la doter du style qui permettra de communiquer au mieux le contenu. Voilà l’essentiel. Le style est lié au besoin particulier de l’auteur, tout comme les lettres le sont au texte, ou au langage parlé. La fonction du style est d’exprimer un message le plus précisément possible. La précision n’est pas seulement de l’information, mais quelque chose de bien plus délicat ; tout comme les premières lueurs d’un matin d’été prennent un aspect différent selon le moment, le lieu et la personne qui les voit. Alors, au lieu de répéter et de copier, il faut tenter de capturer des moments dans leur ensemble et pour ce faire, se servir de tous ses sens. En tant qu’auteur de bande dessinée, avant de me mettre à travailler, je me pose des questions détaillées sur le rapport entre le texte et le dessin, les besoins en couleurs, le type de rythme qui convient au récit, ce que je peux laisser à l’appréciation du lecteur et ce que je lui explique, la personne à qui je m’adresse, etc. Le style d’une œuvre spécifique est défini par plusieurs facteurs ; et souvent il a peu à voir avec mes goûts personnels. La plupart du temps, l’auteur doit se défier lui-même. Il faut qu’il se mette dans une situation d’inconfort, et qu’il sacrifie l’élégance, la beauté et la recherche d’approbation des autres. Il faut dessiner des choses difficiles. Casser quelque chose. Se remettre constamment en question. C’est alors qu’apparaît mon identité unique et personnelle, et exit le « moi » artiste ou le « moi » lambda. Le moi de l’auteur n’est pas un style superficiel, bien au contraire, son identité est définie par le contenu : Qu’est-ce que je veux dire ? Qui suis-je ?
L’auteur peut livrer au récepteur de son art des pensées claires et réfléchies, mais il peut également lui proposer des points de vue différents, ou se contenter de le mettre à l’épreuve, ce qui permettra au récepteur de développer sa capacité à percevoir, à sentir et, au final, sa capacité à réfléchir. Pour que l’auteur y parvienne, son expression doit être libre et diverse. Cela implique nécessairement une volonté et une capacité d’apprendre. La finalité, c’est de transmettre. L’auteur doit réfléchir à ce qu’il veut dire et quelle est la meilleure manière de le transmettre au lecteur. Le style d’un auteur de bande dessinée peut être défini par son dessin, ses couleurs, sa narration, son contenu et ses détails. Quand il a à sa disposition une quantité infinie de modes d’expression, cette liberté peut paraître lourde mais c’est en travaillant que l’on mesure ses implications. Il faut s’approprier les diverses techniques et les outils qu’elles requièrent, les diverses dimensions (des peintures miniatures jusqu’aux ouvrages en plusieurs volumes), les diverses publications, les lieux d’exposition, les espaces urbains et apprendre à les utiliser. Tout est possible, bien évidemment, car c’est toi-même qui décides de ce que tu fais. J’appelle cet ensemble « le spectre de la création ». Il s’agit d’un état particulier à la fois physique et mental où les réflexions et les idées parviennent à trouver leur expression et leur représentation naturelles.
Les modes d’expression et les styles peuvent être comparés aux langues et aux dialectes. On n’a pas besoin de tous les connaître, il suffit d’en savoir assez pour se faire comprendre. Jouer du banjo sert certainement de leçon à l’auteur non seulement sur la musique mais sur le rythme, la structure et les nuances de l’œuvre ; choses essentielles à maîtriser pour celui qui fait de la bande dessinée. Tous les modes d’expression et tous les styles doivent être compris comme un spectre de discours et de création qui ne connaît pas de limites. Cloisonner les choses est symptomatique du capitalisme ; au commencement étaient le son et le rythme, plus tard la musique puis finalement, il y a de l’« adult rock » suivi de concept stores où on a le choix entre les thèmes de hip-hop, le style gothique ou que sais-je d’autre. L’auteur ne doit pas penser à ce qu’il fait mais à ce qu’il veut dire et transmettre. Il est dangereux d’appréhender son travail par le biais du style seulement. Certes il faut avoir la connaissance claire de ce qu’on est en train de faire mais en même temps, se laisser guider par son intuition.
Ne pas avoir de style peut aussi devenir un style qui se traduit dans un besoin pressant de faire les choses différemment ou dans une impression désagréable de devoir constamment se renouveler. Mais le plus essentiel, c’est d’être imprévisible. Pour y arriver, il faut savoir ce qu’on a déjà fait et comment les récepteurs l’ont vécu tout en ayant la conscience que trop de satisfaction nuit à l’un et l’autre des deux parties. En d’autres termes, il faut que ce soit l’auteur qui mène la danse. Dans le meilleur des cas, les deux évoluent et apprennent quelque chose sur eux-mêmes. Changer de style peut aider à l’auteur à se comprendre lui-même. Il doit soumettre chaque style de dessin ou de narration choisi pour transmettre son message à un examen détaillé : quels outils utiliser ? Dans quel format dessiner ? Comment délimiter ma narration ? Comment utiliser le texte ? Ne pas avoir de style procure un sentiment de liberté car l’auteur n’a plus d’obligation de représenter quoi que ce soit. Simultanément, cela lui permet d’avoir du recul par rapport à son œuvre, ce qui aide à maîtriser l’ensemble et ses nombreux détails. Il peut alors mobiliser ses différentes influences et références pour réaliser des frappes ciblées en direction du récepteur afin de le surprendre.
Les exigences stylistiques ont nécessairement un impact sur le contenu, sur ce dont l’auteur veut parler. Certains s’obligent à toujours être drôles ; d’autres ont besoin de créer un suspens. Quelqu’un dessine « mal » parce que c’est la tendance du moment sur la scène artistique. Quelqu’un veut être politiquement correct, et quelqu’un d’autre veut transgresser tous les tabous. Je le redis : l’auteur doit se renouveler en permanence. Il doit refléter la vie. Cette vie qui est comme un fleuve né de différentes réalités et émotions, avec ses écumes et ses endroits calmes, et où le chagrin est souvent le préalable du bonheur, la peur suscite la haine, les sons se font mieux entendre après le silence, les explosions semblent plus fortes quand elles adviennent après le quotidien.
Le style dans la bande dessinée
Dans la bande dessinée, le style est bien plus que le seul ensemble visuel de l’œuvre. À vrai dire, un style visuel uniforme a très peu à voir avec le fonctionnement d’une bande dessinée. L’auteur construit son identité également sur sa narration ; comment il utilise le langage du mouvement, le rythme et le texte, comment il profite des diverses régularités et comment il s’en sort avec les délimitations qu’il s’est volontairement imposées. La liberté de la création est souvent le résultat de la connaissance du style et de ses limites particulières. L’auteur a intérêt à se mettre des limites bien définies et ce même si cela peut lui paraître compliqué de manœuvrer en leur sein. Les délimitations permettent à l’auteur de préciser et de cibler la communication de son message. Dans cette tâche, il est réconforté par le fait qu’il peut changer les règles du jeu à tout moment.
Le marketing a tendance à cloisonner la bande dessinée de la même manière que le reste de la culture. La bande dessinée actuelle se trouve souvent soumise à des catégorisations telles que le Disney, les gros nez franco-belges, les super héros américains, ou le manga. L’auteur n’a pas besoin de penser à ces cloisonnements, cependant il doit avoir connaissance des styles différents et de leurs références. Il serait souhaitable que tout auteur de bande dessinée contemporain qui s’appuie sur le contenu dans sa création, s’intéresse justement au mainstream de la bande dessinée et à ses mécanismes, tout en ayant pour finalité de pouvoir transmettre son message à un lecteur lambda dans un langage que celui-ci comprend. Par comparaison avec beaucoup d’autres expressions artistiques, la bande dessinée jouit d’un énorme avantage : quasiment tous les gens nés dans les années 1990 ou avant ont lu des bandes dessinées à un moment de leur vie. La poésie, par exemple, n’a pas un contact d’une telle ampleur avec l’homme de la rue. La bande dessinée représente également de nombreuses histoires de réussite qui se déploient au fil du temps. Les expériences générationnelles représentent pour l’auteur autant de surfaces de communication à travers lesquelles il peut atteindre des publics d’âge et de type différents.
Une des raisons pour lesquelles je crois en la bande dessinée en tant que mode d’expression est justement liée à sa possibilité d’atteindre de larges publics. Pour y parvenir, l’auteur a intérêt à choisir un style qui d’une manière ou d’une autre est identifiable pour le lecteur. Dans mon œuvre, ce sont les Livres de M. Espoir et les deux romans graphiques de Samuel où je tire parti d’un univers visuel relativement connu du lecteur. Le style du dessin de ces ouvrages n’exclut pas de publics, et la narration propre de la bande dessinée est déterminée par le contenu. Je me suis pour ainsi dire emparé des moyens capitalistes pour les mettre à mon propre service. Cela ne veut pas dire que j’aurais fait des compromis dans mes ouvrages ; au contraire, dans les limites posées, j’ai pris toutes les libertés que je voulais. Du point de vue du contenu, j’ai raconté exactement ce que j’avais envie de raconter, et le contenu des Livres de M. Espoir et des ouvrages sur Samuel opère à plusieurs niveaux et offre plusieurs possibilités d’interprétation. Je crois avoir réussi, car les deux œuvres ont réuni des lecteurs qui se trouvaient aussi en dehors de la scène de la bande dessinée. Une preuve qu’un auteur comme moi, en suivant les idées présentées ici, peut donc subrepticement rendre son œuvre plus facile d’accès. En abordant le concept du style aussi amplement qu’ici, je suis réconforté en me rendant compte que dans mon œuvre aussi, le style n’est clairement pas plus qu’un emballage qui sert à attirer le lecteur. Car une fois que le lecteur a le livre dans ses mains, l’auteur peut lui parler de choses même difficiles.
Comment fonctionneraient les joies homosexuelles de Tom of Finland dessinées à la manière des Schtroumpfs ? Une description auto- biographique de la vie de bohème exploitant des codes du manga commercial ? Le quotidien d’un chômeur à la manière de slapstick réalisé par Vincent Fortemps par exemple ? La guerre en Syrie à la Peanuts ? Garfield et Obélix ? Même Chris Ware pourrait tout à fait dessiner différemment un jour, ou du moins raconter une histoire imprévisible.
Dans le meilleur des cas, le lecteur réalise quelque chose au sujet de la bande dessinée en tant que mode d’expression, et peut désormais accepter des contenus qui non seulement le divertissent mais exigent aussi de lui une réflexion. Le voyage vers de nouveaux publics est certes long pour l’auteur. Il faut qu’il ait quelque chose à leur dire et une capacité à l’exprimer. Mais il ne suffit pas seulement de faire, il faut aussi avoir accès à des voies de publication. Se dire que la qualité de l’œuvre suffit pour la porter ne mène à rien, surtout dans le monde actuel. J’ai souvent fait la remarque que, pour moi, la bande dessinée est la chose la plus difficile que j’ai jamais faite.
Exemples imprévisibles
Depuis le début de son existence, la bande dessinée repousse ses limites. Ce mode d’expression est encore jeune, et seule une petite partie de ses possibilités a été expérimentée. Dans nombre de pays, les auteurs de bande dessinée sont des autodidactes qui ont développé leur propre style personnel. Dans la narration asiatique par exemple, les références sont utilisées d’une manière beaucoup plus sauvage que dans la bande dessinée occidentale ; ce qui est particulièrement visible dans la bande dessinée japonaise, qui relie des cases ayant peu de rapport entre elles et fait confiance à la capacité du lecteur à savoir faire les associations nécessaires pour créer le récit des événements. En Occident, la narration est généralement linéaire, à un point tel que le lecteur n’a pas besoin de se creuser la tête pour comprendre l’idée. Cette insistance sur la linéarité va dans les deux sens, car en créant son récit case après l’autre, l’auteur s’en tire également à bon compte. Mais si la narration ne permet pas plusieurs interprétations ni ne montre l’historique interne du travail, cela entraîne une certaine pauvreté de l’expression. Pourtant, la force de la bande dessinée se trouve justement dans les associations sauvages et dans leur lecture par le récepteur. L’auteur fait bien de se mettre à l’épreuve lui-même, et avec lui le lecteur. S’il ne faut pas oublier le jeu, il ne faut pas non plus égarer le lecteur, ce qui arrive relativement souvent dans la bande dessinée contemporaine quand l’auteur est sous l’emprise de l’enthousiasme créateur.
L’italien Massimo Mattioli représente un genre d’anarchie dans la bande dessinée. Il a utilisé des techniques très différentes allant de dessins dans l’esprit de Disney jusqu’à l’utilisation des photos et des collages. Mattioli associe également diverses techniques et styles à l’intérieur d’une seule œuvre. Le trait qui caractérise ses œuvres est qu’elles sont uniformément hautes en couleur. L’idée de base des œuvres de Mattioli est d’associer un dessin naïf plein de couleurs à des événements macabres et surprenants. En tant que contemporain du mouvement underground il partage ses aspirations dans son travail.
Le grec Ilan Manouach profite souvent des styles commerciaux dans ses productions artistiques. Ses ouvrages Les Schtroumpfs noirs et Riki Fermier représentent néanmoins davantage un art conceptuel basé sur des idées isolées que de nouvelles formes nées de styles et de narration originaux détournés et digérés par l’auteur. Quoi qu’il en soit, si ces deux ouvrages sont bouleversants, tout en étant fondés sur une approche unique, ils ne résistent pas à l’usure du temps. Pour Manouach, en effet, les styles sont souvent à usage unique.
Le remixage de la bande dessinée est devenu un style à part entière dans les années 2010. Le français Samplerman se déplace à la frontière de la poésie visuelle et de la bande dessinée abstraite. Ses « trips » visuels puisent dans l’imagerie de la bande dessinée populaire et suscitent des expériences déconcertantes pour le lecteur qui reconnaît les codes visuels mais qui est simultanément confronté à un contenu souvent surréaliste exigeant une interprétation personnelle. Le re- mixage est un procédé largement utilisé dans la bande dessinée, des parodies commerciales jusqu’à la bande dessinée contemporaine, mais il recèle encore bien des possibilités à explorer. Imaginons une situation où des personnages de bande dessinée choisis au hasard doivent vivre et agir ensemble à l’intérieur d’une seule et même histoire. Doug Allen fait usage de ce procédé dans sa série existentialiste Steven où il construit sa galerie de personnages en se fondant sur des extrêmes aléatoires. Le travail d’Allen est souvent classé comme bande dessinée underground, mais en réalité c’est un ensemble beaucoup plus complexe de références diverses ; et une de mes bandes dessinées préférées.
L’œuvre de l’américain Benjamin Marra peut être considérée comme une sorte bande dessinée mash-up. Il y combine les bandes dessinées d’action de type série B, le graphisme spontané d’un ado quelconque, l’univers chromatique des bandes dessinées mainstream, et les scènes statiques mais néanmoins puissantes de type Fletcher Hanks. Ce dernier était bien en avance sur son temps. La force de son œuvre, encore lue au XXIe siècle, se fonde précisément sur une narration individuelle et sur sa façon de détourner la bande dessinée traditionnelle des super héros américains. Hanks fut un ivrogne aigri et un freak qui se servait de la bande dessinée pour passer sa frustration de l’espèce humaine et de la société. Aussi bien Marra que Hanks s’approchent de l’art outsider américain, chacun à sa façon.
Épilogue
Dans la nature, ce sont les espèces les mieux capables de s’adapter qui survivent. Pourtant, le type d’un zèbre peut paraître intemporel ou la trompe d’un éléphant sembler avoir la même longueur aujourd’hui qu’hier. En réalité, l’écosystème est en évolution perpétuelle, indépendamment de l’homme. Les papillons des villes industrielles changent leur couleur en fonction de la pollution de l’air. D’après ce que l’on dit, la myrtille et beaucoup d’autres espèces vont disparaître de la nature finlandaise à cause du changement climatique. Dans le tourbillon de la biodiversité, il est impensable qu’une espèce reste immuable ad aeternam. La pérennité n’est pas un caractéristique de la nature. L’homme n’est peut-être pas conscient du fait qu’il lutte pour son existence alors que c’est justement ce qu’il fait constamment en tant qu’espèce. Le but du capitalisme est de simplifier les choses pour mieux les contrôler par la suite. Ainsi la biodiversité est-elle réduite par les processus de l’agriculture intensive et par la manipulation génétique. Ce plan a pourtant ses failles. En ce moment même, les mauvaises herbes prennent de l’ampleur et leur contenu pauvre en nutriments rend certains sols impropres à la culture. De la même manière, les arts vivant dans la misère des marges peuvent prendre le pouvoir. Il faut simplement poursuivre le travail et attendre l’occasion. Quand elle se présente, il faut se lever et savoir formuler son message.
Traduit du finnois par Kirsi Kinnunen avec l’aimable collaboration d’Anne Cavarroc.
La traductrice remercie la Kone Foundation pour sa bourse de travail.