La passion des anabaptistes
de David Vandermeulen et Ambre
par L.L.de Mars
Vandermeulen et Ambre viennent d’ajouter une étagère à leur vieille armoire thuringeoise : 6 pieds sous terre publie le troisième volume de leur Passion des anabaptistes.
Le souvenir du Faust, également publié par 6 pieds sous terre, dont le texte endimanché de Vandermeulen fleurissait une écriture dévote de l’écriture (ou du moins de ce mirage qui s’en fait quand on se tient trop loin des bibliothèques), me faisait reculer au moins autant que la prise en main de ces grands volumes : ces planches labourées de sillons noirs sentaient quand même assez fort le programme et avançaient du même pas démontré que leurs intentions missionnaires...
C’est le retour en fanfare des Bouvard et Pécuchet de la bande dessinée qui broutent le parchemin tendineux des momies littéraires : spirites devant l’intelligence passée, ils en réveillent inutilement les cerveaux de marbre ; nos deux écoliers appliqués, faisant œuvre d’esprit en bigots culturels et historiques, imaginent peut-être par leur sanctification offrir une sorte de cachet à la bande dessinée en l’enterrant sous dix couches d’un vernis gratté sur de vieilles croûtes. Difficile d’y voir un autre mouvement que conjuratoire, par lequel la bande dessinée ne serait aimable qu’à condition d’être enfin devenue autre chose.
Picorer avec plus ou moins de grâce dans la gravure germanique du XVIe siècle comme dans un bréviaire de petits effets stylistiques pour illustrer un récit dont le XVIe siècle est précisément l’objet, voilà qui revient à costumer les gardiens de la salle des Clouet du Louvre avec des chausses et des pourpoints pour être plus à fond dans le truc. Outre une bonne dose de puérilité et de fétichisme, cet habillage avoue à la fois une candeur de débutant devant la notion de proximité historique (1) et, plus tristement, une grande faiblesse de tout enjeu artistique, ici résumé à un job de marbrier funéraire. On ne pourra pas ôter aux auteurs le souci de cohérence qui aura rendu leur Thomas Müntzer vain jusque dans ses détails typographiques, pittoresque pacotille du comme si.
Difficile de trancher entre l’ingénuité, la pompe et la coquetterie quand on autopsie cette mauvaise digestion. Difficile également de ne pas s’affliger devant le fait que le travail historique y est, comme tout le reste, acculé à l’inutilité faute d’audace, de curiosité, d’une position affirmée, en bref : faute d’une vision. Augmenter un peu les lectures scolaires de pistes plus audacieuses — voire de lectures moins opiniâtrement utiles — nous aurait sauvé de cette noyade dans les Annales (pour le credo des mentalités) ou dans les parallélismes balourds (marottes matérialistes du moment) dont se rendent seuls coupables ceux pour qui les livres d’histoire se traitent, comme leurs objets, en reliquaires de faits sociaux.