Les pages blanches
d’Ilan Manouach
par Alexandra Achard
Production anachronique, pour le moins unique — ou massivement communiquée —, d’une bande dessinée blanche, Blanco, multiple d’un unique, blanco, reflet d’une production globale. L’artefact est ainsi présenté comme pur objet de pensée critique. Proposé, à ce titre, dans ce qui serait son état d’origine : un blanco de 48CC, objet « industriel » dépourvu de toutes interventions pratiques et plastiques de l’artiste. Ilan Manouach rejoue le coup de l’élection au rang d’art et s’offre son urinoir. Voilà pour la belle histoire.
Mais.
Il y a une inadéquation entre le discours et l’objet. Entre le dit et le fait. Censé être ici le fruit d’une normalisation et le symbole du retrait du geste artistique, Blanco apparait comme un simulacre. Ni le papier, ni le format — ni même le prix de vente originel — ne sont ceux dudit référent. Plus largement et puisque propre à l’exception, sa reprise se fait inévitablement contraire au projet. Balayant ainsi tout le discours électif, Blanco perd son attrait « sociologique » — son statut de livre non-imprimé et universel — et se dévoile en bande dessinée blanche. Alors, paradoxalement, libérées de toutes ses justifications promotionnelles, la matérialité et la non-matérialité effectives de cette bande monochrome réintroduisent, partout, l’arbitraire de l’artiste.
De cet ailleurs naïvement éblouissant, Blanco fait certainement sourire celui qui le manipule, mais trahit avant ou après tout un espace artistique où il est une limite acceptée au « non-faire » en interrogeant les possibles d’une ambiguïté imagière de la matière : blanche parce que peinte ou blanche parce que laissée vierge ?