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par Claude Dominique

 

Michel-Edouard Leclerc (MEL), fils d’Edouard Leclerc à la tête des Leclerc, a une lubie : la culture. Et « depuis plusieurs années [il] entend autour de [lui] des salariés, des jeunes, des collaborateurs, des étudiants... qui aimeraient avoir des œuvres d’art sur leurs murs mais n’en ont pas les moyens. En créant MEL Publisher, [il a] souhaité rendre l’art et les artistes [qu’il aime] accessibles à tous. » Art accessible = Estampe. Peu importe pour MEL que la bande dessinée sous forme d’Estampe soit un contresens. C’est un illusionniste qui transforme des multiples accessibles à tous en multiples accessibles à certains en justifiant son acte par la volonté de les rendre accessibles à tous. Tautologie cynique de l’altruisme auto-proclamé de MEL.

 

MEL Publisher est la mauvaise actriced’une économie du surplus, ciblée et connue. MEL veut vendre l’art comme il vend des saucisses et des médicaments. Une colère gronde, contre lui, contre la critique, contre les théoriciens, contre vous, contre moi. Flairant la bulle spéculative et sans autre projet, MEL s’épand sur le vide critique que nous lui laissons entre art contemporain et bande dessinée. Une scission communicative et commerciale. Non que les noms conviés ne fassent de bande dessinée, mais bien que le raccourci trahit qu’ils ne sont que des cautions de ce que la bande dessinée traîne avec elle de confusions « populaires ». Des bribes utiles à la construction d’un paravent publicitaire bassement assis sur la volonté de rendre accessible « le meilleur de l’art contemporain et de la bande dessinée en estampes ».

 

Le pléonasme de la formule n’est que la flèche qui porte le nom de ses cibles. « Accessible à tous », dit-il. Cette phrase révèle à elle seule le vice et l’arrogance de la démarche. MEL jouit du canyon dans lequel il barbote. La dissociation lui permet d’attirer un public habituellement tenu à l’écart des transactions d’art contemporain (sa clientèle en d’autres termes) avec une œuvre clef en main. Une œuvre qui leur parle puisqu’elle est issue des bandes dessinées présentes dans les rayons des Leclerc. Une œuvre, photo à l’appui. Dans le catalogue de vente, l’artiste est saisi les doigts dans la peinture, laissant croire qu’il touchera l’Objet qui videra les tirelires sur les cheminées. Un objet créé de toute pièce quand des centaines existaient déjà. Disjoindre art contemporain et bande dessinée permet surtout à MEL d’aiguiser l’appétence d’une nouvelle clientèle : les collectionneurs d’art contemporain, ceux qui ont les sous. D’un côté la BD fait caution populaire, alphabétiquement indexée sur des Artistes (pop et kitsch), pour rassurer le tout-venant ; de l’autre l’Estampe assure la valorisation artistique d’une production souillée par son caractère mercantile : « rassurez-vous, si autrement c’est autre chose, ici rien n’est étranger à votre univers de consommation ! » Redoutable.

 

Accessible ? Entrée basse du catalogue : 250 € l’estampe, et si vous prenez trois « carreaux » aujourd’hui, vous profiterez de 50 € de réduction (700 € au lieu de 750 €). Avis aux salariés, aux jeunes, aux collaborateurs, aux étudiants... On y apprend aussi que les exemplaires n°1 de chaque estampe, un tiers plus chers, se vendront au profit de la Fondation pour la Recherche sur Alzheimer. Avis aux riches bienfaiteurs... À se demander qui est le moins cher pour MEL.

 

40 artistes pour 71 estampes. L’acceptation ou non de la collaboration des artistes au projet étant un autre débat, notons tout de même qu’il est amusant d’en croiser certains. Infortune, l’édito du Cahiers de la bande dessinée n°3 (avril-juin 2018) rappelle les mots de l’un d’eux : « En 2009, Blutch, Grand Prix de la ville d’Angoulême, ne disait pas autre chose : ʺ On a marié la bande dessinée avec tellement de choses... disons qu’en ce moment, la mode est de la marier avec l’art contemporain. Ça passera. ʺ » Bref.


 

Catalogue de vente Artcurial, Éditions MEL Publisher , du 17 au 20 septembre 2018, Paris