Paiement accepté
de Ugo Bienvenu
par Julien Meunier
Dès la troisième planche, le visage de Trump. Le personnage s’appelle Junior, il a une place importante dans le récit, et il reviendra souvent. Je rentre direct en résistance, ma lecture se grippe, le visage de Trump fait douloureusement écran. Comme le dessin de Ugo Bienvenu est assez réaliste, il me semble parfois percevoir la photo sous le dessin, le cliché dont est tiré l’image. Et ces photos je ne peux plus les voir, une sorte de haut-le-cœur visuel me prend à chaque fois. Donc résistance, et perplexité.
Pourquoi ce personnage ressemble-t-il à ce point à Trump, à quoi ça sert ? D’ailleurs le dessin de ce livre me dérange, il semble tout le long indexé, affilié, en renvoi perpétuel à des images préexistantes. Un livre entier décalqué des pages d’un catalogue de la Redoute et des couvertures du Times, ou un roman-photo tiré d’un film de science-fiction des années 60. L’effet produit est insistant, il fait naître une forme de commentaire permanent : tout est déjà passé, ça a déjà eu lieu, ce qu’on voit maintenant est une forme déjà morte, grotesque et morbide.
C’est à la fois désagréable, convenu, et beau.
Et puis cette page qui raconte une violence des chiffres, une vulgarité des êtres, Trump qui n’est pas Trump mais qui l’est ici profondément, hurle des chiffres dans une négociation financière vide et solitaire. Cri de guerre, agression, brutalité froide et absurde. Trump qui crie, c’est une page qui crie le dégoût de Trump.
On comprend que Junior est bien le fils de Trump. Alors il y a l’idée troublante que les visages font retour, qu’une généalogie monstrueuse des traits existe et qu’on ne se débarrasse pas d’une morphologie comme ça. Et ça nous touche tous. On se traîne tous l’héritage de tout le monde, et comme un destin funeste le visage de Trump nous arrivera de nouveau, régulièrement. Il résonnera dans l’histoire, rebondira d’échos en échos de lui-même. L’horreur.