Crapule

de E&J LeGlatin

par L.L.de Mars


Lentement, opiniâtrement, les frères LeGlatin vident de toute évidence, de toute permanence, les contours de leurs personnages pour en faire deux trous noirs dans lesquels s’engouffrent tous les récits possibles. Cet ensemble de livrets — auquel répond un fascicule du même titre publié par eux — est une invitation à la relecture, au réassemblage, à l’arlequinage fictionnel.

Le raté, ici, est transitif : ce livre (cet ensemble de fascicules) rate, manque sa cible, oui, sans aucun doute, mais il me semble que c’est ceci même qu’il expose (notamment en rendant impossible un éventuel achèvement éditorial), que c’est le sens même de ce dernier avatar du couple Caporal&Commandant. Les questions que soulève ce ratage, je me les pose souvent moi-même en travaillant : à quoi bon rendre insaisissable, imprécise, une cible quand on en a une, si on veut vraiment l’atteindre par un travail guerrier (et celui-ci l’est) ?

La raison est (au moins) double : si vous cernez démonstrativement la cible de vos attaques, vous n’ouvrez pas la possibilité de penser au-delà de cette définition ; dans un travail politique, la question de l’adversaire ne doit pas se laisser résumer à la dernière forme contractuelle qu’il a prise. D’autre part, une définition précise réduit le travail artistique à un statut de machine de guerre, et le rend donc INVISIBLE (transparent à cette machine).

Garder le mouvement de l’attaque, ne pas le perdre dans la réification de l’adversité, ne pas l’anecdotiser dans les effets d’actualité, ne pas le limiter dans les corps ou les institutions immédiats.

On peut ajouter au passage que les plus mauvais comiques sont ceux qui cherchent des alliés : rire ensemble de la même chose, rire contre une quelconque victime passagère pour confraterniser dans la haine, le mépris, la hauteur, que sais-je encore ? Voilà en passant le portrait de la quasi-totalité des comiques. La seule forme de rire qui vaille à mes yeux est celle qui perd le rieur, abasourdi devant sa propre énormité (nonsense, absurde, sont des formes de ce rire dévastateur, toujours au PREMIER degré) et qui perd le public. Crapule.